- Les forêts d’Afrique centrale pour toujours, publié pour la première fois en 2017, plonge le lecteur au cœur du continent en lui faisant découvrir la population et la faune locales.
- Son auteur, Meindert Brouwer, consultant indépendant en communication, déclare que l’ouvrage sert également d’outil de partage des informations concernant les efforts mis en place pour lutter contre la pauvreté et les problèmes environnementaux dans la région.
- Mongabay s’est entretenu avec Brouwer afin d’en apprendre davantage sur ses motivations et l’accueil de son travail en Afrique centrale.
C’était, dès le début, un projet ambitieux : représenter la forêt tropicale du Bassin du Congo à travers les pages d’un livre. S’étendant sur une superficie dépassant celle de l’Arabie saoudite, la deuxième plus vaste forêt tropicale du monde couvre six pays d’Afrique centrale. Nombre d’entre eux sont touchés par la corruption, les conflits civils et les problèmes qui n’ont apparemment pas de solution, au croisement de la pauvreté et la gestion environnementale. La déforestation dans le Bassin du Congo a progressé plus lentement que dans la forêt amazonienne ou dans les jungles d’Asie du Sud-Est, mais beaucoup d’experts craignent que cette tendance ne se maintienne pas. La croissance de la population dans la région ainsi que le besoin de développement économique ont déjà conduit à la destruction croissante d’écosystèmes uniques pour faire place à des fermes, des mines et des plantations ligneuses.
Meindert Brouwer pense que ce type d’ouvrage pourra peut-être faire découvrir au monde cette petite partie méconnue d’Afrique, en mettant en évidence les besoins d’une protection et les choses mises en place pour améliorer le quotidien de ses habitants. Le consultant indépendant en communication doté de 25 ans d’expérience dans le domaine de la conservation, surtout en Afrique centrale, savait d’entrée de jeu que le défi serait de taille. La difficulté de ce projet était que la plupart des gens connaissent moins le Bassin du Congo que l’Amazonie, il serait donc plus compliqué de rassembler le soutien nécessaire au lancement du projet.
En effet, Brouwer a reconnu qu’il lui a fallu du temps pour trouver un premier donateur. Mais depuis, le dynamisme du livre a mené le projet dans de nouvelles directions. Brouwer a rapidement constaté que l’intérêt de l’ouvrage, Les forêts d’Afrique centrale pour toujours, d’abord destiné à une publication numérique uniquement, résidait non seulement dans sa distribution au-delà de l’Afrique centrale, mais aussi dans la région elle-même. C’est devenu un outil facilitant l’échange d’idées à travers le cœur du continent, à tel point qu’il reste peu de copies de l’édition en français, la lingua franca de la plupart des pays du Bassin du Congo, déclare Brouwer.
Mongabay s’est entretenu récemment avec Brouwer depuis son bureau situé aux Pays-Bas.
Mongabay: Pour commencer, pourquoi avez-vous décidé d’écrire et de créer ce livre ?
Meindert Brouwer: C’était il y a longtemps, je participais à une conférence internationale sur le climat pour la promotion de mon [précédent] livre au sujet des produits forestiers non-ligneux dans la forêt amazonienne. Cette dame africaine m’a dit : « Ecrivez un bouquin sur la forêt du Bassin du Congo ». Alors j’ai répondu : « D’accord ». C’est à titre personnel – je lui ai promis. Mais la principale raison est de faire prendre conscience de l’existence de la forêt du Bassin du Congo. Quand vous vous baladez dans la rue en Europe ou aux Etats-Unis et mentionnez le terme « forêt tropicale », tout le monde pense à la forêt amazonienne. Presque personne ne connaît la forêt du Bassin du Congo. Cet ouvrage est censé mieux faire connaître la forêt du Bassin du Congo.
Quelles questions souhaitez-vous soulever dans ce livre ?
Dans mon livre, je commence par une vue d’ensemble d’Emmanuel Ze Meka, [l’ancien directeur de l’Organisation internationale des bois tropicaux], [avec des questions telles que], que se passe-t-il en Afrique centrale ? Quels sont les enjeux concernant les forêts tropicales ? Je montre ensuite la grande biodiversité et les services de l’écosystème qui sont essentiels pour le bien-être des habitants et pour la planète. Je présente les problèmes et surtout les solutions ainsi que les opportunités pour préserver et exploiter durablement la forêt du Bassin du Congo, de même que les développements économiques durables.
