Nouvelles de l'environnement

La Colombie-Britannique en passe de perdre son « rhinocéros blanc des forêts primaires »

  • Dans les esprits, la Colombie-Britannique est entourée de verdure et est célèbre pour ses forêts primaires imposantes. Mais alors que le gouvernement provincial affirme que 23 % des forêts de Colombie-Britannique sont des forêts primaires, une nouvelle étude révèle qu'il n'en reste que 1 % avec de grands arbres.
  • Une pression intense est désormais exercée sur les arbres restants par une industrie forestière désireuse de capitaliser sur les nations qui recherchent désespérément de nouvelles sources d'énergie « neutres en carbone », notamment la modernisation des centrales électriques à charbon pour brûler des granulés de bois.
  • Mais alors que l'ONU affirme que la combustion de biomasse sous forme de granulés de bois est neutre en carbone, dix ans de nouvelles données indiquent que la combustion d'arbres pour produire de l'électricité pourrait mener le monde à une catastrophe climatique – dépassant l'objectif d'augmentation maximale de la température de 2 degrés Celsius fixé par l'Accord de Paris sur le climat.
  • Un gouvernement progressiste récemment élu en Colombie-Britannique évalue ses options en matière de politiques alors qu'il négocie un nouveau plan forestier provincial, essayant de satisfaire le besoin urgent d'emplois forestiers et d'une économie en croissance, tout en conservant les forêts primaires qui stockent de grandes quantités de carbone et servent de protection contre une catastrophe climatique. Le dénouement est encore incertain.

La verte et luxuriante Colombie-Britannique, au Canada, est connue comme étant l’une des dernières forêts pluviales tempérées intérieures du monde. Les gigantesques et centenaires cèdres rouges, pruches de l’Ouest, épicéas et autres sapins subalpins représentent un écosystème humide et complexe, regorgeant d’animaux sauvages tels que le caribou des bois, le grizzli, divers oiseaux et de petits lichens, tous menacés d’extinction.

Mais les rares forêts primaires de la province diminuent considérablement en raison de l’empiètement de l’exploitation forestière, en particulier pour les granulés de bois utilisés pour alimenter l’industrie de combustion de la biomasse, qui remplace désormais rapidement les centrales électriques à charbon dans le monde entier.

Les forêts primaires de Colombie-Britannique ont urgemment besoin d’être protégées, selon les conclusions de deux études récentes à l’attention du gouvernement provincial de Victoria, qui, pour la première fois depuis une génération, envisage un nouveau plan de gestion de ces forêts qui pourrait définitivement sauver ce qu’il en reste des tronçonneuses, des scieries et des usines de granulation du bois.

« Presque tous les écosystèmes productifs de Colombie-Britannique ont des niveaux très bas de forêts primaires restantes, et dans de nombreuses régions, ces forêts risquent d’être exploitées dans les cinq prochaines années », explique Rachel Holt, écologiste forestière et co-auteure de l’une des études. « Les politiques provinciales actuelles ne sont pas adaptées à la protection des écosystèmes des forêts primaires. Sans un changement immédiat de la politique et de sa mise en œuvre, la Colombie-Britannique est en passe de perdre ces forêts irremplaçables à jamais. »

« Nous voulons mettre un terme à l’exploitation des forêts primaires ici, et nous pensons que l’industrie forestière devrait commencer à se concentrer sur les forêts secondaires », déclare Michelle Connolly, écologiste forestière travaillant pour le groupe de défense environnemental Conservation North, qui a fourni des données pour une seconde étude. « Avec l’avènement de la bioénergie [granulés de bois pour l’exportation], nous devons étendre notre préoccupation immédiate à toutes les forêts primaires. Désormais, aucune d’entre elles n’est hors de danger. »

Coupe à blanc dans la vallée de l’Anzac, qui fait partie de la forêt pluviale boréale près de Prince George, en Colombie-Britannique. Image par Taylor Roades, avec la permission de Stand.earth.

Divers rapports révèlent des nouvelles alarmantes

En analysant une série de données relatives aux forêts accessibles au public depuis peu, Rachel Holt et deux de ses collègues, les écologistes forestiers Karen Price et Dave Daust, ont publié « BC’s Old Growth Forest: A Last Stand for Biodiversity » (Les forêts primaires de Colombie-Britannique : dernier combat pour la biodiversité). Une conclusion clé : la Colombie-Britannique affirme que sur ses 57,2 millions d’hectares de forêt, environ 23 % (13,2 millions), sont primaires.

Mais les recherches des auteurs racontent une toute autre histoire. Leurs conclusions indiquent que moins de 1 % des forêts primaires avec de grands arbres* subsistent à ce jour en Colombie-Britannique, soit environ 400 000 hectares répartis dans les écosystèmes le long de la côte et à l’intérieur de la province, et ce, d’après une analyse des données de la province elle-même.

