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Prendre soin de ceux qui sont “comme nous” : Questions et réponses avec le vétérinaire et défenseur des grands singes Rick Quinn

  • Le vétérinaire Rick Quinn est le fondateur de Docs4GreatApes, une organisation caritative qui soutient les soins de santé pour les grands singes tout en aidant les communautés qui les entourent et l'environnement qu'ils partagent.
  • Son nouveau livre, introduit par Jane Goodall, relate les leçons qu'il a apprises sur la conservation des grands singes en Afrique et en Asie, accompagnées de ses propres photos de gorilles, de bonobos, de chimpanzés et d'orangs-outans. Tous les bénéfices sont reversés pour soutenir le travail de sa fondation.
  • Il met en évidence l'importance du bien-être et de l'autonomisation des communautés pour une conservation efficace, et cite des initiatives qui ont permis d’instaurer une confiance et une bonne volonté au sein des communautés, qui sont ainsi devenues des partenaires enthousiastes de la conservation des gorilles.
  • Dans une interview accordée à Mongabay, M. Quinn évoque son nouveau livre, son malaise face au tourisme du selfie qui met les grands singes en danger, la pandémie de COVID-19 et son rôle de vétérinaire militant.

Rick Quinn, ophtalmologue vétérinaire et photographe animalier passionné, se décrit comme « un vétérinaire ordinaire qui a un cabinet, et qui pensait être complètement satisfait, et qui a ensuite eu l’opportunité de donner des conférences à des vétérinaires à l’autre bout du monde ».

Cette opportunité – voyager en Afrique de l’Est pour partager ses connaissances en matière de soins oculaires vétérinaires avec les Gorilla Doctors au Rwanda et avec les étudiants de l’université Makerere en Ouganda – s’est avérée être la première étape d’une aventure qui a emmené Quinn dans sept pays africains ainsi qu’en Indonésie pour photographier les grands singes à l’état sauvage.

Rick Quinn, deuxième à partir de la droite, pataugeant dans une forêt inondée à hauteur de la taille en route vers le Centre de recherche Mondika, Parc national de Nouabalé-Ndoki, Triangle de Djéké, République du Congo. Image par Rick Quinn.

Au cours de ses voyages, alors qu’il rencontrait des vétérinaires et des défenseurs de l’environnement qui s’occupaient des grands singes et les protégeaient, un constat s’est imposé à lui : « Je pouvais faire beaucoup plus que leur donner des cours sur les problèmes oculaires », dit-il.

Cela a incité Quinn à fonder une organisation caritative, Docs4GreatApes, dont l’objectif est de contribuer à prendre soin de la santé des grands singes, des personnes qui les entourent et de l’environnement qu’ils partagent.

Cela a également motivé Quinn à se tourner vers l’écriture. Disponible depuis peu en librairie et en ligne, et introduit par Jane Goodall, le livre de Quinn, Just Like Us: A Veterinarian’s Visual Memoir of Our Vanishing Great Ape Relatives (Comme nous : le récit visuel d’un vétérinaire sur les grands singes, nos cousins en voie de disparition), relate ses voyages en Afrique et en Asie et les leçons qu’il a apprises sur les grands singes et leur conservation, accompagnées de ses propres photographies de gorilles, de bonobos, de chimpanzés et d’orangs-outans. Le livre est destiné à sensibiliser le public et à collecter des fonds : Quinn a fait don du coût de l’impression, de sorte que tous les bénéfices serviront à soutenir le travail de la fondation.

Mongabay s’est entretenu avec Rick Quinn par téléphone et par e-mail pour en savoir plus sur son travail, son livre et Docs4GreatApes. L’entretien suivant a été légèrement modifié pour des raisons de style et de clarté.

Orang-outan de Bornéo mâle adulte, parc national de Tanjung Puting, Bornéo, Indonésie. Image par Rick Quinn.

