Nouvelles de l'environnement

Les Seychelles étendent leur zone de protection marine à un espace égal à deux fois la taille du Royaume-Uni

  • L’archipel de l’océan Indien s’est engagé à protéger 400 000 km2 de son aire marine, soit environ 30 % de ses eaux territoriales.
  • Les défenseurs de l’environnement admettent qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais font aussi remarquer que le gouvernement va devoir relever un important défi : gérer efficacement un vaste réseau d’aires marines protégées (AMP).
  • L’échange « dette-nature » a permis au pays de restructurer sa dette souveraine et de mobiliser 21,6 millions de dollars pour financer la création des AMP et son adaptation aux changements climatiques.

Les Seychelles, archipel de l’océan Indien célèbre pour ses eaux turquoise, ses tortues géantes et ses magnifiques oiseaux, ont étendu leur zone de protection marine à 400 000 km2, soit un espace deux fois égal à la taille du Royaume-Uni. Cette expansion permettra au pays d’honorer son engagement envers la sauvegarde de 30 % de ses eaux territoriales.

« L’écosystème marin est ce sur quoi repose l’économie de l’île, avec la pêche et le tourisme comme principaux piliers de notre économie », a déclaré le président Danny Faure le 26 mars dernier lors de la signature d’un décret pour la création de 13 nouvelles aires marines protégées (AMP). « La sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des Seychellois dépendent directement des ressources de l’océan », a-t-il précisé.

La superficie totale de la zone terrestre des 115 îles composant l’archipel des Seychelles atteint seulement 460 km2, soit trois fois la taille de Staten Island à New York, mais la zone économique exclusive (ZEE), quant à elle, s’étend sur 1,37 millions de km2 d’océan, soit deux fois la taille du Texas. L’enjeu pour le pays est de parvenir à empêcher l’exploitation non durable de sa biodiversité, considérée comme son plus gros atout de vente.

Crédit photo : The Ocean Agency.

La création de nouvelles AMP a été facilitée par l’échange « dette-nature » proposé par l’ONG The Nature Conservancy (TNC), basée aux États-Unis. Le projet a vu le jour à la suite de la crise financière de 2008, lorsque le gouvernement des Seychelles s’est déclaré incapable de rembourser ses créanciers étrangers et a placé le pays en défaut de paiement sur sa dette souveraine. La restructuration de la dette vise à éviter ce défaut souverain en modifiant les conditions de remboursement. L’accord avec la TNC a permis au pays de libérer 21,6 millions de dollars de dettes souveraines, avec en contrepartie l’obligation d’accélérer la protection de ses ressources marines et d’instaurer des mesures d’adaptation pour lutter contre les changements climatiques.

Si des projets d’échange dette-nature ont déjà été utilisés dans le passé pour protéger les écosystèmes terrestres, principalement en Amérique Latine et dans les Caraïbes, il s’agit en revanche d’une première pour les aires marines. Près de la moitié des nouvelles AMP des Seychelles seront reconnues comme no-take zones, des zones où les activités économiques telles que la pêche, l’exploitation minière et le forage seront formellement interdites. Dans l’autre moitié, Zone 2, l’activité économique sera autorisée, mais soumise à des réglementations.

La biodiversité marine de l’île se trouve menacée par la surexploitation des ressources, la pollution terrestre, la dégradation de l’habitat résultant des opérations d’exploration et d’extraction de pétrole au large, ainsi que de la hausse des températures de l’océan.

Il est espéré que cette expansion sauvegardera les habitats, les sites de nidification des tortues marines en danger et la dernière population survivante de dugongs dans l’océan Indien, préservera les récifs coralliens et permettra au pays d’investir dans une pêche plus durable.

Différentes espèces de requins comptent parmi les bénéficiaires escomptés de ces efforts. La pêche aux requins est une pratique ancienne aux Seychelles, où l’on pouvait fréquemment observer des requins marteaux (appartenant à la famille des Sphyrnidae) et des requins-tigres (Galeocerdo cuvier)* jusque dans les années 1940.

Un récif corallien sain avec un requin à pointe noire nageant à proximité des côtes de l’île d’Arros, aux Seychelles. Photo de Byron Dilkes.