« Ces écosystèmes représentent le rhinocéros blanc des forêts primaires », expliquent les auteurs. « Ils sont presque éteints, et ne se remettront pas de l’exploitation forestière. »

En avril, le groupe environnemental Stand.earth a publié un nouveau rapport intitulé « Canada’s growing wood pellet export industry threatens forests, wildlife and our climate » (La croissance de l’industrie canadienne d’exportation de granulés de bois menace les forêts, la faune et notre climat). Il souligne que le Canada est le troisième plus grand producteur mondial de granulés de bois, derrière la Chine et les États-Unis, la Colombie-Britannique produisant 80 % des exportations canadiennes. Ce combustible prend ensuite la direction de centrales électriques à charbon reconverties, puis se retrouve dans les airs au-dessus du Royaume-Uni, de l’Union européenne et de l’Asie.

L’industrie forestière, qui sait reconnaître un commerce lucratif lorsqu’elle en voit un, a lancé une campagne de relations publiques agressive afin de convaincre le monde que la combustion des arbres pour produire de l’énergie est neutre en carbone – une hypothèse et une politique obsolètes, intégrées au protocole de Kyoto, et reprises dans l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Mais des scientifiques de renom affirment, et une myriade d’études le démontrent, que la neutralité carbone est une hypothèse erronée. En effet, les recherches révèlent que brûler des arbres pour produire de l’énergie électrique génère plus d’émissions carbone que le charbon, car une plus grande quantité de bois est nécessaire pour produire la même quantité d’énergie.

L’industrie des granulés de bois de Colombie-Britannique, y compris l’entreprise Pacific BioEnergy, affirment n’utiliser que les arbres morts, tués par le dendroctone du pin ou par des incendies, les résidus de bois de forêts et les déchets issus de scieries pour la fabrication de granulés. Mais Stand.earth a rapporté que l’industrie abattait des camions entiers d’arbres sains, parmi lesquels des cèdres rouges, pour en faire des granulés. L’ONG environnementale explique que Pacific BioEnergy s’intéresse désormais aux forêts primaires alors que la demande étrangère en granulés augmente, et que les déchets issus de scieries se font rares en raison de la fermeture d’usines.

« Cette menace liée aux granulés de bois est relativement récente », explique M.Connolly. « Je pense que l’industrie et le gouvernement prennent la température à ce sujet ; ils veulent voir quelle sera la réaction de la communauté. La plupart des gens ne savent pas que des arbres entiers sont prélevés. Ils pensent qu’il s’agit uniquement de déchets et de résidus. Mais l’industrie souhaite exploiter des forêts primaires. »

Les tentatives pour joindre Pacific BioEnergy afin d’obtenir des commentaires par téléphone ou par courriel n’ont pas abouti.

Les forêts primaires productives sont des écosystèmes complexes. Selon le rapport : « Les forêts primaires combinent la lumière et la pénombre ; leur complexité structurelle peut inclure de grands arbres anciens vivants, de grands chicots morts sur pied, de longs troncs abattus, une canopée à plusieurs couches, des trous dans la canopée qui permettent la croissance du sous-bois, et une microtopographie accidentée ». Image de Jakob Dulisse.

Le rapport de Stand.earth montre que la popularité de la combustion de la biomasse sous forme de granulés de bois à l’étranger dépend d’une faille dans la comptabilité carbone des Nations unies, approuvée à Kyoto en 1992 : la biomasse était alors, et est toujours, considérée comme une ressource renouvelable, au même titre que l’énergie éolienne et solaire, les émissions carbones produites lorsque les granulés sont brulés – en remplacement du charbon – ne sont pas prises en compte dans les objectifs de réduction de carbone.

Cela permet aux pays de revendiquer des réductions importantes des émissions de carbone, qui, pour la civilisation et la planète, existent uniquement sur papier. On estime, par exemple, que le Royaume-Uni tire 12 % de son énergie de la combustion du bois, et que le Danemark en tire 30 %. Aucune de ces émissions n’est officiellement déclarée.

Cette lacune part du principe que les nouveaux arbres plantés à l’endroit et au moment où les arbres anciens sont coupés compensent immédiatement les émissions de granulés de bois. Mais une décennie de recherches démontre que cette prétendue neutralité carbone, si d’aventure les arbres sont réellement replantés, prend 50 à 100 ans. L’ONU a souligné que les émissions de combustibles fossiles doivent être drastiquement réduites dans les 10 ans afin d’éviter les conséquences les plus graves du changement climatique. La préservation des forêts existantes est considérée comme essentielle pour parvenir à atténuer le changement climatique à temps.

