Nouvelles de l'environnement

Détruire à un endroit, compenser à un autre : La compensation écologique est-elle efficace sur les enjeux sociaux et environnementaux ?

  • Le site de compensation de Bemangidy-Ivohibe a été créé par QMM (Qit Madagascar Minerals) dans le sud de Madagascar, une filiale du géant minier Rio Tinto, pour compenser la destruction des forêts littorales fortement menacées par l'activité minière.
  • Si les droits des personnes directement touchées par des projets de développement miniers sont reconnus dans une certaine mesure, ceux des communautés touchées par la création des sites de compensations (13 000 sites dans le monde) restent flous.
  • Les critiques affirment que QMM restreint l'accès à la forêt et aux ressources essentielles des communautés locales, les poussant à la famine. QMM affirme, au contraire, avoir sauvé la forêt d'une destruction certaine aux mains de ces mêmes communautés.
  • Il est très difficile de mesurer les bienfaits des sites de compensation sur la biodiversité en particulier sur le site de Bemangidy-Ivohibe qui est une forêt humide de plaine, un paysage différent de la forêt littorale rasée par QMM.

ANTSOTSO, Madagascar — Moussa Evariste, 53 ans, marche à travers des champs d’herbe qui étaient autrefois des forêts. Le terrain est sablonneux et épineux, ponctué par de minces ruisseaux. Il a parcouru ce chemin des centaines de fois pieds nus. Un gilet taché le proclame Polisin’ala : patrouilleur forestier.

Sur le site de Bemangidy-Ivohibe, Evariste effectue ses patrouilles sur les basses collines. La forêt doit son nom à la plante urticante hyacinthus cryptopodus appelé « mangidihidy ela » par la population locale, ce qui signifie « qui vous fait gratter pendant longtemps ». La forêt est maintenant devenue une source de conflit entre la communauté locale et QMM, une filiale du géant minier Rio Tinto.

Le village natal d’Evariste se trouve près de la limite de Bemangidy-Ivohibe à environ 60 kilomètres au sud d’Antsotso. C’est ce site que QMM a choisi pour compenser les dommages causés par leur activité minière. Les critiques affirment que QMM restreint l’accès à la forêt et aux ressources essentielles des communautés locales, les poussant à la famine. QMM affirme avoir sauvé la forêt d’une destruction certaine aux mains des de ses mêmes communautés.

La compensation écologique est un projet de conservation avec une certaine particularité. Lorsqu’un promoteur ne peut compenser les pertes nettes de la biodiversité sur le site de son projet, il mettra alors en œuvre des initiatives de compensation ailleurs afin de « contrebalancer » les impacts destructeurs. Aujourd’hui, on estime à 13 000 le nombre de projets de compensation de la biodiversité dans le monde. Si les droits des personnes directement touchées par des projets de développement miniers sont reconnus dans une certaine mesure, ceux des communautés touchées par la création des sites de compensations restent flous. De plus, il est très difficile de mesurer les bienfaits de ces sites de compensations sur la biodiversité.

« Dans de nombreux cas, on oublie l’impact que ces politiques ont sur les gens », explique Julia Patricia Gordon Jones, une scientifique en conservation à l’Université de Bangor, au Royaume-Uni, qui a travaillé une vingtaine d’années à Madagascar. « Les limitations de l’expansion des terres sont ressenties par les plus pauvres » ajoute-t-elle.

Madagascar est l’un des pays les plus pauvres au monde en matière de revenu par habitant et l’un des plus riches en matière de biodiversité, avec des taux d’endémisme élevés.

Un héritage pour nos enfants et les générations futures

Moussa Evariste, membre de la patrouille de la forêt d’Antsotso, montre la forêt Bemangidy-Ivohibe au loin. Photo par Malavika Vyawahare

Dans la région littorale du sud-est de Madagascar, se trouve la ville portuaire de Tolagnaro, anciennement connue sous le nom de Fort Dauphin. Sa dynamique économique sur le port d’Ehoala a été renforcé par QMM et la Banque mondiale. Le trajet de 60 km de Tolagnaro à Antsotso vers le nord dure cinq heures. Une première moitié relativement rapide jusqu’à la ville de Mahatalaky fait brusquement place à des pistes marécageuses, c’est la route nationale 12. La progression ralentie fortement jusqu’à plusieurs croisements de rivières, où les véhicules et les gens embarquent sur des barges qui les déposent sur la rive opposée. L’état de la route et dû au grand retard d’un projet financé par l’Union européenne qui visait à stimuler les marchés agricoles, notamment en construisant des routes. Cette nouvelle route n’a pas encore atteint Antsotso.

