Nouvelles de l'environnement

Les images satellite: une solution de plus en plus intéressante pour les études sur la faune sauvage

  • Une équipe pluridisciplinaire de zoologistes et de spécialistes de la protection de l'environnement de l'Université d'Oxford et de l'Université de Bath ont utilisé l'apprentissage automatique pour identifier des éléphants d'Afrique sur des images satellite haute résolution.
  • Les images satellite n'ont pas encore une résolution de qualité suffisante pour concurrencer les méthodes de terrain plus traditionnelles comme le comptage par caméra oblique de Save the Elephants.
  • Les observations par satellite offrent cependant de nombreux avantages, comme le fait de ne pas déranger les animaux et de pouvoir observer des zones inaccessibles.
  • Avec les progrès de l'imagerie satellite et de l'apprentissage automatique, les observations satellite pourraient devenir un outil de plus en plus utile pour les spécialistes de la faune sauvage.

Les images satellite, les caméras numériques modernes et les drones ont ouvert de nouvelles possibilités d’observation des populations d’animaux sauvages. Mais l’énorme volume de données ainsi créé présente en lui-même une difficulté particulière pour les chercheurs ; les récentes avancées dans la technologie de l’apprentissage automatique pourraient-elles apporter une solution ?

Dans un article récemment paru dans Remote Sensing in Ecology and Conservation, une équipe pluridisciplinaire de zoologistes et d’informaticiens de l’Université d’Oxford et de l’Université de Bath a utilisé l’apprentissage automatique pour identifier des éléphants africains sur des images satellite haute résolution de l’Addo Elephant Park en Afrique du Sud et de la réserve du Masai Mara au Kenya.

« Les observations et recensements des éléphants sont le fondement des études sur le statut des populations d’éléphants », affirme Ben Okita-Ouma, co-responsable du groupe spécialisé dans les éléphants d’Afrique de l’UICN et directeur de la planification chez Save the Elephants, une ONG basée à Nairobi. « Comprendre le statut des populations permet de mieux répondre aux besoins de protection et de gestion en temps réel, non seulement pour les animaux mais aussi pour leur habitat. »

Les spécialistes étudient depuis vingt ans différents moyens d’observation des animaux grâce à l’imagerie satellite. Jusqu’à présent, les efforts ont surtout porté sur les milieux marins où la nature de l’arrière plan facilite l’identification des espèces comme les baleines. D’autres études ont cherché à exploiter les informations transmises par les images satellite en mesurant par exemple les taches de guano en vue d’évaluer la taille de colonies de pingouins. Pour la plupart des études menées à ce jour, des observateurs humains ont parcouru manuellement les images satellite pour identifier les animaux, limitant ainsi la quantité de données pouvant être analysées.

Satellite image of woody scrub with elephants marked. Image courtesy Duporge et al
Les chercheurs ont utilisé l’apprentissage automatique pour identifier des éléphants d’Afrique sur un arrière plan complexe dans des images satellite haute résolution, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités pour l’observation des populations les moins accessibles. Crédit photo Duporge et al (2020).

Les chercheurs ont utilisé l’apprentissage automatique pour identifier des éléphants d’Afrique sur un arrière plan complexe dans des images satellite haute résolution, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités pour l’observation des populations les moins accessibles. Crédit photo Duporge et al (2020).

« En vingt ans, la résolution des images satellite s’est améliorée de 200 % mais nous avons besoin d’une résolution encore plus élevée afin de pouvoir observer plus d’espèces, » explique Isla Duporge, chercheur à l’unité de recherche pour la protection de la faune sauvage à l’Université d’Oxford et co-auteur de l’étude.

Isla Duporge et ses collègues ont « formé » un réseau neuronal convolutif (convolutional neural network : CNN) à un modèle d’apprentissage automatique afin d’identifier les éléphants d’Afrique sur des images satellite. Pour la première fois, l’équipe a pu démontrer que le CNN peut identifier des animaux de grande taille sur un arrière plan complexe constitué de zones boisées et arbustives, avec un résultat satisfaisant comparé aux observateurs humains.

« Le potentiel est excellent pour la détection d’éléphants dans les zones reculées ou l’utilisation d’avions ou de drones pose des problèmes logistiques », explique Richard Lamprey, spécialiste de la détection à distance et consultant pour Save the Elephants.

Mais l’observation par satellite n’est pas sans difficultés. Selon Ben Okita-Ouma, une grande partie de l’habitat des éléphants se compose de zones au couvert épais où les éléphants aiment se réfugier en milieu de journée. Bien que le CNN ait identifié le même nombre d’animaux que les observateurs humains sur les images satellite, cela ne veut pas dire que tous les animaux présents sur les images ont été identifiés.

