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30 % d’ici 2030 ? Une étude cartographie un réseau de sanctuaires pour protéger les océans du monde entier

  • Des scientifiques ont représenté sur une carte un gigantesque réseau de zones marines qui pourraient être protégées. L’ensemble couvre plus d’un tiers des océans du monde entier et représente tous les types d’écosystèmes marins.
  • Le réseau proposé s’inscrit dans le cadre d’un mouvement plus global. Le but de ce dernier : faire en sorte que les pays s’engagent à protéger 30 % des océans d’ici 2030. Au moment de la rédaction de l’article, les gouvernements planchaient déjà sur l’élaboration d’un engagement international en faveur de la protection d’au moins 10 % des océans d’ici 2020.
  • En 2019, des négociations ont eu lieu aux Nations Unies concernant la signature d’un traité sans précédent pour faire face au déclin de la biodiversité marine en haute mer. Le rapport proposant un réseau de sanctuaires marins a été publié le 4 avril, soit un jour avant la conclusion du deuxième cycle de négociations.

Des scientifiques ont représenté sur une carte un gigantesque réseau de zones marines qui pourraient être protégées. L’ensemble couvre plus d’un tiers des océans du monde entier et vise à conserver la biodiversité marine, actuellement menacée par la surpêche, l’essor de l’extraction minière en haute mer, la contamination liée au plastique et le changement climatique.

En 2019, des négociations ont eu lieu aux Nations Unies concernant la signature d’un traité sans précédent pour faire face au déclin de la biodiversité marine en haute mer. Le rapport proposant un réseau de sanctuaires marins a été publié le 4 avril, soit un jour avant la conclusion du deuxième cycle de négociations.

L’un des auteurs du rapport, Alex Rogers, qui travaille en tant que biologiste marin pour l’université d’Oxford, a expliqué que l’étude menée constitue le premier projet détaillé de réseau mondial de sanctuaires marins. Dans l’idée, ces sanctuaires seraient répartis sur l’ensemble de la planète, du pôle Nord au pôle Sud, représenteraient tous les types d’écosystèmes marins et offriraient des couloirs de migration pour la faune marine. De plus, si l’on suit les recommandations des auteurs, toute exploitation humaine y serait interdite, y compris la pêche industrielle et l’extraction minière en haute mer.

« Ce projet peut être considéré comme l’une des mesures que nous devons prendre pour mettre un terme à la dégradation des océans », a indiqué Rogers. Bien que le réseau de sanctuaires ne soit en aucun cas une solution exhaustive, d’après lui « il fournira une bonne base en matière de protection et de conservation de l’incroyable diversité de la faune et de la flore marines ».

Deux bateaux de pêche au coucher du soleil. Photo obtenue via Max Pixel (CC0 1.0).

Rogers a passé plus de 25 ans à explorer la haute mer et les récifs de corail. Il a ainsi pu constater de ses propres yeux les effets dévastateurs de l’activité humaine sur les écosystèmes qui vivent sous la surface des océans. Lors d’expéditions dans le sud-ouest de l’océan Indien pour observer une chaîne de cheminées largement inexplorées, Rogers a été très choqué de constater que les montagnes sous-marines étaient parsemées de matériel de pêche et de filets fantômes flottant dans l’eau, continuant d’attraper des espèces marines bien longtemps après avoir été abandonnés.

« Nous avons été peinés de voir combien d’animaux morts ou mourants avaient été attrapés par ces filets, a déclaré Rogers. Quel choc lorsque nous avons vu la quantité de matériel de pêche abandonné qui [a] déjà atteint ces merveilleux écosystèmes de haute mer. »

Pour élaborer le réseau de sanctuaires, les chercheurs ont utilisé un logiciel afin de diviser les zones de haute mer en un peu moins de 25 000 carrés, d’une superficie de 10 000 kilomètres carrés chacun. À l’heure de déterminer les zones à protéger, le programme a pris en compte des données telles que la répartition de requins, de baleines, de monts, de failles océaniques et de cheminées hydrothermales, ainsi que les opérations de pêche commerciale et les revendications liées à l’extraction minière. Il s’est également appuyé sur la résilience de chaque zone à l’égard de l’incertitude environnementale et de changements plus globaux en la matière. Par exemple, le logiciel a examiné les données liées à la température superficielle de la mer pour repérer les zones susceptibles de connaître des changements relativement lents ou de s’adapter rapidement à la pression liée à l’augmentation des températures.

Le résultat final, visant à protéger au moins 30 % de chaque type d’habitat marin, a donné un réseau couvrant entre 35 % et 40 % des hautes mers. « Bien que les zones identifiées montrent comment nous pourrions en pratique créer des réseaux en nous fondant sur les informations à notre disposition, il ne s’agit pas de propositions spécifiques concernant les zones à protéger », précise le rapport. Ce dernier, intitulé « 30×30: A Blueprint For Ocean Protection» (30 % d’ici 2030 : projet de protection des océans) est le fruit d’un an de collaboration entre l’ONG Greenpeace et des chercheurs des universités de York, d’Oxford et d’autres institutions du Royaume-Uni.

Hydrothermal vents at Dom João De Castro in the central north Atlantic Ocean. Image by © Greenpeace / Gavin Newman.
Cheminées hydrothermales à Dom João De Castro, au milieu de l‘océan Atlantique Nord. Crédit photo © Greenpeace/Gavin Newman.

