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Le COVID-19 va nuire au financement en faveur de la conservation à Madagascar : Questions-réponses avec la ministre Vahinala Raharinirina

  • Il est de plus en plus à craindre que la crise du COVID-19 affaiblisse les efforts de conservation partout dans le monde, en particulier dans les pays en voie de développement.
  • Cette inquiétude est vive à Madagascar, l’une des nations les plus pauvres au monde, qui dépend fortement des fonds étrangers pour mettre en œuvre les programmes de conservation.
  • La disparition des revenus du tourisme à court terme, le tarissement potentiel de financements internationaux et l’appauvrissement croissant au cours des mois et des années à venir pourraient gravement mettre en danger la biodiversité unique de Madagascar, a confié à Mongabay la ministre de l’Environnement.

Alors qu’Internet regorge d’histoires positives sur la liberté retrouvée des animaux en l’absence des hommes, il est de plus en plus à craindre que la crise du COVID-19 affaiblisse les efforts de conservation partout dans le monde. Cette inquiétude est particulièrement vive dans les pays en voie de développement. Madagascar, l’une des nations les plus pauvres au monde, et par ailleurs un haut lieu de biodiversité, dépend fortement des fonds étrangers pour mettre en œuvre ses programmes de conservation.

La pandémie du COVID-19 a ravagé des communautés et fermé des économies, mais les agences internationales ont mis en garde que le pire pourrait encore être à venir. Le Fonds Monétaire International estime que les pertes économiques mondiales vont s’élever à des trillions de dollars, et les Nations Unies nous ont alertés cette semaine que la pandémie pourrait engendrer des famines de « proportions bibliques ».

La ministre de l’Environnement de Madagascar, Baomiavotse Vahinala Raharinirina. Image du ministère de l’Environnement et du Développement durable de Madagascar.

Pour Madagascar, les répercussions économiques pourraient être bien pires que la maladie elle-même. Le pays a signalé ses 19 premiers cas de COVID-19 le 20 mars, et annoncé un état d’urgence sanitaire le lendemain. Dès le 24 avril, il avait fait état de 122 cas et d’aucun décès, sur une population de 26 millions d’habitants. Mais la pandémie signifie la disparition des revenus du tourisme à court terme, et le tarissement potentiel des financements internationaux, ainsi qu’un appauvrissement qui va s’aggraver au cours des mois et années à venir.

Pour comprendre l’impact potentiel de la crise sur les efforts de conservation dans cette île nation, et comment le pays se prépare à y fait face, Mongabay a contacté par e-mail la ministre de l’Environnement de Madagascar, Baomiavotse Vahinala Raharinirina. Voici des extraits de l’interview traduite et éditée.

Mongabay : Comment la pandémie et les restrictions qui en résultent vont-elles affecter le réseau des aires protégées de Madagascar ?

Baomiavotse Vahinala Raharinirina: Les mesures prises pour mettre en œuvre l’état d’urgence sanitaire proclamé par le gouvernement ont abouti à un ralentissement des services administratifs. Encouragées par la clôture administrative, les communautés rurales vont certainement exercer une pression sur les aires protégées et la biodiversité. Ainsi, le risque de non-respect des lois concernées ira croissant, et par là même, il y aura une augmentation des délits et des crimes environnementaux.

Deuxièmement, les cas de corruption ont tendance à augmenter pendant et après la période de ralentissement administratif. Les produits forestiers illégaux pourraient envahir les marchés ; ceci bénéficierait aux criminels, au détriment des communautés locales, des aires protégées et de la biodiversité. Par ailleurs, l’exode rural et les besoins familiaux y afférent pourraient endommager la durabilité des stocks de plantes médicinales. Récemment, la collecte et le commerce d’organes variés de ces plantes (tiges, branches et feuilles) ont suscité l’enthousiasme de la population.

Une falculie mantelée vanga (Falculea palliata), espèce d’oiseau endémique de Madagascar. Image de Rhett A. Butler.

Par ailleurs, l’exode rural pourrait mener à une propagation des incendies. La réactivation des anciennes jachères ou la création de nouvelles parcelles de cultures présente un risque accru d’incendies naturels à l’intérieur et autour des aires protégées. Le risque de propagation d’incendie est également accru par les alizés. En outre, les efforts visant à surveiller et corriger les actions de reforestation vont être réduits, ce qui aura une incidence sur la conservation et les aires protégées. La plupart de la population malgache ignore les lois relatives à la biodiversité et aux aires protégées et ainsi, ignorent les pratiques durables ou n’en est pas consciente.