C’est pourquoi, j’ai également publié une version française destinée aux populations d’Afrique centrale afin que les pratiques exemplaires du livre puissent leur être bénéfiques. [Prenons] l’exemple du charbon de bois. Les gens se rendent dans les forêts et coupent les arbres pour obtenir du charbon de bois. Il s’agit là d’une menace sérieuse. Un projet relatif au charbon de bois a été développé en [République Démocratique du Congo] ; des arbres à croissance rapide [sont cultivés] près des fermes, ainsi personne ne doit se rendre dans les forêts. Les gens possèdent assez de charbon de bois, et même plus que ce dont ils ont besoin, ainsi ils peuvent vendre ce charbon de bois et échapper à la pauvreté. Lorsqu’un Camerounais ou un Gabonais lit cet exemple, [les communautés sur place] peuvent s’en inspirer. Quand une bonne action est effectuée au Cameroun et qu’un Congolais l’apprend, il peut faire de même. C’est la raison pour laquelle la version française du livre existe. Ce que je dois souligner, c’est qu’il ne s’agit pas d’un livre écrit par un blanc à propos de l’Afrique. Lorsque j’ai rencontré les populations d’Afrique centrale, je leur ai demandé : « Selon vous, que faut-il faire ? ». C’est un livre écrit par les Africains pour les Africains et pour le monde entier.
Ce livre est une sorte de guide qui propose différentes approches lorsqu’il s’agit d’étudier la forêt ainsi que la façon dont nous vivons à l’intérieur et autour d’elle.
Oui, sous plusieurs angles. Il y a également un chapitre sur les droits de la femme et comment parvenir à l’émancipation de la femme. Pourquoi ? Car les femmes connaissent mieux l’agriculture que les hommes. Elles en savent plus sur les forêts car elles s’y rendent pour cueillir des légumes, des champignons et d’autres aliments. Elles s’y connaissent dans le domaine, mais leur savoir n’est pas mis à profit au sein des communautés. C’est, bien évidemment, mauvais pour les femmes elles-mêmes, pour la communauté mais également pour la forêt. J’ai donc intégré les droits de la femme dans le livre car leur émancipation est importante pour la forêt.
A-t-il été compliqué de trouver des fonds et cela peut-il être lié au manque de sensibilisation dont souffre le Bassin du Congo ? Pour beaucoup d’entre nous, il s’agit encore d’un point de la carte méconnu à bien des égards.
J’ai d’abord contacté la Banque africaine de développement, mais ce fut un échec. A un moment donné, j’ai rencontré la COMIFAC (la Commission des Forêts d’Afrique Centrale), une organisation internationale regroupant 10 pays membres en Afrique centrale qui se concentre sur la conservation de la forêt tropicale. Je peux également citer le Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, [qui est relié à la COMIFAC]. En 2015, j’ai assisté au congrés annuel [de cette organisation], qui avait lieu au Cameroun, dans le but d’établir des contacts tant pour le contenu que pour le financement. Pour faire court, la principale partie des fonds vient de la KfW (la banque de développement allemande) sous les recommandations de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale. Les Africains étaient persuadés que rédiger un tel livre était une bonne idée.
Comment avez-vous choisi les personnes qui ont écrit des chapitres ou tenu un rôle majeur en tant que sujets d’interviews dans le livre ?
J’ai voyagé en Afrique [pour le travail] et sur la route, j’ai fait des rencontres. Je suis dans la communication pour la conservation depuis 25 ans maintenant, j’ai également énormément de contacts grâce à mes précédentes publications. Les principaux experts m’ont donc orienté vers les bonnes personnes.
Vous avez dit qu’il s’agissait d’un projet personnel. J’imagique qu’après avoir passé du temps en Afrique centrale, l’endroit vous a touché. Pourquoi accordez-vous tant d’importance au Bassin du Congo ?
Tout d’abord, à cause des gens. J’adore apprendre à connaître les gens d’Afrique centrale. Ce n’est pas toujours facile de vivre dans cette région ; il y a énormément de pauvreté, de problèmes, mais beaucoup de monde garde malgré tout le sourire. Ils ont une place dans mon cœur.
Il y a [également] cette immense forêt tropicale où vivent de grands singes, et j’adore la biodiversité. Je suis très triste et en colère [de constater] que cette biodiversité est en déclin compte tenu de la façon dont nous gérons notre économie. Selon moi, les forêts tropicales du Bassin du Congo représentent un trésor important et je veux apporter mon aide en faisant ce pour quoi je suis doué, [à savoir] l’écriture. C’est ma façon d’attirer l’attention et de transmettre de bonnes idées aux législateurs, aux hommes politiques, aux ONG, aux banques [et] aux institutions financières.