Mongabay: En tant qu’ophtalmologue, les yeux et la santé oculaire sont naturellement un thème important qui revient tout au long du livre. Un passage qui m’a frappé est votre description d’un sentiment de connexion en regardant dans les yeux d’un singe que vous n’obtenez pas avec les animaux domestiques que vous traitez. Et puis, bien sûr, vous avez choisi d’intituler votre livre « Just like Us » (Comme nous). Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur cette connexion et ces points communs que vous avez trouvés, et sur la façon dont ils ont façonné votre compréhension de la conservation des grands singes ?

Rick Quinn: Lorsque l’on regarde dans les yeux d’un grand singe, la connexion est immédiate et étrangement familière. Il y a une conscience, une curiosité qui se crée dans les deux sens – bien au-delà de l’évaluation prudente que je ressens de la part de mes patients animaux. Leurs interactions en tant que groupe – les mères qui câlinent leurs bébés, les jeunes qui se battent entre eux, les adolescents turbulents – sont facilement reconnaissables comme étant les nôtres. Ces schémas comportementaux se répètent chez chacune des espèces de grands singes ; il n’est donc pas difficile de voir que nous sommes très proches. Si nos efforts de conservation s’appuyaient sur une meilleure compréhension des grands singes, il nous semblerait alors tout à fait naturel de protéger ceux qui nous ressemblent – peut-être comme une directive tacite d’un dernier ancêtre commun pas trop lointain.

Inganda et Inguka, deux gorilles jumeaux mâles des plaines de l’Ouest, appartenant au groupe Makunda dans le parc national de Dzanga-Ndoki, République centrafricaine. Image de Rick Quinn.

Mongabay: Comment pensez-vous que votre expérience de vétérinaire a façonné votre approche de l’activisme ? Et quels types de réponses obtenez-vous des autres vétérinaires lorsque vous parlez du travail de votre fondation ?

Rick Quinn: Les grands singes connaissent un déclin rapide. Les raisons sont nombreuses, mais presque toutes impliquent l’activité humaine. Il s’agit notamment des maladies infectieuses, de la destruction de leurs habitats pour l’extraction pétrolière, la déforestation et l’exploitation des substances minérales de surface, ainsi que la chasse pour la viande de brousse. La situation est compliquée par le taux de reproduction très lent de nos parents grands singes.

Les vétérinaires sont formés pour diagnostiquer et gérer les problèmes de plusieurs espèces, aussi bien chez les animaux individuels que dans les populations entières. Nous comprenons l’environnement dans son rapport avec la santé, la surveillance des maladies et les zoonoses, des maladies qui peuvent toucher à la fois les animaux et les humains. Les risques sont très élevés lorsque des populations de grands singes en danger critique d’extinction sont entourées d’une population humaine rurale particulièrement dense. Ou lorsqu’il existe des traditions culturelles, notamment la consommation de grands singes, qui pourraient faciliter la propagation d’un agent pathogène tel que le virus Ebola et anéantir 5000 gorilles des plaines de l’Ouest en une seule épidémie.

Il n’existe pas de solution miracle, aucun gouvernement ne découvrira jamais le plan parfait pour améliorer la situation. Les vétérinaires passent une grande partie de leur carrière à « chercher la quadrature du cercle ». Adapter des traitements, des instruments ou des procédures bien établis, conçus pour des patients humains, à nos patients animaux est un défi quotidien. Cette expérience en tant que vétérinaire m’a permis de trouver des moyens, petits et grands, de faire la différence, de dévier vers une autre voie si nécessaire, de demander de l’aide aux gens et, surtout, de célébrer les petites victoires. Une fois sensibilisés aux problèmes, mes collègues vétérinaires retroussent instinctivement leurs manches et souhaitent apporter leur aide – ils ont été d’un grand soutien.

Bonobo femelle adulte dans la réserve de faune de Lomako-Yokokala, République démocratique du Congo. Image par Rick Quinn.