Y a-t-il eu une augmentation des activités illégales environnementales comme l’exploitation forestière, le braconnage et l’exploitation minière ?

Nous avons immédiatement compris que ces mesures visant à mettre en œuvre l’état d’urgence impacteraient la biodiversité et les ressources naturelles de Madagascar. Par conséquent, nous avons tout de suite ordonné la fermeture de toutes les aires protégées. Nous sommes en train de développer des groupes de travail collaboratifs destinés au maintien de l’ordre public au niveau régional pour lutter contre la perte de biodiversité en adoptant une tolérance zéro pour les crimes graves. Par conséquent, les signalements de violation se sont multipliés. Un grand nombre de cas ont été signalés, et les contrevenants ont été mis en détention. Par exemple, nous avons remarqué des cas répétés dans la région de Boeny au nord-ouest (collecte et transport illégal de bois depuis les forêts primaires, chauffage au charbon de bois dans les aires protégées), dans la région d’Atsimo Andrefana (transport illicite de bois), et celle de Menabe (feux, collecte et transport illégaux de bois) ainsi que dans certaines localités de l’est de Madagascar (collecte et transport illégaux de bois). Nous avons adopté une tolérance zéro vis-à-vis du trafic de bois depuis les forêts primaires, ce qui implique par ailleurs de la corruption dans certains cas. Nous avons aussi détenu des délinquants ayant un lien avec des incendies.

Un caméléon panthère (Furcifer pardalis). Image de Rhett A. Butler.

La plupart du financement pour la gestion des aires protégées de Madagascar provient de gouvernements étrangers, d’agences intergouvernementales et d’ONG étrangères. Le COVID-19 met-il en danger ce financement ?

Madagascar possède 144 zones protégées, dont 46 sont gérées par Madagascar National Parks (MNP – Parcs nationaux malgaches), 92 par des organisations non gouvernementales et 15 sous la surveillance du ministère de l’Environnement et du Développement durable.

En ce qui concerne le financement, les aires protégées de Madagascar peuvent être principalement classées en deux types : les aires protégées établies avant 2005, qui bénéficient d’un soutien financier de la part de bailleurs et de partenaires impliqués de longue date dans le domaine de la protection de l’environnement : le gouvernement français, le gouvernement allemand et la Banque mondiale. Ces aires sont actuellement cogérées avec MNP ; toutes les aires protégées de Madagascar demeurent propriété nationale.

Dans la seconde catégorie se trouvent les NPA (new protected areas ou nouvelles aires protégées), établies dans le cadre du Durban Vision Durban 2003, qui dès 2007, ont bénéficié du soutien de la Fondation pour les Aires protégées et la Biodiversité de Madagascar ou FAPBM. La FAPBM est le fruit d’une initiative du gouvernement malgache, qui a initialement bénéficié du soutien de Conservation International et du WWF. Elle finance actuellement plus de 40 aires protégées, avec un capital de 75 millions de dollars. Ce soutien renforce le financement, international pour la plupart, auquel leurs promoteurs avaient accès lors de la mise en œuvre et de la protection temporaire de 2006 à 2015. Les promoteurs des NPA sont des ONG actuellement déléguées en tant que gestionnaires de NPA particulières. Certaines aires protégées gérées par les MNP bénéficient également du soutien de la FAPBM.

Le capital de la FAPBM est placé sur le marché financier, à partir duquel le revenu est généré. Toute léthargie du marché financier international aura, tôt ou tard, des répercussions sur les revenus et, par là même, des effets néfastes sur les ressources que la FAPBM peut affecter aux aires protégées.

Un lémurien Propithèque, ou Sifaka, de Coquerel (Propithecus coquereli) avec son petit. Madagascar abrite plus de 100 espèces de lémuriens, les primates endémiques de l’île nation. Image de Rhett A. Butler.

Certaines agences relevant du ministère de l’Environnement et du Développement durable reçoivent également des financements étrangers pour accomplir leurs fonctions essentielles. Le financement de ces agences et leur fonctionnement a-t-il été affecté ?

