- Nenquimo est la seule femme indigène dirigeante du TIME 100 de cette année, et la deuxième équatorienne à figurer sur cette liste.
- En 2019, Nenquimo et la nation Waorani gagnent un procès contre le gouvernement de l’Équateur pour l’obtention frauduleuse du consentement des communautés afin de vendre leur territoire lors d’enchères pétrolières internationales.
- La victoire Waorani établi un précédent juridique important pour d’autres communautés indigènes de la forêt tropicale et met en marche un mouvement pour la redéfinition des lois nationales relatives au consentement des communautés.
Ce fut, en avril 2019, un moment historique. Des douzaines de plaignants indigènes Waorani remplissaient une petite salle d’audience dans la ville amazonienne de Puyo en Équateur. Plusieurs d’entre eux portaient de longues épées; la traditionnelle peinture rouge sur leurs visages ainsi que des bandeaux à plumes; mais tous souriaient et applaudissaient de joie.
Un panel de trois juges venait juste d’émettre un verdict en leur faveur dans le procès qui les opposait au gouvernement; annulant ainsi immédiatement les projets de ce dernier de vendre leur territoire dans la forêt amazonienne aux compagnies de pétrole les plus offrantes.
Des centaines de Waorani ainsi que des supporters de leur cause ont marché à travers les rues de Puyo après la victoire qui a sauvé leurs lieux d’habitation d’une destruction imminente et qui a établi un important précédent juridique pour d’autres communautés amazoniennes menant le même combat.
Mercredi, le TIME magazine a reconnu ce combat en incluant dans sa liste des 100 personnes les plus influentes de 2020, Nemonte Nenquimo, l’une des femmes dirigeantes Waorani à la tête de l’action en justice.
“Nous n’attendons pas que le gouvernement nous respecte. Nous exigeons qu’il respecte nos vies, le lieu où nous vivons, notre culture et notre territoire. C’est actuellement ce qui importe le plus”, confie Nemonte mercredi soir par téléphone à Mongabay depuis sa maison dans la ville de Shell, à la périphérie de Puyo.
La dirigeante Waorani de 35 ans dit être fière de recevoir la reconnaissance du Time 100, la dédiant à ses ancêtres et aînés qui l’ont guidée et guident toute la nation Waorani. Mais elle ajoute que c’est aussi une réussite importante pour les femmes indigènes en particulier.
“A maintes reprises, nous les femmes avons été des meneuses; avons été des voix, mais en réalité, nous n’avons pas été écoutées”, dit-elle. “Cette reconnaissance me donne beaucoup de courage. Elle me donne de la force au nom de toutes les femmes qui luttent sur cette planète. Nous devons nous unir”.
Le TIME a révélé la liste lors d’un événement retransmis à la télévision le 22 septembre, et durant lequel les noms des lauréats ont été dévoilés en fonction de plusieurs catégories: “pionniers”, “artistes”, “leaders”, “icones”, et “titans”. Nenquimo était la seule femme dirigeante indigène de la liste. Elle apparait dans la catégorie “leader” en compagnie de grandes figures publiques, à la fois adulées ou controversées, comme le président des États-Unis Donald Trump et le président brésilien Jair Bolsonaro; mais aux côtés également, entre autres figues, de la maire de Paris Anne Hidalgo pour son travail dans la réduction de l’empreinte carbone de la ville, et le microbiologiste congolais Dr. Jean-Jacques Muyembe Tamfum pour ses recherches et son combat contre le virus Ebola.
La longue route du combat
C’est à l’âge de six ans à peine que Nemonte apprend l’importance de la protection du territoire Waorani en écoutant ses grands-parents conter durant des heures des histoires de batailles contre d’autres tribus indigènes qui empiéttaient sur leurs terres. C’est là qu’elle a su qu’elle voulait être une dirigeante, se souvient-elle, faisant même des rêves de cela.
Jeune femme, Nenquimo quitte à différents moments de sa vie son territoire de la forêt amazonienne pour aller étudier et travailler dans la capitale Quito; mais, dit-elle, elle ne s’y est jamais sentie à l’aise. Les ainés de sa communauté lui ont d’ailleurs toujours dit que là n’était pas sa voie.
La vie de Nenquimo change lorsqu’elle va visiter la ville nord-amazonienne de Lago Agrio où elle découvre les piscines noires de la contamination pétrolière laissées dès les années 1970 par les entreprises, et qui continuent d’affecter les communautés indigènes en cette région.
“C’est à ce moment-là que ma rage est apparue, parce que j’ai vu qu’elles [les autres communautés indigènes] avaient aussi un large territoire, beaucoup d’animaux, beaucoup de poissons, mais que les compagnies de pétrole étaient arrivées et avaient tout contaminé”, dit-elle. “Et j’ai vu que le pétrole entrainait la maladie et la mort”.
