Nouvelles de l'environnement

Une forêt de Madagascar longtemps protégée par son isolement, en est maintenant menacée

  • Des données satellitaires montrent une augmentation ces dernières années, de la déforestation dans la réserve de Tsaratanana dans le nord de Madagascar et dans l’aire protégée de COMATSA qui la jouxte, avec une hausse ces derniers mois.
  • Alors que plusieurs forêts de l’île ont déjà été largement défrichées, celles du nord étaient jusqu’à présent restées relativement protégées.
  • Selon les défenseurs de l’environnement, la perte de ces forêts au profit de la culture illégale de marijuana, de vanille et de riz, menace la riche biodiversité de la région et son haut endémisme.
  • Certains experts considèrent que la légalisation de la marijuana diminuerait la probabilité de sa culture dans les lointaines forêts de Tsaratanana.

Les forêts montagneuses du nord de Madagascar sont prodigieusement bio-diverses et abritent des espèces animales et végétales que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète. D’autres forêts de l’île ont été défrichées durant les siècles et décennies passées, mais celles-ci ont résisté au passage du temps et sont restées relativement intactes. Elles sont difficiles d’accès et certaines sont officiellement protégées depuis les années 1920. Mais leur statut de protection ne suffit plus: des données satellitaires indiquent qu’elles sont désormais abattues à un rythme accru.

En mai, Mongabay avait informé sur l’urgence de la situation dans la réserve de Tsaratanana. Depuis, la déforestation s’est accélérée, aussi bien à Tsaratanana que dans une aire voisine protégée appelée COMATSA. Selon des données satellitaires de la University of Maryland (UMD), (Université du Maryland) visualisées sur Global Forest Watch, les niveaux de déforestation montent en flèche depuis septembre. Les mois secs de septembre et octobre sont ceux de la haute saison pour la culture sur brûlis, et des sources estiment que le défrichement a été particulièrement sévère en 2020 à cause de la pression économique causée par la pandémie de COVID-19.

Tsaratanana Reserve encompasses dense, unique rainforest. Image from the public domain.
La réserve de Tsaratanana se compose d’une forêt tropicale dense et unique. Image du domaine public.

Les experts affirment que les forêts sont brûlées et défrichées pour faire place à des champs de marijuana, de vanille et de riz. Les défenseurs de l’environnement ajoutent que l’échelle de la perte en biodiversité est incommensurable. Beaucoup de ces forêts sont si isolées que leur flore et leur faune n’ont pas encore été recensées.

Après avoir visionné les images satellitaires de la déforestation, Brian Fisher, entomologiste à la California Academy of Sciences (Académie des sciences de Californie) et qui a travaillé dans la région, a déclaré à Mongabay que « [C’est] une perte pour tout le monde ». « Cela me blesse le cœur de voir ces plaques. Cela me blesse parce que je connais la valeur de la forêt et je sais ce qu’elle représente ».

« Un bel endroit », menacé

Tsaratanana, qui veut dire « bel endroit » en malgache a une certaine mystique auprès des scientifiques. « C’est une forêt magique… l’endroit le plus mystérieux de tout Madagascar », confie à Mongabay Maria Vorontsova, botaniste au Royal Botanic Gardens (Jardins botaniques royaux) de Kew, qui a travaillé au sein de la réserve.

L’on ne sait pas avec précision combien de temps la réserve restera encore en bon état. Ses vallées fluviales où la richesse des espèces est considérable se trouvent privées de leurs forêts; plus que durant les décennies précédentes lorsqu’elles faisaient face à certaines menaces. Pendant ce temps, à des altitudes plus élevées, la forêt autrefois continue est pour la première fois menacée par le défrichement qui progresse vers le haut. Mongabay a identifié plusieurs zones récemment défrichées à des altitudes supérieures à 1600 mètres, ce qui, selon les chercheurs, marque le seuil d’un habitat particulièrement important pour la faune endémique et menacée de la région.

Satellite imagery shows recent deforestation encroaching above 1,600 meters in elevation, which researchers say provides the most important habitat for the region's endemic species.
Les images satellites montrent que la récente déforestation empiète au-delà des 1600 mètres d’altitude, ce qui constitue selon les chercheurs l’habitat le plus important des espèces endémiques de la région.