Mongabay: Dans votre livre, vous parlez de votre propre questionnement sur la différence entre vos voyages pour photographier les singes et les touristes en quête de selfie. Quelles sont, selon vous, ces différences ? Et quels sont les résultats qui vous font penser que votre décision de poursuivre et de publier ces photos a été suffisante pour compenser les risques potentiels auxquels les singes sont confrontés lorsqu’ils sont proches des humains ?

Rick Quinn: Au début de ma carrière, bien avant le projet d’écrire Just Like Us, je remarquais les réactions de mes amis et ma famille aux images de grands singes que je partageais suite à ma dernière aventure en date. Les images étaient bien plus puissantes que les faits et les chiffres ; elles créaient un lien entre le grand singe et le public, qui avait envie d’en savoir plus.

Bien que j’aie débuté mes aventures en tant que touriste, au cours des sept années qui m’ont été nécessaires pour rassembler les histoires et les images, j’ai rapidement commencé à accompagner des équipes de recherche en tant qu’invité de différentes ONG de protection de la faune. Cependant, lors de mes premiers voyages, j’ai été surpris de voir ce que les touristes faisaient pour obtenir la « photo parfaite », en violant clairement la distance minimale et souvent dans une station de distribution de nourriture très peu naturelle installée pour attirer les grands singes trop habitués. Je comprenais les avantages financiers du commerce touristique pour les efforts de conservation, notamment celui de fournir des emplois à l’économie locale. Je craignais que des maladies puissent se propager de la population semi-sauvage, trop habituée, à la population véritablement sauvage, avec des conséquences potentiellement dévastatrices.

En essayant de ne pas émettre de jugement – les touristes en quête de selfie avaient autant le droit que moi d’être en leur compagnie – je profitais de l’occasion en gardant une distance respectueuse. Ces images ont contribué à sensibiliser le public à la situation critique dans laquelle se trouvent les grands singes menacés. Les nombreuses images qui ont suivi ont été prises dans des conditions beaucoup plus réglementées et difficiles, avec un impact très faible sur les animaux observés et étudiés. J’espère qu’en regardant les images et en comprenant les problèmes, les visiteurs potentiels seront plus enclins à agir de manière responsable.

Mère et jeunes chimpanzés mâles, parc national de Kibale, Ouganda. Image par Rick Quinn.

Mongabay: Tout au long de votre livre, vous indiquez à plusieurs reprises que la conservation de la faune sauvage dépend essentiellement de l’aide humaine. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là, et comment vous essayez de faire en sorte que cela fonctionne dans la pratique ?

Rick Quinn: Tout plan de conservation efficace et durable nécessitera une approche globale prenant en compte non seulement la santé des espèces sauvages menacées, mais aussi celle de l’environnement et le bien-être des personnes vivant dans les communautés entourant ces populations. Les plans qui se sont avérés efficaces sollicitaient la contribution de parties prenantes locales et prenaient véritablement en compte les besoins, les traditions et les opportunités des habitants de la région.

L’un des premiers projets de Docs4GreatApes en Afrique, l’initiative VirungaOne, visait à assurer le développement professionnel continu des infirmières qui dispensent des soins destinés aux humains dans les 14 centres de santé communautaires du parc national des volcans au Rwanda. En partenariat avec les Gorilla Doctors, qui s’occupent des gorilles de montagne et des gorilles de Grauer, deux espèces gravement menacées dans la région, l’initiative a permis d’instaurer une confiance et de créer de la bonne volonté. À son tour, la communauté s’est montrée disposée à participer à la conservation des gorilles. À ce jour, 55 infirmières arborent fièrement leur certificat de formation d’une semaine que nous avons conçue et dispensée, après une consultation approfondie des parties prenantes de la région, en matière de soins oculaires de base.

Orang-outan de Bornéo, femelle adulte et bébé, parc national de Tanjung Puting, Bornéo, Indonésie. Image par Rick Quinn.

