- Si le secteur du transport maritime était un pays, il serait le sixième plus grand émetteur de carbone au monde, rejetant plus de CO2 par an que l'Allemagne. Selon l’Organisation maritime internationale des Nations Unies, le transport maritime international représente environ 2,2 % de l'ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
- Cependant, le changement a le vent en poupe. Les navires fonctionnant à l'énergie éolienne, solaire ou à l'hydrogène offrent des solutions novatrices qui, contrairement aux navires-cargo à carburant fossile, émettent peu ou pas de carbone. Selon les experts, l'énergie éolienne fait un retour en force dans le secteur du transport maritime. De nouvelles voiles aux designs expérimentaux voient le jour telles que les voiles rigides, les cylindres verticaux rotatifs ou encore les ailes de kite.
- Désormais, des entreprises de tailles variées s’attaquent aux émissions de CO2. C’est notamment le cas de la startup Fair Transport avec ses navires à coque en bois convertis et rénovés, le Tres Hombres et le Nordlys, de la PME preuve de concept Grain de Sail et son voilier sur mesure du même nom, ou encore de Neoline et ses grands navires-cargo sur mesure ou rénovés.
- Jusqu'à la fin des années 1940, d'énormes voiliers en acier transportaient des marchandises sur certaines routes maritimes. D’ici à 2030, soit un siècle après la dernière grande ère de la voile, les navires-cargo à carburant fossile pourraient laisser place à des navires de plus ou moins haute technologie et slow-tech grâce à la révolution technologique du secteur énergétique, réduisant ainsi les coûts du transport et les émissions de CO2.
En janvier 2010, un voilier en bois « sans moteur » de plus de 70 ans, le Tres Hombres, arrive à Port-au-Prince. Il apporte avec lui des fournitures de secours plus que nécessaires, envoyées par des organismes humanitaires néerlandais, destinées à aider le peuple haïtien à la suite d’un tremblement de terre. Bien qu’il ne s’agisse pas de la première application contemporaine de la « logistique verte », le Tres Hombres, propulsé par un trio d’énergies propres (voiles, éoliennes et huile végétale recyclée), incarne l’esprit d’entreprise du mouvement rétrorévolutionnaire actuel du cargo à voile.
Pour de nombreux experts du secteur maritime, le voyage transocéanique du Tres Hombres est un symbole de la renaissance du cargo à voile : il use d’un ensemble de technologies nouvelles et anciennes, devenant un exemple d’alternative viable aux navires de haute mer à carburant fossile.
Les porte-conteneurs gigantesques fonctionnant au diesel que nous connaissons, le pont débordant de marchandises, sont toujours un spectacle courant dans les ports de New York ou de Hong Kong. Mais il semblerait que les jours de ces titans, mus par d’énormes moteurs à combustion interne, soient comptés.
Une vague de changement dictée par des problématiques économiques et climatiques
Malgré la prédominance actuelle des cargos à carburant fossile, les initiés du secteur savent bien que la logistique maritime actuelle est à la fois vieillissante et fragile.
Les moyens de transport alimentés aux carburants fossiles se heurtent aujourd’hui à la sombre réalité des émissions carbone : si le transport maritime était un pays, il serait le sixième plus grand émetteur de carbone, rejetant plus de CO2 par an que l’Allemagne. Selon les données les plus récentes de l’Organisation maritime internationale des Nations Unies (OMI), le transport maritime international représente environ 2,2 % de l’ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Cette augmentation annuelle de la quantité de carbone atmosphérique libérée par les navires de haute mer ne fait pas qu’aggraver le changement climatique (l’une des neuf limites planétaires ou LP, définies scientifiquement, que nous risquons de dépasser), elle contribue également à l’acidification des océans (une deuxième LP) qui commence à avoir un impact sérieux sur la biodiversité (une troisième LP). Il faut ajouter à cela l’importante pollution chimique (une quatrième LP) émise par les cheminées des navires.
Toutes ces limites planétaires sont interdépendantes et s’influencent mutuellement (négativement et positivement) : par exemple, la réduction du carbone suie (ou noir de carbone), les particules fines émises par les navires de haute mer à carburant fossile, pourrait ralentir le réchauffement climatique. Cela permettrait de gagner du temps pour mettre en œuvre d’autres mesures de réduction des émissions de carbone.
Un autre problème des navires actuels réside dans le recours aux moteurs auxiliaires pour accoster, produisant des rejets de SOx (oxydes de soufre), de NOx (oxydes d’azote), de CO2 et de particules, tout en produisant des vibrations et des sons nocifs. Des ingénieurs se sont penchés sur ce problème et ont mis au point le branchement à quai, qui consiste à fournir de l’électricité aux navires à quai, permettant l’arrêt des moteurs principaux et auxiliaires.