La haute mer représente près des deux-tiers des océans de la planète, mais elle est en marge des frontières nationales et ne tombe sous le coup d’aucun État ni d’aucune entité internationale. C’est pour cette raison qu’elle ne dispose pas d’un véritable organisme de surveillance permettant de protéger la faune et la flore marines qui y habitent. Le traité de l’ONU relatif à la haute mer sur lequel portaient les négociations en 2019 avait pour objectif de créer un système qui coordonne la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer. Il était notamment question d’y intégrer un mécanisme visant à établir différentes sortes de zones protégées. Le cas échéant, le réseau proposé dans le rapport « montre, d’après Rogers, comment ce projet pourrait être mis en œuvre ».

« À mon sens, cette mesure est essentielle si nous souhaitons mettre un terme au déclin des océans et des espèces marines, qui mène tout droit vers une sixième extinction de masse. », a-t-il ajouté.

Au moment de la rédaction de l’article, les gouvernements planchaient déjà sur l’élaboration d’un engagement international en faveur de la protection d’au moins 10 % des océans d’ici 2020. Mais, depuis peu, un mouvement rassemblant certains scientifiques, des chantres de la conservation et des gouvernements a émergé afin de faire monter les enchères et d’obtenir que les pays s’engagent à protéger 30 % des océans d’ici 2030. (D’après les données de l’ONU, en 2017, seuls 5,3 % des océans étaient protégés, parmi lesquels 13,2 % des eaux sous juridiction nationale et à peine 0,25 % des zones de haute mer).

D’après les auteurs du rapport, en dehors de son incidence sur la protection de la biodiversité, la création d’un réseau mondial de zones protégées est dans l’intérêt de tous. En effet, les écosystèmes sous-marins jouent un rôle important dans le ralentissement du changement climatique, car les poissons et les calamars qui y vivent contribuent à réguler le dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère. Ces animaux se nourrissent en effet de phytoplancton, qui puise du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et le transforme en matières fécales solides. Celles-ci coulent ensuite au fond de l’océan et le dioxyde de carbone se trouve ainsi capturé.

En janvier 2018, l’organisation Mongabay s’était penchée sur l’efficacité des zones marines protégées en passant en revue 42 études scientifiques et en s’entretenant avec sept experts en la matière. D’après ses recherches, globalement, les sanctuaires marins semblent contribuer à la reconstitution des stocks de poissons et d’autres espèces marines au sein du périmètre qu’ils couvrent.

Bien que la création de zones protégées ait surtout pour objectif la conservation de la biodiversité marine, il convient de noter que ces zones ne protègent les espèces marines que de certaines activités humaines réglementées. En effet, elles ne peuvent pas agir directement sur l’acidification des eaux, la pollution liée au plastique, le traitement des déchets agricoles et la pêche illégale.

Cela dit, même en prenant en compte ces limites, la mise en place d’un réseau de sanctuaires marins permettrait de protéger les différentes espèces des effets cumulatifs des activités humaines, a déclaré Arlo Hemphill, qui milite en faveur de la conservation des océans aux côtés de Greenpeace États-Unis. « Le changement climatique a déjà un énorme impact sur les océans, les poissons, les baleines et tout ce qui vit dans la mer, a-t-il déclaré. En créant ces espaces protégés où la pêche et l’extraction en eaux profondes ne sont pas permises, nous donnons une chance à l’océan de s’adapter et de se remettre des autres facteurs de pression tels que la pollution liée au plastique et le changement climatique, que nous tentons également de maîtriser. »

A loggerhead turtle swims around a fish aggregation device belonging to the Ecuadorean fishing vessel Ingalapagos. Greenpeace says it documented the vessel in the vicinity of the northern Galapagos Islands. Image by © Alex Hofford / Greenpeace.
Tortue caouanne nageant près d‘un dispositif de concentration de poisson appartenant au bateau de pêche équatorien Ingalapagos. L’ONG Greenpeace déclare avoir repéré le navire à proximité du nord des Îles Galapagos. Crédit photo © Alex Hofford/Greenpeace.

Cependant, pour certains scientifiques, la création de zones protégées n’est pas la solution. Ray Hilborn, biologiste marin et scientifique spécialisé dans la pêche, travaille à l’université de Washington, aux États-Unis. Il critique l’initiative visant à transformer 30 % des océans en sanctuaires.

« La plupart des poissons pêchés en haute mer migrent beaucoup (thons, marlins, requins et certains poissons comme les chinchards), a indiqué Hilborn dans un e-mail. Nous n’avons pas de preuves qu’interdire l’accès à 30 % de la zone aurait une incidence sur les prises des bateaux. Cela conduirait simplement ces derniers à aller réaliser leurs prises ailleurs. »

« Faire respecter les restrictions d’accès aux zones protégées coûte passablement cher, et forcer les bateaux à opter pour d’autres zones entraînera une plus grande consommation de carburant, un temps de prise plus long et, par conséquent, un coût de la pêche plus élevé. », a expliqué Hilborn.

Hilborn a déclaré à Mongabay qu’il était en faveur de l’interdiction du chalutage de fond, une technique de pêche destructrice, dans les fonds marins sensibles (comme les coraux de haute mer). Mais, à son sens, la pêche de surface ou en zone mésopélagique n’a pas lieu d’être interdite.

Taran Volckhausen est un journaliste indépendant qui vit dans le Colorado et se rend souvent en Colombie pour rédiger des articles. Vous pouvez le retrouver sur son compte Twitter @tvolckhausen.

 
Article original publié l’11 avril 2019: https://news.mongabay.com/2019/04/30-percent-by-2030-study-maps-out-how-to-protect-the-worlds-oceans/

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