Nouvelles de l'environnement

Madagascar : les oiseaux d’une oasis de la capitale menacés par la pollution

  • Le parc de Tsarasaotra, en plein centre-ville d’Antananarivo est l'un des derniers refuges de l'avifaune aquatique des Hautes Terres de Madagascar.
  • Le parc est le premier site privé à être classé zone humide d’importance internationale par la convention RAMSAR.
  • L’urbanisation accélérée de la capitale dégrade la biodiversité du parc et met les oiseaux en danger.

ANTANANARIVO, Madagascar — À 4 kilomètres (2,5 miles) du centre-ville d’Antananarivo, le parc de Tsarasaotra a toujours été un havre de paix dans la capitale. Il est le premier site privé à avoir obtenu le titre de zone humide d’importance internationale par la convention RAMSAR. Cependant, le développement de la capitale avec ses 1.6 million d’habitants représente une grave menace pour le parc et ses oiseaux.

À la fin de XIXème siècle, Emile Ranarivelo, un industriel malgache passionné de nature, acheta la propriété bordée de murs au petit-fils d’un Premier Ministre de la Reine Ranavalona III. La famille Ranarivelo détient toujours la propriété et la gestion du parc, celui-ci étant un site de “birdwatching” très prisé des ornithologues et des chercheurs universitaires du monde entier.

Ecrin de verdure de 27 hectares (66 acres) en pleine ville, il est l’un des derniers refuges de l’avifaune aquatique des Hautes Terres de Madagascar. Le site regroupe deux lacs, des ilots et une petite forêt d’eucalyptus. On y recense 49 espèces d’oiseaux. Certains ont élu domicile, d’autres sont de passage et des oiseaux migrateurs viennent s’y reproduire.

De gauche à droite : Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis), Crabier blanc (Ardeola idae), Héron de Humblot (Ardea humbloti), dit aussi Héron de Madagascar. Image de Herinjaka Rakotomamonjy.

Des espèces comme la Bergeronnette malgache (Motacilla flaviventris) – endémique à Madagascar – et le Héron crabier blanc (Ardeola idae), une espèce menacée d’extinction, ont trouvé là un refuge. Croyant qu’après plusieurs années, le Héron crabier blanc n’allait pas revenir se reproduire dans la région, les scientifiques ont été surpris de retrouver les oiseaux dans le parc, d’après Jean-Yves Ranarivelo – dit Joda – administrateur du site. « Nous sommes très fiers de pouvoir les protéger, » il declare. En effet, le Héron crabier blanc se reproduit uniquement à Madagascar et sur les îles Europa et Aldabra.

Le parc est également l’un des seuls endroits à Madagascar où l’on peut observer les Aigrettes dimorphes (Egretta dimorpha) et Hérons garde-bœufs ou Pique-Bœufs (Bubulcus ibis) piétinant le sol. On peut aussi y voir plus d’une centaine de couples de Grandes Aigrettes (Ardea alba) nichant en haut des eucalyptus.

Situé au cœur de la zone stratégique et économique d’Antananarivo, notamment l’axe Ankorondrano – Soavimasoandro, le parc n’échappe pas à la frénésie de la capitale. Chaque jour, des milliers d’automobilistes pare-choc contre pare-choc longent ses murs pour rejoindre les entreprises qui pullulent dans le quartier. Aux heures de pointes, il faut parfois plus d’une heure pour parcourir cette route de seulement 3 km.

L’atmosphère de la ville devient difficilement respirable

Globalement, Antananarivo enregistre un très haut niveau de pollution atmosphérique. Selon l’Initiative pour le Développement, la Restauration écologique et l’Innovation (INDRI), un think-and-do-tank malgache, les particules grossières PM10 s’élèvent à 157 microgrammes par mètre cube (µg/m3), ce qui est largement au-dessus des limites recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui sont de 20 microgrammes par mètre cube (µg/m3).

Nuée de Canards de Meller (Anas melleri) sur le lac entouré d’une forêt subhumide. Image de Herinjaka Rakotomamonjy.
Au premier plan, nuée de Canards de Meller (Anas melleri). Au second plan, de gauche à droite : Bergeronnette malgache (Motacilla flaviventris), Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis). Image de Herinjaka Rakotomamonjy.

La pollution de l’air va jusqu’à créer une couche d’épais brouillard planant sur la ville. « À cause de la fumée des voitures et des industries, les feuilles de nos arbres noircissent, » explique Ranarivelo. « Cela nuit au bien-être et à la santé des oiseaux. Plus on s’enfonce dans le parc, plus les arbres sont propres et les oiseaux protégés. Mais il ne s’agit que d’une protection précaire. » ajoute-t-il.

