Nouvelles de l'environnement

Centrale électrique à l’huile de soja en Guyane française : un risque de déforestation massive de l’Amazonie

  • Avec le soutien du président Emmanuel Macron, le gouvernement français semble pressé d’approuver la législation qui contournerait la loi française sur l’environnement interdisant la déforestation à grande échelle pour construire plusieurs centrales de production d’électricité alimentées au biocarburant fabriqué à partir de soja en Guyane, un département d’outre-mer français situé sur la côte nord-est de l’Amérique du Sud.
  • À l’heure actuelle, 98 % de la région restent couverts de forêt amazonienne et de mangroves. La plus grande centrale au biocarburant proposée, le Larivot à Cayenne, la capitale de Guyane française, demanderait entre 84 000 et 140 000 tonnes métriques de soja par an pour générer suffisamment de biocarburant liquide et permettre d’alimenter la centrale de 120 mégawatts.
  • Pour cultiver cette quantité de soja, il faudrait raser une grande partie de la forêt tropicale, entre 1 388 et 2 310 kilomètres carrés (presque trois fois le territoire de la ville de New York). Les défenseurs de l’environnement sont préoccupés par la perte de puits de carbone forestiers et du danger que cela pose à la biodiversité de l’Amazonie guyanaise.
  • « Le fait que la France insiste sur des dérogations aux normes pour la durabilité de l’Union européenne en Guyane française est très inquiétant… Il y aura un impact sur les forêts si on change les lois et celui-ci pourrait être très grave », rapporte Almuth Ernsting, chercheuse en biomasse avec Biofuelwatch, une ONG environnementale.
Le port de Larivot constitué de forêt dense, à Cayenne, en Guyane française, où une centrale électrique alimentée au biocarburant liquide produit à partir du soja est prévu. Photo fournie par François Kuseni.

La Guyane, un département d’] de la France sur la côte nord-est de l’Amérique du Sud se trouve principalement dans l’Amazonie. Entre le Suriname et le Brésil, 98 % de cette zone presque équivalente à la superficie du Portugal est recouverte de forêts tropicales et de mangroves denses — des écosystèmes débordant de biodiversité, essentiels à l’atténuation du changement climatique et désormais dans la ligne de mire de la politique énergétique à long terme de la France.

En 2018, le gouvernement français a lancé un projet pluriannuel pour convertir l’infrastructure énergétique vétuste de la Guyane en centrales électriques principalement alimentées aux biocombustibles — avec des implications négatives importantes pour la faune, les forêts tropicales et les émissions de carbone de la région, et par extension, l’atténuation du changement climatique mondial.

« Un représentant local du gouvernement a autorisé l’installation d’une centrale alimentée à l’huile dans la forêt de mangrove à moins de quatre kilomètres de la lisière de la forêt amazonienne », explique François Kuseni, activiste pour la protection environnementale et membre du parti écologiste de Guyane à Cayenne, la capitale du territoire. En outre, « le gouvernement a promis d’étudier l’approvisionnement de la centrale en huile bio pendant deux ans. Le représentant a annoncé explicitement vouloir cultiver du soja [à transformer en biocarburant] localement.

La préoccupation centrale : la Guyane française dispose d’une superficie agricole limitée (la région importe 80 % de ses produits alimentaires), donc cultiver le soja pour en faire du biocarburant pourrait entraîner une déforestation massive dans une partie de l’Amazonie qui subit déjà une destruction écologique épidémique ; en effet, la Guyane française est à la frontière de l’Amazonie brésilienne où l’intensification des incendies annuels, la propagation de l’élevage, l’agro-industrie et l’exploitation minière illégale causent déjà une déforestation massive.

Carte historique de la végétation de la Guyane française. En 2007, la France a conservé une grande partie au sud-ouest de la région, mais la zone côtière ne bénéficie pas des mêmes protections renforcées. Image fournie par Perry-Castañeda Library Map Collection de l’Université du Texas, Austin.

