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« Nous les avons tous abattus » – le Ghana se bat pour protéger ses dernières forêts primaires

  • La déforestation des forêts primaires au Ghana a augmenté de 60 % entre 2017 et 2018. Il s’agit de la hausse la plus importante de tous les pays tropicaux. La majeure partie de cette déforestation touche les zones protégées du pays, dont ses réserves forestières.
  • Une enquête menée par Mongabay révèle que l’abattage illégal d’arbres dans les réserves forestières est monnaie courante. Des sources rapportent que les employés de la Commission forestière du Ghana ferment souvent les yeux sur ces pratiques, voire participent à ces activités.
  • Selon le directeur technique de la foresterie au sein du ministère ghanéen de la Terre et des Ressources naturelles, les tentatives d’intervention connaissent peu de succès, et sont souvent contrecarrées par des bucherons ou des sociétés d’exploitation forestière qui savent comment déjouer le système.
  • Un représentant d’une ONG de conservation opérant dans le pays souligne qu’un programme de surveillance communautaire a été mis en place pour aider à réduire les abattages d’arbres illégaux dans certaines réserves. Il ajoute que l’engagement d’autres communautés est toutefois indispensable pour renforcer ces résultats. Parallèlement, le gouvernement ghanéen aurait de son côté commencé à mener un programme de sensibilisation du public, ainsi qu’une collaboration avec l’Union européenne (UE) sur

KUMASI, Ghana – Le Ghana, pays d’Afrique de l’Ouest, est connu pour sa richesse en ressources naturelles, notamment pour ses vastes étendues de forêts tropicales. Cependant, ses forêts primaires ont pour ainsi dire disparu. On ne trouve plus que quelques fragments de réserves dans le tiers sud du pays. Même si ces réserves sont placées sous protection gouvernementale, cela n’empêche pas l’abattage ni toute autre activité illicite de continuer de les défricher. Une étude de données satellitaires publiée un peu plus tôt dans l’année par l’Institut des ressources mondiales (World Resource Institute, WRI) basé aux États-Unis, rapporte que le Ghana est le pays qui a enregistré la perte la plus importante (en pourcentage) de forêts primaires de tous les pays tropicaux : l’étude révèle en effet que le Ghana a perdu 60 % de ses forêts primaires entre 2017 et 2018 – la déforestation étant majoritairement observée dans ses zones protégées.

Le Ghana a perdu la majeure partie de ses forêts primaires. Telles des pièces de puzzle vert foncé éparpillées à travers le paysage, les fragments forestiers restants se trouvent dans des zones protégées. Le nombre de ces zones protégées semble toutefois en baisse. Des données satellitaires indiquent que les records de déforestation enregistrés en 2018 devraient se poursuivre en 2019. Source: GLAD/UMD, Global Forest Watch, Programme de suivi mondial de la couverture forestière.

Selon le WRI, si l’exploitation minière et l’abattage d’arbres constituent les deux grands acteurs de la déforestation au Ghana, l’expansion des cultures de cacao en est toutefois la principale responsable.

Le gouvernement ghanéen, via sa Commission forestière, a publié un communiqué, en réponse au rapport du WRI, pour réfuter les conclusions de ce dernier. Dans son communiqué, la Commission forestière déclare que les résultats du rapport du WRI se fondent sur une fausse méthodologie et sur une mauvaise compréhension des pratiques agricoles actuellement en place au Ghana. Il a contesté le pourcentage de 60 % observé par le WRI et a déclaré que la déforestation au Ghana avait, à la place, augmenté de 31 % entre 2017 et 2018.

Une publication de Satelligence, une agence d’analyses de données, confirme cependant les conclusions du WRI, à savoir une augmentation de la déforestation au Ghana de 60 %. Le rapport de Satelligence diverge en revanche sur un des aspects importants du rapport du WRI : selon l’agence, l’industrie du cacao ne serait pas la première responsable de la déforestation au Ghana. À la place, elle dénonce les bucherons et autres sociétés d’abattage d’arbres, les exploitations minières, les feux de brousse et l’expansion de l’industrie agricole pour d’autres cultures que le cacao.

Réserves forestières menacées

Les dernières étendues de forêts primaires au Ghana ne se trouvent plus que dans des zones sous protection de l’État. Toutefois, même ces dernières ne sont plus à l’abri de la déforestation croissante – bon nombre d’entre elles sont sérieusement touchées par une accélération de la destruction de la forêt qui a débuté en avril dernier.

