- Depuis deux décennies, donateurs et ONG internationales travaillent de près avec le gouvernement malgache pour créer des milliers d’associations locales dédiées à la gestion et la conservation de parcelles de forêts.
- Les projets d’écotourisme associés à des programmes de soutien à l’agriculture sont souvent présentés comme des mesures efficaces pour compenser la perte de revenu qui accompagne généralement les nouvelles restrictions sur l’utilisation des terres par les habitants.
- Les projets d’écotourisme réussis restent rares, mais ils ont tous un point commun, un élément qui est difficile à reproduire : la proximité des autoroutes et des sites touristiques.
RÉSERVE COMMUNAUTAIRE D’ANJA, Madagascar – À l’ouverture de la réserve communautaire d’Anja en 2001, les dirigeants de cette toute petite aire protégée, située le long de l’autoroute, savaient qu’ils allaient devoir trouver un moyen de convaincre les touristes, ou tout au moins leurs accompagnateurs, qu’Anja valait la peine de de s’y arrêter. Ils ont alors clamé haut et fort que quiconque conduirait ses clients à Anja bénéficierait d’une récompense d’environ 20 cents, soit 10 % du prix d’entrée. Le démarrage a été très lent. « À cette époque, nous n’accueillions qu’un ou deux touristes toutes les trois semaines », déclare Victor Rahaovalahy, l’un des cofondateurs de la réserve.
Près de 20 ans plus tard, Anja est devenue un véritable moteur de la conservation communautaire à Madagascar. Le petit fragment de forêt qui a encouragé la création de l’aire protégée est resté intact, et Association Anja Miray, l’association locale qui dirige Anja, a commencé à la développer en replantant des arbres indigènes sur les collines environnantes. La réserve enregistre désormais un revenu suffisant pour employer 85 guides et observateurs de faune sauvage et pour financer un large réseau de projets communautaires, dont la construction de deux écoles primaires, ou encore la distribution de couvertures aux personnes âgées et de semences et d’intrants aux agriculteurs au début de la saison de croissance.
Le succès d’Anja a attiré l’attention internationale. Le président d’Anja Miray s’est rendu au Brésil et en Australie pour y rencontrer des conservationnistes du monde entier. En 2012, l’association a remporté le prestigieux Prix Équateur, faisant partie d’un projet international de l’ONU visant à « promouvoir des solutions fondées sur la nature pour l’atteinte des objectifs de développement durable ». Une étude de cas réalisée par le Programme des Nations unies pour le développement, menée l’année suivante, présente Anja Miray comme « une référence pour le tourisme communautaire à Madagascar, servant d’exemple pour les projets futurs ». Toutefois, le statut potentiel d’Anja en tant que modèle pour des projets similaires à Madagascar est compromis par un élément particulièrement difficile à égaler dans le pays : l’emplacement !
La billetterie d’Anja se trouve à tout juste 50 mètres de la Route nationale 7 (RN7), l’autoroute qui mène à la capitale de Madagascar. Julia Jones, une chercheuse de l’université de Bangor au Royaume-Uni s’intéressant à l’efficacité des programmes de conservation à Madagascar, se souvient avoir été employée pour accompagner à la réserve, en 2005, un groupe de dirigeants de sites de conservation communautaire venant de tout Madagascar. Cette visite faisait partie d’un programme visant à renforcer le partage des bonnes pratiques de gestion de sites. « C’était tout simplement hilarant, rapporte Jones, car chacun d’entre eux en arrivant ici s’est exclamé : “oui, en effet, il y a une différence entre chez moi et ici”, Anja se trouve sur la RN7, alors forcément quiconque roulant vers le sud s’arrête ici, y compris des donateurs, des touristes…Alors que partout ailleurs, on roule sur des routes cahotantes pendant trois heures, et ensuite on marche pendant deux heures. »
Rahaovalahy ne s’est pas montré désireux de songer à la création d’Anja sans cette autoroute à proximité. « Si nous n’avions pas eu la RN7, nous aurions trouvé une autre solution », affirme-t-il d’un ton optimiste.