Les actions de conservation de Madagascar sont financées par différents canaux. Cette dernière semaine, les partenaires bilatéraux du pays, tels que l’Union européenne et l’agence allemande de coopération internationale (GIZ) ont discuté avec le ministère d’actions immédiates qui doivent être prises concernant les enjeux environnementaux et de conservation.

Dans le même temps, un grand nombre d’initiatives relevant de la convention internationale continuent à être mises en œuvre, bien qu’elles soient confrontées à la léthargie internationale qui prédomine. Citons comme exemples l’initiative REDD+ de la Banque mondiale ou le projet d’adaptation au changement climatique PRCCC exécuté par GIZ avec le financement de l’Union européenne et du gouvernement allemand. Divers projets dans le cadre du 7e soutien de la Global Environnement Facility sont également en phase d’approbation et d’élaboration.

Dans quelle mesure le pays dépend-il des revenus du tourisme pour financer ces efforts ?

À Madagascar, le rôle du tourisme dans la conservation de la biodiversité est appelé à évoluer. Selon le 6e rapport de la Convention sur la diversité biologique de Madagascar, l’objectif de 2019 était d’attirer 190 000 visiteurs dans les parcs et aires protégées du pays pour garantir un financement durable des actions de conservation. Ceci correspondrait à un total de 500 000 visiteurs au niveau national. Les statistiques pointent un total de 350 000 visiteurs pour 2019, ce qui implique un résultat mitigé en ce qui concerne le nombre de visiteurs. Il est important de souligner que les revenus du tourisme ne peuvent pas couvrir le coût total des actions de conservation dans les aires protégées gérées par les MNP, qui possèdent les infrastructures les plus importantes pour les activités d’écotourisme du pays.

L’allée des baobabs, l’une des destinations touristiques les plus emblématiques de Madagascar. Image de Rhett A. Butler.

Comment le tarissement des revenus du tourisme affectera-t-il la conservation ?

Tout d’abord, on assistera à une baisse des revenus, c’est-à-dire une réduction des ressources affectées aux actions de conservation, comme la mobilisation d’agents de patrouille. Deuxièmement, la baisse des activités touristiques, qu’il s’agisse de tourisme standard ou scientifique, réduira les revenus des familles. Les foyers seront alors tentés d’avoir recours à l’exploitation irrationnelle des ressources naturelles et pourraient entreprendre des activités illégales qui auraient des conséquences graves pour la diversité biologique. Ces activités incluent entre autres l’occupation et l’exploitation illégale et irrationnelle des ressources naturelles dans les aires protégées, la chasse d’animaux sauvages, le trafic d’espèces endémiques et protégées de flore et de faune, le défrichement et la transformation des habitats naturels en parcelles de cultures, la surpêche dans les zones du littoral, la fabrication illicite de charbon de bois ou l’exploitation minière. Les menaces seront potentiellement exacerbées par l’exode urbain déclenché par la pandémie du COVID-19.

L’absence d’actions concrètes va par conséquent déclencher une destruction environnementale, une dégradation de la pauvreté rurale et par conséquent, une perte importante de diversité biologique.

Quelles sont les conséquences à long terme de cette perturbation ?

Madagascar est actuellement en train de se diriger vers la reprise de ses activités administratives et socioéconomiques. Nous espérons vivement pouvoir juguler cette pandémie et de ce fait, nous sommes prêts à relever la difficulté de « Rendre Madagascar à nouveau verte ». Il est certain que la pauvreté de la population et les très bas niveaux de sensibilisation à l’environnement restent un défi. Tout en demeurant attentifs, nous espérons que la conjoncture associée au COVID-19 s’améliore et que des efforts seront mis en œuvre pour que le pays retrouve sa dignité sur les plans écologique et environnemental, qui ont tant impressionné les visiteurs étrangers.

Image de la bannière : un Microcèbe mignon (Microcebus murinus). Image de Rhett A. Butler.

Malavika Vyawahare est une rédactrice de Mongabay. Suivez-la sur Twitter : @MalavikaVy
 

Article original: https://news.mongabay.com/2020/04/covid-19-will-hurt-madagascars-conservation-funding-qa-with-minister-vahinala-raharinirina/

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