Ce changement ne s’est pas fait en une nuit. Les niveaux de déforestation à Tsaratanana ont progressé durant les récentes décennies, puis ont explosé ces dernières années. Entre 1996 et 2006, Tsaratanana a perdu 0.1% de son couvert forestier par an. La situation s’est aggravée de 2006 à 2016 lorsque le niveau de déforestation est passé à environ 0.5% par an, selon un compendium en trois volumes des aires protégées de Madagascar publié en 2018 par la University of Chicago Press (Presse de de l’Université de Chicago). Depuis 2016, le taux est de 1.3% ou plus chaque année selon le Madagascar National Parks (MNP), une agence semi-publique qui administre la réserve. Les données gouvernementales pour 2020 ne sont pas encore disponibles, mais des données satellitaires préliminaires de l’UMD visualisées sur Global Forest Watch indiquent que les niveaux de déforestation de 2020 pourraient être bien plus importants ceux des années passées.

Les scientifiques préviennent que le double coup dur de la déforestation et du changement climatique pourrait avoir des conséquences sévères sur les populations d’animaux sauvages. L’altitude du Tsaratanana la rend propice à une grande diversité de plantes et d’animaux, dont par exemple, quatre genres de bambous endémiques (Hickelia, Oldeania, Sokinochloa et Nastus) et 15 espèces de tenrecs (famille Tenrecidae), un animal du type de la musaraigne. La réserve fournit aussi un habitat crucial pour plusieurs espèces menacées que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète, dont quatre espèces de grenouilles au moins: Rhombophryne guentherpetersi, Rhombophryne ornata, Rhombophryne tany et Cophyla alticola.

Madagascar is home to at least 23 species of Rhombophryne or "diamond" frogs. Image of Rhombophryne coudreaui by Franco Andreone via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5).
Madagascar is home to at least 23 species of Rhombophryne or “diamond” frogs. Image of Rhombophryne coudreaui by Franco Andreone via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5).
Frogs of the genus Cophyla are endemic to Madagascar and live in trees. New species are routinely discovered by scientists. Image of Cophyla berara by Franco Andreone via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5).
Madagascar abrite au moins 23 espèces de grenouilles Rhombophryne ou «diamant». Image de Rhombophryne coudreaui par Franco Andreone via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5).
A newly discovered genus of bamboo called Sokinochloa in Tsaratanana Reserve. Image from the public domain.
Un genre de bambou récemment découvert dans la réserve de Tsaratanana, le Sokinochloa. Image du domaine public.

Alors que la région se réchauffe, plusieurs espèces devront certainement aller vers plus d’altitude. Mais en réalité, les conséquences du réchauffement se font déjà sentir. La température moyenne de la zone protégée a augmenté de 2.4° Celsius entre 1985 et 2014, selon le compendium, et certaines espèces ont déjà migré. Si leurs habitats se fragmentent à cause de la déforestation, elles pourraient n’avoir nulle part où se réfugier de la chaleur.

Selon le MNP, la première cause de déforestation à Tsaratanana est la culture de la marijuana. D’après certaines informations, l’isolement de la zone attire les planteurs ainsi que les contrebandiers. La culture de la marijuana est illégale à Madagascar indépendamment du statut de zone protégée, et Tsaratanana est l’une des deux seules zones majeures de production.

Une partie de la production de marijuana est exportée via Nosy Be, une ville côtière située dans le nord-ouest, aux proches îles de l’océan indien. Cela rapporte gros sur l’île Maurice: une moyenne de 67$ par gramme, selon un rapport à paraître du Global Initiative Against Transnational Organized Crime (Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée). La marijuana est aussi consommée à Madagascar où elle est toujours considérée comme un produit profitable malgré un prix bas, environ 0.03$ par gramme.

A law enforcement brigade incinerates marijuana during a recent patrol of Tsaratanana Reserve. This year, thirteen people have been arrested and charged with crimes related to marijuana production in the protected area. Image courtesy of Madagascar National Parks.
Une brigade de police brûle de la marijuana lors d’une récente patrouille dans la réserve de Tsaratanana. Cette année, treize personnes ont été arrêtées et accusées de crimes liés à la production de marijuana dans la zone protégée. Image reproduite avec l’autorisation de Madagascar National Parks.

