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Tentative de retrait des menus et de protection du gibier aquatique sauvage

  • L'expression « gibier aquatique sauvage », ou « gibier marin », se réfère à la chasse des mammifères, reptiles et oiseaux marins et aussi des requins et des raies.
  • Cette chasse se pratique dans le monde entier et elle a augmenté ces dernières années, depuis que les petits pêcheurs n'ont plus accès au poisson et autres ressources marines.
  • En février, les délégués de plus de 80 pays ont pris des mesures pour remédier au problème de la viande aquatique sauvage lors de la conférence de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage qui s'est tenue à Gandhinagar, en Inde.
  • La conférence a également abouti à l'ajout de dix nouvelles espèces aux listes des espèces protégées de la Convention (dont le jaguar et l'éléphant d'Asie), à la reconnaissance d'une culture des animaux sauvages, et la demande que les espèces migratrices soient prises en compte par les politiques climatiques et énergétiques nationales.

Les scientifiques et les défenseurs de la nature expriment depuis longtemps leur inquiétude sur la consommation de la viande de brousse, conscients de son impact sur la faune sauvage et sur la santé humaine. Cependant, la question de la faune marine a reçu relativement peu d’attention, alors même que l’amenuisement des ressources a conduit les petits pêcheurs de régions telles que l’Afrique de l’Ouest à se tourner vers les dauphins, tortues de mer et autres mammifères, reptiles et oiseaux marins considérés comme « gibier aquatique sauvage ».

Des délégués représentant plus de 80 pays ont pris des mesures pour remédier à ce problème lors de la conférence de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS) qui s’est terminée le 22 février à Gandhinagar, en Inde. Un accord a été obtenu pour développer un plan d’action pour l’Afrique de l’Ouest et pour coordonner les efforts de protection au niveau mondial des espèces concernées y compris, pour la première fois, de certains requins et des raies.

« La viande de gibier marin est en augmentation sur le marché et la CMS reconnaît qu’il s’agit d’une menace en forte croissance, à un niveau similaire à celle à laquelle font face les animaux terrestres, » a déclaré à Mongabay Fabienne McLellan, qui participait à la conférence en tant que co-directrice des relations internationales chez OceanCare, une ONG de protection marine basée en Suisse. « La population dépendante du gibier marin est en augmentation à travers les régions tropicales, tempérées, subarctiques et arctiques. Les baleines, dauphins, lamantins, tortues, crocodiles et oiseaux de mer sont donc de plus en plus ciblés en raison du déclin des stocks de poisson. »

Certains représentants d’ONG n’ont pas été complètement satisfaits des mesures prises par la CMS étant donné l’urgence qu’il y a à protéger ces espèces qui, pour nombre d’entre elles, ont un long cycle de vie et sont lentes à se reproduire. Mais ils ont exprimé l’espoir que ces mesures soient un point de départ pour un effort de protection plus important à l’égard des espèces marines ciblées par cette chasse.

Cétacés abattus, probablement des globicéphales (Globicephala melas), à Vágur, îles Féroé, 2005. Photo Erik Christensen via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Gibier aqua…quoi ?

Les scientifiques ont commencé à parler de gibier aquatique sauvage dans les années quatre-vingt dix et deux mille sous le nom de « viande de brousse marine ». Depuis, les menaces pesant sur ces espèces se sont multipliées. À travers le monde, près de 100 000 dauphins, marsouins et petites baleines d’au moins 56 espèces différentes sont tuées intentionnellement chaque année d’après un rapport de 2019 publié par un ensemble d’organisations de protection de la nature. Une étude récente montre que le nombre de petits cétacés tués à la chasse est en augmentation, y compris dans le bassin de l’Amazone et dans les eaux du Ghana.

La chasse n’est pas toujours motivée par un besoin immédiat de se nourrir. En Amérique latine et en Asie, la chair et la graisse des petits cétacés sont utilisées comme appât en raison de leur résistance sur les hameçons et de leur effet attractif sur les espèces de poisson recherchées. En Afrique de l’Ouest, l’huile de dauphin est recherchée comme onguent médicinal pour les enfants.

Certains types de chasse de gibier marin sont illégales, comme le braconnage des tortues de mer dans le Triangle de corail en Asie du Sud-Est. Néanmoins, c’est une chasse en grande partie légale. Nombreux sont les pays qui n’ont pas de réglementation pour protéger les espèces de gibier aquatique. (Le Marine Mammal Protection Act des États-Unis est une exception.)