Le secteur du fret est aujourd’hui confronté non seulement à des problèmes environnementaux, mais aussi à un problème logistique et économique épineux : sa flotte de porte-conteneurs à carburant fossile est actuellement composée en majeure partie de véritables mastodontes dotés d’immenses capacités de transport. Toutefois, la « surcapacité » de ces navires géants les prive de la souplesse nécessaire pour s’adapter aux variations inattendues de l’offre et de la demande mondiales. Selon les experts, les ports et les marchés spécialisés du monde entier seraient probablement mieux desservis avec des navires de transport de marchandises plus petits et plus économes en carburant.
Le système actuel de transport maritime de marchandises repose sur des combustibles à base de carbone très coûteux et sur des marchés de l’énergie instables. Il est de plus inextricablement lié au commerce mondial à longue distance et est conçu pour de la livraison juste-à-temps nécessitant des expéditions programmées avec précision. Ces éléments le rendent de plus en plus vulnérable aux aléas des pénuries de combustibles fossiles, aux chocs et aux flambées de prix, ainsi qu’aux conflits géopolitiques et à la volatilité dans les pays producteurs, notamment au Moyen-Orient et au Venezuela.
Notons également que les navires à carburant fossile actuels ne sont viables et rentables que parce qu’il n’existe pas de taxes sur les externalités négatives, telles que les émissions de carbone et la pollution environnementale, et parce que les accords internationaux qui réglementent leur activité sont peu contraignants, notamment en matière de travail, d’environnement et de santé.
Le vent du changement, notamment déclenché par les nouveaux accords et politiques internationaux en matière de commerce et de climat, pourrait bientôt nous pousser rapidement à sortir de l’ère du carbone pour nous faire entrer dans une nouvelle ère de la voile, avec la nécessité de reconstruire intégralement la flotte de cargos mondiale.
La naissance d’une nouvelle ère de la voile
Le secteur mondial du transport maritime a commencé à éprouver des difficultés non seulement avec ses modèles commerciaux, mais aussi avec les questions environnementales dès les années 1970. Les embargos pétroliers entre 1973 et 1974, la faillite d’US Lines en 1986 et la flambée des prix du carburant dans les années 1970 et 1980 ont incité certaines compagnies de transport à expérimenter la navigation assistée par voile sur les pétroliers et les porte-conteneurs afin de réduire les coûts et les émissions. Dans les années 1980, les armateurs japonais ont conçu de nouveaux navires marchands assistés par voile et ont rénové les anciens.
En 2018, en réponse aux préoccupations environnementales, l’OMI a adopté des mesures obligatoires dans le cadre d’un ensemble de politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre produites par le transport maritime international : la convention pour la prévention de la pollution (MARPOL), l’indice opérationnel d’efficacité énergétique (EEDI), qui est obligatoire pour les nouveaux navires, et le plan de gestion de l’efficacité énergétique des navires (SEEMP). Beaucoup de ces changements obligatoires entreront en vigueur d’ici 2030, soit dans moins de dix ans.
Les technologies du passé remises au goût du jour
Face à ces nombreux défis, la grande question qui se pose au secteur du fret est la suivante : comment passer à une nouvelle ère du transport maritime et de la navigation post-carbone en minimisant les impacts économiques ?
En réalité, le changement a déjà commencé (et il est rapide) et des entreprises, de la startup à la grande compagnie de transport de marchandises, en passant par des PME preuve de concept, mettent leurs navires à l’eau. C’est le cas de Fair Transport et ses voiliers en bois rénovés, de the Schooner Apollonia, de Grain de Sail et de son voilier spécialement conçu pour des voyages transocéaniques ou encore Neoline et ses cargos, rénovés ou neufs.
Tous ces pionniers adoptent des approches technologiques différentes pour résoudre les mêmes problèmes d’émissions de CO2, de coût élevé des carburants fossiles et de nouvelles réalités économiques et réglementaires mondiales.
Les systèmes de propulsion éolienne couvrent un large champ dans la navigation commerciale moderne. Il peut s’agir de navires à carburant fossile assistés par voile (où le vent fournit une source d’énergie auxiliaire), de navires purement éoliens sans énergie auxiliaire, ou encore de navires à voiles hybrides dont la propulsion primaire provient du vent mais est complétée par des moteurs pour assurer la livraison des marchandises en temps et en heure.