S’étendant sur plus de 20 km (12 miles) le long d’un massif de collines dans la région d’Ashanti, au sud du Ghana, la forêt Tano-Offin a perdu plus de 16 % de sa forêt primaire depuis 2001 (chiffre recueilli par les données satellitaires de l’université de Maryland). Plusieurs zones de la réserve sont complètement dépourvues de grands arbres et on note que le vrombissement des tronçonneuses n’est jamais très loin – ces dernières étant d’ailleurs utilisées en toute impunité.

Une coupe à blanc sur une largeur de 1 km (0,6 miles) a été effectuée à Tano-Offin un peu plus tôt dans l’année. Image de Planet Labs, via Global Forest Watch.

Les sources sur le terrain rapportent que l’abattage illégal réalisé par des entreprises à la fois locales et étrangères – en particulier chinoises – semble être la principale cause de la déforestation de la réserve.

« Si vous venez chercher des arbres dans cette forêt, vous pouvez faire une croix dessus, car nous les avons tous abattus », déclare un bucheron tout en continuant son activité illicite dans la réserve pour ensuite vendre le bois à un acheteur local. Ledit acheteur arrive d’ailleurs quelques temps plus tard avec son camion pour y charger le bois fraichement abattu.

Anane Frempong, le représentant local, ou « l’homme de l’assemblée » (dans le dialecte ghanéen) de la circonscription électorale dont Tano-Offin fait partie, explique à Mongabay que son équipe a saisi quelque 6 000 tronçons de bois l’année dernière, tous abattus illégalement dans la réserve. Ils ont ensuite été remis aux représentants de la Commission forestière, qui a mis en place un groupe de travail pour lutter contre l’abattage illégal.

Un camion transportant des arbres fraichement abattus près de la réserve forestière de Tano-Offin. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.

Toutefois, les efforts déployés pour protéger les forêts sont souvent contrecarrés. Le bucheron confie à Mongabay que les sociétés d’abattage d’arbres soudoient généralement les membres du groupe de travail et leur demandent de détourner le regard de leurs activités. Ce phénomène a apparemment créé un climat d’impunité : des camions transportant des morceaux de bois circulent, en plein jour, de la réserve vers la ville de Kumasi, même si la Commission forestière a établi des points de contrôle le long de la route. Voir les photos.

Incendies de forêts, exploitations agricoles et minières

L’exploitation forestière illicite n’est pas la seule activité conduisant à la déforestation à Tano-Offin. Les feux de brousse, provoqués pour nettoyer les terres, et intensifiés par l’harmattan, un vent sec soufflant lors de la saison sèche de novembre à mars, dévastent de larges étendues de forêt. Les installations et infrastructures humaines à Tano-Offin contribuent également à la destruction de sa forêt. Une demi-douzaine de communautés vit au plus profond de la réserve, dont Kyekyewere, la plus grande. Avec une population de plus de 1 000 habitants, Kyekyewere possède les infrastructures d’une ville moderne, comme, par exemple, une école qui propose un enseignement en maternelle et primaire. Cependant, le village manque d’une structure médicale et n’est pas approvisionné en électricité. Par ailleurs, la survie de la plupart des habitants dépend des cultures agricoles.

Le village de Kyekyewere installé au beau milieu de la forêt de Tano-Offin. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.

Frempong, le représentant local de Kyekyewere, informe Mongabay que la communauté est établie dans la forêt depuis plus de 200 ans et que ses résidents n’ont aucun autre endroit où vivre. Il ajoute que les gardes forestiers les intimident et les harcèlent chaque fois qu’ils cultivent leurs terres dans la forêt, et que l’année dernière ils ont même forcé un résident de la communauté à avaler une feuille sèche de banane plantain. L’homme serait décédé quelques jours plus tard. « Pour atténuer le conflit, je vais humblement demander au gouvernement ghanéen, via la Commission forestière, de bien vouloir délimiter une zone dans la réserve pour les cultures agricoles. Cela permettra d’assurer des ressources alimentaires aux membres de la communauté, car, hormis la communauté Kyekyewere, nous n’avons nul autre endroit que nous pouvons appeler notre village », poursuit Frempong.

À Tano-Offin, une partie du territoire est également riche en bauxite, ce qui a encouragé l’entreprise Ghana Integrated Aluminium Corporation à installer ses opérations minières dans la réserve. Bien que l’activité minière n’ait pas encore commencé, le développement des infrastructures est, quant à lui, bien engagé, avec des routes vers les futurs sites miniers actuellement en cours de construction.