Mongabay: La pandémie de COVID-19 a-t-elle modifié votre façon de penser en matière de conservation des grands singes ?

Rick Quinn: Les restrictions locales et internationales en matière de voyages ont empêché toute visite récente, mais deux préoccupations spécifiques émergent : l’absence de revenus touristiques et la menace constante de transmission virale par les rangers et les chercheurs qui travaillent à proximité des grands singes habitués.

Les économies locales de nombreuses régions dépendent de l’afflux de dollars des touristes. La diminution des voyages dans le monde entier et la décision de fermer ou de restreindre les lieux d’observation des gorilles et des chimpanzés ont entraîné une augmentation du braconnage. Bien que la restriction de l’accès permette de protéger les grands singes de l’exposition au virus SRAS-CoV-2, les difficultés financières qu’elle engendre poussent de nombreux habitants à recourir aux activités dont l’écotourisme des grands singes était justement censé les éloigner : le braconnage pour la nourriture et le commerce.

En tant qu’espèces étroitement liées et génétiquement similaires à l’homme, les grands singes sont également sensibles au virus qui cause le COVID-19 chez l’homme. Il y a eu des cas de COVID-19 chez des pisteurs, des gardes forestiers et des chercheurs à proximité de groupes habitués. Bien que je reste convaincu que l’habituation de bon nombre de ces populations fait partie de la solution pour sauver ces espèces emblématiques, la pandémie actuelle illustre certainement l’épée à double tranchant qu’est l’écotourisme. J’espère au moins qu’elle conduira à des réglementations et à des mesures plus strictes pour empêcher l’exposition accidentelle de populations naïves de grands singes à des agents infectieux qui pourraient facilement anéantir une population entière.

Membres du groupe de gorilles de montagne Pablo, Parc national des volcans, Rwanda. Image par Rick Quinn.

Quelle est la prochaine étape pour vous et pour Docs4GreatApes ?

Rick Quinn: Les pays africains ont créé des parcs nationaux et des sanctuaires dans le but de conserver la biodiversité. De nombreux parcs nationaux fonctionnent sans mettre l’accent sur la santé – une composante essentielle de la conservation de la faune et des lieux sauvages. Lancé en 2019 par Docs4GreatApes, le Wildlife ConserVet Education Project offre des bourses d’études à des vétérinaires méritants pour qu’ils acquièrent les compétences et les connaissances nécessaires pour travailler comme vétérinaires de terrain pour la faune sauvage ou dans la surveillance des maladies pour les pandémies émergentes.

Au cours des deux dernières années, nous avons obtenu le soutien de vétérinaires et l’intérêt d’organisations caritatives de protection de la nature partageant les mêmes idées. Nous intensifions nos efforts pour renforcer durablement les capacités vétérinaires dans la région. Le programme ConserVet est désormais géré par un consortium d’organisations de protection de la nature, que préside l’Institut Jane Goodall du Canada. Nous nous sommes associés à des organisations qui sont déjà présentes sur le terrain en Afrique ; en tirant parti de leur infrastructure, nous pouvons unir nos forces pour faire avancer notre cause.

ConserVet finance actuellement deux stages d’un an en République démocratique du Congo. L’année prochaine, nous contribuerons à introduire la médecine de la faune sauvage dans les programmes vétérinaires de premier cycle en finançant des stages externes pour encourager les étudiants intéressés à envisager une carrière dans la faune sauvage. Docs4GreatApes a contribué à financer trois vétérinaires du Rwanda, de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo qui ont obtenu leur maîtrise en médecine et gestion de la santé des animaux sauvages. Nous prévoyons d’en parrainer d’autres.

Bonobo mâle juvénile, Réserve de faune de Lomako-Yokokala, République démocratique du Congo. Image par Rick Quinn.

Image de la bannière : Gorille de montagne, mère et bébé, par Rick Quinn.

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