Nouvelles de l'environnement

Le repeuplement de Mantella aurantiaca à Madagascar est un cas d’école à dupliquer

  • Espèce menacée d’extinction, la Mantella aurantiaca vit uniquement dans la partie orientale des Hautes Terres malgaches.
  • L’exécution du plan de sauvetage entièrement conçu par des nationaux a été soutenue par la compagnie minière Ambatovy et a amené l’association Mitsinjo à développer l’élevage en captivité depuis 2012.
  • La réintroduction dans la nature des spécimens élevés en captivité a été réalisée en 2017.
  • Tant d’aspects de l’interaction de cette espèce avec l’environnement sont encore à explorer en vue de parvenir à de nouvelles connaissances.

MANTADIA, Madagascar — En 2017, plus de 1 500 individus ont été réintroduits dans les marais de ponte près de la mine d’Ambatovy, dans l’est de Madagascar, une partie du programme de mitigation des impacts environnementaux de la mine. Les scientifiques ont réussi à élever des Mantella aurantiaca en captivité. Trois ans après, on attend avec impatience les résultats des études sur leur réintroduction dans la nature.

Endémique et menacée d’extinction, la M. aurantiaca est une espèce de grenouille vivant exclusivement sur le territoire de Moramanga. Celui-ci appartient à la partie orientale des Hautes Terres malgaches. La forêt de Mangabe, le marais de Torotorofotsy, une zone humide selon la Convention Ramsar, et la forêt d’Andriambondro Ambakoana – tous des aires protégées – sont reconnus comme des zones de concentration de cet amphibien. Du fait de sa localisation, le marais de Torotorofotsy est parmi les localités affectées par les activités minières d’Ambatovy. Des mesures de conservation s’imposent en effet.

Specimens de mantella élevés au Toby Sahona de l’Association Mitsinjo Andasibe, Moramanga. Photo: Rivonala Razafison.

Mobilisant environ 8 milliards de dollars durant au moins 29 ans, Ambatovy est le plus grand investissement étranger jamais réalisé à Madagascar. Avec une capacité de production de 60 000 tonnes de nickel raffiné et de 5 600 tonnes de cobalt raffiné par an ainsi que du sulfate d’ammonium, elle exploite un gisement s’étendant sur 1 600 hectares de forêt primaire. L’extraction est faite sur une profondeur comprise entre 20 et 100 mètres. Le défrichement des milieux riches en biodiversité est ainsi inévitable.

De ce fait, la compagnie est tenue de respecter de très strictes normes nationales et internationales en matière de protection de l’environnement et d’engagement social, conformément aux Principes de l’Equateur et aux Normes de performance de la SFI. « Ambatovy met en œuvre un programme de gestion environnementale caractérisé par un processus de hiérarchisation de la mitigation (évitement des impacts, minimisation, restauration et compensation) », souligne la compagnie.

Ambatovy s’est engagée à restaurer la forêt défrichée pour établir la mine, ainsi qu’à financer des projets de conservation et de développement pour compenser les impacts. Pour protéger certaines espèces, quelques zones ont été exclues du développement minier et une nouvelle zone protégée a été créée à Ankerana, à 70 km au nord-est de la mine.

Centre d’élévage Toby Sahona

Le développement d’Ambatovy et la destruction des habitats sont parmi les menaces pesant sur la M. aurantiaca. Le ravage du chytride signalé en Amazonie en 2011-2012 a représenté un autre danger encore plus grave. Le champignon menacerait la survie des toutes les espèces de grenouilles sur l’île de Madagascar.

De plus, la tendance de la conservation est, depuis 2010, au ciblage à la fois des espèces et de l’habitat, eu égard aux recommandations de la CBD.

« Nous avons cherché à transférer les animaux du milieu naturel vers le milieu artificiel. Nous avons estimé que, en cas d’extinction massive des espèces, la conservation ex situ ou dans les zoos serait le dernier recours », observe Gilbert Rakotondratsimba, expert en biodiversité. Tout bien réfléchi, le choix s’est porté sur l’association Mitsinjo qui gère un centre d’élevage baptisé Toby Sahona d’une superficie totale de 180 m² sur la station forestière de l’État (700 ha), à côté du parc national de Mantadia, une des quatre aires protégées phares du pays.

« L’association est née en 1999 grâce à un réseau de jeunes guides locaux. Notre site d’implantation est en location-gérance pour 30 ans depuis juillet 2007. Nous avons contribué à la restauration du corridor forestier Ankeniheny-Zahamena, à l’éducation environnementale, à la traduction en malgache du Field Guide Amphibian et à diverses manifestations touchant l’environnement. Voilà pourquoi le nom de notre association est bien connu un peu partout », confie à Mongabay Justin-Claude Rakotoarisoa, membre fondateur de Mitsinjo et project leader auprès de celle-ci.

Justin-Claude Rakotoarisoa, Project Leader de l’Association Mitsinjo et membre fondateur de celle-ci. Photo: Rivonala Razafison.