Un bosquet de cèdres dans la forêt pluviale intérieure près de Prince George, en Colombie-Britannique. Image par Taylor Roades, avec la permission de Stand.earth.

Rôle et réponse du gouvernement

En 2019, la Colombie-Britannique a créé un panel de deux personnes pour recueillir des données ainsi que l’opinion publique pour une étude stratégique des forêts primaires Old Growth Strategic Review. Al Gorley et Garry Merkel, forestiers responsables du panel, ont confirmé à Mongabay qu’ils ont reçu les deux rapports précédemment mentionnés, ainsi que 370 contributions écrites du public et des parties concernées pour leur propre rapport, qui a été soumis au ministre des Forêts, des Terres, et de l’Exploitation des ressources naturelles de la Colombie-Britannique. Dans un courriel, G.Merkel a indiqué que A.Gorley et lui ne sont pas autorisés à commenter publiquement leurs conclusions durant six mois.

Entre-temps, Doug Donaldson, ministre provincial des Forêts de Colombie-Britannique, a déclaré à la chaîne d’information CBC qu’il n’était pas surpris d’apprendre que les forêts primaires de la province sont en déclin. Il a ajouté avoir une haute estime pour le trio d’auteurs qui réclament des mesures de protection immédiates.

« Nous voulons nous assurer que les [forêts primaires] sont gérées de manière appropriée […] et nous reconnaissons l’importance [de ces forêts] pour la biodiversité de la province. Nous sommes également conscients de l’importance qu’elles revêtent pour les communautés et les travailleurs qui dépendent de l’exploitation forestière », a expliqué D.Donaldson à la CBC.

Sa déclaration résume la gestion requise des responsables gouvernementaux du monde entier, qui tentent de concilier les deux priorités que sont la conservation des forêts et le maintien des emplois forestiers.

La sylviculture est l’industrie dominante en Colombie-Britannique depuis des générations, et l’exploitation forestière pour le bois et le papier dure depuis des décennies, comme si l’approvisionnement en arbres dans une province quatre fois plus grande que la Californie était inépuisable. Ce n’est pas le cas. L’exploitation agressive des forêts côtières et intérieures de faible altitude a entraîné la diminution de l’approvisionnement en bois des communautés rurales, la fermeture de scieries et la perte d’emplois. Contrairement au sud-est des États-Unis, où les exploitations de bois de résineux peuvent être récoltées en 20 ans environ, les nouveaux arbres plantés en Colombie-Britannique nécessitent au moins 80 ans avant de pouvoir être exploités, selon les experts forestiers.

Parallèlement, la législation qui souligne l’importance de la protection des forêts pour la biodiversité, la qualité de l’eau et les loisirs comporte une réserve inquiétante – tant que ces dispositions n’affectent pas excessivement l’effet de la récolte du bois –, ont confirmé diverses sources. Elles ont également déclaré que cette réserve pourrait être reconsidérée dans la future politique.

Le changement climatique est au cœur du débat en Colombie-Britannique, même s’il est souvent passé sous silence. La province a perdu des milliers d’hectares d’arbres à cause des infestations de dendroctones du pin, les hivers n’étant plus assez froids pour tuer ce nuisible.

Cela ajoute encore à la nécessité de protéger ce qui reste. Selon les écologistes, les forêts primaires capturent 30 à 50 fois plus de carbone que les forêts secondaires, fournissant des services écosystémiques planétaires alors que le réchauffement climatique s’accélère.

Les forêts à faible productivité comme celle-ci n’ont pas la même capacité de capture du carbone que les forêts primaires. Image de TJ Watt pour Ancient Forest Alliance.

Le nouveau gouvernement de Colombie-Britannique évalue ses options

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), un parti relativement progressiste, a pris le pouvoir en Colombie-Britannique en 2017. Aujourd’hui, ses deux principaux électorats – une frange écologiste et une travailliste – luttent pour relever le défi et trouver un terrain d’entente en équilibrant les préoccupations environnementales et économiques. Un plan de gestion des forêts primaires est attendu d’ici la fin de l’année.

L’expert forestier Kevin Kriese, qui préside le Conseil des Pratiques forestières de la province, a déclaré à Mongabay que les problèmes environnementaux identifiés par le NPD sont urgents et opportuns après des années de restrictions minimales sur l’industrie du bois.

« Ce qui manque à bien des égards en Colombie-Britannique, c’est un plan d’aménagement du territoire actualisé qui permette d’aborder correctement les forêts primaires et les autres problèmes sur le terrain », a déclaré K.Kriese. « La Colombie-Britannique est un endroit vaste et complexe, et il y a eu peu de planification de l’utilisation des terres au cours des 15-20 dernières années. Ce gouvernement s’est engagé dans un nouveau programme d’actualisation des plans. Où pouvons-nous opérer de manière viable ? Que faut-il protéger ? Qu’en est-il des espèces en péril et du climat ? Tout doit être pris en compte ».

