Nouvelles de l'environnement

Madagascar tarde à atteindre les objectifs d’Aichi, une mauvaise nouvelle pour le monde

  • Avec ses 110 espèces de lémuriens, la biodiversité exceptionnelle de la plus ancienne île au monde reste plus que jamais menacée.
  • Le pays a triplé l’étendue de ses aires protégées depuis 2003, cependant leur gestion reste inadaptée.
  • Madagascar est à la traine avec moins de 1% de son territoire maritime de 1,2 million de km² actuellement protégé au niveau national.
  • Le tourisme pourrait soutenir la préservation des zones de grande biodiversité, mais cela nécessiterait un plus grand investissement de la part du gouvernement et des acteurs privés.

La nation insulaire de Madagascar, pays mégadivers, ne s’investit pas suffisamment pour atteindre les objectifs d’Aichi, fragilisant davantage sa biodiversité exceptionnelle.

Les objectifs d’Aichi adoptés dans le cadre de la Convention des Nations-Unis sur la Diversité Biologique (CDB), correspondent à 20 objectifs à atteindre d’ici 2020. Ratifiée par 196 pays, la CDB a pour but de réguler l’impact de l’homme sur la nature, notamment sur ses plus de 8,5 millions d’espèces. Pour ce faire, les nations doivent développer leurs propres objectifs, tout en respectant les objectifs d’Aichi.

Les progrès des points chauds de la biodiversité tels que Madagascar sont cruciaux. Cette nation africaine abrite plus de 110 espèces de lémuriens, primates endémiques de l’île, devenus célèbres grâce aux films d’animation de DreamWorks. Malheureusement, l’inaptitude du pays à atteindre les objectifs est une mauvaise nouvelle pour le véritable roi Julian et ses amis car plus de 75% des espèces de lémuriens sont proches de l’extinction.

C’est également une mauvaise nouvelle pour le monde, puisque 80% des plantes et animaux vivant à Madagascar sont endémiques. Malgré l’attention démesurée portée aux lémuriens, l’espèce phare, ceux-ci ne s’en sortent pas très bien. Pire, certaines espèces vivant dans les forêts malgaches pourraient disparaître avant même d’avoir été découvertes, au grand désespoir des scientifiques.

Lémurs catta. Image de Rhett A. Butler

Des progrès à l’image du caméléon

En raison de son extrême pauvreté, Madagascar peine à préserver ses richesses naturelles. Les trois quarts des Malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté et moins d’un cinquième de la population a accès au réseau électrique. En 2018, le PIB per capita du pays était de 528 USD soit 118 fois inférieur à celui des États-Unis de 62 800 USD.

Le pays, signataire de la CDB en 1996, a mentionné dans son dernier rapport sur les objectifs d’Aichi publié en 2019 qu’il était en retard sur tous les objectifs à l’exception d’un : l’élaboration d’un plan national pour la conservation de la biodiversité. Mais le plan stratégique de Madagascar, aligné sur les objectifs d’Aichi, a un calendrier différent, allant de 2015 à 2025.

« Pour moi, seuls de maigres progrès ont été réalisés sur la période des objectifs d’Aichi, voire certaines choses ont reculé » dit Nanie Ratsifandrihamanana, directrice de WWF Madagascar. Elle explique par exemple que la déforestation a augmenté depuis 2010. Selon Global Forest Watch, Madagascar a perdu la plus grande portion de forêt tropicale en 2018. Le trafic et le braconnage continue également de décimer de nombreuses espèces sauvages.

Quelques experts sont plus optimistes mais pointent les incohérences des efforts produits, sans progrès clair pour sauvegarder la biodiversité. « Ils font des progrès à l’image du caméléon » dit la conservatrice Patricia Wright, célèbre experte des lémuriens de l’Université de Stony Brook aux États-Unis. Environ la moitié des espèces de caméléon vivent à Madagascar. Ils ont la particularité de se balancer d’avant en arrière pour imiter le mouvement des branches dans le vent.

