Nouvelles de l'environnement

Une usine hydroélectrique en Amazonie brésilienne ignore les lois environnementales et les droits sociaux

  • L’usine hydroélectrique de Sinop, située sur le fleuve Teles Pires, fonctionne depuis plus d’un an. Néanmoins, la population locale affectée n’a toujours pas reçules indemnités adéquates pour les impacts environnementaux et sociaux.
  • Des consultations d’experts ont estimé le prix moyen de l’hectare de terre à 23.000 real (3.750 €), mais le groupe des entreprises responsables de l’usine a payé aux populations déplacées un montant six fois inférieur.
  • La sécheresse du réservoir de Sinop, les morts massives de poissons et l’augmentation de la quantité de moustiques transmetteurs de malaria et de leishmaniose impactent également la qualité de vie des familles affectées par l’installation de cette usine.

L’usine hydroélectrique Sinop, au nord de l’État de Mato Grosso, fonctionne depuis 2019. Cependant, la population affectée par la construction de ce barrage affirme que le groupe d’entreprises responsables, la Compagnie Énergétique Sinop (CES), n’a pas respecté certaines normes sociales et environnementales. Ces familles luttent pour que la CES, dont Électricité de France (EDF) est l’associée majoritaire, paie des indemnités justes pour les terres occupées par l’usine et protège les ressources naturelles.

“Jusqu’à présent, l’entreprise n’a pas démarré les travaux de reconstitution des aires naturelles protégées qui sont autour du réservoir du barrage”, dénonçait en septembre le Mouvement des personnes affectées par les barrages au Brésil (Movimento dos Atingidos por Barragens, MAB). En outre, l’espace naturel est touché par la diminution du niveau de l’eau du réservoir pendant la saison de sécheresse en Amazonie, par le glissement d’une des rives due à la déstabilisation des nappes phréatiques ainsi que par les incendies qui ont brûlé une partie du peu de forêt qui restait aux alentours.

La dégradation environnementale du Teles Pires, un des fleuves les plus importants du bassin Amazonas, a des conséquences dramatiques pour les populations locales: paysans, riverains et peuples indigènes dont la survie dépend de ce fleuve, et qui se trouvent aujourd’hui asphyxiés par trois autres projets hydroélectriques.

La population déplacée a reçu des indemnités pour ses terres six fois inférieures aux prix du marché

“Sinop Energia (CES) nous avait promis des merveilles, mais aucune de ces promesses n’a été respectée”, explique Mauro Freese, un membre des 214 familles de la communauté Gleba Mercedes touchées par la construction de l’usine. “Cela a été une négociation sans option. Il s’agissait d’un système autoritaire avec une seule option et sans possibilité de faire une contre-proposition. Ils nous ont donné un délai de cinq jours pour accepter ou non leur prix et, en cas de refus, on devait aller jusqu’au procès”.

En conséquence, le Ministère Public Fédéral (MPF) a ouvert un procès d’action civile publique contre la CES en juin 2018 pour exiger une nouvelle consultation d’experts afin d’estimer le prix des terres et de dénoncer diverses irrégularités qu’il a constatées lors de la définition des indemnités. Le groupe d’entreprises a calculé la valeur des terres de façon unilatérale et a soumis les familles à des pressions.

“Ils nous ont dit que si nous n’acceptions pas l’argent (offert par la CES), nous passerions par un procès et nous risquerions de ne recevoir que 30% du prix total. Cette situation a été très désagréable pour nous mais, aujourd’hui encore, nous espérons obtenir un prix juste pour les terres perdues”, déclare Carlos Becker, voisin affecté qui habite depuis 17 ans dans la communauté, où il avait sa production laitière.

Au total, trois consultations d’experts ont été faites pour calculer le prix des terres. La première a été menée par l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agricole du Brésil (Incra) au mois d’août 2017, la deuxième par le MPF en 2018, et la troisième fut une consultation judiciaire qui résulta d’un procès public. Celle-ci, la dernière, a conclu en 2019 que le prix moyen des terres des populations déplacées est de 23.000 real (3.750 €) par hectare, au lieu des 3.900 real (636 €) par hectare que la CES a payés aux familles.

La négociation aurait pu s’achever lors du processus d’audience de conciliation qui a eu lieu en décembre 2019, mais la CES n’a pas voulu participer à l’ accord. Le consortium a ouvert en août 2020 un procès de contestation contre le professionnel responsable de la dernière expertise et l’a accusé d’avoir élaboré une sentence arbitrale partiale.

Les familles touchées ont publié une lettre de réponse en collaboration avec le MAB le 25 août, où ils ont demandé publiquement une “décision urgente et juste pour corriger et réparer les impacts provoqués” sur les personnes et sur la nature. Dans la lettre, ils expliquent: “nous comprenons que l’expert a suivi toutes les normes techniques pour aboutir au prix annoncé, même si le prix de marché pour les terres de la région est encore supérieur. Considérant que le prix de terres annoncé fait référence à une enquête débutée il y a deux ans, la seule raison pour corriger les prix déterminés par l’expertise serait de les augmenter et non de les diminuer”.