Dans un pays, où seulement trois parcs nationaux ont attiré 30 000 visiteurs en 2018, Anja – moins d’un dixième de la taille de Central Park à Manhattan – en a, à elle seule, accueilli plus de 12 000 l’an passé. Ces chiffres ne sont probablement pas fortuits. Si vous consultez les itinéraires de vacances proposés par les blogueurs et les tour-opérateurs sur Internet, vous noterez que la réserve d’Anja figure comme la halte de premier choix, à mi-distance entre les parcs nationaux Isalo au sud et Ranomafana au nord, tous deux comptant parmi les sites les plus visités du pays. Par ailleurs, Anja se trouve sur les sentiers de randonnées du massif d’Andringitra, abritant le plus haut sommet de Madagascar. Et enfin, Anja, est souvent présentée comme un lieu d’observation des lémuriens, et comme l’endroit pour faire une pause sur ce long trajet; et toute personne ayant déjà emprunté les routes malgaches accueillera très favorablement cette suggestion.
La combinaison de la taille d’Anja et de sa proximité de la route fait de la réserve un endroit peu habituel pour observer la faune sauvage. Lors d’une visite de la réserve un matin du début du mois d’août, un groupe de familles françaises s’extasiait devant un caméléon mâle géant malgache (Furcifer oustaleti). Le lézard rayé noir de la taille d’un écureuil, se tenait en équilibre, tête haute, sur une minuscule branche à moins de cinq minutes à pied de la route. Lorsqu’un autocar d’étudiants britanniques, séjournant sur l’île dans le cadre d’un programme d’échange, arriva au même endroit, le groupe de Français décida de continuer son chemin et s’arrêta pour observer un groupe de lémurs catta 100 mètres plus loin.
Chaque visiteur paie un doit d’entrée de 20 000 ariarys (environ 5 EUR) en plus d’un tarif de groupe de 20 USD (environ 18 EUR) minimum pour une visite de la forêt de deux heures, comprenant une halte rapide sur une tombe historique. 40 % du revenu est dédié à la maintenance et aux projets de développement du site, dont l’aménagement de mesures coupe-feux et les plantations d’arbres. 29 % du revenu est consacré au financement de projets communautaires et sociaux, comme l’achat de matières premières pour la réalisation d’œuvres artisanales par les membres de l’association, et les bourses pour la prise en charge d’enfants orphelins. Le solde sert à financer les opérations de l’association. L’an dernier, la vente de billets à Anja a généré plus de 30 000 USD (environ 27 000 EUR), avec des droits d’entrée ne valant que la moitié de leur prix actuel. Ce revenu ne semble peut-être pas élevé, mais dans un pays où le PIB par tête est inférieur à 500 USD par an (environ 450 EUR), il s’agit tout de même d’un apport considérable pour une petite communauté rurale.
Rahaovalahy rapporte que l’association Anja Miray a peiné, à ses débuts, à recruter un petit groupe de 20 donateurs pour la soutenir dans ses projets de conservation de la forêt, à l’intérieur de la nouvelle zone protégée, même avec l’appui du gouvernement et son transfert de gestion du fragment de forêt à la communauté en 2001, lors d’une campagne nationale. Alors que certains voient la forêt comme une source d’eau irrigant les rizières pour une partie de la communauté, d’autres craignent que la zone protégée ne les prive de bois et de terres agricoles. « Les gens exploitaient, à ce moment-là, des terres à l’intérieur de la zone protégée, explique Rahaovalahy, ils étaient donc furieux. »
Un des premiers projets qui a contribué au développement des subventions pour la conservation a été le financement de la circoncision des jeunes hommes des environs, un rite de passage traditionnel, synonyme d’entrée dans l’âge adulte, désormais effectué au sein d’un centre médical. Aujourd’hui, l’association a, à son actif, 650 membres, la plupart venant de la communauté, qui paient de modestes droits annuels en échange de certains bénéfices, tels que des semences et des boutures d’arbres fruitiers. Selon le recensement que les guides mènent chaque année durant la saison basse, la population de lémuriens aurait augmenté de 80, à l’ouverture de la réserve, à environ 350 aujourd’hui.