Richard Lamprey teste également une nouvelle méthode d’observation des éléphants : le comptage par caméra oblique (oblique camera counting : OCC) pour Save the Elephants. Lors des observations aériennes traditionnelles, des avions parcourent des zones à une altitude prédéterminée le long de transects et des observateurs comptent les éléphants pendant le vol. Richard Lamprey a remplacé les observateurs par des caméras numériques et il a ensuite analysé les images.

Selon lui, « les observations OCC indiquent que les comptages traditionnels menés par des observateurs ont parfois manqué jusqu’à 50 % des grands mammifères avec pour conséquence une sous-estimation des populations d’animaux sauvage lors des études précédentes. Et c’est une bonne nouvelle au milieu du pessimisme actuel concernant de nombreuses espèces en Afrique. »

Il existe cependant quelques différences notables entre les images produites par OCC et les images satellite. Les images sont prises à un angle oblique de 57° et non de manière verticale comme le serait une vue satellite, augmentant ainsi les chances de voir des animaux qui se tiendraient sous les arbres.

Elephants hidden by dense green forest cover. Image by Richard Lamprey/Fauna & Flora International
La résolution plus élevée et l’angle de vue donnent à la méthode de comptage par caméra oblique un avantage pour repérer les éléphants sous un épais couvert par rapport aux satellites. Crédit photo Richard Lamprey/Faune & Flore International.

D’autre part, les images OCC ont une résolution de 3 à 5 centimètres, où chaque pixel correspond à 3 à 5 cm de terrain, comparé à 31 cm pour les images du satellite WorldView-4. Avec cette résolution, les images OCC peuvent être utilisées pour identifier d’autres espèces plus petites tandis que l’observation satellite est actuellement restreinte aux espèces de grande taille.

Tout comme avec la méthode d’imagerie satellite, la méthode OCC produit un gros volume de données qui doivent être analysées. Lorsque Richard Lamprey a survolé une zone de 9 560 kilomètres carrés du parc national de Tsavo au Kenya, 81 000 photos ont été prises. Avec son équipe, il a également utilisé l’apprentissage automatique pour aider à analyser les images, avec un bon taux de réussite avec les éléphants, les espèces plus petites restant difficiles à identifier.

Un autre problème potentiel est le coût de l’imagerie satellite. Au tarif commercial, l’observation par satellite qui, à ce jour, ne peut identifier que les animaux de grande taille, resterait plus coûteuse que les observations aériennes qui peuvent identifier plusieurs espèces en même temps.

« Maxar [propriétaire des satellites WorldView] est très généreux avec les dons d’images à but non commercial, » déclare Isla Duporge, « mais il est vrai qu’aujourd’hui le coût des image est un obstacle majeur. »

En dépit de ces obstacles, elle insiste sur les nombreux avantages potentiels de l’observation par imagerie satellite. En effet, les satellites ne sont pas du tout invasifs, aucune présence humaine n’est requise sur le terrain. C’est un élément particulièrement important pour les populations lourdement touchées par le braconnage, pour lesquelles les animaux se cachent de la présence humaine, et c’est aussi un atout dans un contexte de pandémie où il est difficile pour les chercheurs de se rendre sur le terrain.

Les satellites peuvent photographier des zones reculées et inaccessibles où il est impossible de se rendre, que ce soit pour des raisons géographiques ou politiques. L’orbite régulier des satellites permet des observations répétitives des mêmes zones. En 2021, Maxar lance un ensemble de six nouveaux satellites nommés WorldView Legion qui passeront au-dessus du même endroit 15 fois par jour, augmentant ainsi les chances d’observer les animaux pendant qu’ils sont actifs, et avec plus d’angles de vues qu’avec l’angle vertical traditionnel.

Grâce aux progrès permanents de la résolution des images, de la couverture satellitaire, de l’apprentissage automatique et de la puissance informatique, travailler avec des experts de la détection à distance comme Isla Duporge pour observer des populations par satellite pourrait devenir une option de plus en plus intéressante pour les spécialistes de la faune sauvages.
 

Citations

Duporge, I., Isupova, O., Reece, S., Macdonald, D. W., & Wang, T. (2020). Using very‐high‐resolution satellite imagery and deep learning to detect and count African elephants in heterogeneous landscapes. Remote Sensing in Ecology and Conservation. doi:10.1002/rse2.195

Lamprey, R., Pope, F., Ngene, S., Norton-Griffiths, M., Frederick, H., Okita-Ouma, B., & Douglas-Hamilton, I. (2020). Comparing an automated high-definition oblique camera system to rear-seat-observers in a wildlife survey in Tsavo, Kenya: Taking multi-species aerial counts to the next level. Biological Conservation, 241, 108243. doi:10.1016/j.biocon.2019.108243

 
Image de bannière : Éléphant avec son petit, Parc national de Tsavo, Kenya. Crédit photo Shever via Flickr (CC BY-2.0)

Article original: https://news.mongabay.com/2021/02/eye-in-the-sky-tech-makes-satellite-imagery-increasingly-attractive-for-wildlife-surveys/

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