Nouvelles de l'environnement

Les titres de propriété aide-t-il réellement les fermiers les plus pauvres ?

  • Un nouveau rapport de l’institut Oakland, un groupe de réflexion politique, décrit certains mécanismes de privatisation des terres dans le monde.
  • Les auteurs du rapport alertent sur le fait que la privatisation des terres, en particulier lorsqu'elles sont gérées de manière traditionnelle par la communauté, pourrait déposséder les populations autochtones et locales.
  • Ils mettent également en évidence que les gouvernements et les agences considèrent les titres fonciers comme un moyen non pas d'aider les paysans pauvres, mais plutôt de « libérer le potentiel économique des terres ».

Selon un récent rapport de l’Institut Oakland, un groupe de réflexion politique basé en Californie, les entreprises et gouvernements encouragent la privatisation des terres dans le monde, dans le but de mettre la main sur des ressources à forte valeur économique.

Mais de telles mesures ne prennent pas en considération le fait que ces terres soient étroitement liées aux moyens de subsistance des communautés autochtones et locales, les privant ainsi d’une partie de leurs droits, déclare Frédéric Mousseau, auteur principal du rapport.

« [Pour] de nombreuses communautés dans le monde, les terres n’ont pas qu’une simple valeur économique », déclare Mousseau, directeur des politiques à l’Institut Oakland. Les espaces gérés de manière communautaire fournissent également du bois, des médicaments, du gibier et du poisson.

« Lorsque [les partisans de la privatisation] parlent de libérer la valeur économique des terres », ajoute-t-il, « ils ne prennent pas en compte ces autres valeurs ».

Une femme utilise son canoë sur le lac Inle en Birmanie. Image © FAO / Giuseppe Bizzarri

Dans ce rapport, des études de cas dans six pays montrent que les politiciens et les agences ont encouragé la création de titres fonciers dans le but de « libérer le potentiel économique » des terres communautaires et coutumières. Des exemples montrent comment des gouvernements, notamment celui du Brésil, réquisitionnent plus ou moins les terres, menaçant ainsi les réserves autochtones, et ce depuis les plus hautes instances de l’Etat.

Selon un rapport de Survival International cité par l’Institut Oakland, Jair Bolsonaro, le président brésilien, aurait déclaré « Aucun territoire autochtone n’est dépourvu de minéraux. […] L’or, l’étain et le magnésium se trouvent sur ces terres, y compris en Amazonie, la région la plus riche au monde. Je ne m’engagerais donc pas dans cette absurdité qu’est la défense des terres pour les Indiens. »

« Toutes ces réserves [autochtones et de conservation] font obstacle à notre développement », a-t-il déclaré dans le The New York Times.

Les auteurs décrivent également un vaste projet en Zambie dirigé par l’entreprise Medici Land Governance (MLG), dans le cadre de plans de développement. Celle-ci utilise une chaine de blocs, technologie qui permet d’enregistrer des transactions utilisant des crypto-monnaies telles que le Bitcoin, pour établir la propriété foncière et fournir des titres. Mousseau et ses collègues considèrent que cette initiative est à l’origine de la vague actuelle de privatisation, puisque ce projet pilote a généré 50 000 titres en 2018. MLG veut en ajouter 250 000 grâce à un projet en collaboration avec le conseil municipal de Lusaka, la capitale zambienne.

Le rapport de l’Institut Oakland mentionne qu’en Zambie le pourcentage des terres sous régime coutumier était de 94% lorsque le pays a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1964. Aujourd’hui, ce chiffre est inférieur à 60%.

Terres agricoles en Zambie. Image avec autorisation de l’Institut Oakland.

Selon son PDG, Ali El Husseini, MLG est une « société d’utilité publique ». Mais, c’est également une filiale du détaillant en ligne Overstock.com. Mousseau et ses collègues de l’Institut Oakland considèrent quant à eux, que les commentaires de l’ancien PDG d’Overstock, Patrick Byrne, reflètent les véritables intentions de l’entreprise.

Selon l’Institut Oakland, Byrne aurait écrit en 2019 dans une lettre à destination des actionnaires d’Overstock : « Il existe des réserves minérales, valant des milliards de dollars, auxquelles les sociétés minières n’ont pas accès… Le manque de clarté concernant les régimes fonciers due aux diverses lois et réglementations des années 1940, empêche celles-ci de les exploiter. […] Nous sommes convaincus que notre travail permettra de libérer ces richesses, avec quelques shekels pour nous, et des montagnes pour les plus pauvres de ce monde. »

Dans un courriel adressé à Mongabay, Rania Elton, porte-parole de MLG, réfute l’idée qu’Overstock, par le biais de sa filiale, cherche à exploiter les richesses minérales de la Zambie.

Husseini, quant à lui, déclare que le rapport « [ne] reflète pas les objectifs et la stratégie opérationnelle de MLG. »

« [Nous] n’avons absolument rien à voir avec les droits miniers », dit-il, ajoutant que leur travail en Zambie dépend du Ministère des terres et des ressources naturelles, et non pas du Ministère des mines.

Mais Mousseau s’interroge sur le recours par la MLG de chaines de blocs pour distribuer les titres fonciers en Zambie : « Comment cela fonctionnera-t-il ? » se demande-t-il. « Pour arriver à cette solution miracle, il faut d’abord transiter vers un régime privé, et pour cela, il faut pouvoir enregistrer l’ensemble des terres. »

Carte des terrains d’une communauté en Zambie. Image de Sandra Coburn, avec l’autorisation de l’Institut Oakland.