La NH 12 longe le site minier de QMM juste au nord de Tolagnaro. À l’intérieur des terres, à sa gauche, s’étendent les forêts sempervirentes des plaines de la zone protégée de Tsitongambarika, et à droite, le long de la côte, les restes fragmentés des forêts du littoral. Ces forêts uniques et particulièrement adaptées au développement sur sols sableux, s’étendaient autrefois sur des centaines de kilomètres le long de la côte, mais aujourd’hui, il reste moins de 10 % des forêts littorales d’origine.

Les sables minéraux qui bordent cette partie de la côte malgache sont riches en ilménite, extrait et exporté du port d’Ehoala par QMM vers le Canada. L’ilménite est transformée pour produire du dioxyde de titane, l’ingrédient du pigment blanc utilisé dans de nombreux produits, de la peinture au dentifrice. Mais pour atteindre le sable riche en minéraux, les forêts qui y poussent doivent disparaître. On estime que la concession minière de QMM détient 1 665 hectares de forêts littorales. Sur les images satellites, la tache sombre démarque la zone ou les bulldozers ont rasé les forêts pour exposer le sable du site minier.

Une vue satellite du site de QMM au sud de Madagascar.

Rio Tinto possède 80% des parts de la mine QMM, la deuxième plus grande mine de Madagascar, le gouvernement malgache possède le reste. La production a commencé en 2008 et devrait se poursuivre pendant au moins 40 ans. En 2004, un an avant la signature de l’accord minier, Rio Tinto a lancé sa politique d’impact positif net (INP), un engagement destiné à améliorer la biodiversité s’appuyant sur un partenariat avec l’ONG britannique BirdLife International. Birdlife soutient la stratégie de QMM autour du site minier d’ilménite et définit le projet de « site pilote » en raison du fort potentiel du statut de Madagascar en tant que zones à haute valeur de conservation.

La formulation de la stratégie pour atteindre un « impact positif net » sur les sites miniers de QMM nécessite une approche approfondie, afin d’obtenir une information de priorisation environnementale. Il est tout d’abord crucial d’éviter autant que possible les impacts destructeurs, sinon de réduire ceux qui n’ont pu être suffisamment évités. Une fois les impacts connus, il est essentiel de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits.

QMM a créé trois sites de compensation associés à sa mine, représentant au total environ 3,5 fois la superficie de forêt littorale qu’elle prévoit de détruire. Bemangidy-Ivohibe est la plus grande avec 4 000 ha (9 880 acres), puis la forêt de Sainte-Luce (500 ha) dans la zone protégée de Mandena et la forêt d’Agnalahaza de 1 500 ha. Dans la pratique QMM cherche à compenser toute forêt ou zone humide détruite par la conservation d’une autre forêt ou zone humide ailleurs. Il est donc important de mentionner que le site de Bemangidy, contrairement à la forêt de Sainte-Luce et d’Agnalahaza, ne permet pas une compensation équivalente, car c’est une forêt tropicale humide de plaine.

QMM finance l’ONG Asity Madagascar affilié à Birdlife International afin de gérer le site forestier de Bemangidy-Ivohibe. Cette forêt se situe au nord de la zone protégée de Tsitongambarika qui compte 60,000 ha (148,300 acres). La zone protégée créée en 2008 est sous protection permanente en vertu de la loi malgache depuis 2015. « Les mesures de protection misent en oeuvre à l’époque n’ont pas garanti la conservation de la forêt et un soutien approprié au développement des communautés voisines » explique Rio Tinto dans une déclaration pour expliquer pourquoi ce projet de compensation écologique se situe dans une zone protégée existante.

Ce modèle d’externalisation de la gestion du site de compensation par une ONG incite la société minière à ne pas assumer directement les responsabilités liées à ladite gestion. Rio Tinto n’a pas communiqué d’informations sur les financements fournis à Asity. Un rapport des ONGs World Rainforest Movement et Re:Common publié en 2016 a estimé que d’après le plan stratégique 2015–2019 pour le site de compensation 350 000 USD ont été débloqué. Le rapport indiquait que les communautés locales n’étaient pas impliquées dans ces négociations.