Pour mettre fin au défrichement et aux feux, le MNP s’est allié aux forces de l’ordre pour former ce qui est appelé les « brigades mixtes » qui vont jusque dans les profondeurs de la forêt. Selon le MNP, ces brigades ont conduit cinq missions cette année, durant lesquelles elles ont arrêté 13 personnes, détruit des douzaines de campements et d’abris, et brûlé plusieurs tonnes de marijuana qui avaient déjà été emballées dans des sacs et des boîtes. Elles ont aussi détruit 35 hectares de champs de marijuana.

Les données satellitaires de l’UMD montrent l’importance de la déforestation depuis septembre. Contactés une première fois en octobre pour cet article, les représentants du MNP ont d’abord indiqué que les données étaient erronées, que beaucoup des alertes récentes concernant la perte de couvert forestier montraient une déforestation des années passées. Mais, suite aux missions des brigades de ces derniers mois, le MNP a confirmé à Mongabay que de nombreuses alertes du système satellite reflètent une déforestation récente. Des images satellitaires de lieux correspondant aux alertes confirment aussi que la majeure partie de la déforestation est récente, particulièrement, dans les zones hautes.

Un corridor forestier de plus en plus réduit

Tsaratanana n’est pas la seule zone protégée de la région à faire aux pressions de la déforestation dues à l’agriculture itinérante. COMATSA, une zone protégée qui jouxte Tsaratanana à l’est, a aussi vu une augmentation de la déforestation en 2020 ainsi qu’un pic au cours de ces derniers mois, en particulier dans l’est de la zone protégée.

Tree cover loss data from the University of Maryland show surging deforestation in COMATSA, which borders Tsaratanana Reserve to the west and Marojejy National Park to the east.
Les données de l’Université du Maryland sur la perte de couvert forestier montrent une déforestation croissante dans le COMATSA, qui borde la réserve de Tsaratanana à l’ouest et le Marojejy National Park (Parc national de Marojejy) à l’est.

A COMATSA, selon Maeva Volanoro, technicienne de WWF qui s’occupe de la zone protégée, la forêt est principalement défrichée pour cultiver la vanille ou le riz, même s’il y a aussi une petite quantité de culture de marijuana.

Selon WWF, COMATSA était relativement bien protégée pendant de nombreuses années, avec des taux de déforestation à 0.3-0.5% du couvert forestier de la zone protégée par an. Mais ces trois dernières années, les choses ont changé.

Ce changement est en partie dû aux fluctuations des prix des marchandises au niveau international. Madagascar produit environ 80% de la vanille mondiale dont la majorité dans le nord-est. En 2018, les prix de la vanille étaient particulièrement élevés, conduisant à une demande pour plus de terres de culture de la plante. En conséquence, les taux de déforestation à COMATSA se sont élevés à 1.7%, ce qui correspond à 4,224 hectares de pertes de forêts, dont environ un tiers dans les zones dites « à haute valeur de conservation », désignées pour la protection de la forêt primaire. Lorsque les prix de la vanille ont chuté en 2019, la pression sur les forêts a diminué de moitié, mais selon Mme Volanoro, la déforestation a continué d’augmenter en 2020 malgré cette baisse des prix.

L’avant-poste régional du Ministère de l’Environnement a essayé de contrôler la recrudescence de la culture sur brûlis à COMATSA avec trois patrouilles depuis août. Son travail sur le terrain a confirmé ce que les données de Global Forest Watch montrent.

« Comme nous l’avons vu grâce aux satellites, la situation est mauvaise », a déclaré Mme Volanoro à Mongabay.

Tout comme à Tsaratanana, la déforestation pose un danger pour la biodiversité de COMATSA. C’est l’un des seuls refuges du sévèrement menacé Propithèque soyeux (Propithecus candidus), un grand lémurien à fourrure blanche. C’est aussi un lien d’importance dans la chaîne des forêts montagneuses qui courent à travers le nord de Madagascar. En effet, le nom COMATSA est la forme courte pour « Corridor Marojejy Tsaratanana »; et a été désigné pour faire la connexion entre le Marojejy National Park dans le nord-est avec la réserve Tsaratanana dans le nord-ouest. C’est devenu une zone entièrement protégée en 2015. Officiellement ce sont deux zones protégées, COMATSA nord et sud, avec des règles de conservation légèrement différentes dans chacune.