La collaboration en matière de M. aurantiaca entre Mitsinjo et Ambatovy est établie en 2012. Toutes les deux sont certes des collaboratrices de longue date pour la sauvegarde des espèces de lémuriens, d’oiseaux… Par ailleurs, le centre est soumis à un régime de contrôle régulier du MEDD avec l’ASG IUCN/SSC tous les trois mois, et d’Ambatovy tous les mois.

Des opérations de vérification méticuleuse précèdent toujours toute action sur le terrain. Pour Ambatovy, les zones à défricher sont systématiquement « fouillées » des années avant. Les spécimens présents sur un marais de ponte (MP) sont transférés à des MP potentiels, appelés marais récepteurs. Chaque année, les fouilles systématiques sont répétées jusqu’à ce que les intervenants soient sûrs que presque plus aucun individu ne se trouve sur le marais ciblé.

« La saison de reproduction, d’octobre à février, est la période favorable à la fouille. La M. aurantiaca est plutôt une espèce terrestre. Les populations vivent dans la forêt. Durant la saison de reproduction, elles sortent des litières pour aller rejoindre les MP », précise Gilbert Rakotondratsimba. En réalité, les 162 spécimens confiés à Mitsinjo en 2012 provenaient d’une dizaine des 38 MP répertoriés aux alentours du site minier d’Ambatovy.

Le groupe s’adapte bien aux nouvelles conditions. Le résultat obtenu a surpassé les prévisions. « Nous ne nous attendions pas au dynamisme de l’élevage ex situ », avoue Nirhy Rabibisoa. Le croisement des individus venant de MP différents, pour éviter le problème de sénilité et de consanguinité, a donné naissance à plus de 1 200 grenouilles en bonne santé en 2012-2013. Du coup, le centre se révèle trop petit pour contenir la cohorte. Cette dernière forme de fait les générations F1, selon le jargon génétique. Elles ont fourni les souches relâchées en avril 2017.

menacée d’extinction, la M. aurantiaca est une espèce de grenouille vivant exclusivement sur le territoire de Moramanga. Photo : Paul Albertella via Flickr (CC BY 2.0)
Menacée d’extinction, la M. aurantiaca est une espèce de grenouille vivant exclusivement sur le territoire de Moramanga. Photo : Paul Albertella via Flickr (CC BY 2.0)

Le nombre d’œufs par ponte varie de 50 à 200 dont 172 fertiles, selon les dires de Justin-Claude Rakotoarisoa. La moyenne du taux de fertilité est de 75 % pour les pontes de 90-100 œufs. De leur fertilité dépend la réussite de l’élevage et du repeuplement de l’espèce. « L’évolution des œufs portés par les femelles est fonction surtout de la qualité de la nourriture et des conditions ambiantes. Les mâles ne font qu’arroser les œufs avec leur sperme pour les féconder définitivement. » C’est plus facile à dire qu’à faire.

Donner à manger aux grenouilles requiert une grande abnégation et un grand savoir-faire. L’essentiel du travail concerne la préparation du repas. Puisque les insectes comme les drosophiles, les criquets, les collemboles font partie intégrante de la chaine alimentaire des amphibiens, l’élevage de nourriture vivante à l’aide de dispositifs spécifiques est indispensable. Les insectes, eux aussi, ont besoin de conditions qui leur sont vivables pour pouvoir rester en vie. Des dispositifs simples sont inventés pour réguler, selon les exigences, les températures des couveuses.

Les denrées à portée de main sont utilisées pour produire les aliments divers. Par exemple, une mixture de pommes de terre, de bananes, du sucre, du lait, de la levure… fait un très bon repas pour les drosophiles. Mais à chaque type d’insecte son régime alimentaire. Quand les criquets peinent à croquer un morceau de carotte, de chou, de courgette…, les humains se démènent pour trouver des solutions. Les insectes vivants se révèlent tout de même incomplets. Les grenouilles sont friandes de suppléments nutritionnels comme les vitamines à faire avaler par les insectes ou à mélanger à ces derniers.

Les quantités, les variations et les fréquences de repas jouent beaucoup. Comme la M. aurantiaca est de taille assez petite (2,5 cm de longueur au maximum), l’idéal est de nourrir une grenouille avec 5 à 10 bébés criquets de 2 mm de longueur. La suralimentation lui est mauvaise. La bonne dose demande à être respectée durant la saison de reproduction où le nombre de repas est limité à trois fois par semaine : tous les lundis, jeudis et samedis. Tout est revu à la baisse durant la phase d’hibernation.

Se plier volontiers aux exigences de la nature

Des détails a priori insignifiants, comme le nombre réduit de spécimens par enclos, sont observés afin de faire éviter le stress aux animaux. « Personne ne connaît le nombre exact d’insectes ingurgités par une grenouille en pleine nature, quel que soit son stade de développement. Il est alors important pour nous de produire le maximum de nourriture possible pour faire varier son repas », avoue à Mongabay Justin-Claude Rakotoarisoa.

Mantella aurantiaca en captivité au Toby Sahona d’Andasibe. Rivonala Razafison.