« Les requins occupent une position culturelle importante aux Seychelles, et je suis convaincu que les aires marines protégées constituent un outil essentiel dans le travail de conservation locale des requins », fait observer James Lea, directeur général de la Fondation Save Our Seas, une organisation suisse travaillant activement aux Seychelles. Lea a ajouté qu’il existait des preuves circonstancielles révélant les bénéfices des AMP dans la sauvegarde des espèces de requins : « L’atoll d’Aldabra est protégé depuis les années 1980 et possède une abondante faune marine, dont des requins. On y trouve notamment une large population de requins à pointe noire [Carcharhinus melanopterus] et de requins-citrons faucilles [Negaprion acutidens]. »

L’atoll d’Aldabra, deuxième plus grand atoll corallien au monde, est classé sur le site du patrimoine mondial de l’UNESCO et bénéficie du statut de réserve spéciale. Il représente un exemple à suivre en matière de conservation de la nature. Il abrite la plus grande population de tortues géantes au monde, ainsi que plus de 300 autres espèces d’animaux et de plantes. La réserve s’étend dans la mer, jusqu’à 1 km du rivage. Son emplacement éloigné et son historique de conservation ont permis de la préserver.

Une nouvelle AMP a maintenant été désignée autour de l’atoll dont les frontières à l’ouest s’étendent jusqu’à la ZEE de la Tanzanie, et au sud jusqu’à la ZEE de Madagascar. Il s’agit d’une des cinq AMP classées no-take zones (toute activité économique et commerciale y est formellement interdite).

En 2012, seul 0,04 % du territoire marin des Seychelles était inclus dans le réseau des AMP. En vertu de l’échange dette-nature conclu en 2015, le gouvernement a concrétisé la première étape de l’expansion du réseau des AMP en 2018 en déclarant 210 000 km2 d’aires marines AMP.

Convaincre pêcheurs et hôteliers

Crédit photo : The Ocean Agency

« Développer le réseau des AMP des Seychelles est essentiel et constitue la première étape dans la conservation de la biodiversité des Seychelles, mais ce n’est justement que la première étape », rapportent à Mongabay Rabia Somers et Vanessa Didon de la Société de conservation marine des Seychelles (MCSS, Marine Conservation Society Seychelles). « La conservation de la biodiversité des Seychelles dépend d’une multitude de facteurs, comme le respect des mesures mises en place, l’instauration de partenariats publics-privés et de modèles de gestion innovants », poursuivent-elles.

L’annonce a été finalisée après consultations, plus de 200 d’entre elles, menées sur six ans pour décider quelles aires seraient protégées et dans quelle mesure. Le principal enjeu pour le gouvernement et les ONG de conservation a été de convaincre les Seychellois dont les moyens de subsistance reposent sur les ressources marines que ces nouvelles mesures de protection leur seraient bénéfiques. L’adhésion du secteur de la pêche, à la fois artisanale et industrielle, et de l’industrie du tourisme sera cruciale pour le succès des AMP, estiment les experts.

Avec ses nombreuses îles transformées en lieux de villégiatures privés, les Seychelles accueillent et attirent très fréquemment des hôtes riches et célèbres, et même parfois des familles royales. Le prince William et Kate Middleton avaient par exemple choisi de passer leur lune de miel sur North Island, et George Clooney et Amal Clooney avaient eux aussi séjourné aux Seychelles après leur mariage.

« L’environnement est stratégique pour le produit touristique qu’ils offrent », explique à Mongabay Wilna Accouche de l’ONG locale Green Island Foundation. « Ils doivent veiller à ce que les activités touristiques ne nuisent pas à l’environnement », précise-t-elle.

L’ONG a contribué à assigner le statut d’aire protégée à une autre île privée, Denis Island. Si convaincre les hôteliers de l’importance de préserver les atouts les plus attrayants de leurs hôtels s’avère facile, Accouche admet qu’en revanche il est beaucoup plus difficile de leur faire reconnaitre que leurs activités terrestres menacent les écosystèmes marins. Ceci inclut la décharge de déchets, les activités de construction et les projets de réhabilitation pour la création d’îles artificielles.

Les communautés de pêcheurs maintiennent qu’ils ne sont pas les seuls à blâmer pour les disparitions d’espèces marines. La pêche récréative est en effet courante et non réglementée aux Seychelles et les stocks marins sont touchés de plein fouet par les hausses de températures et la pollution marine.

