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En Afrique, la pêche industrielle illégale porte préjudice aux petits pêcheurs locaux

  • Une nouvelle étude montre que les flottes de pêche industrielle opérant dans les eaux territoriales des pays africains passent en moyenne 6 % de leur temps de pêche dans des zones réservées à la pêche artisanale.
  • Dans certains pays, ces flottes étrangères passent la plus grande partie de leur temps (plus de 90 % pour la Somalie) dans la zone interdite.
  • Les populations vivant le long des côtes africaines sont souvent dépendantes de la pêche comme ressource alimentaire et source de protéines.
  • Hélas, les incursions de grands bateaux de pêche industrielle, la forme la plus courante de pêche illégale dans la région, menacent la durabilité de ces ressources, créent des conflits et mettent parfois en danger la vie même des pêcheurs.

Le poisson est une ressource alimentaire et une source de protéines pour les populations de nombreux pays africains.. Mais l’augmentation du nombre de bateaux de pêche industrielle au large des côtes d’Afrique représente une menace pour cette ressource et pour les moyens de subsistance de ceux qui en dépendent, comme le confirme une récente analyse.

Dans une étude publiée le 30 décembre dernier dans la revue Fish and Fisheries, un groupe de chercheurs démontre que près de 6 % des opérations de pêche industrielle menées dans les eaux territoriales d’environ 33 pays et territoires africains le sont dans des zones réservées à la pêche artisanale par les populations locales. Dans certains pays, ce taux est bien plus élevé pour ce que les auteurs décrivent comme « la forme la plus courante de pêche illégale dans la région ».

Ces incursions menacent la stabilité des réserves de poisson, provoquent des conflits sur l’accès à cette ressource et mettent en danger la vie même des pêcheurs, selon Dyhia Belhabib, principale auteure de l’étude.

« En Afrique de l’Ouest, par exemple, 250 personnes meurent chaque année dans des collisions avec des bateaux industriels tout en étant dans leur zone de pêche artisanale », déclare dans un entretien Dyhia Belhabib, Responsable de recherche à l’ONG Ecotrust Canada. « Et c’est un chiffre énorme. »

Embarcations de pêcheurs sur une plage du Sénégal. Photo John C. Cannon/Mongabay.

L’étude s’appuie sur les données de la plateforme de recherche Global Fishing Watch, qui enregistre la position des bateaux de pêche grâce à leur système d’identification automatique embarqué, ou SIA. À l’origine, ce système a été conçu pour éviter les collisions entre les bateaux. Mais il est devenu depuis un outil indispensable pour les autorités et pour les organisations de protection de l’environnement afin de vérifier que les navires respectent la réglementation du pays dans les eaux duquel ils opèrent.

En 2018, les chercheurs ont développé un algorithme qui s’appuie sur les mouvements des bateaux de pêche dans les eaux et qui utilise les informations du SIA relayées par satellite pour savoir exactement où et quand ils remontent effectivement le poisson. Pour cette étude, Dyhia Belhabib et ses collègues ont comparé ces informations avec des cartes des eaux territoriales de chaque pays (ou zones économiques exclusives, ZEE) et avec les limites définies pour les zones de pêche artisanale. La plupart des pays et territoires de la côte africaine réservent une partie de leurs eaux pour les pêcheurs locaux. En général, ces réglementations interdisent toutes ou certaines formes de pêche industrielle dans une zone précise allant jusqu’à 44,4 kilomètres (24 miles nautiques) de la côte.

L’équipe a calculé l’effort de pêche déployé en kilowatt-heure en prenant en compte le temps passé en pêche et la taille des bateaux. Dans leur analyse des lieux de pêche entre 2012 et 2016, les chercheurs ont conclu que les plus grands bateaux ont prélevé un lourd tribut sur les zones de pêche artisanale de certains pays. Dans les eaux de la Somalie, par exemple, 93 % de la pêche industrielle a eu lieu dans une zone où la loi interdit l’accès à ce type de bateaux.

« C’est énorme, » commente Dyhia Belhabib. « Cela signifie qu’ils ne pêchent quasiment pas en dehors de la zone interdite. »

Chalutier géant lithuanien, à 30 miles des côtes mauritaniennes. Photo © Pierre Gleizes / Greenpeace.

L’équipe a également vérifié les noms et pays d’origine de chaque bateau en utilisant les données de Global Fishing Watch ainsi que les données officielles et les rapports de presse. L’analyse de ces données peut s’avérer compliquée, car les bateaux arborent parfois le pavillon d’un pays différent pour camoufler leur origine : un bateau chinois peut par exemple naviguer sous pavillon ghanéen. Mais les données ont montré que, après les pavillons de pays africains, ceux de la Corée du Sud, de l’Union européenne (pour la plupart grecs, espagnols et français) et de la Chine étaient les plus courants.

Dyhia Belhabib ajoute que les pays d’origine doivent prendre des mesures et sanctionner leurs navires reconnus coupables d’avoir enfreint la loi afin de remédier à ce problème de la pêche illégale, qui reste si souvent impuni.

« Le pays d’immatriculation d’un navire est pleinement responsable et se doit de rendre des comptes sur les actions de sa flotte dans ces eaux et partout dans le monde, » déclare-t-elle.

Pêcheurs à la senne en action à bord d’une pirogue artisanale au large des côtes du Sénégal, Kafountine, Casamance. Photo © Clément Tardif / Greenpeace.

La Responsable de recherche d’Ecotrust explique que chaque pays africain doit faire face à des difficultés qui lui sont propres, s’agissant de ses capacités de suivi, de son niveau de développement ou de sa volonté politique à faire appliquer la loi. Cependant, malgré les obstacles, plusieurs pays ont fait des progrès importants dans la protection de leurs pêcheries artisanales locales.

Madagascar a récemment mis fin à un accord qui aurait permis à 300 bateaux de pêche chinois d’opérer dans ses eaux. La Sierra Leone exige que les navires opérant dans ses eaux territoriales utilisent leur SIA et possèdent un permis. Enfin, des organisations comme le Comité des Pêches du Centre-Ouest du Golfe de Guinée ont pour objectif de garantir une pêche durable pour leurs États membres en Afrique de l’Ouest.

Néanmoins, il faut faire plus, insiste Dyhia Belhabib.

« En ce qui concerne l’engagement politique, il faut faire beaucoup, beaucoup plus pour pouvoir remédier au problème. »

Image de bannière : villageois à la pêche sur une plage de Maroantsetra à Madagascar, Rhett A. Butler/Mongabay.

Citations:

Belhabib, D., Cheung, W. W., Kroodsma, D., Lam, V. W., Underwood, P. J., & Virdin, J. (2019). Catching industrial fishing incursions into inshore waters of Africa from space. Fish and Fisheries. doi:10.1111/faf.12436

Doumbouya, A., Camara, O. T., Mamie, J., Intchama, J. F., Jarra, A., Ceesay, S., … Belhabib, D. (2017). Assessing the effectiveness of monitoring control and surveillance of illegal fishing: The case of West Africa. Frontiers in Marine Science, 4, 1–10. doi:10.3389/ fmars.2017.00050

Kroodsma, D. A., Mayorga, J., Hochberg, T., Miller, N. A., Boerder, K., Ferretti, F., … Worm, B. (2018). Tracking the global footprint of fisheries. Science, 359, 904–908. doi:10.1126/scien ce.aao5646

Article original: https://news.mongabay.com/2020/02/illegal-industrial-fishing-hampers-small-scale-african-fisheries/

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