Les têtards, quant à eux, ont un besoin alimentaire différent. Ils sont nourris à la spiruline achetée à Moramanga, la ville la plus proche, et mélangée à de la poudre de crevettes. « On s’adapte. L’aliment spécifique pour eux n’existe pas chez nous. On le trouve uniquement aux Etats-Unis. Le centre en possède quelques boîtes grâce à des donations des visiteurs américains », se réjouit le project leader. À force de fréquenter les créatures à longueur d’années, les 11 personnes au service du Toby Sahona s’en sortent sans grande difficulté. « Ils sont tous formés sur le tas. Aucun d’eux n’a reçu de formation universitaire. C’est à eux au contraire de transmettre leur savoir aux chercheurs et aux étudiants qui viennent nous rendre visite ici de temps à autre », souligne le chef de file.

Un jour d’avril 2017, peu après la fin de la saison de reproduction et à la veille du début de l’hibernation, le moment était venu de transporter de bon matin les générations F1 de M. aurantiaca vers les sites de relâchement à Analamay, qui avaient été minutieusement inspectés avant le jour J. Tous les spécimens portaient sur eux un code couleur afin de faciliter leur suivi après coup. « J’avais personnellement peur de les voir périr en chemin – qui avait duré deux heures. Il n’y a eu heureusement qu’une seule victime », se souvient Gilbert Rakotondratsimba.

Pour les têtards, deux modes de réintroduction ont été testés : le soft release en tenant compte des conditions de laboratoire et le hard release ou le relâchement direct dans la nature. Sous la supervision de Nirhy Rabibisoa, Serge Jean-Baptiste Heriniako de l’université de Mahajanga a mené des « études en écologie comportementale des têtards de Mantella aurantiaca Mocquard, 1 900 au stade précoce et au stade tardif après repeuplement dans la zone de conservation du site minier d’Ambatovy ».

Réintroduction dans la nature

« Les méthodes soft release et hard release sont les plus efficaces pour le relâchement des têtards pour pouvoir suivre la croissance et la viabilité des individus à relâcher », lit-on au passage dans le document publiquement présenté le 9 mars 2018. Entre autres, l’étudiant recommande le relâchement des têtards au stade tardif en vue de plus de succès à l’avenir. « La réussite du repeuplement ne fait plus aucun doute. Les grenouilles relâchées pouvaient survivre. Quelques-unes mourraient certes mais à un faible effectif », s’accordent à dire des scientifiques nationaux.

« Avec les mammifères ou les poissons, par exemple, si vous faites la translocation d’un lot de 100 individus, vous êtes incapables de tous les rencontrer sur le site de relâchement. Vous pourriez en rencontrer dix seulement, au maximum. La raison en est qu’ils exécutent beaucoup de mouvements. C’est encore plus difficile avec les grenouilles. On ne connaît pas leur réel mode de vie dans la nature. D’après le suivi effectué par l’équipe de l’ONG Madagasikara Voakajy (MAVOA), les Mantella se sont dispersées dans beaucoup d’endroits. Certaines ont été retrouvées à plus de 2 km des marais de ponte où elles avaient été relâchées. »

Les résultats des études réalisées par des scientifiques et étudiants des universités d’Antananarivo et de Mahajanga ainsi que des experts d’organisations partenaires comme l’ONG MAVOA ne sont pas encore publiés. Mais ils croient que la réintroduction était une réussite.

« Ce fut une grande première, notamment chez les amphibiens. Sur cette lancée, Ambatovy va continuer à soutenir le programme de translocation de M. aurantiaca, une espèce endémique et menacée d’extinction, pendant les trois à cinq ans à venir », dit la compagnie minière. L’association Mitsinjo, pour sa part, entend persister toujours dans l’éducation environnementale, parallèlement à la promotion des activités écotouristiques.

Une employée du Toby Sahona nettoie les différentes installations. Rivonala Razafison.

Désirant élargir davantage leur champ d’investigation, chercheurs et experts en biodiversité s’attendent à de nouvelles découvertes dans le futur proche. Tant d’aspects de l’interaction de l’espèce avec son milieu sont encore à explorer. Certains, à l’instar de grands théoriciens de l’évolution, voient dans le résultat obtenu des vérités en sursis. La multiplication de l’expérience, non seulement à Madagascar mais aussi sous d’autres cieux, permettrait pour eux de parvenir à de nouvelles théories.

Selon l’avis personnel d’un amoureux de la nature requérant l’anonymat, l’État a intérêt à augmenter l’investissement dans la recherche et la protection de l’environnement. « Nous pouvons encore sauver la nature à Madagascar. Les habitants ont tendance à la détruire de façon abusive. Je réitère qu’il nous est encore tout à fait possible de préserver notre architecture verte. Ailleurs, l’écotourisme rapporte tant à l’économie nationale, si je ne cite que l’exemple du Kenya », lâche notre source.

Mantella auriantaca. Photo : Frank Vassen par Flickr (CC BY 2.0)
Mantella aurantiaca. Photo : Frank Vassen par Flickr (CC BY 2.0)
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