Le patrouilleur Evariste perçoit un salaire de 25,000 ariary ($6.80) par mois de l’ONG qui co-gère la forêt avec la communauté. Photo par Malavika Vyawahare

La société a ajouté dans sa déclaration que bien qu’elle ait financé les activités de conservation, « Asity est responsable de la mise en œuvre du programme de compensation ». Asity Madagascar, pour sa part, s’appuie sur les populations locales pour la sauvegarde des forêts. Elle co-gère la zone protégée de Tsitongambarika au sens large avec le comité KOMFITA (Community Forest Management), qui s’appuie sur 60 Communautés de Base (COBA), composées de locaux pour surveiller les forêts de Tsitongambarika. Quatre COBA patrouillent sur le site de Bemangidy-Ivohibe de QMM, dont celle d’Antsotso à laquelle appartient Evariste.

Avant que QMM n’acquiert le site en 2013, les locaux géraient le site différemment. Evariste fait partie des patrouilleurs depuis 1997, au temps où ils travaillaient encore avec le département des forêts de Madagascar. Aujourd’hui, un groupe de 4 patrouilleurs alterne les jours de garde dans la forêt. Leur journée débute à 8 heure du matin et se termine avant la tombée du jour en fin d’après-midi. S’ils soupçonnent du grabuge, les patrouilleurs s’arment de haches. Les gardes n’ont pas le pouvoir d’arrêter qui que ce soit ; ils ne peuvent que dénoncer les infractions à la COBA, qui ensuite remet les coupables présumés à la police locale.

Evariste nous dit recevoir 25,000 ariary ($6.80) chaque mois de la part d’Asity en compensation pour ce service rendu. En considérant que ce n’est pas un emploi à plein temps, c’est bien en dessous du salaire minimum à Madagascar qui était d’environ 170 000 ariary par mois (45 $) en 2018. Rio Tinto est l’une des trois premières sociétés minières au monde en matière de revenus, estimés à 40 milliards de dollars en 2018. Le PIB de Madagascar pour cette année-là était de 12 milliards de dollars.

La collaboration de longue date d’Evariste avec les patrouilles forestières lui a valu le surnom de colonel Charbon. Il pense que cela est dû à l’incessante chasse aux fabricants de charbon de bois. Les populations locales ont traditionnellement compté sur la forêt pour se procurer du bois de chauffage, des matériaux de construction, du bois pour fabriquer des pirogues, pour chasser et pour se nourrir. Mais la principale menace qui pèse sur la forêt provient de la pratique de la culture itinérante.

« Ce sera un héritage pour nos petits-enfants et les générations futures » a déclaré Evariste à propos de la forêt. « Si les parents continuent à couper la forêt, les petits-enfants en souffriront ».

« Cela nous pousse à la famine »

Le manioc est la culture de base dans cette région contrairement au riz qui pousse très mal dans les sols sablonneux malgaches. Photo de Malavika Vyawahare

Evariste pense que les 1600 locaux vivant à Antsotso ont été lésés dans la création des sites de compensations. Ayant perdu l’accès à la forêt et se trouvant maintenant confrontés à des restrictions sur leur pratique traditionnelle de l’agriculture itinérante, beaucoup luttent pour reconstruire leur vie et leurs activités génératrices de revenus. Pour leur offrir des alternatives, Asity a lancé des programmes visant à encourager les locaux à planter du poivre rose, à l’apiculture et à cultiver du riz. Seules quelques personnes bénéficient de ces activités, selon Evariste. « Les gens se plaignent d’Asity parce que les promesses ne sont pas tenues », dit-il. « Quand nous nous plaignons, cela provoque des conflits ».

Le programme visant à fournir des revenus alternatifs a débuté en 2016. Le programme sur le poivre semble fonctionner, mais ceux sur l’apiculture et la plantation de riz ne sont pas efficaces, selon Mbola Mampiray Miandrito, un chercheur de l’Université de Toliara. Le manioc est la culture de base dans cette région, le riz pousse très mal dans les sols sablonneux. Pour améliorer la qualité du sol, il faut ajouter du fumier, mais beaucoup de gens ne possèdent pas assez de zébus. Ce type de bétail malgache est considéré comme un signe de prospérité. Asity offre un microcrédit aux ménages souhaitant démarrer de tels projets mais en cas d’échec, ils n’ont pas les ressources nécessaires pour repartir à zéro, a déclaré Miandrito.