La détérioration de l’environnement impacte les revenus des familles et la santé publique dans les communautés

“Avant l’installation du barrage il y avait plus de pêche. Maintenant nous ne trouvons même pas de poisson pour nous nourrir”, explique Irma Vicente Rodrigues, une voisine de la communauté Gleba Mercedes touchée par l’installation du barrage. En échange des promesses faites par le groupe d’entreprises, beaucoup ont perdu leurs maisons, leurs cultures et les sources d’eau dont ils dépendent pour leur survie.

“Aujourd’hui mon bétail souffre”, explique José Moreira, habitant à Gleba Mercedes depuis plus de 23 ans. Moreira raconte qu’il avait une source naturelle d’eau propre sur la terre qu’il a perdue. Jamais il n’avait souffert de pénurie en eau mais, actuellement, il ne sait pas où faire boire les animaux. Il pointe la végétation morte dans les rivières du réservoir et se demande comment un paysage détruit, avec un lac sec, où apparaissent des arbres et des poissons morts puisse être un scénario de production d’énergie “propre” comme la CES le défend. “Sinop peut être lucratif pour une demi-douzaine de personnes, mais pour nous qui sommes faibles, pour nous; non”.

La qualité de l’eau du réservoir est aussi devenue un problème de santé publique, comme le montrent les quatres épisodes de mort massive de poissons qui ont eu lieu dans le fleuve Teles Pires entre février 2019 et août 2020. La diminution du niveau de l’eau du réservoir, de même, a occasionné, à 500 mètres de l’endroit où les familles résident maintenant, l’apparition de flaques et de nappes d’eau qui sont, parfois, des foyers de moustiques transmetteurs des maladies telles que la malaria et la leishmaniose.

Les résultats des enquêtes épidémiologiques faites par les experts de santé publique de la municipalité ont attiré l’attention sur le risque d’éclosion d’une épidémie de ces maladies. Plus de 20 personnes de la communauté de paysans Gleba Mercedes ont des symptômes d’infection de leishmaniose, selon João De Deus, expert en biologie et épidémiologie pour le Secrétariat Municipal qui dépend du Ministère de la Santé. De Deus, qui travaille dans la région depuis plus de 40 ans, affirme que ce diagnostic n’est pas encore définitif parce qu’une partie des personnes malades ne reçoivent pas de traitement du fait des difficultés de déplacement jusqu’à la ville, ce qui accroît la chaîne de contamination. “Le plus grand défi maintenant est de mettre en place un programme de traitement de la leishmaniose et de la malaria, ainsi qu’une campagne de santé environnementale pour prévenir la multiplication des foyers d’infection”.

La CES criminalise les mouvements sociaux des personnes affectées par le barrage

Face aux obstacles pour négocier avec la CES, la communauté des paysans de Gleba Mercedes a engagé un processus de mobilisation sociale depuis début 2018. Ils ont exigé le respect de leurs droits à travers des actions dans les rues et avenues de la ville de Sinop. Ils ont lancé des manifestations aux abords des bâtiments administratifs du Ministère Public de l’État du Mato Grosso et du gouvernement central fédéral, ainsi que devant les bureaux du groupe d’entreprises. La CES a réagi par des poursuites judiciaires depuis août 2018 contre six personnes de la communauté et du MAB. Elles ont reçu l’interdiction de s’approcher ou de manifester dans les alentours des locaux de travail de la CES, les zones d’accès au barrage et aux chantiers inclues.

“Le traitement donné par le groupe d’entreprises a été le blocage complet du dialogue”, affirme Jefferson Nascimento, porte-parole du MAB lors de l’événement en ligne “Défendons l’avenir: comment les entreprises européennes respectent la planète et ceux qui la protègent” organisé par l’ONG Global Witness. Il a eu lieu le 27 octobre 2020; des représentants du Parlement Européen étaient présents pour appuyer le projet préliminaire de l’eurodéputée Lara Walter, qui propose une loi de régulation des investissements des entreprises européennes sur d’autres continents. “Il y a eu une complète violation des promesses que la CES a faites aux communautés, ou même des accords publics conclus devant l’État et le Secrétariat à l’Environnement; tout cela a conduit les familles à s’organiser et à se mobiliser”, ajoute Nascimento.

Les impacts provoqués par l’usine hydroélectrique Sinop ont été exposés pendant l’événement en tant qu’exemple de violation des droits sociaux et environnementaux, pour constituer un des arguments d’appui à cette nouvelle loi de responsabilité des entreprises. “Il y a eu une inversion des rôles car la communauté lutte pour ses droits mais elle se voit criminalisée par la CES”, explique le représentant du MAB. Néanmoins, les personnes affectées n’abandonnent pas cette lutte, et ils ont organisé une nouvelle manifestation le 22 novembre dans la ville de Sinop sous le titre: “Amazonie en débat – Teles Pires, le fleuve le plus impacté de l’Amazonie”. Pendant l’événement, les paysans touchés ont décrit les pénuries auxquelles ils font face depuis l’arrivée du projet du barrage, avec l’objectif de rechercher des mécanismes pour responsabiliser les entrepreneurs quant aux délits commis. Des artistes, comme le graffeur Jessé de Souza, ont contribué par la création de nouvelles formes de dénonciation, à travers l’art.

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