La croissance des entreprises de cargo à voile de petite et moyenne taille a été exponentielle à l’échelle internationale, avec le reconditionnement d’anciens navires et la construction de nouveaux voiliers. Le site web de New Dawn Traders, par exemple, comprend des liens vers plusieurs startups de transport maritime et leurs navires :
Le Tres Hombres, la goélette de 32 mètres de Fair Transport, réalise des voyages neutres en carbone depuis sa mise à l’eau en décembre 2009. Il assure une liaison durable de marchandises générales par voie maritime entre l’Europe, les îles de l’Atlantique et des Caraïbes et les Amériques. Sa capacité de chargement est de 35 tonnes, et il peut accueillir un équipage de sept professionnels et huit apprentis. La formation est d’autant plus cruciale pour les équipages de ces navires qu’ils doivent apprendre un mélange de techniques de navigation d’antan et d’avant-garde.
Le Nordlys, un ketch de 25 mètres, est venu étoffer la flotte de voiliers de Fair Transport. Construit sur l’île de Wight en 1873 comme chalutier de pêche, il transporte aujourd’hui jusqu’à 30 tonnes de marchandises entre les ports européens.
L’Avontuur-Timbercoast est un deux-mâts goélette à gréement aurique construit en 1920 aux Pays-Bas, et considéré comme l’un des derniers véritables voiliers de charge du XXe siècle. Son objectif aujourd’hui : la « Mission zéro émission : éliminer la pollution causée par le transport de marchandises ».
Le voilier Kwai a été construit en 1950 comme navire de pêche au hareng à Brême, en Allemagne. Ce navire reconverti mesure 43 mètres de long et peut transporter 250 tonnes de marchandises. Il sert actuellement de navire de poste maritime dans les tropiques, naviguant entre Hawaï et les îles Cook.
Ceiba-Sail Cargo Inc. transporte des marchandises en utilisant un système de navigation durable et neutre en carbone. Son premier navire, le CEIBA, proposera aux exportateurs et aux importateurs un moyen écologique de transporter leurs produits biologiques et durables les plus importants.
Le Hawila Project offre aux producteurs, notamment européens, un moyen écologique d’expédier des produits biologiques entre les petites communautés côtières. Le navire peut transporter 55 tonnes de marchandises et est propulsé uniquement par la force du vent.
Grain de Sail allie le meilleur des technologies maritimes du passé et du présent. Fraîchement construite, la goélette fait 24 mètres de long avec une capacité de 50 tonnes. Elle est dotée d’une coque ultramoderne à température et stabilité contrôlées pour la conservation des marchandises fragiles. Équipée de voiles, elle dispose d’une technologie de navigation de pointe et est en aluminium pour un meilleur rapport poids/performance et une plus grande durabilité. En décembre 2020, Grain de Sail a déchargé une cargaison de vin et de cognac au Brooklyn Navy Yard, devenant ainsi le premier voilier de fret transocéanique à jeter l’ancre à New York depuis que la goélette Black Seal a livré des fèves de cacao aux chocolatiers Mast Brothers en 2011.
Parmi toutes les idées amenées par ces startups et navires preuve de concept, c’est peut-être celle de Jorne Langelaan, un ancien de l’entreprise de cargo à voile Fair Transport, qui est la plus audacieuse en termes de navigation ancienne-nouvelle. Son Ecoclipper, lorsqu’il sera construit, sera un nouveau grand voilier « à gréement carré », réplique grandeur nature du cargo néerlandais Noach, construit en 1857, et aura une mission tout aussi importante. « Il sera opérationnel pour le commerce de haute mer : transatlantique, transpacifique et tout autour du monde », annonce son promoteur. Ce sera un trois-mâts carré avec 930 mètres carrés de surface de voile, « sans propulsion mécanique » et avec une capacité allant jusqu’à 500 tonneaux de jauge brute (TJB).
Des innovations de haute technologie
Parmi les innovations uniques du secteur du fret maritime se trouvent des voiles qui ressemblent de moins en moins à des voiles. Ces « dispositifs de propulsion assistée par voile » ou « par vent » consistent souvent à équiper des navires à carburant fossile existants d’une variété de nouvelles technologies de voilure qui offrent un surcroît de puissance tout en réduisant les émissions de carbone.
Ces approches d’avant-garde sont nombreuses. On compte notamment les voiles rigides, voiles rigides, gonflables ou bien semblables à des ailes d’avion mais disposées verticalement, les cylindres rotatifs qui malgré leur apparence de cheminées sont en fait des voiles (ils utilisent l’effet Magnus, une force qui agit sur un corps en rotation dans un courant d’air en mouvement), le gréement Dynarig, « un gréement moderne et de haute technologie reposant sur l’utilisation de matériaux de pointe, très résistants, actuellement utilisés sur les voiliers de course à haute performance » ou encore des dispositifs de propulsion par kite, ou SkySails, lancés depuis l’étrave avec un câble qui va entraîner le navire par la force du vent arrière.