Selon EDF, le fournisseur d’électricité de France, la plus grande centrale proposée, le Larivot à Cayenne, demanderait entre 84 000 et 140 000 tonnes métriques de soja par an pour générer suffisamment de biocarburant liquide et permettre d’alimenter une centrale de 120 mégawatts. Pour cultiver autant de soja, il faudrait raser une proportion stupéfiante de la forêt tropicale, entre 1 388 kilomètres carrés (plus grande que la ville de Phoenix, Arizona) et 2 310 kilomètres carrés (presque trois fois la superficie de la ville de New York), selon les estimations fournies par l’organisation Biofuelwatch en Écosse, une ONG qui surveille la biomasse dans le monde.

Biofuelwatch avertit néanmoins que ces chiffres de déforestation peuvent être estimés à la baisse.

M. Kuseni vit aux abords de la forêt tropicale ; si près de la jungle d’ailleurs que les singes s’introduisent parfois chez lui à la recherche de bananes. Avec des oiseaux tropicaux qui chantent en fond de notre conversation WhatsApp, il ajoute : « je ne veux pas qu’on coupe nos arbres. »

Une grenouille arboricole colorée en Guyane. Ce département français d’outre-mer est connu pour son extraordinaire biodiversité amazonienne. Photo : Stephan Roletto sur VisualHunt / CC BY-NC

Un conflit transatlantique

La Guyane française qui est un territoire français depuis le XVIIIe siècle, connaît à l’heure actuelle une hausse de la criminalité et un taux de chômage de 22 %. Ce territoire se retrouve maintenant également aux affres d’une confrontation énergétique transatlantique.

Les autorités françaises avancent que les installations énergétiques en fin de vie de la région — principalement les centrales fonctionnant au fioul depuis des décennies et les centrales hydrauliques obsolètes — ne peuvent plus approvisionner la population faible, mais en hausse de la Guyane, qui atteint presque 300 000 habitants, ni satisfaire le besoin d’une production énergétique supérieure plus moderne le long de la côte où la plupart des collectivités vivent.

Les dirigeants élus affirment que les centrales électriques au biocarburant proposées, et la production de soja nécessaire à leur fonctionnement créeront des emplois indispensables, en particulier chez les jeunes — le segment de la population guyanaise affichant la croissance la plus rapide.

Mais les défenseurs de l’environnement répliquent qu’entre le Brésil, le Pérou et la Bolivie qui perdent des milliers d’hectares de forêt amazonienne chaque année avec la déforestation et les feux, la forêt vierge intacte de la Guyane française, dont la majorité est classée comme forêt primaire, est d’autant plus importante pour atténuer le changement climatique et protéger la biodiversité.

Vue du ciel d’une partie de l’emplacement proposé pour la centrale au biocarburant du Laviot à Cayenne. La centrale aurait un impact sur les zones humides, les mangroves et la forêt tropicale qui abondent en espèces sauvages. Photo fournie par François Kuseni.

Quelle est la politique verte de la France ?

Les candidats du parti vert ont balayé les élections locales au printemps, en adoptant une plateforme d’action pour le climat percutante largement adoptée par le président Emmanuel Macron. Cette plateforme radicale inclut la proposition d’un référendum national visant à criminaliser « l’écocide » — l’endommagement irrémédiable intentionnel de l’environnement.

Cependant, M. Macron qui a visité la Guyane française en 2017 aurait décidé de soutenir la transition vers le biocarburant dans la région. Si quelques petites installations solaires font partie du mix énergétique d’Emmanuel Macron, la majorité de l’énergie serait produite par des centrales thermiques fonctionnant à la biomasse. Celle-ci proviendrait de copeaux de bois et des déchets de l’industrie du bois, mais majoritairement de biocarburants liquides produits à partir de soja local, cultivé où se trouve à l’heure actuelle la forêt tropicale.