D’après Rio Tinto « les programmes s’implantent et progressent de manière satisfaisante ». La société a déclaré que la surface de culture du riz est passée de 20 ha en 2016 à 90 ha en 2019 (50 à 220 acres) ; que les programmes de microcrédit ont bénéficié à 288 personnes en 2019 ; et que 565 personnes ont été formées à d’autres activités comme le tissage et l’apiculture.

Faniry Rakotoarimanana, chef de projet à Asity Madagascar affirme que l’ONG n’empêche pas les gens d’entrer dans la forêt, mais qu’elle leur demande plutôt de l’aide pour la co-gérer. Il ajoute que certaines personnes critiquent injustement Asity parce qu’elle n’en fait pas assez, « lorsque nous lançons les programmes, il y a des gens qui veulent l’argent du beurre sans travailler ». « Malheureusement ces personnes éprouvent des difficultés à se reconvertir, ils agissent avec un esprit critique et primitif », a-t-il dit, faisant allusion aux pratiques traditionnelles des locaux en matière de chasse et d’agriculture itinérante. « Changer cet état d’esprit fait partie de notre défi ».

Certains militants poussent QMM à changer leurs pratiques en matière de compensation et n’approuvent pas les propos d’Asity au sujet des populations locales. Ils expliquent que les communautés locales sont inquiètes par rapport à leur situation précaire actuelle. « Ils ne demandent pas à retourner dans la forêt, mais ils veulent du matériel et plus d’argent pour créer et développer d’autres activités. Ils veulent une éducation et des formations car traditionnellement ils n’ont jamais cultivé de riz », a déclaré Miandrito.

Le frère d’Evariste, Monja Athanase, 61 ans, ancien adjoint au maire et maintenant maire de la commune de Iaboakoho où se trouve Antsotso, est également critique de l’accord. Pour lui, l’accent mis sur la riziculture est particulièrement inquiétant. « Nos ancêtres n’étaient pas habitués à faire cela, cela a entraîné la famine », a déclaré Athanase. « Trouver de la nourriture est la seule chose qui compte pour nous en ce moment ».

Monja Athanase explique ne pas avoir pu assister à l’assemblée générale annuelle de Rio Tinto car son visa a été refusé. Photo par Malavika Vyawahare

Evaluer les effets des sites de compensation

Les enjeux rencontrés sur le site de Bemangidy-Ivohibe ne sont pas anodins. « Les compensations pour la biodiversité souffrent des mêmes problèmes auxquels tout autre projet de conservation fait face dans des pays mal réglementés, et corrompu », explique Jones.

Jones a participé à une étude qui a évalué les impacts sociaux d’une compensation écologique pour l’une des plus grandes mines de nickel du monde, dans l’Est de Madagascar. La mine appartient à Ambatovy, une entreprise commune entre la société canadienne Sherritt International, la société japonaise Sumitomo Corp. et la Korea Resources Corporation (Kores).

L’activité minière d’Ambatovy devrait entraîner la destruction de 2 065 ha de forêt tropicale. Le site de compensation établi dans la forêt d’Ankerana en 2011, s’étend sur 6 800 ha et est censé contrebalancer la perte de biodiversité en freinant la petite agriculture qui rongeait Ankerana. L’objectif du site de compensation était d’assurer « aucune perte nette et de préférence un gain net de biodiversité » suite à l’exploitation de la mine, a déclaré la société dans un rapport. Le site est géré par l’ONG Conservation International.

L’équipe de recherche de Jones, composée de scientifiques britanniques et malgaches, a visité la région en 2014-2015. La plupart des habitants locaux que l’équipe a interrogés ont estimé que le projet du site de compensation écologique les avait laissés dans une situation plus que difficile. « Les personnes les plus impliquées dans le défrichement de la forêt étaient celles qui avaient le moins de chances de bénéficier des activités de soutien à l’agriculture, ce qui compromet l’efficacité du projet de compensation », indique l’étude, publiée en 2017.

Le tissage est un autre moyen de revenus alternatif pour les habitants d’Antsotso. C’est un travail difficile et peu rémunérateur. Photo par Malavika Vyawahare

Ambatovy a tenté de déterminer si sa gestion avait permis de freiner la déforestation sur le site de compensation. Dans une étude présentée par des employés de l’entreprise lors d’une conférence de l’Association pour la biologie et la conservation des tropiques (ATBC) à Madagascar en août dernier, on compare les taux de déforestation entre 2006 et 2010 avant la création des sites de compensation et entre 2011 et 2015. L’étude conclut que le site d’Ankerana a permis d’éviter la destruction de 325 ha de forêt au cours des quatre années qui ont suivi sa création. Cependant, d’autres données intéressantes se sont manifestées. Il est suggéré que la déforestation a été déplacée vers des zones situées en dehors de la forêt protégée : Les locaux continuaient à obtenir le bois dont ils avaient besoin en dehors du site de compensation.