Neoline est une entreprise qui mise sur une nouvelle technologie de voile qui, selon elle, est « immédiatement disponible et [est une] solution suffisamment puissante pour propulser des cargos ». L’entreprise a déjà trouvé son créneau écologique, en établissant des contrats d’expédition avec le fabricant de pneus Michelin et le constructeur automobile Renault, ainsi qu’avec d’autres entreprises désireuses de réduire leur empreinte carbone. Le ferry Viking Grace, qui navigue sur la mer Baltique, est équipé des cylindres rotatifs de Norsepower, qui fournissent une source d’énergie auxiliaire propre. Wallenius Marine de son côté, développe actuellement l’Oceanbird, un cargo transatlantique capable de transporter 7 000 véhicules à travers l’Atlantique, propulsé uniquement par des ailes rigides de haute technologie.
Ces pionniers se sont associés à d’autres acteurs du secteur et forment l’ the International Windship Alliance, un réseau d’entreprises de nouvelles technologies, de constructeurs de navires et de transporteurs de toutes tailles qui sont en train de changer le visage du transport maritime, en remplaçant les « dinosaures » fumants alimentés par des carburants fossiles par des navires agiles, « retour vers le futur », à voile, assistés par voile, solaires, électriques ou à carburant alternatif.
Pour en savoir plus sur la nouvelle ère de la voile, vous pouvez vous référer au Sail Transport Network de Jan Lundberg, aux écrits éclairés de Dmitry Orlov’s, ou vous rapprocher d’organisations telles que l’International Windship Association dirigée par Gavin Allwright, de la Zero Emissions Ship Technology Association, dirigée par Madadh MacLaine, ou encore Smart Green Shipping, fondée par Diane Gilpin.
La nouvelle ère de la voile n’évolue pas seulement en haute mer : Le Tugantine de Lane Briggs, Erik Andrus chez Vermont Sail Freight, ainsi que Maine Sail Freight sont tous des précurseurs d’un changement marquant de la façon dont les biens et les personnes sont transportés le long des rivières intérieures et dans les eaux côtières dans une ère post-carbone.
À mesure que les combustibles fossiles se raréfient et que leurs prix augmentent, les voiliers et les navires à propulsion alternative remplaceront les moyens de transports maritimes actuels. Dans ce domaine, le flot d’idées nouvelles semble intarissable : la fibre de verre et les autres matériaux synthétiques utilisés pour la fabrication des coques et des voiles peuvent être remplacés par le chanvre ou des plastiques à base de cellulose, les navires pourraient glisser au-dessus des vagues grâce à des ailes immergées qui remplaceront peut-être le transport aérien de passagers à grande vitesse. De même, de nombreux petits ports fluviaux, estuariens et maritimes seront rénovés et modernisés pour créer un « Internet » de voies de navigation côtières et insulaires de petite et moyenne taille.
Les nouveaux navires nécessiteront également un autre type de port : une logistique de premier et dernier kilomètre à propulsion humaine et assistée électriquement, avec des compétences anciennes en matière de navigation, d’armement et de construction navale préservées, remises au goût du jour et intégrées aux savoir-faire du XXIe siècle.
Nous entrons rapidement dans un monde de voiles, de batteries et d’hydrogène : un monde où le transport de marchandises est sans carbone.
Avant sa mort en 1947, Gustaf Erikson, qui dirigeait une flotte de voiliers de la mer Baltique dans les îles Åland, se plaisait à dire à qui voulait l’entendre « qu’un nouvel âge d’or est à l’horizon pour les voiliers : tôt ou tard, insistait-il, les réserves mondiales de charbon et de pétrole s’épuiseront, les moteurs à vapeur et à diesel ne seront plus que de la ferraille bonne à être récupérée, et ceux qui sauront encore comment transporter des marchandises à travers les océans à la seule force du vent auront les mers, et les cargaisons du monde, pour eux seuls. »
Ce jour qu’il a imaginé est presque arrivé.
Andrew Willner est un ancien constructeur de bateaux, un capitaine de voiliers et un ancien de NY/NJ Baykeeper, qui a été recruté en 2013-2014 comme bénévole à bord de la barge à voile Ceres, construite par Erik Andrus dans sa grange du Vermont et armée par Vermont Sail Freight. Le Ceres a effectué deux voyages le long de l’Hudson depuis Burlington, sur la rive du lac Champlain, jusqu’à New York avec une cargaison de produits agricoles non-périssables à haute valeur ajoutée, vendus sur des marchés éphémères dans les ports en cours de route et au New Amsterdam Market, sa destination. Andrew Willner est également directeur général du Center for Post Carbon Logistics>.
Bannière : Un voilier moderne dépasse un porte-conteneurs à carburant fossile. Image provenant de Visualhunt.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/03/new-age-of-sail-looks-to-slash-massive-maritime-carbon-emissions/