Ainsi, de nombreux pays des Caraïbes n’ont aucune loi de protection des petits cétacés et des dauphins. Sur l’île principale de Saint Vincent et les Grenadines, la population chasse plusieurs centaines de petits cétacés par an d’après Russell Fielding, professeur en études environnementales délégué à l’université des Antilles à la Barbade (University of the West Indies in Barbados). Cette chasse attire moins d’attention que celle pratiquée sur Bequia, petite île des Grenadines, qui utilise une licence spéciale aborigène de la Commission baleinière internationale, organisme qui régule les prises de grosses baleines, pour capturer quatre baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) par an. Cependant, la chasse pratiquée plus discrètement à Saint Vincent pèse beaucoup plus sur la biomasse, affirme Russell Fielding.

Un homme fait sécher de la viande de petits cétacés à St. Vincent et les Grenadines. Photo Russell Fielding.

Manger de la viande d’animaux marins pose de sérieux problèmes de santé publique, ajoute-t-il. Les petits cétacés de la région sont des prédateurs supérieurs qui concentrent dans leurs tissus des polluants qui sont remontés le long de la chaîne alimentaire.

« Quand l’être humain consomme cette viande, nous devenons le prédateur ultime et nous ingérons tous ces polluants, » explique-t-il à Mongabay. Son étude démontre que les muscles, la graisse et les organes internes de ces animaux sont pleins de microplastiques et de polluants industriels comme le mercure. Tous les échantillons de petits cétacés testés par ses équipes ont affiché des niveaux de mercure supérieurs au seuil considéré sans danger par l’Organisation mondiale de la santé (avec une moyenne de 3 à 48 fois le taux limite recommandé).

Le professeur Fielding explique qu’après s’être consacré à la recherche uniquement, il est maintenant devenu un militant actif de la communication sur ces dangers. Cependant, à ce jour, les gouvernements des pays de l’est des Caraïbes n’ont pris aucune mesure pour freiner la consommation de cette viande de gibier marin.

Poussés à la chasse

L’augmentation de la demande de viande de gibier marin est certainement due à la consommation mondiale d’autres ressources marines qui a considérablement augmenté depuis 1950 d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. La crise climatique a eu un rôle, par exemple, en déplaçant les zones de pêche plus loin au large où les petis pêcheurs ne peuvent plus les atteindre. Les scientifiques ont trouvé que le manque de disponibilité du poisson peut pousser à une augmentation de la chasse pour la viande de brousse dans les régions côtières, et cette tendance est maintenant constatée en mer.

Les efforts pour restreindre la chasse ont été largement inefficaces, et dans certains cas, ont même eu un effet inverse en inspirant une résistance locale des populations à des valeurs ressenties comme étrangères. Certains groupes écologistes favorisent une approche qui s’attaque aux racines de ce problème de chasse et en Afrique de l’Ouest, la surpêche industrielle est l’une de ces racines d’après Maximin Djondo, spécialiste de la viande de gibier marin chez OceanCare. D’après un rapport d’OceanCare de 2016, les navires de pêche industrielle y dépassent plus de 20 fois les pêcheurs locaux en quantité pêchée.

Maximin Djondo, basé au Bénin, explique à Mongabay que « Les pêcheurs ont de moins en moins de prises à cause des navires étrangers, chinois pour la plupart, qui viennent dans les eaux ouest-africaines et prennent tout le poisson. » « Les gens n’attrapent plus autant de poisson, donc ils se tournent davantage vers la viande de gibier marin. »

OceanCare a exprimé sa déception sur le fait que la conférence de la CMS ne soit parvenue à aucune mesure pour remédier à la surexploitation des ressources par les navires industriels. « Il n’y a aucun changement du statu quo, » ont déclaré ses représentants à la conférence dans un communiqué de presse.

Lamantin en Afrique de l’Ouest. Crédit photo Maximin Djondo.

L’impact de la convention

La légalité de la chasse de nombreuses espèces marines est difficile à déterminer. La CMS interdit strictement la prise d’espèces migratrices menacées listées dans son Appendice I, son plus haut niveau de protection. En théorie, les 130 membres signataires de la CMS considèrent les résolutions du traité comme ayant force de loi ou bien adoptent une loi qui corresponde aux résolutions. En pratique, cependant, certains pays n’adoptent pas de loi reflétant ces résolutions.