« Le succès de l’engagement pour limiter la perte nette de biodiversité ne pourra être réellement mesuré qu’au moment de la fermeture, lorsque Ambatovy cessera ses activités minières et achèvera ses efforts de réhabilitation et le suivi de la biodiversité qui y est associé » a déclaré la société dans un communiqué. « Cependant, la compagnie a un large éventail d’activités de surveillance de routine qui observe la présence et l’absence d’espèces, ainsi que le développement d’autres mesures pour surveiller les tendances pertinentes ».

Giuseppe Donati, primatologue à l’université d’Oxford Brookes au Royaume-Uni, étudie les lémuriens dans la région de Fort Dauphin depuis une vingtaine d’années. Donati pense que l’intervention de QMM a contribué à préserver les fragments moins dégradés des forêts littorales. Oxford Brookes collabore avec Asity pour mener des recherches dans la zone protégée de Tsitongambarika. « Je suis l’un de ces chercheurs qui a vu la zone de conservation à Mandena en 1999, elle était sur le point d’être complètement abattue par l’exploitation forestière illégale et les fabricants de charbon de bois », a déclaré Donati. « Maintenant, la forêt est là. L’une des questions est de savoir quelle serait la situation si QMM n’avait pas été là ».

Un Lémur (ou Maki) à collier roux (Eulemur collaris). Photo par Rhett A. Butler

La société n’a pas communiqué de données sur les taux de déforestation du site de compensation et ses alentours ou sur la manière dont cela a affecté les populations d’espèces prioritaires. « À notre connaissance, il n’y a pas eu de compte rendus faisant autorité sur le schéma de déforestation du site de compensation de Bemangidy-Ivohibe et des zones avoisinantes » a déclaré Rio Tinto.

Si les données sur la déforestation sont plus faciles à collecter, il est difficile de définir quantitativement les pertes et les gains en matière de biodiversité et de les comparer. D’autant plus que le site de Bemangidy est censé compenser les pertes qui se produisent sur un autre type de forêt. Les forêts littorales que la mine détruit abritent une multitude d’espèces endémiques comme le lémurien roux à collier (Eulemur collaris), la grenouille arboricole à collier (Guibemantis annulatus) et le gecko diurne d’Antanosy (Phelsuma antanosy). Même si ces espèces se trouvent sur le site protégé de Bemangidy, celles-ci ne retrouveront pas d’environnement adéquat.

« Pour les lémuriens, cela fonctionne, mais pour d’autres groupes, cela fonctionne moins bien », a déclaré Donati à propos de la stratégie consistant à préserver les forêts humides de plaine comme Bemangidy pour compenser la destruction des forêts du littoral.

D’autres remettent en question les principes mêmes des projets de compensation, en particulier le rapport coût-bénéfice.

Par exemple, les gains en matière de déforestation sont mesurés par rapport à ce qui se serait passé si le projet de compensation n’avait pas existé. Supposons que le taux de déforestation passe de 10 à 15 % sur une certaine période et que le projet de compensation la limite à 13 %, cela serait quand même considéré comme un résultat positif même si la forêt est détruite en quelques années.

La zone protégée de Tsitongambarika est accessible par un trajet de 90 minutes en bateau, suivie d’une randonnée d’une heure à partir de la ville de Iaboakoho. Photo par Malavika Vyawahare.

« La compensation écologique n’est cependant presque jamais conçue pour soutenir la réalisation des objectifs nationaux ou sous-nationaux en matière de biodiversité qui visent à mettre un terme au déclin des espèces et des écosystèmes, ou à assurer le rétablissement de la biodiversité », selon une étude récente.

Pour préserver les forêts, il faut souvent sevrer les communautés des ressources forestières et les orienter vers d’autres activités. Le rapport 2016 du WRM et de Re:Common offre une évaluation cinglante du site de Bemangidy de Rio Tinto. Il déplore le manque d’alternatives pour les personnes touchées par le site de compensation et leur exclusion du processus décisionnel.