Il a ajouté que la politique de la Colombie-Britannique protège actuellement les forêts dans toute la province, tout en se demandant : « Protégeons-nous les zones adéquates
 ? La province savait [pour des raisons économiques] qu’elle ne pouvait pas protéger les forêts de la meilleure qualité. Nous avons donc surprotégé les forêts de moins bonne qualité ».

K.Kriese est prudent lorsqu’on lui demande s’il a bon espoir que le NPD, dirigé par le premier ministre John Horgan, prenne des décisions pour protéger les forêts primaires et la biodiversité dès maintenant, en particulier face au changement climatique : « Notre province et le public n’ont pas encore pris conscience de l’influence du changement climatique et de ce qu’il signifie pour la conservation ».

À l’approche des élections de l’automne 2021, des sources ont déclaré à Mongabay que le NPD sera désireux de trouver un équilibre prudent en matière de gestion des forêts primaires, sachant que les communautés rurales sont déjà aux prises avec des difficultés économiques dues au déclin de l’exploitation du bois et à la fermeture de scieries, et que la production de granulés de bois est considérée par beaucoup comme une possibilité de salut financier.

Les forêts primaires restantes de Colombie-Britannique ne sont pas seulement précieuses pour le stockage du carbone ; elles devraient également être appréciées pour leur caractère unique, la biodiversité qu’elles abritent et l’admiration qu’elles suscitent. Image de Jakob Dulisse.

Un habitat rare en jeu

Ce qui se passe sur le plan écologique dépendra en grande partie des décisions politiques qui seront mises en place en Colombie-Britannique.

Dominick DellaSala est président et responsable scientifique du Geos Institute, dans l’Oregon. Il est spécialisé dans l’étude des écosystèmes rares à l’échelle mondiale et dit des forêts tempérées et primaires de Colombie-Britannique : « D’après mes recherches, il n’y a que deux autres régions sur terre comme celle-ci : le sud-est de la Russie et la Sibérie. Ces forêts sont importantes et rares. Elles possèdent la plus grande richesse en lichens au monde, une source de nourriture importante pour le caribou des montagnes, qui est en voie d’extinction. On estime que certains arbres ont 1 600 ans. Et ils sont gaspillés en raison de l’exploitation forestière ».

D.DellaSala a souligné le fait que les forêts primaires sont une source de carbone importante et stable : « Si nous voulons lutter contre le changement climatique, nous devons abandonner les combustibles fossiles et nous accrocher aux forêts primaires qui nous restent ».

Karen Price, co-auteure de l’étude sur les forêts primaires avec son partenaire Dave Daust, vit parmi les arbres anciens du sud de la Colombie-Britannique. Leurs recommandations au NPD sont sans appel, parmi lesquelles : « Placer immédiatement un moratoire sur l’exploitation des écosystèmes et des paysages avec très peu de forêts primaires », afin de préserver ce qui reste.

« Le monde voit le Canada, je pense, comme assez éclairé sur ces questions », a déclaré K.Price. « Mais si nous avons un gouvernement éclairé et que nous sommes incapables de protéger nos dernières forêts primaires, qu’est-ce que cela signifie en termes d’échec systémique ? »

« En raison des politiques passées, les pertes d’emplois et les fermetures d’usines sont inévitables. Nous le savons depuis des décennies. Aucun gouvernement ne s’y est préparé. Nous allons droit dans le mur. Notre message au gouvernement est le suivant : vous pouvez laisser cela se produire et ne plus avoir de forêts primaires et perdre toutes les ressources précieuses – l’eau propre, le saumon, le grizzli, le caribou des montagnes, le stockage du carbone, la protection contre les inondations – […] ou vous pouvez essayer d’agir maintenant. Protéger ce qui nous reste de forêts primaires et les ressources qui amortiront les effets climatiques à venir. Mais cela représente un sacré défi pour tout gouvernement. »

Justin Catanoso est un collaborateur régulier de Mongabay et est professeur de journalisme à l’université de Wake Forest. Suivez-le sur Twitter : @jcatanoso.

Image de bannière : Une personne dominée par des cèdres anciens de la vallée d’Incomappleux, située dans la forêt pluviale tempérée intérieure, près de Revelstoke, en Colombie-Britannique. Cette forêt est unique, allant du nord de l’Idaho jusqu’aux abords de Prince George, en Colombie-Britannique. Elle a été fortement fragmentée par l’exploitation forestière. Image de Jakob Dulisse.

 


Article original: https://news.mongabay.com/2020/06/british-columbia-poised-to-lose-white-rhino-of-old-growth-forests/

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