Les efforts réalisés dans le pays pour sauvegarder la biodiversité ont été mis à mal par le coup d’État de 2009, qui a amené Andry Rajoelina au pouvoir. Ce dernier sert aujourd’hui son deuxième mandat, mais cette fois en tant que président démocratiquement élu. La situation s’est détériorée lors de la crise politique qui a précipité le coup d’État, ouvrant la porte à un pillage sans précédent des ressources naturelles et entraînant le départ des aides financières pour la conservation. « Les problèmes du gouvernement de 2008 a fait reculer le pays, et c’est seulement aujourd’hui qu’il repart de l’avant. » dit Wright. Des mois de bouleversements politiques ont précédé la crise politique, qui a culminé avec le coup d’État de janvier 2009.

Un caméléon panthère mâle (Furcifer pardalis). Image de Rhett A. Butler

Un filet de sécurité grandissant mais mince 

L’expansion des aires terrestres protégées est l’un des rares points positifs de cette évaluation par ailleurs sombre. En 2003, le président de l’époque, Marc Ravalomanana, a annoncé que le gouvernement allait tripler la surface des zones protégées (de 1,7 million à 6 millions d’hectares) pour l’étendre à 10% du territoire.

Selon le gouvernement malgache, il existe aujourd’hui 127 aires protégées couvrant 7 millions d’hectares. Cela reste bien en-dessous des objectifs d’Aichi de 17% mais respecte les objectifs de Madagascar de 10% en 2025.

Cependant, l’efficacité de la protection offerte reste discutable. La déforestation reste importante dans un pays qui dépend du bois pour tout, que ce soit pour la construction ou le bois de chauffage et avec une population grandissante empiétant sur les forêts pour l’agriculture. Les aires protégées restent ainsi menacées par la pratique traditionnelle de l’agriculture sur brûlis.

La protection des grandes aires de biodiversité repose sur un système complexe, puisqu’elle est sous-traitée aux ONGs locales et internationales, un organisme semi-public également dépendantes des financements étrangers ou privés.

« Seules les aires protégées pourront sauver les espèces menacées de Madagascar » dit Jonah Ratsimbazafy, primatologue malgache et président de la Société internationale de primatologie. Cependant il met en garde sur les règlementations éphémères qui ne leur accordent qu’une protection ad hoc temporaire, et non une protection durable permanente seule à pouvoir ralentir l’érosion de la biodiversité.

« Les lémuriens sont toujours chassés. Leurs habitats continuent de disparaitre drastiquement et, la déforestation et l’extraction minière persistent dans les zones protégées » dit Ratsimbazafy.

L’exploitation des mines par les populations locales tout comme la destruction systématique pour établir des mines à grande échelle restent préoccupante. Depuis 2000, plus d’un tiers des permis environnementaux ont été accordés par le ministre de l’environnement à des projets miniers.

Malgré tout, les données montrent que les zones protégées ont permis de limiter la déforestation et représentent des îlots de protection pour des espèces endémiques à Madagascar voire pour certains types de forêts.

Glisser sur les zones marines

Baie d’Antongil, Madagascar. Image de Rhett A. Butler

Madagascar est la quatrième plus grande île au monde, avec 4 800 kilomètres de trait de côte. Pour atteindre les objectifs d’Aichi, Madagascar doit étendre les zones protégées à 10% de son territoire maritime et côtier. Mais le pays est en retard avec seulement 1% des 1,2 million de kilomètres carré actuellement protégé par la loi malgache.

Selon le rapport de 2019 du gouvernement, il existe extrêmement peu d’études sur les espèces marines et aucune stratégie nationale ni plans d’actions pour la conservation de ces espèces n’a été élaboré.

« Le gouvernement malgache a besoin de davantage de ressources et de capacité pour accroitre la zone marine protégée, ou ZMP, » dit Alasdair Harris, fondateur de Blue Ventures, une association caritative britannique œuvrant à Madagascar. Celle-ci travaille sur les zones marines de conservation en lien avec la réduction de la pauvreté.

Le parc national de Madagascar (PNM), un organisme semi-public qui supervise les zones protégées, gère une zone maritime d’environ 2 000 km², dont la majorité correspond au prolongement de zones terrestres protégées. Même si l’étendue des ZMP reste limitée, Madagascar a vu une hausse des aires marines gérées localement (AMGL). Ce statut permet de gérer les ressources maritimes de façon durable au profit des communautés et de créer les conditions favorables pour permettre aux populations d’espèces menacées de se reconstituer.