Selon Accouche, un problème majeur en matière de gestion efficace des aires marines repose sur le manque d’un rapport de confiance entre les communautés de pêcheurs et le gouvernement. Pendant des années, les pêcheurs se sont battus contre les restrictions imposées par l’État. Elle ajoute que les objectifs des nouvelles AMP ne pourront être atteints que si les pêcheurs admettent qu’il est dans leur intérêt de se plier à ces restrictions.

Pour minimiser l’impact des nouvelles protections sur les communautés de pêcheurs, certaines ONG comme la Société de conservation marine des Seychelles collabore avec des communautés pour créer des aires protégées temporaires qui autoriseront certaines activités à certains moments de l’année. Les plages des Seychelles servent de sites de nidification saisonniers pour les tortues vertes (Chelonia mydas) et les tortues imbriquées (Eretmochelys imbricata). « Les aires protégées temporaires permettent de limiter certaines activités durant certaines périodes critiques et également d’atténuer les menaces rencontrées par les tortues marines pendant la saison de nidification et d’éclosion, mais aussi le braconnage des femelles couveuses et les nuisances à la nidification et pour les nouveau-nés », rapportent Somers et Didon de la Société de conservation marine des Seychelles.

Accouplement de tortues vertes dans les eaux de la réserve d’Aldabra. Photo de James Lea.

Mise à exécution de la protection marine

Réglementer les activités dans la Zone 2 des nouvelles AMP, où les activités sont autorisées mais soumises à des réglementations sera plus difficile, mettent en garde les experts.

Le Centre national de coordination et de partage de l’information aux Seychelles (NISCC, National Information Sharing and Coordination Centre) collabore avec d’autres agences pour assurer à la fois un contrôle de la ZEE de l’île et une surveillance des AMP. L’agence va instaurer une planification de l’espace maritime sur cinq ans qui sera déployée l’année prochaine et couvrira non seulement les AMP mais également l’intégralité de la ZEE des Seychelles.

« Cette initiative sur cinq ans pourra inclure l’utilisation de davantage de méthodes innovantes pour le suivi des AMP, comme des satellites et des drones », rapporte Leslie Benoiton, à la tête du NISCC. « Le programme se concentrera également sur le développement des ressources humaines, des mesures de surveillance des AMP et de la sensibilisation des communautés », ajoute-t-il.

Une stratégie de très haute technologie aura toutefois un coût.

Les fonds sécurisés à travers l’échange dette-nature peuvent ne pas s’avérer suffisants pour garantir la protection des aires marines. Une gestion efficace et réussie d’un si vaste réseau d’AMP peut en effet nécessiter entre 75 et 106 dollars par km2 chaque année, selon les estimations du SeyCCAT, le fonds fiduciaire pour la conservation et l’adaptation aux changements climatiques des Seychelles (entité publique-privée indépendante créée pour gérer les recettes générées par la conversion de la dette en investissements écologiques). Dans le haut de la fourchette, il est estimé que le coût d’une gestion efficace de l’immense espace maritime aujourd’hui sous protection pourrait se chiffrer à environ 42 millions de dollars par an.

Crédit photo : The Ocean Agency.

Bien que le gouvernement seychellois dispose d’une réserve de fonds pour la gestion marine, ces derniers ne sont absolument pas suffisants, c’est pourquoi il cherche à obtenir des subventions et des prêts pour sécuriser les AMP. Afin d’assurer une coordination efficace entre les différentes agences engagées dans la surveillance du réseau d’AMP (création maintenant achevée), le gouvernement travaille à l’établissement d’une toute nouvelle institution, la Seychelles Ocean Authority. En complément, il considère imposer une taxe environnementale de 10 dollars sur les touristes – un petit prix à payer pour ceux en quête de quiétude dans un pays où vous pouvez tout à fait réserver votre propre parcelle de plage.

(Image de bannière : Une des petites îles rocheuses formant l’archipel des Seychelles. Crédit photo : The Ocean Agency)

Malavika Vyawahare est rédactrice pour Mongabay. Retrouvez-la sur Twitter: @MalavikaVy

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[* Note de l’éditeur : Cet article a été mis à jour en vue d’apporter des précisions sur les espèces de requins qui ont été aperçues au large des côtes des Seychelles.]

Article original: https://news.mongabay.com/2020/03/seychelles-extends-protection-to-marine-area-twice-the-size-of-great-britain/

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