Christoph Kubitza, chercheur à l’Université allemande de Göttingen n’ayant pas pris part à l’étude menée par l’Institut Oakland, considère quant à lui, qu’il existe à la fois des avantages et des inconvénients à l’utilisation de blocs de chaines dans le contexte du régime foncier.

« L’utilisation de technologies moderne rend certainement le processus plus simple », écrit-il dans un courriel. « Cependant les agences locales ont difficilement les moyens de les utiliser, et risquent en conséquence de se retrouver mis à l’écart du processus dans son ensemble. »

Kubitza étudie l’utilisation des terres en Indonésie, où, dit-il, la plupart des terres agricoles sont exploitées par des paysans.

« Les auteurs ont raison lorsqu’ils disent que les titres fonciers ne conduisent pas nécessairement à un développement durable », déclare-t-il. « Je suis d’accord sur le fait que, dans certaines circonstances, les titres fonciers peuvent mettre les communautés en danger, puisque les investisseurs pourraient en profiter si le concept de marché foncier n’était pas bien compris. »

Cependant, il fait remarquer que la propriété coutumière ne signifie pas nécessairement propriété communautaire.

« Les régimes fonciers coutumiers ont évolué différemment selon les régions du monde », déclare-t-il. « Si bien que le régime foncier communautaire n’est qu’une forme de régime foncier coutumier. »

Mousseau déclare que le régime foncier communautaire a conduit à une augmentation de la production laitière en Afrique de l’Ouest, au cours des dernières décennies, en raison de l’accès partagé des terres entre les éleveurs et les fermiers.

« Vous pouvez avoir un développement économique en faisant exactement le contraire de ce que les pays sont censés faire », déclare-t-il.

Un villageois transporte des sacs de foin pour le bétail en Birmanie. Image © FAO.

On justifie souvent la distribution de titres fonciers par le fait que cela facilite l’accès au crédit, ceci étant étayé par la théorie de l’économiste péruvien Hernando de Soto. Le raisonnement de De Soto est que, grâce à un titre foncier officiel, même les fermiers les plus pauvres ont un actif tangible avec lequel ils peuvent emprunter de l’argent et potentiellement se sortir de la pauvreté.

Mais selon Mousseau, en mettant en hypothèque leurs terres, les petits paysans prennent également le risque de les perdre, par exemple, si une sécheresse importante se produit.

« Je suis d’accord avec les auteurs lorsqu’ils disent que les titres, le crédit et les marchés fonciers ne résoudront pas le problème de l’inégalité », déclare Kubitza. « Ce qu’il faut, ce sont des réformes foncières dans de nombreux pays. »

Mais il ne considère pas non plus la propriété coutumière comme une solution en tant que telle, car, ajoute-t-il, dans le cas des terres communautaires, cela pourrait ouvrir la voie à des intérêts extérieurs.

« Il n’existe aucune preuve à ma connaissance que le régime coutumier, à lui seul, puisse protéger les communautés locales de l’expulsion. Il existe en effet de nombreux exemples où tout le contraire s’est produit », déclare Kubitza. « La propriété coutumière est souvent mal définie. Avec des titres individuels, les entreprises doivent négocier avec chaque individu pour obtenir le terrain. » Si le terrain est simplement enregistré auprès de la communauté ou du gouvernement du district, « cela peut au contraire faciliter l’acquisition », ajoute-t-il.

Un agriculteur avec son buffle au Myanmar. Image © Christopher Michel avec l’autorisation de l’Institut Oakland.

Lors de ses recherches en Indonésie, il a constaté que sur l’île de Sumatra, les paysans ayant des titres, étaient plus susceptibles de travailler leur terrain de manière intensive que de défricher la forêt pour accroitre leur production.

Dans la plupart des cas, cela se traduit par des titres fonciers. Pourtant, les régimes communautaires existent en Indonésie, et coexistent dans la plupart des cas avec la propriété privée, ajoute-t-il.

« Régimes privés et régimes communautaires ne sont pas contradictoires », déclare Kubitza. « Les deux peuvent coexister. »

De la même manière, au Cameroun, les recherches de Tchinda Kamdem Eric Joel montrent que les propriétés privées augmentent la productivité agricole, précisément parce qu’elles donnent accès au crédit.

« [C]ette dynamique n’est valable qu’en présence d’un marché du crédit », déclare Tchinda Kamdem, économiste à l’Université de Dschang au Cameroun, dans un courriel à Mongabay. « En effet, l’intérêt des titres fonciers disparait s’il n’existe pas de banque à proximité pour proposer des crédits. »

Kubitza déclare que les titres fonciers sont loin d’être « une solution miracle ». Il s’agit plutôt d’une option parmi d’autres pour aider les paysans en difficulté dans le monde.

« Il est important de soutenir les petits fermiers dans les pays à faibles revenus, qui sont souvent parmi les plus pauvres. Il faut les aider à travailler leurs propres terres plutôt que de recourir à un travail salarié dans sur une grande exploitation. Cela aurait des effets positifs sur leur revenu, et donc sur l’éducation et la santé », déclare-t-il.

« Leur fournir des titres fonciers sécurisés fait partie des nombreuses manières de les aider. »

Image de bannière d’un village de Zambie © Sandra Coburn avec l’autorisation de l’Institut Oakland.

John Cannon est reporter à Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon

Citation:

Kubitza, C., Krishna, V. V., Urban, K., Alamsyah, Z., & Qaim, M. (2018). Land property rights, agricultural intensification, and deforestation in Indonesia. Ecological Economics, 147, 312-321. doi:10.1016/j.ecolecon.2018.01.021

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Article original: https://news.mongabay.com/2020/07/new-report-asks-do-land-titles-help-poor-farmers/

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