C’est à cette époque qu’elle réalise l’importance de créer des alliances entre les communautés indigènes pour combattre ensemble leur nouvel envahisseur: les industries extractivistes. En 2015, elle cofonde l’Alliance Ceibo, une coalition de nations indigènes du nord de la forêt amazonienne d’Équateur parmi lesquelles les nations A’I Kofan, Secopai, Secoya et Waorani. Les membres de la coalition commencent à travailler directement avec des communautés sur des thèmes tels que le monitoring de l’environnement, les projets d’assainissement de l’eau, et la cartographie de leurs territoires pour faire savoir que la forêt tropicale, c’est davantage que des arbres, du pétrole et des ressources minières.
En 2018, elle devient la première femme à être élue dirigeante de l’organisation Waorani de la province de Pastaza, la CONCONAWEP.
L’année suivante, Nenquimo et d’autres dirigeants Waorani mènent leurs communautés dans un procès historique contre trois ministères; les poursuivant en justice pour l’obtention frauduleuse du consentement des communautés afin de vendre leur territoire à des enchères pétrolières internationales. Elle et d’autres dirigeants travaillent alors d’arrache-pied pour coordonner les 16 communautés amazoniennes isolées, mais impliquées dans le procès, les aidant à collecter les preuves qui aideront leur avocate, Lina Maria Espinosa, à remporter l’affaire.
“Notre territoire n’est pas à vendre”, déclare Nenquimo. “Nous étions très clairs et unis entre aînés et jeunes. Nous avons laissé entendre que si les gouvernements ne nous prêtent pas attention; c’est nous qui, avec notre force, avec notre chant, avec notre esprit; démontrerons la vérité. Et nous avons gagné”.
Pour Mitch Anderson, fondateur et directeur d’Amazon Frontlines, une ONG qui travaille avec la communauté Waorani depuis presque une décennie, la mention de Nenquimo dans la liste 100 du Time est “une reconnaissance puissante” non seulement de son leadership, mais aussi du travail en général des peuples indigènes qui luttent pour mettre en place des alliances et protéger leurs terres, leur droits et l’environnement face au changement climatique et aux menaces toujours de plus en plus importantes.
“Le leadership et les stratégies de conservation indigènes sont de mieux en mieux reconnues, mais le chemin est encore long”, Anderson a confié à Mongabay lors d’un appel vidéo après l’annonce; précisant que l’opportunité est grande de s’allier avec les communautés indigènes pour stopper la destruction du climat.
Le leadership de Nenquimo ne s’est pas arrêté après le procès. Pendant la pandémie de COVID-19, elle et d’autres dirigeants se sont organisés avec des universités locales pour fournir des tests de COVID-19 aux territoires des régions les plus isolées de la forêt, ce que le gouvernement a négligé de faire. Un autre procès contre le gouvernement a également été gagné, après qu’une cour a ordonné à ce dernier d’en faire davantage pour coordonner avec les communautés indigènes dans le contexte meurtrier de la pandémie.
Au cours des dernier mois, CONCONAWEP a collecté des fournitures scolaires et a recherché des enseignants volontaires pour enseigner dans les communautés éloignées, où il est impossible pour les enfants d’assister aux cours via zoom ou Whatsapp comme c’est le cas dans le reste du pays.
A la suite d’une pandémie qui a fait chuter l’économie équatorienne, Nenquimo dit que la peur la plus grande est que le gouvernement “veuille entrer avec force, sans respecter le territoire”. Au cours des 5 derniers mois, le gouvernement a déjà passé une nouvelle régulation pour faciliter la production d’huile de palme, et a activement sollicité l’investissement international pour l’exploitation minière; deux autres menaces d’envergure pour les territoires indigènes de la forêt tropicale.
“C’est cela qu’ils doivent comprendre à propos du changement climatique et de cette pandémie. Pourquoi c’est arrivé? À cause de la pollution, de la destruction”, dit Nenquimo, ajoutant que le monde a besoin d’être plus conscient et de faire confiance aux dirigeants indigènes. “Nous savons les dangers qui viennent. C’est pour cela que nous protégeons la forêt, nous ne voulons plus qu’elle soir polluée, détruite, ou exploitée”.
Image de bannière: Adaptation d’une couverture du TIME magazine, créée par l’artiste Marlene Solorio, avec Nenquimo sur la couverture. Image via Amazon Frontlines. Pour découvrir l’art de Marlene Solorio, consultez son site web.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/09/times-list-of-100-most-influential-people-in-2020-includes-indigenous-waorani-leader/