- Selon un rapport, du bois obtenu illégalement en Afrique de l’Ouest finit en placage et autres produits en bois dans des magasins aux États-Unis.
- Des fonctionnaires fédéraux ont ouvert une enquête visant les importateurs américains de bois Evergreen Hardwoods et Cornerstone Forest Products.
- Le commerce concernait le bois d’okoumé, classé vulnérable par l’UICN, qui pousse uniquement dans quatre pays d’Afrique.
Un réseau illégal d’approvisionnement de bois allant d’entreprises chinoises opérant dans deux pays d’Afrique de l’Ouest à de grandes chaînes de magasins de bricolage situées aux États-Unis a été démasqué. Une enquête de quatre ans, menée par l’Environmental Investigation Agency (EIA), basée à Washington, a révélé des activités illégales de l’entreprise chinoise Dejia Group (DG). Ces dernières incluent notamment des concessions obtenues grâce à des pots-de-vin, la surexploitation des arbres et des évasions fiscales.
Un échange entre des enquêteurs d’EIA infiltrés et un représentant de DG relaté dans le rapport explique comment des mallettes contenant près de 172 000 dollars ont été remises à plusieurs reprises à un ministre du gouvernement de la République du Congo.
Des documents obtenus par EIA laissent également entendre qu’au Gabon, SICOFOR, filiale de DG, a surexploité plus de 15 000 arbres entre 2013 et 2016, dont plus d’un tiers étaient des espèces figurant sur la liste des espèces vulnérables ou en danger de l’UICN.
Le commerce mis en évidence par EIA concerne un bois appelé okoumé (Aucoumea klaineana), provenant d’un arbre à bois dur qui pousse uniquement au Gabon, en République du Congo, en Guinée équatoriale et dans une très petite zone du Cameroun. Il est utilisé pour du placage, la partie extérieure dure du contreplaqué, et pour des panneaux ou revêtements utilisés dans la construction et la rénovation de bâtiments.
Dans son rapport, EIA décrit un « commerce toxique » et identifie les entreprises affiliées à DG comme étant les actrices principales de cette activité illégale.
Elle cite également Evergreen Hardwoods et Cornerstone Forest Products, qui ont importé de l’okoumé aux États-Unis, ainsi que Roseburg, qui fabriquait le contreplaqué, comme étant complices en n’ayant pas correctement recherché la provenance du bois, comme requis par la loi Lacey. Les revêtements en bois se sont retrouvés chez des commerçants tels que Home Depot et Menards, et étaient commercialisés comme étant respectueux de l’environnement.
« L’acheteur [d’Evergreen et Cornerstore], Jim Green, se positionne comme l’interface clé entre les États-Unis et l’Afrique », explique Lisa Handy, directrice de la Campagne Forêts à EIA. « Tout l’okoumé passait par lui, et il savait pertinemment – c’est ce qu’il nous a dit – à qui il achetait, quelles étaient les pratiques, et comment lui aussi avait joué un rôle dans la corruption en tant que complice. »
Mongabay a contacté Evergreen Hardwoods à plusieurs reprises mais n’a jamais reçu de réponse. Menards n’a pas non plus fourni de réponse à EIA lors de l’enquête. Via email, M. Green a expliqué à l’Oregon Public Broadcasting qu’il « n’a pas été en Afrique depuis 15 ans et n’a jamais été en République du Congo. »
Les Services d’immigration et de douane des États-Unis (U.S. Immigration and Customs Enforcement (ICE)) mènent une enquête concernant les allégations qui figurent dans le rapport d’EIA. Dans un communiqué, Roseburg a expliqué à Mongabay que l’entreprise était un « témoin coopérant » dans l’enquête, qu’elle n’avait eu connaissance d’aucune activité illégale par les entreprises importatrices, et qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable concernant la légalité du bois.
« Roseburg a pris des mesures proactives pour s’assurer que la chaîne d’approvisionnement d’okoumé respectait la loi Lacey », explique Rebecca Taylor, directrice de la communication de l’entreprise, dans un communiqué. « [Nous] avons engagé des experts indépendants de DoubleHelix Tracking Technologies afin d’évaluer la conformité des importateurs et effectuer des audits de leurs chaînes d’approvisionnement en personne et sur place.
Mais Lisa Handy explique qu’ils n’ont pas été suffisamment méticuleux dans leurs contrôles. Elle a déclaré que « Roseburg savait qu’il s’agissait de pays à haut risque – le Congo est perçu comme le 15e pays le plus corrompu du monde – et ils nous ont dit : “Eh bien, c’est la raison pour laquelle nous avons gardé Evergreen entre nous [nous et les fournisseurs en Afrique], car s’il arrive quoi que ce soit, ils seront tenus pour responsables.” »
Depuis que les allégations ont fait surface, Roseburg a suspendu la vente et la fabrication de son revêtement Breckenridge, de même que ses rapports avec Evergreen et Cornerstone.
Outre l’enquête aux États-Unis, dont Lisa Handy espère qu’elle donnera lieu à des poursuites, EIA attend également de voir ce qui se passera au Gabon et en République du Congo suite à ces révélations.
« Nous pensons que quelque chose peut se passer au Gabon », explique Lisa Handy. « L’année dernière, ce pays a mené une répression massive contre l’exploitation forestière illégale, et 13 entreprises ont dû payer des amendes d’environ 14 millions de dollars. C’était une première dans le bassin du Congo. Une ONG avec laquelle nous collaborons sur place a attiré l’attention du Ministère des Eaux et Forêts sur ce rapport. Peut-être qu’une action du même type pourrait être menée. »
La République du Congo n’a pas le même historique que le Gabon en ce qui concerne la lutte contre l’exploitation forestière illégale, mais étant donné qu’elle a un Accord de Partenariat Volontaire avec l’UE pour y faire face, Lisa Handy explique qu’elle espère qu’une pression pourra être exercée sur le gouvernement afin d’assainir cette industrie. EIA a également transmis le rapport à des donateurs majeurs en Afrique de l’Ouest, notamment la Banque mondiale, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), et le Département britannique pour le développement international.
Simon Counsell, directeur de la Rainforest Foundation UK, a expliqué à Mongabay que le rapport d’EIA reflétait combien le processus d’obtention et d’exploitation de concessions forestières dans le bassin du Congo était « opaque et corrompu. »
« Il met en évidence le nécessité de mesures anti-illégalité plus strictes, par exemple dans le règlement de l’UE sur le bois et la loi Lacey, afin qu’elles tiennent compte du processus d’attribution des concessions forestières, et pas seulement du commerce qui en découle lorsqu’elles sont déjà en exploitation », explique M. Counsell.
Image de bannière : Les forêts de la République du Congo font partie de la vaste forêt tropicale du bassin du Congo, la deuxième plus grande après la forêt amazonienne. Photo par Rhett A. Butler.
A propos du journaliste : James Fair est un journaliste spécialiste de la conservation de la faune et de l’environnement, basé en Angleterre. Vous pouvez le retrouver sur Twitter (@Jamesfairwild).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/04/u-s-companies-implicated-in-illegal-timber-trade-from-west-africa/