« Il n’y a absolument rien de vert, » déclare M. Kuseni à propos du projet de biocarburant. « La majorité de la population guyanaise ne veut pas de ce genre de centrales électriques. »

Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement à Paris pour l’ONG Wild Legal, lutte pour protéger les forêts tropicales de la Guyane française. Elle surveille le parlement français pour voir si de nouvelles lois pouvant altérer les protections environnementales dans le département sud-américain sont proposées.

Dans un entretien avec Mongabay, Mme Calmet nous explique : « Nous avons des problèmes avec la transition vers l’énergie verte en [Guyane française]. Nous avons tout ce qu’il nous faut avec le soleil pour fournir de l’énergie solaire sur place. Mais pour l’instant, nous avons beaucoup de projets proposés en faveur de la biomasse. Notre plus grosse difficulté n’est pas le bois [en termes de biocarburant], c’est la culture [du soja]. Pour cela, on a besoin de grandes surfaces agricoles pour produire des biocarburants, ce qui signifie qu’à grande échelle, on détruirait les forêts primaires de l’Amazonie. »

La loi française actuelle interdit la déforestation massive en France et en Guyane française. Mais cela pourrait changer. Ce qui a presque été le cas, le 4 octobre dernier. Un amendement glissé dans un projet de loi aurait permis les requêtes de concessions foncières illimitées en Guyane française de passer de 150 hectares à 5 000 hectares, permettant ainsi le défrichage industriel de terres destinées à l’agriculture ou à l’exploitation minière. Une source au parlement en a alerté Mme Calmet qui a aidé à rassembler l’opposition pour que cette loi soit rejetée.

« Nous avons du mal à protéger nos forêts de ce genre d’industries », ajoute Mme Calmet. « Ce n’est pas seulement la biomasse, mais aussi l’exploitation minière et d’autres secteurs prédateurs qui veulent l’accès à la Guyane française et qui ont été stoppés pour l’instant par nos politiques environnementales. Mais le gouvernement veut changer la loi, alors nous savons que ces entreprises reviendront à la charge. »

M. Kuseni a observé que la majorité parlementaire avait refusé le projet de loi du 4 octobre, « donc il ne devrait pas y avoir de risque jusqu’en 2022 — date de la prochaine élection présidentielle. Nous restons néanmoins sur nos gardes. »

Paradoxalement, la France a récemment été considérée comme un pays leader dans la lutte visant à empêcher que la déforestation importante entre dans sa chaîne alimentaire, en particulier le soja cultivé au Brésil pour nourrir le bétail ou employé comme ingrédient dans les produits alimentaires destinés aux chaînes de supermarché françaises. Toutefois, les critiques en faveur de l’environnement soutiennent que cette politique contient des lacunes, même si huit supermarchés français doivent désormais exiger auprès de leurs fournisseurs des germes de soja non cultivés sur des territoires déboisés comme l’a récemment rapporté Mongabay. Selon World Wildlife Fund, mondialement, le soja est lié à une déforestation plus importante que n’importe quelle autre culture, en particulier en Amazonie brésilienne.

Un iguane commun en Guyane française. Photo : Stephan Roletto sur Visualhunt.com / CC BY-NC

La lutte pour les biocarburants

Au total, ce sont cinq nouvelles centrales au biocarburant qui sont proposées sur la côte de la Guyane française. Quatre sont petites — 5 mégawatts ou moins — comparées à la centrale de 120 mégawatts de Larivot.

Le gouvernement français, tout comme le reste de l’Union européenne, classe les biocarburants dans les sources d’énergie renouvelable au même niveau que les énergies éolienne et solaire à neutralité carbone. Cette classification de neutralité carbone (désormais très contestée par la science) a d’abord été approuvée par les Nations unies dans le cadre du Protocole de Kyoto en 2005, puis incluse dans l’accord de Paris sur le climat en 2016, et elle permet de mieux comprendre cette pression pour l’adoption de biocarburants en Guyane française.

