- Une nouvelle étude publiée dans The Lancet estime que la population mondiale pourrait ne jamais atteindre les 10 milliards d’individus.
- Un ralentissement de la croissance de la population comportera certains défis, mais pourrait également augmenter les chances d’éviter un effondrement écologique.
- Ce ralentissement n’est pas une source de préoccupation, mais plutôt de réjouissance. Merci à la contraception et à l’éducation des femmes.
- Cet article est un commentaire. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Mongabay.
Voir défiler l’année 2020 a été comme de regarder quelqu’un s’immoler à l’aide d’un seau de graisse de bacon et d’un pétard. Mais un matin, je suis tombé sur quelque chose qui m’a fait sourire, puis sauter de joie : une nouvelle étude a conclu que la population mondiale pourrait culminer juste sous la barre des 10 milliards d’individus dans les années 2060, avant de retomber à 8.8 milliards d’ici 2100.
Quel miracle pourrait mener à un tel ralentissement de la reproduction humaine après un siècle de croissance si effrénée ? Il ne s’agit ni de la guerre, ni d’un holocauste nucléaire, ni de la peste (aussi tragique que soit la mauvaise gestion de la COVID-19 par certains gouvernements, cette dernière ne fera pas grand-chose pour ralentir la croissance démographique). Il s’agit de deux choses merveilleusement non violentes : l’éducation des femmes et l’accès à la contraception.
Les nouveaux résultats, publiés dans la revue médicale The Lancet, diffèrent des autres prévisions démographiques, en particulier celles du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et du Wittgenstein Centre, en prédisant que la population mondiale atteindra son pic plus tôt que prévu et chutera plus vite que prévu (bien que, d’ici 2100, la Terre abritera plus d’êtres humains que les 7.8 milliards actuels).
C’était une bonne nouvelle. Non, non, c’était une sacrée bonne nouvelle. Car si l’on pouvait croire cette recherche — qui a apporté des changements intéressants dans la manière d’analyser les données et de prédire le futur — cela pourrait signifier que la planète Terre, dans toute sa gloire écologique, pourrait survivre à notre actuel assaut dévastateur et commencer à se rétablir dans les siècles à venir. À supposer, bien entendu, que nous nous occupions réellement du changement climatique. Une hypothèse de taille.
Toutefois, personne n’a semblé voir les choses de cette manière. La couverture médiatique de la recherche ressemblait plutôt au « Cri » d’Edvard Munch.
Parmi ces articles, le plus ridicule est probablement celui de la BBC, qui panique en 1 000 mots à l’idée que la population humaine ne continuera pas éternellement à croître et que les sociétés pourraient devoir… s’adapter. Oh, non ! Les humains n’ont jamais eu à le faire.
Cet article ne mentionne l’environnement qu’une seule fois.
On peut y lire : « Vous pourriez penser que c’est une bonne chose pour l’environnement […] Une population moins nombreuse permettrait de réduire les émissions de carbone de même que la déforestation pour les terres agricoles. » Mais l’article ne va pas au bout de cette réflexion, ce qui laisse penser que moins de gens n’est pas bon pour la planète dans son ensemble (hein ?).
Bien sûr, une partie du problème est liée aux questions abordées dans la recherche. Elle se contente d’évoquer les questions environnementales et le changement climatique, mais ne mentionne presque rien au-delà du fait que la présence de moins d’êtres humains pourrait contribuer à résoudre ces problématiques. Le lien entre la population et le changement climatique est au mieux ténu, mais une chose est sûre : une population en pleine expansion ne facilitera pas la lutte contre le changement climatique.
Pire encore, l’étude ne fait aucune mention des autres crises écologiques : la vaste destruction des forêts mondiales, l’accélération de l’extinction de masse, la surpêche, le déclin des insectes (du moins dans certaines régions), l’usage généralisé de pesticides et d’herbicides, l’infiltration des dernières régions sauvages et la destruction des peuples et des cultures indigènes. Des crises qui, au passage, menacent la santé humaine et la société. Posez la question à la COVID-19.
Au lieu de ça, la recherche se concentre presque uniquement sur l’impact qu’une diminution du nombre de naissances aura sur l’économie, à supposer que la seule manière d’avancer est une croissance économique sans fin.