The silky sifaka (Propithecus candidus) is a kind of lemur and one of the rarest and most endangered primates species on the planet. Image by Jeff Gibbs via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).
Le Propithèque soyeux (Propithecus candidus) est une sorte de lémurien et l’une des espèces de primates les plus rares et les plus menacées de la planète. Image de Jeff Gibbs via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Contrairement à Tsaratanana, COMATSA a un statut à usage mixte qui permet aux locaux de subsister grâce l’agriculture et d’utiliser des ressources de la zone protégée (sauf dans les zones dites « à haute valeur de conservation » qui ont des règles plus strictes). Les communautés des villages situés près des aires protégées aident à l’administration et à la surveillance de ces aires, avec l’appui de WWF.

Malgré des normes plus flexibles, tout le déboisement détecté à COMATSA est illégal: même dans les sections de l’aire protégée où l’activité humaine est permise, la déforestation ne l’est pas. De plus, la culture sur brûlis est une violation de la loi nationale lorsqu’un permis n’a pas été émis.

La situation régionale

La monté de la déforestation depuis septembre coïncide avec la saison sèche dans la région, qui correspond au pic des activités de culture sur brûlis. Dans les conditions de sècheresse, les feux sont faciles à déclencher et la culture n’est pas possible. Les gens ont donc le temps de défricher la forêt en préparation de la saison des pluies, qui commence en Novembre ou Décembre.

Selon les écologistes locaux, la pression économique causée par la récession globale de 2020 a exacerbé cette tendance saisonnière. Une baisse du tourisme à Madagascar a eu des répercussions sur toute l’économie, laissant les personnes qui vivent près des forêts avec moins d’argent, et donc avec plus de besoin d’exploiter celles-ci. Pendant ce temps, le MNP a perdu presque toutes les recettes provenant des droits d’entrée dans les 46 zones protégées qu’il gère : il a perçu 1,84 million de dollars en droits d’entrée en 2019, mais seulement 5 % environ de ce montant cette année.

Les tenrecs sont un groupe très divers de petits mammifères que l’on ne trouve qu’à Madagascar. Certains tenrecs ressemblent à des rats et à des souris, tandis que d’autres, comme ce tenrec strié de plaine (Hemicentetes semispinosus), ressemblent à des hérissons. Image de Rhett A. Butler / Mongabay.

Ces défis de conservation à plusieurs niveaux ne seront pas faciles à résoudre, mais la nature singulière du problème de Tsaratanana se prête à de possibles solutions. Les défenseurs de l’environnement ont affirmé à Mongabay que si les lois sur la culture de la marijuana étaient changées, une agriculture plus transparente et un système de gestion pourraient être mis en place et les gens n’auraient plus de raisons de cultiver dans les profondeurs de la forêt. Le Ministère de l’Environnement n’a pas répondu à une demande de commentaire pour cet article, notamment une question sur l’éventualité de telles réformes.

Les lois de Madagascar sur la marijuana sont des des restes du colonialisme français et, peuvent être sujettes à changement. Plusieurs pays dans le monde ont réformé leurs lois ces dernières années, et un article publié en 2019 dans La Gazette, un journal malgache, a appelé Madagascar à en faire de même. L’auteur y a fait valoir que la légalisation de ce commerce pourrait bénéficier aux agriculteurs, aux usagers médicaux et au trésor public. Cela pourrait également aider les tenrecs des forêts du nord du pays.

 

Image de bannière d’un adulte et d’un bébé Propithèque soyeux dans le Marojejy National Park (Parc National de Marojejy) par Jeff Gibbs via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Note de l’éditeur: ce reportage a été réalisé dans le cadre de l’initiative «Places to Watch» (Lieux à surveiller), une initiative de Global Forest Watch (GFW) conçue pour identifier les pertes de forêts dans le monde et conduire des recherches approfondies sur ces zones. « Places to Watch » s’appuie sur des données satellitaires obtenues en temps quasi réel, sur des algorithmes automatisés et sur des renseignements obtenus sur le terrain pour identifier chaque mois de nouvelles zones. En partenariat avec Mongabay, GFW soutient le journalisme axé sur les données en fournissant des données et des cartes générées par « Places to Watch ». Mongabay maintient une indépendance éditoriale totale sur les reportages réalisés à partir de ces données.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2020/12/a-madagascar-forest-long-protected-by-its-remoteness-is-now-threatened-by-it/

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