En effet, les particules rejetées par le trafic automobile sont très toxiques pour tous les êtres vivants. L’UNICEF estime que plus de 20 % des décès à Madagascar, soit un décès sur cinq, est causé par une exposition à la pollution. « [Comme] les oiseaux respirent aussi l’air chargé de particules toxiques. Il est fort possible que leur santé soit aussi affectée. » explique Félix Razafindrajao, responsable scientifique des oiseaux aquatiques chez Durrell Wildlife Conservation Trust.

Le plastique fait des ravages

Le parc se situe au centre d’une cuvette entourée de plusieurs quartiers urbains. Les eaux usées des logements voisins, chargées de plastique et d’autres produits nocifs se jettent dans le lac. Ranarivelo déplore que malgré les filtres installés par le parc, « certains passants jettent clandestinement et délibérément leurs ordures. Dans le voisinage, ils osent même détruire les filtres pour que leurs eaux sales circulent librement. »

Le plastique est un grave danger pour les oiseaux. Des études ont démontré que le plastique peut tuer les oiseaux car il leur procure une impression de satiété et ils s’arrêtent de manger.

Le lac principal du parc de Tsarasaotra et son ilot. Image de Herinjaka Rakotomamonjy.

En général, la zone tampon d’un parc protège la zone intérieure, source de nourriture pour les animaux. Le parc de Tsarasaotra est presque dépourvu de zone tampon. Ceci oblige les oiseaux à se déplacer pour se nourrir. « Les invertébrés et les crustacés, dont les oiseaux se nourrissent, peuvent disparaître si le lac est pollué par des produits chimiques. » ajoute Razafindrajao. En effet, les animaux du lac sont très sensibles au changement d’acidité.

« Nos oiseaux doivent voler et chasser dans les rizières et les étangs en dehors du parc ou en périphérie de la ville, » déclare Ranarivelo avec tristesse. « [Mais] à cause de l’urbanisation et des remblaiements toujours plus nombreux, on ne sait ni où ni comment ils vont réussir à se nourrir plus tard. »

Le système de filtration d’eau dans le parc de Tsarasaotra. Image de Herinjaka Rakotomamonjy.
Jean-Yves Ranarivelo, administrateur du parc de Tsarasaotra. Image de Herinjaka Rakotomamonjy.

Les oiseaux ne s’entendent plus chanter

Les nuisances sonores de la ville peuvent avoir des répercussions sur la santé des hommes et des animaux. Chez les oiseaux, l’impact du bruit se manifeste par des troubles de la reproduction et une plus grande vulnérabilité face aux prédateurs.

« Dans notre quartier, l’église de Soavimasoandro sonne les cloches à partir de 5H20 du matin, avant le lever du soleil, » explique Ranarivelo. « Cela réveille les oiseaux du parc trop tôt. » Le cycle de sommeil des oiseaux est perturbé et ils ne s’entendent plus chanter à cause des bruits alentours.

« Les vibrations des villes peuvent aussi affecter le comportement des oiseaux, » poursuit Razafindrajao. « Cela peut les pousser à migrer. Il est fort possible que cela aille jusqu’à affecter leur capacité de reproduction. »

Au désespoir des amoureux de la nature malgache, le développement d’Antananarivo détériore chaque jour davantage l’écosystème unique du parc de Tsarasaotra. Ranarivelo garde l’espoir vif de le préserver. Il met tout en œuvre pour rendre les systèmes de filtration d’eau plus efficaces, replanter les eucalyptus qui abritent les oiseaux et collaborer avec le voisinage pour que la nature et la ville puissent tout simplement coexister.

Deux Aigrettes dimorphes (Egretta dimorpha), une au plumage sombre et l’autre au plumage blanc, photographiées sur l’île de Nosy Ve, au Sud-Ouest de Madagascar. Image de Charles J. Sharp via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Image de bannière:  La Bergeronnette malgache (Motacilla flaviventris) – endémique à Madagascar – s’observe dans le parc de Tsarasaotra. Image de Heinonlein via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Rédigé par Valisoa Rasolofomboahangy. Edité par Valentine Charles.

Correction 7/1/20: Cet article a été mis à jour pour refléter le fait que l’Héron crabier blanc ne se reproduit qu’à Madagascar et sur les îles d’Aldabra et d’Europa. Une version précédente indiquait à tort qu’elle n’existe que là-bas. Cet article a aussi été mis à jour pour refléter le fait que cette espèce était cru de ne plus se reproduire dans la region. Elle jamais était cru “complètement éteint,” comme une version précédente a cité Jean-Yves Ranarivelo disant en erreur. Nous regrettons les erreurs.

Correction 7/2/20: Cet article a été mis à jour pour corriger l’assertion en erreur que la Bergeronnette malgache est menacée d’extinction.

 

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