Un an après la publication du rapport, le maire de la commune a été invité par un groupe d’ONG locales et internationales à s’exprimer lors de l’assemblée générale annuelle de Rio Tinto en avril 2017. Son visa a été refusé par le Royaume-Uni, où se trouve le siège de la société minière. La raison invoquée par les représentants du siège social britannique serait qu’il n’était pas qualifié pour parler des droits de l’homme et des questions environnementales. Rio Tinto a nié tout rôle dans le rejet de son visa.

Cette exclusion des voix locales est inhérente à la manière dont les sites de compensations sont évalués, selon Jones. « On nous a dit qu’il n’y avait pas de financement supplémentaire car la déforestation visée par le projet était déjà illégale », a-t-elle déclaré à propos de leurs recherches sur la compensation écologique d’Ankerana d’Ambatovy. « S’ils s’attribuent le mérite du ralentissement de la déforestation, ils doivent reconnaître que les communautés avoisinantes se voient refuser l’accès à une ressource et que cela a un impact sur leur vie ».

‘L’ombre et la lumière’

Les habitants d’Antsotso dépendent de la forêt pour leur besoin de bois de chauffage. Photo par Malavika Vyawahare

Mais que se passera-t-il lorsque la mine fermera, ce qui pourrait se produire prochainement. Qu’en est-il du sort de la forêt si, d’ici là, les communautés n’en deviennent pas moins dépendantes. « Le plan de fermeture a pris en compte les sites de compensation. Comme il s’agit d’une zone officiellement protégée, le site de compensation de Bemangidy-Ivohibe restera géré par Asity à long terme », a déclaré Rio Tinto. L’entreprise n’a pas tenu compte du fait que le site perdrait leur financement et que l’inefficacité de la protection du site auparavant était l’une des principales raisons pour lesquelles Bemagidy-Ivohibe a été choisi comme site de compensation.

« Le plan de QMM est plein d’ombres et de lumières », a déclaré Donati. « Ce n’est pas un organisme de conservation, il y a des aspects qu’ils ont mieux gérés que d’autres ». Le financement de la mine pour les activités de conservation et la recherche est souvent cité comme un avantage dont ne bénéficient pas de nombreuses zones protégées à Madagascar. Le choix de travailler avec ou contre QMM a posé un véritable dilemme aux conservateurs et aux chercheurs.

Par ailleurs, QMM et par extension Rio Tinto, ne sont pas des organismes de conservation et leur implication ne se limite pas à un seul site de compensation. En 2016, confrontée à une demande d’ilménite faible et à des coûts d’exploitation du minerai en hausse, la société a abandonné sa politique d’impact positif net. Un comité de la biodiversité composé d’experts de la conservation mis en place dans le cadre de cette initiative a démissionné pour protester contre l’incapacité de l’entreprise à atteindre les objectifs de biodiversité et contre son brusque revirement de politique.

Certains tentent encore d’influencer l’entreprise dans l’espoir d’améliorer les résultats pour les populations et la biodiversité. « Si la communauté de la protection de la nature se contente de dire à la mine que « ce que vous faites est terrible », cela ne résoudra rien », a déclaré Jones. Avec l’aide d’autres experts, Jones a développé un ensemble de bonnes pratiques pour les projets qui appliquent des mesures d’atténuation, appelé « Assurer une perte nette nulle pour les personnes ainsi que la biodiversité ». Jones a déclaré qu’il est dans l’intérêt des entreprises d’écouter et de s’intéresser aux personnes sur lesquelles leurs projets ont un impact. « Lorsque de grands promoteurs planifient un projet, le risque social est une grande préoccupation. Si les gens sont mécontents, cela peut représenter un coût réel pour votre projet », a-t-elle déclaré.

S’il avait été autorisé à assister à la réunion de Rio Tinto à Londres, c’est ce qu’Athanase aurait pu dire : « En tant que partenaire, en tant qu’être humain, respectueux de l’effort de protection des forêts à Madagascar, et de la loi gouvernementale, nous leur demandons : Êtes-vous prêts à considérer notre mode de vie afin que nous ne soyons pas confrontés à la famine ? »

Citation:

Bidaud, C., Schreckenberg, K., Rabeharison, M., Ranjatson, P., Gibbons, J., & Jones, J. P. G. (2017). The sweet and the bitter: Intertwined positive and negative social impacts of a biodiversity offset. Conservation and Society, 15(1), 1-13. doi:10.4103/0972-4923.196315

 
Article original: https://news.mongabay.com/2020/02/raze-here-save-there-do-biodiversity-offsets-work-for-people-or-ecosystems/

Quitter la version mobile