Aussi, j’espère que vous êtes d’accord pour dire que la lecture de ce livre est simple. N’importe quelle personne de 16 ans et parlant anglais devrait pouvoir comprendre le contenu du livre. Pourquoi ? Car de nombreux hommes politiques et législateurs ne connaissent pas grand-chose des forêts tropicales, je dois donc leur faciliter la tâche. Lorsque vous jetez un œil à la table des matières, qui fait deux pages, vous savez déjà ce dont il va être question.
L’ouvrage a été publié en Europe, mais certains l’ont également transmis à des instituts forestiers et à des sociétés en Chine, ce qui est notable. Beaucoup de bois [d’Afrique centrale] transite souvent illégalement par la Chine. Certains organismes chinois veulent prendre un chemin durable, et ils devraient le faire. [C’est] dans leur propre intérêt car si la déforestation continue, il n’y aura plus du tout de bois à l’avenir. D’autres ont amené l’ouvrage au Sénat des Etats-Unis et il a été utilisé [lors] de négociations internationales concernant le financement de la conservation dans le monde, notamment pour la préservation des forêts du Bassin du Congo. Le livre s’est avéré être un bon outil de communication pour la forêt tropicale du Bassin du Congo.
Pourquoi est-il important de se concentrer non seulement sur la préservation de la biodiversité mais également sur les questions concernant l’utilisation durable, par exemple, la certification par le Forest Stewardship Council et le projet REDD+ (reducing emissions from deforestation and forest degradation, soit la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) ?
Il faut s’attaquer à la pauvreté. Le développement communautaire et économique ainsi que l’amélioration des revenus sont essentiels à la préservation des forêts. Si la population travaille et possède un revenu correct, elle n’a pas besoin de se rendre en forêt pour subvenir à ses besoins. Le livre parle d’opportunités et de solutions du point de vue économique, social et écologique. [J’ai par exemple] écrit une histoire au sujet du tourisme communautaire et non pas au sujet des lodges haut de gamme loués uniquement par les riches. Lorsque les touristes arrivent, les personnes sans emploi commencent à percevoir un revenu car elles s’occupent du transport, elles possèdent un lodge, elles cuisinent pour les touristes et elles les guident vers les forêts. Mon guide au Gabon chassait le gibier pour le revendre et il n’avait pas le choix. Aujourd’hui, il a arrêté de chasser le gibier à des fins commerciales car il est payé par les touristes.
[De la même façon], si les habitants de la forêt obtiennent un meilleur rendement et un meilleur revenu de l’agriculture en apprenant de nouvelles techniques, s’ils peuvent abandonner l’agriculture sur brûlis, c’est à leur avantage et à celui de la forêt.
Le chapitre concernant la production d’huile de palme semble être dans le même esprit. Vous abordez le besoin d’établir des bases avec les petits exploitants agricoles.
Les gens ont besoin d’huile de palme, mais elle devrait être produite de façon raisonnable et durable. C’est pourquoi, j’ai contacté Peter Minang, [cet expert scientifique du Centre international pour la recherche en agroforesterie], qui nous explique comment la produire de façon durable. Tout est une question de durabilité et d’équilibre. J’ai mis l’accent sur le besoin d’une agriculture durable car les gens ont besoin de se nourrir. Il n’y a pas assez d’aliments dans la forêt pour autant de personnes, et la population ne cesse de croître. Il y aura donc des parties de forêts abattues pour l’agriculture. Avec le charbon de bois, c’est le principal facteur [de la déforestation]. Si l’agriculture devient durable et que le rendement est meilleur, moins de forêts devront être abattues.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
La forêt tropicale du Bassin du Congo est très importante pour le bien-être des populations de la région, pour toute l’Afrique et pour le bien-être du monde entier. Plusieurs dizaines de millions de personnes dépendent directement de cette forêt pour leurs ressources. Elle contient beaucoup de dioxyde de carbone et aide à ralentir le réchauffement climatique. Elle apporte la pluie, ce qui est indispensable à l’agriculture en Afrique sub-saharienne. On y trouve beaucoup d’eau fraiche dans un monde où l’eau fraiche se fait de plus en plus rare. Ses rivières font office de réserve hydrique pour tout le continent africain. On y trouve de nombreuses espèces de plantes médicinales, dont une vingtaine est utilisée pour le traitement du cancer.
Note du rédacteur : cette interview a été raccourcie dans un esprit de clarté. L’ensemble des photos de cet article apparaissent dans l’ouvrage Les forêts d’Afrique centrale pour toujours de Meindert Brouwer.
Image de bannière du Langoué Bai dans le parc national d’Ivindo au Gabon. Image © David Greyo, photo gracieusement offerte par WCS et ANPN.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/01/saving-the-forests-of-the-congo-basin-qa-with-author-meindert-brouwer/