Y aura-t-il des défis économiques ? Bien sûr. Mais je me risquerais à dire qu’il sera plus facile de répondre aux défis représentés par une population vieillissante qu’à ceux causés par un effondrement total des limites écologiques de la Terre ; une situation dont nous nous rapprochons dangereusement. En ce qui concerne la population plus âgée, nous avons déjà des solutions et des exemples potentiels pour en atténuer les incidences, comme l’automatisation, la robotique, les changements de politiques, les nouvelles idées telles que le revenu minimum universel, et l’évolution des visions concernant l’économie.
Peut-être n’avons-nous pas à jouer le jeu du capitalisme néolibéral pour toujours ? Nous pourrions peut-être augmenter le financement des soins aux personnes âgées plutôt que d’octroyer des réductions d’impôts aux milliardaires ou de dépenser des milliers de milliards dans l’armée ?
À un moment, l’étude affirme que le Japon verra sa population baisser de moitié puis précise que le Japon pourrait encore être la quatrième plus grande économie. Snif.
Alors que la recherche déplore manifestement les défis d’un monde où les femmes ont moins d’enfants, l’alternative est simplement absurde. La population humaine — qui joue déjà avec les limites écologiques planétaires — est-elle supposée continuer à croître indéfiniment ? Peut-être que 10 milliards d’humains ne sont pas suffisants et que nous devrions viser les 20, 40, et pourquoi pas les 100 milliards ?
Comment nourrir, loger et vêtir tout le monde ? Oh, pas de problème, je suis sûr que d’ici-là, nous aurons terraformé Mars — facile à réaliser sur une planète où nous n’avons jamais posé le pied — et inventé une manière de se déplacer à la vitesse de la lumière pour parcourir la galaxie. Ha ! Ha ! Revenons à la réalité : si nous ne sommes même pas capables de prendre soin de la planète qui nous abrite, quelle sont nos chances de réussir sur d’autres ?
La seule alternative à une croissance démographique sans fin est un déclin de la population. Et la seule alternative à l’anéantissement de notre Terre est de la traiter différemment. Et cela, bien sûr, met en évidence le problème de notre obsession du PIB et d’une croissance économique qui n’en finit pas. Comme l’ont fait remarquer de nombreux écologistes (à l’origine, l’économiste Kenneth Boulding dans les années 1960), « Toute personne qui croit en une croissance infinie… sur une planète finie est soit fou, soit économiste. »
Nous semblons également oublier que l’espèce humaine n’a atteint le milliard d’individus que vers les années 1800. En d’autres termes, pendant plus de 99.9 % du temps que nous avons passé sur Terre, nous nous en sommes bien sortis dans les domaines que les humains affectionnent — la communauté, le sexe, l’art, la religion, la philosophie, la guerre — avec moins d’un milliard de personnes.
Alors, l’espèce humaine s’en sortira, à condition d’éviter une catastrophe écologique et un effondrement total du climat. Et un ralentissement de la croissance démographique nous permet d’avoir un peu plus de chances de réussite sur ces deux fronts. Je dis « un peu », car la population ne représente qu’une partie de l’équation. La consommation en est une autre. Nous pourrions éviter le pire de la croissance démographique prévue, mais nous devons encore restreindre notre consommation matérielle.
Mais ne le dites pas aux économistes.
En attendant, je vais fêter un peu cela. Notre incroyable révolution non violente de la contraception, des droits de la femme et de l’éducation des filles pourrait bien empêcher notre espèce de détruire le monde.
Image d’en-tête : Incendies sévissant en Amazonie le 17 août près des frontières du territoire indigène de Kaxarari, à Labrea, dans l’État d’Amazonas. Photo par : Christian Braga / Greenpeace.
Citation: Vollset, S. E., Goren, E., Yuan, C., Cao, J., Smith, A. E., Hsiao, T., … Murray, C. J. (2020). Fertility, mortality, migration, and population scenarios for 195 countries and territories from 2017 to 2100: A forecasting analysis for the Global Burden of Disease study. The Lancet. doi:10.1016/s0140-6736(20)30677-2
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/09/the-best-news-of-2020-humanity-may-never-hit-the-10-billion-mark/