La zone marine de Velondraike sur la côte Sud-Ouest de Madagascar a été crée en 2006 avec l’aide de Blue Ventures. Il s’agit de la première aire marine gérée localement (AMGL), pour laquelle les communautés locales ont été consultées et des activités de sensibilisation ont joué un rôle important.

« Pour comprendre la gestion du milieu marin à Madagascar durant cette période, il ne faut pas s’arrêter aux objectifs d’Aichi relatif aux AMP » dit Harris. « Les initiatives communautaires d’”aires marines gérées localement” se sont rapidement multipliées sur le littoral et couvrent aujourd’hui plus de 19% des fonds marins de l’île ». Nombre d’entre elles ne répondent pas encore aux critères de l’UICN pour les zones protégées, et ne sont donc pas incluses dans les rapports de Madagascar sur les objectifs d’Aichi.

Malgré cela, Harris pense que les AMGL peuvent aider à atteindre les objectifs de conservation car elles sont peu coûteuses et bénéficient du soutien des communautés. « Les populations locales les soutiennent et sont beaucoup plus susceptibles de respecter les règles, puisque leur conception et leurs stratégies de gestion mettent les intérêts locaux au premier plan », dit-il.

Toutefois, les initiatives communautaires ne peuvent avancer qu’avec un système de protection fort. Aujourd’hui, elles n’ont pas suffisamment de ressources et ne sont pas toujours en mesure de faire respecter les règlements qui régissent traditionnellement leur usage. L’arrêt de l’industrie à grande échelle qui entraîne une exploitation à outrance et une dégradation de l’environnement nécessitent également un État fort, ce qui n’existe pas actuellement à Madagascar.

Le tourisme : Un chemin incertain vers la conservation

Une vue aérienne de l’allée des Baobabs dans l’ouest de Madagascar. Image de Rhett A. Butler.

Profitant d’une certaine stabilité politique, le gouvernement malgache a décidé de se tourner vers le tourisme pour financer et promouvoir la préservation de l’environnement. L’objectif était de faire passer d’environ 200 000 en 2015 à 500 000 le nombre de visiteurs annuels d’ici 2019 et d’ainsi générer 1,4 milliard de dollars de recettes dans ce secteur. Il espérait alors que 190 000 touristes étrangers visiteraient les parcs nationaux et les zones protégées. En réalité, on estime que seul 375 710 touristes sont venus sur l’île en 2019.

Le tourisme axé sur la biodiversité ne semble fonctionner que dans certains endroits. Le parc national de Ranomafana, dans le sud-est de Madagascar, qui est géré par le MNP avec l’aide du centre de recherche ValBio (CVB) de l’université Stony Brook, est l’un de ces endroits. « Le parc national de Ranomafana rapporte 2 à 3 millions de dollars par an à la région avec des guides touristiques, des hôtels, des restaurants, de l’artisanat, des salaires pour la recherche, des projets de recherche, des soins de santé PIVOT », a déclaré M. Wright, qui dirige le CVB. Le parc, qui compte 12 espèces de lémuriens, est facilement accessible en voiture depuis la capitale Antananarivo et bénéficie d’un flux constant de chercheurs se rendant au CVB.

« Si l’on parle de développer le tourisme, cela signifie également qu’il faut améliorer la sécurité, les transports », a déclaré M. Ratsimbazafy. « Je pense que Madagascar peut développer très rapidement son économie en améliorant ses infrastructures et en investissant dans le tourisme et la promotion de sa biodiversité exceptionnelle ».

Reste à voir si cette poussée du tourisme alimente réellement les efforts de conservation. « Bien que la promesse du tourisme soit énorme, elle offre un potentiel limité pour s’attaquer aux moteurs de la perte de biodiversité dans les zones protégées éloignées et loin des sentiers touristiques », a déclaré M. Harris.

Image de la bannière : Un Propithèque de Verreaux (Propithecus verreauxi). Image de Rhett A. Butler

Malavika Vyawahare est rédactrice pour Mongabay. Retrouvez-la sur Twitter: @MalavikaVy

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(*Note de l’éditeur : Cet article a été mis à jour pour répondre à des commentaires sur la contribution des zones marines protégées aux objectifs d’Aichi. )
 

Article original: https://news.mongabay.com/2020/03/madagascar-off-pace-to-meet-aichi-targets-which-is-bad-news-for-the-world/

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