Dan Villar, un volontaire travaillant depuis quatre ans pour l’agence américaine le Corps de la paix au sein du nouveau parc communautaire Sakaviro, une aire protégée avoisinante, déclare qu’Anja a créé « une sorte de spirale ascendante d’échos positifs, lui permettant ainsi de se développer et d’être reconnue ». Selon lui, les membres de l’association de Sakaviro considèrent, sans aucun doute, Anja comme un modèle, mais peinent à attirer les touristes sur leur site, faute de subventions suffisantes pour le promouvoir sur internet. « Ici, on ne croit que ce que l’on voit, et les gens n’ont pas véritablement pu observer le succès du parc », déplore-t-il.
À l’heure actuelle, Sakaviro continue de lutter contre l’abattage illégal d’arbres et les incendies de forêts réguliers. À l’instar d’Anja, Sakaviro possède une abondance de lémurs catta, d’oiseaux et de reptiles. Bien qu’il ne soit situé qu’à 5 km de la RN7, cette distance, le long d’un chemin de terre accidenté, lui apporte beaucoup moins de notoriété, et semble suffire pour dissuader les visiteurs de s’y aventurer. Villar précise que le parc n’accueille qu’un ou deux groupes de visiteurs par mois, bon nombre d’entre eux réservant leur visite par téléphone après avoir consulté la page Facebook du site.
Le cadre juridique autorisant les prétendus « transferts de gestions » de terres du gouvernement aux communautés, comme ceux d’Anja et de Sakaviro, a été adopté en 1996. Comme le réseau d’aires protégées s’est davantage développé que les parcs nationaux traditionnels à la fin des années 1990 et dans les années 2000, les donateurs et les ONG internationales ont collaboré avec le gouvernement malgache pour créer des milliers d’associations locales de gestion des forêts, avec généralement une promesse explicite à l’appui : les programmes de conservation doivent être associés à un programme de soutien aux communautés locales. Toutefois, les investissements dans ces projets de développement durable ont souvent – pour ne pas dire toujours – vu le jour des années après les restrictions mises en place sur l’utilisation des ressources naturelles par les habitants.
À Madagascar, des chercheurs ont démontré, à maintes reprises, que de telles restrictions imposées par les projets de conservation peuvent engendrer des réductions des revenus des ménages ou des moyens de subsistances en milieu rural, que ce soit d’un point de vue numéraire – un rapport évaluait la perte à 1 400 USD par ménage – ou alimentaire, avec une disparition de la viande de brousse à leur disposition. En complément du développement des techniques agricoles, l’écotourisme est souvent présenté comme une dimension essentielle dans la stratégie mise en œuvre pour renverser cette tendance.
Cependant, miser sur l’écotourisme pour générer des revenus locaux substantiels, lors de la mise en place de programmes de conservation communautaire à Madagascar, présente un risque. Dans une étude menée par l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN) en 2013, les auteurs indiquent qu’Anja ainsi qu’un autre projet d’écotourisme communautaire bien connu, la Station forestière d’Analamazaotra, près du parc national Andasibe, à l’est de Madagascar, se distinguent des autres projets : « Il n’est pas surprenant de noter que ces deux sites sont tous deux situés le long de routes fréquentées par les touristes depuis longtemps ; ils bénéficient ainsi tous deux d’un emplacement géographique privilégié et d’une infrastructure bien en place. »
Prenons l’exemple de l’Association européenne pour l’étude et la conservation des lémuriens, un consortium de zoos et d’universités européens qui œuvrent pour la promotion de l’écotourisme au nord-ouest de Madagascar. Malgré une collaboration avec un tour opérateur reconnu, le rapport annuel du projet présente une évaluation honnête des difficultés rencontrées par des sites plus isolés, comme le leur : « les touristes ont dû marcher pendant environ trois heures pour rejoindre le campement, et bon nombre d’entre eux se sont plaints de cette longue marche. » À ces problèmes s’ajoutent un service téléphonique cellulaire médiocre et un approvisionnement en eau aléatoire.