Les résidents s’inquiètent des répercussions des activités minières sur la forêt. Mongabay a recueilli les propos de Nana Oppong Dinkyine, l’un d’entre eux, qui indique que la déforestation a déjà entrainé une diminution significative des ressources en eau : « La destruction continue de la forêt a des conséquences extrêmement négatives sur notre survie, car nos rivières sont asséchées et avec les très faibles précipitations annuelles dans cette région, nous allons certainement manquer d’eau très prochainement. Nous allons donc lutter contre les opérations minières dans la forêt pour protéger nos rivières. »

La réserve de Bia Tano est située à quelque 30 km (19 miles) au nord-ouest de Tano-Offin. Ici aussi, l’abattage illégal a commencé. Mais d’après nos sources, les représentants de la Commission forestière ne font pas qu’autoriser l’abattage dans cette réserve – ils y participent activement.

On peut encore trouver quelques éléphants de savane d’Afrique (Loxodonta africana) dans la réserve de Bia Tano. Ils sont cependant considérés comme menacés par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).

L’équipe de Mongabay observe des bucherons transporter du bois de Bia Tano et passer un point de contrôle, situé immédiatement à l’ouest de la réserve. Une fois devant le garde forestier, au point de contrôle, l’un des bucherons soutient avoir reçu l’autorisation d’abattre les arbres dans la réserve d’un responsable forestier du district de Goaso.

Sur ces dires, le garde les laisse poursuivre leur route.

« C’est la difficulté à laquelle nous nous heurtons ici, fait remarquer le garde, qui a souhaité parler sous couvert de l’anonymat. Les autorités publiques sont profondément impliquées dans ces activités frauduleuses. »

Mongabay a tenté de joindre des représentants de la Commission forestière ghanéenne afin d’obtenir leurs commentaires, mais aucun d’entre eux n’avait donné suite à leurs demandes au moment de la parution de cet article.

Un autre garde forestier, qui n’a pas non plus souhaité que son nom soit dévoilé, ajoute que des représentants de l’État cèdent même des terres de la réserve à leurs acolytes.

Des arbres fraichement abattus jonchent le sol de la réserve de Bia Tano, récemment défrichée. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.
Le bois est généralement transporté de Bi Tano grâce à ces motos-remorques. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.

Dans la communauté de Bediakokrom, à l’est de Bia Tano, des douzaines de scieries ont ouvert juste à l’extérieur de la réserve. Le deuxième garde forestier confie à Mongabay que la majorité des propriétaires de scieries ne possède pas de permis pour exploiter la réserve, mais continue tout de même de défricher ses forêts.

Le chef de la communauté, Agya Bomba, tient l’entreprise, Ayum Timber, qui a maintenant fermé ses portes, responsable de l’augmentation de l’abattage illégal à Bia Tano. Selon lui, une concession louée dans le passé par l’entreprise a, depuis, été envahie par des bucherons clandestins – dont certains seraient justement des employés de l’entreprise maintenant disparue.

Riposte

L’abattage illégal dans les réserves des forêts ghanéennes est confirmé par Musah Abu-Juam, directeur technique en charge de la foresterie au sein du ministère des Terres et des Ressources naturelles. Selon lui, ces activités se pratiquent à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des zones placées sous protection.

« En raison du nombre restreint de représentants au sein de la Commission forestière, nous avons toujours un taux élevé d’arbres abattus à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des réserves forestières », explique-t-il à Mongabay.

D’après Abu-Juam, le gouvernement met pourtant en œuvre tous ses efforts pour riposter à la déforestation illicite. Pour appuyer ses propos, il cite l’arrestation (menée par la Commission forestière) de bucherons transportant du bois abattu illégalement dans une réserve.

Abu-Juam ajoute toutefois que bien que le gouvernement poursuive ses efforts pour améliorer les systèmes de contrôles dans les réserves, les personnes impliquées dans ces activités frauduleuses trouvent généralement des moyens pour déjouer les mesures en place. Il rapporte notamment le cas de bucherons clandestins qui ont essayé de berner des gardes forestiers en entrant de nuit dans la réserve, ont ensuite abattu des arbres, et les ont transformés en portes semi-finies dans la forêt, avant de les transporter à l’extérieur avant l’aube.

Des arbres sciés et transformés en planches de bois sont transportés à l’extérieur de la réserve de Bia Tano. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.

Il relate également une autre arrestation récente, toujours organisée par la Commission forestière, de bucherons transportant du bois dans des cercueils, cette fois.