Et lorsque les pays ont des lois adaptées, leur application est difficile. La direction du CMS a moins de pouvoir pour appliquer ses résolutions que la direction d’une convention sœur, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), qui peut émettre des sanctions commerciales pour non-conformité. En outre, certains pays possédant d’importantes flottes de pêche, comme la Chine et le Japon, ne sont pas signataires de la CMS et leurs navires ne sont donc pas dans l’obligation de respecter les règles de la convention, comme l’a souligné Brett Sommermeyer, directeur juridique de Sea Shepherd Legal, une firme juridique de Seattle affiliée à l’ONG Sea Shepherd Conservation Society.

Viande de tortue de mer en vent sur un marché de Trinidad, 2011. Photo Earthrace Conservation via Flickr (CC BY-ND 2.0).

Les espèces d’animaux migrateurs font face à une myriade de menaces au-delà de la chasse et les conséquences en sont désastreuses. D’après un communiqué de presse de la CMS, le tout premier examen de sa liste des espèces menacées, publié en février en vue de la conférence à suivre, montre que les effectifs de la plupart des espèces sont en déclin.

En outre, les efforts pour renforcer la CMS pendant la conférence ont échoué : une proposition de résolution [pdf] qui aurait étendu le mandat de la convention pour inclure des restrictions sur le commerce des espèces menacées d’extinction a été rejetée et remplacée par une demande de recherche sur le sujet. Selon un membre de OceanCare qui a assisté à la conférence, les délégations de l’Australie et de l’Union européenne se sont opposées à la proposition, la faisant ainsi échouer. (Un délégué australien n’a pas répondu aux demandes de commentaires de Mongabay, un délégué européen s’est refusé à répondre.)

Cependant, les observateurs ont souligné des développements positifs. La CMS a ajouté dix espèces à sa liste, leur conférant un statut d’espèce protégée, en incluant sept dans son Appendice I : le jaguar (Panthera onca), l’éléphant d’Asie (Elephas maximus indicus), l’outarde à tête noire (Ardeotis nigriceps), l’albatros des antipodes (Diomedea antipodensis), l’outarde du Bengale (Houbaropsis bengalensis), l’outarde canepetière (Tetrax tetrax), et le requin longimane (Carcharhinus longimanus).

Les parties sont arrivées à la reconnaissance d’une culture des animaux sauvages qui comprend des variations dans leur structures sociales, des comportements et des systèmes de langage communs à une même espèce. Elles ont lancé un appel visant à prendre en considération les espèces d’animaux migrateurs dans les politiques nationales pour l’énergie et pour le climat, en particulier dans les projets d’infrastructures et pour la réduction des prises accessoires de mammifères marins dans la pêche commerciale.

Le dernier jour de la conférence, les membres de la CMS ont publié la Déclaration de Gandhinagar qui réclame l’inclusion des espèces migratrices et du concept de « connectivité écologique » dans le cadre de travail adopté pour la Conférence sur la biodiversité des Nations Unies en octobre prochain.

Requin longimane (Carcharhinus longimanus). L’espèce a récemment obtenu le niveau de protection le plus élevé lors de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage. Photo Alexander Vasenin via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Image de bannière : Viande de petits cétacés accrochée pour séchage au soleil à Barouallie, Saint Vincent et les Grenadines. Photo Andy Fielding.

Citations:

da Silva, V. M., Freitas, C. E. C., Dias, R. L., & Martin, A. R. (2018). Both cetaceans in the Brazilian Amazon show sustained, profound population declines over two decades. PLOS ONE, 13(5), e0191304. doi:10.1371/journal.pone.0191304

Brashares, J. S., Arcese, P., Sam, M. K., Coppolillo, P. B., Sinclair, A. R. E.,  Balmford, A. (2004). Bushmeat hunting, wildlife declines, and fish supply in West Africa. Science306(5699), 1180-1183. doi:10.1126/science.1102425

Van Waerebeek, K., Debrah, J. S., & Ofori-Danson, P. K. (2014). Cetacean landings at the fisheries port of Dixcove, Ghana in 2013-14: a preliminary appraisal. International Whaling Commission SC/65b/SM17 (Bled)4. doi:10.13140/RG.2.1.4079.2401

 
Article original: https://news.mongabay.com/2020/02/bid-to-get-aquatic-wild-meat-off-the-menu-and-under-protection/

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