D’autres destinations d’écotourisme potentielles ont souffert de l’approche « Créez votre projet et ils viendront » soutenue par des associations gouvernementales et de grandes ONG. Dans un mémoire universitaire reposant sur une étude dans la région d’Anja, Sam Cameron, coordinatrice de projet pour l’ONG Ny Tanintskia basée à Fianarantsoa et pour une organisation partenaire en Écosse, mentionne une variété de sanctuaires d’« éléphants blancs » construits pour accueillir des touristes qui ne sont, finalement, jamais venus. À Namoly, par exemple, une communauté située aux abords de l’entrée du parc national d’Andringitra au sud-est de Madagascar, l’ONG Conservation International a financé la construction d’un réseau de sentiers au sein d’une forêt communautaire qui ont rapidement été envahis par la végétation. Comme l’a rapporté un habitant à Cameron : « Nous devrions vraiment entretenir le site, mais à quoi bon lorsqu’il n’y a aucun profit généré par le tourisme ? Cela revient à exploiter des rizières qui n’ont pas d’eau. »
Cameron affirme que les espoirs démesurés de revenus générés par l’écotourisme ont souvent l’effet inverse de celui recherché et attisent les conflits au sein des organisations communautaires œuvrant pour la conservation. Elle ajoute que les gens ont alors le sentiment d’avoir été trompés et finissent par « se battre pour des avantages infimes ».
D’une manière plus générale, comme souvent en matière de conservation, la viabilité de l’écotourisme dépend de décisions politiques qui sortent du champ d’application de ces sites. Après un coup d’état qui a détrôné le président en 2009, le nombre d’entrées sur le territoire malgache a chuté de près de 60 %; dix ans plus tard, les chiffres de 2008 n’ont toujours pas été atteints.
À tous ces problèmes, s’ajoute, bien entendu, celui des routes. Bien que les séjours sur l’île soient généralement programmés pour une durée moyenne de trois semaines, ce que vous parvenez à voir, en voyageant sur les routes nationales à deux voies criblées de nids de poule, reste bien limité. En l’absence d’infrastructures routières de meilleure qualité, sortir des sentiers battus sous-entend généralement sacrifier un à deux jours de vacances, juste pour le trajet d’un lieu à un autre.
Toutefois, jouir d’une bonne réputation aide. Barbara Vanlaere, une Néerlandaise en voyage à Madagascar avec son époux Geert et leurs deux enfants en âge adulte, explique qu’ils ont fait un détour pour venir à Anja. « Nous y sommes passés il y a deux jours, et nous avons fait un détour pour y revenir afin d’arriver en matinée », précise-t-elle, avec son téléobjectif autour du cou. « Si vous vous trouvez à Anja au bon moment de la journée, se sont-ils laissé dire, vous êtes pratiquement assurés d’y voir des lémuriens. »
Image de bannière : un lémur Catta et son bébé dans la réserve communautaire d’Anja, Madagascar. Image de Rhett Butler/Mongabay.
Rowan Moore Gerety est journaliste et producteur de radio à New York. Ses articles ont été notamment publiés dans Harper’s Magazine, Scientific American, et National Public Radio. Il est également l’auteur de Go Tell the Crocodiles: Chasing Prosperity in Mozambique.
Citations:
Hockley, N.J., & Razafindralambo, R. (2006). A Social Cost-Benefit Analysis of Conserving the Ranomafana-Andringitra-Pic d’Ivohibe Corridor in Madagascar. Unpubl. report to USAID/Madagascar.
Golden, C. D. (2009). Bushmeat hunting and use in the Makira Forest, north-eastern Madagascar: a conservation and livelihoods issue. Oryx, 43(3), 386-392.
Schwitzer, C., Mittermeier, R.A., Davies, N., Johnson, S., Ratsimbazafy, J., Razafindramanana, J., Louis Jr., E.E., Rajaobelina, S. (eds) (2013). Lemurs of Madagascar: A Strategy for Their Conservation 2013–2016. [pdf] Bristol, UK: IUCN SSC Primate Specialist Group, Bristol Conservation and Science Foundation, and Conservation International. 185 pp.
Cameron, Samantha E., (2017). Ecotourism’s dirty laundry? Exploring the relationship between participation, equity and conservation around protected areas in Madagascar. Master of Science by Research (MScRes) thesis, University of Kent.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/10/what-makes-community-ecotourism-succeed-in-madagascar-location-location-location/