Abu-Juam souligne que le gouvernement a mis en place un programme visant à récompenser toute personne dénonçant des cas d’arbres abattus de manière illicite. Il précise, toutefois, que ce programme connait des obstacles : les bucherons clandestins se font passer pour des dénonciateurs, ils envoient les représentants forestiers dans une course poursuite dans une certaine zone, pendant qu’ils procèdent à leur activité illicite dans une autre.

Par ailleurs, il accuse les communautés résidant dans la forêt et vivant de ses ressources d’être responsables de la déforestation, mettant en avant que « leur expansion continue de détruire les réserves dans lesquelles elles vivent ».

Cependant, certains affirment que ces communautés pourraient également jouer un rôle clé dans la protection et la survie des réserves forestières au Ghana. L’ONG Les Amis de la Terre (Friends of the Earth, FoE) a lancé un programme appelé « community-based real-time monitoring », qui permet un contrôle communautaire des forêts en temps-réel, de manière à tenter de mettre un frein à l’abattage illégal qui sévit et se généralise dans le pays.

Selon Dennis Acquah, le coordinateur du projet de FoE-Ghana, le programme encourage les communautés vivant dans les forêts à détecter et à rapporter toute activité illicite en temps-réel, grâce à l’utilisation d’une application sur leur téléphone portable.

« Pour ce projet, FoE-Ghana a sélectionné certains membres des communautés installées en lisière des forêts, les a formés à la maîtrise des lois forestières et des applications sur téléphones portables…en vue de recueillir et transmettre des données de qualité (qui peuvent être sous forme audio, de vidéos ou de photos) vers une base de données centralisée. FoE travaille ensuite en collaboration avec la Commission forestière pour vérifier les alertes et prendre les mesures nécessaires », rapporte-t-il à Mongabay. Il souligne que le programme a apporté des résultats satisfaisants, comme chasser de nombreux bucherons clandestins des réserves et confisquer les arbres abattus de manière illicite. Selon lui, ces résultats positifs pourraient être intensifiés et appellent à l’engagement de toutes les communautés forestières.

La course contre la montre a commencé pour protéger ce qu’il reste des forêts primaires au Ghana. Image de Awudu Salami Sulemana Yoda pour Mongabay.

Selon Abu-Juam, le ministère des Terres et des Ressources naturelles s’attache aujourd’hui à sensibiliser la population, en particulier les personnes vivant autour des réserves, à lutter contre l’abattage illégal. Il déclare qu’une Cour spéciale a été instituée, composée d’employés forestiers locaux formés pour tenir le rôle de procureurs et traiter les cas de bucherons clandestins travaillant dans les réserves forestières.

Le Ghana jouit aussi d’un soutien international pour lutter contre l’abattage illégal. Abu-Juam rapporte que le gouvernement du Ghana et l’Union européenne sont parvenus à un accord autorisant uniquement le bois abattu de manière légale à entrer le marché de l’UE, et ont mis en place un système de vérification de l’origine légale du bois (Legality Assurance System), permettant de suivre à la trace les tronçons de bois de l’endroit où ils sont abattus à celui où ils sont vendus.

« Le gouvernement ghanéen a beaucoup œuvré pour arriver à cet accord avec l’UE et pour lui donner vie, et il va bientôt publier le plan d’action sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux pour la mise en œuvre de l’accord », déclare-t-il.

 

Image en bannière : De jeunes chimpanzés s’interrogeant sur leur futur. Image de Delphine Bruyere via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Clause de non-responsabilité : Mongabay a établi un partenariat de financement avec l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute, WRI), qui gère Global Forest Watch (GFW), le programme de suivi mondial de la couverture forestière. Le WRI n’a toutefois aucune influence éditoriale sur le contenu de Mongabay.

Note de l’éditeur : L’histoire a été rapportée par Places to Watch, un projet de GFW conçu pour identifier rapidement les menaces de déforestation dans le monde entier et pour promouvoir des enquêtes complémentaires dans ces zones. Places to Watch s’appuie sur une combinaison de données satellitaires pratiquement en temps réel, d’algorithmes automatisés et de renseignements sur le terrain pour identifier de nouvelles zones à risque chaque mois. En partenariat avec Mongabay, GFW soutient le journalisme de données en offrant des données et des cartes géographiques générées par Places to Watch. Mongabay conserve l’intégralité de son indépendance éditoriale sur les récits utilisant ces données.

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Article original: https://news.mongabay.com/2019/08/we-have-cut-them-all-ghana-struggles-to-protect-its-last-old-growth-forests/

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