En ce qui concerne sa centrale Voltalia au biocarburant en construction à Cacao, en Guyane française, par exemple, l’Agence française de développement (AFD) prétend que l’installation de 5,1 mégawatts réduira les émissions de carbone de 28 500 tonnes par an comparé aux centrales électriques actuelles alimentées au fioul lourd. Cependant, ces calculs optimistes sont vraisemblablement basés sur ce que les scientifiques appellent les lacunes du système de comptabilisation du carbone des Nations unies, à savoir ne pas compter les émissions de la biomasse ou des biocarburants, car on estime que ce sont des sources d’énergie renouvelable.

L’ADF a déclaré « concilier les besoins énergétiques locaux avec les enjeux écologiques du XXIe siècle. Voilà dans quoi s’engage résolument la Guyane avec un nouveau projet de centrale de production d’électricité à partir de biomasse, qui devrait voir le jour à Cacao. Le développement des énergies renouvelables, qui représentent déjà 50 % du mix énergétique guyanais, est une solution clé pour répondre à cette demande croissante [en énergie], tout en relevant le défi climatique. »

Mais d’après les critiques, les biocarburants ne sont pas si respectueux du climat. Il faudra une déforestation massive de l’Amazonie pour créer des cultures de soja à grande échelle, entraînant donc une perte considérable des puits de carbone forestiers. Et malgré la désignation de neutralité carbone de l’ONU, les biocarburants produisent bien des émissions de carbone, même si la France a promis de mettre en œuvre une technologie visant à contrôler la pollution dans ses centrales de production d’électricité au biocarburant en Guyane.

En vertu de la loi européenne, les émissions produites par la biomasse et les biocarburants ne sont à l’heure actuelle pas comptabilisées dans les cibles de réduction du carbone de l’accord de Paris, car les matières organiques comme les arbres et les cultures d’huile, y compris les huiles de palme, de soja et de colza, sont classées comme des sources d’énergie renouvelable, une désignation légale que les scientifiques européens pour le climat ont essayé sans succès de changer à l’aide de pétitions fondées sur la recherche envoyées au parlement européen.

Une étude de 2008 publiée dans Industrial Biotechnology a comparé les empreintes carbone des biocarburants et des combustibles fossiles. L’auteur de l’étude souligne que « le point de contention est le territoire » et explique que dans certaines circonstances, les biocarburants issus du soja pourraient être une meilleure alternative pour l’environnement que les combustibles fossiles en termes d’émissions totales de carbone. Mais il ajoute également que « l’utilisation des terres est au cœur du débat… Les émissions à effet de serre [par exemple] sont davantage réduites en brûlant du fioul lourd et en préservant la forêt tropicale brésilienne qu’en la rasant pour cultiver de la canne à sucre destinée à la fabrication du bioéthanol. »

Almuth Ernsting, chercheuse en biomasse chez Biofuelwatch en Écosse, surveille étroitement les avancées en France et en Guyane française. Elle dit être très préoccupée par l’empressement évident du gouvernement français de changer les lois de protection des forêts dans son département d’Amérique du Sud, tout en conservant ses réglementations en France et dans l’UE.

« Le fait que la France insiste sur des dérogations aux normes pour la durabilité de l’Union européenne en Guyane française est très inquiétant », a-t-elle expliqué. « Il y aura un impact sur les forêts si on change les lois et celui-ci pourrait être très grave. »

Justin Catanoso est un contributeur régulier chez Mongabay et professeur de journalismes à l’université de Wake Forest en Caroline du Nord, États-Unis. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso

Image de bannière : un atèle en Guyane française. Photo : Sean McCann (ibycter.com) sur VisualHunt.com / CC BY-NC-SA

 
Article original: https://news.mongabay.com/2020/12/french-guiana-soy-biofuel-power-plants-risk-massive-amazon-deforestation/

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