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Chasser les pumas pour sauver les cerfs pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté, selon une récente étude

  • Une nouvelle étude menée près de Jackson, dans le Wyoming, démontre que l’âge du puma a une forte influence sur la proie qu’il choisit de chasser.
  • Les pumas les plus âgés chassent des wapitis, l’une des plus grosses proies dans la zone où l’étude a été menée, alors que les couguars plus jeunes chassent des animaux plus petits, tels que les ratons laveurs et les cerfs mulets.
  • D’après l’auteur de cette recherche, la validité des récents plans de gestion de la faune dans l’ouest des États-Unis ayant pour but de faire accroître la population de cerfs mulets en abattant les pumas est remise en question.

Le biologiste Mark Elbroch a été surpris par la famille de pumas. Ils étaient censés être loin. Mais ils étaient là, des chatons d’un an, dans un cercle d’herbe emmêlé, gâchant les derniers moments d’un bébé cerf mulet sous les yeux de la mère puma.

Elbroch, le directeur du programme concernant les pumas pour Panthera, a vu là une rare occasion de filmer ce que les biologistes appellent le « conditionnement opérant ». Il a donc préparé les caméras réglables à distance qu’il avait dans son sac à dos et s’est retiré dans les herbes hautes dans l’ouest du Wyoming, hors de vue.

Dans le film de 25 minutes, les images confirment que « les pumas prennent du temps à devenir des tueurs efficaces », comme l’a déclaré Elbroch, et ce même lorsqu’ils ont un an et qu’ils pèsent chacun environ 23 kilogrammes (50 pounds) de plus que le faon. « Ils ne savent pas s’y prendre » a-t-il ajouté.

Les chatons n’avaient pas encore tué le faon qui hurlait lorsqu’ils l’ont traîné hors du champ des caméras. « C’est horrible à voir » a dit Elbroch.

Photo d’un puma prise par une caméra automatique en Californie. Image de Sebastian Kennerknecht.

Etant donné que les pumas apprennent à chasser tout au long de leur vie, encore bien après avoir quitté leur mère, leur choix de proies en est influencé.

Cette découverte, exposée le 29 mars dans le journal Conservation Science and Practice, remet en question l’hypothèse selon laquelle si l’on autorise les chasseurs à tuer davantage de pumas (Puma concolor) il y aura plus de wapitis des montagnes rocheuses (Cervus elaphus nelsoni) et de cerfs mulets (Odocoileus hemionus) que ce que l’homme chasse. En partant de cette hypothèse, il a récemment été décidé d’augmenter la chasse aux pumas dans l’ouest dans États-Unis.

Entre avril 2012 et janvier 2016, Elbroch et son collègue de Panthera, Howard Quigley, ont rassemblé des informations de 13 pumas portant un collier GPS dans le cadre de Teton Cougar, un projet à long terme de l’organisation qui se déroule près de Jackson dans le Wyoming. Ils ont ensuite modélisé les données pour évaluer l’influence de différents facteurs, tels que l’âge, la grandeur et le sexe de l’animal, ainsi que diverses combinaisons de ces variables, sur le type de proie que chacun de ces pumas a poursuivi. Selon Elbroch, les résultats de l’analyse étaient « incroyablement simples ».

« En vieillissant, les pumas ont tendance à choisir des proies plus imposantes » a-t-il déclaré. Et la raison est tout aussi simple.

Ce graphique montre que les pumas plus âgés chassent des proies plus grandes. Image de Panthera.

« Il faut du temps pour apprendre à abattre des animaux énormes qui font huit fois votre taille » a dit Elbroch. Les pumas « risquent leur vie à chaque fois qu’ils sautent sur le dos d’un gros animal ».

Les jeunes couguars chassent généralement de petites proies telles que les lièvres, les ratons laveurs et les lagopèdes. En vieillissant, ils réussissent à tuer des cerfs mulets, puis deviennent spécialistes de la chasse aux wapitis, l’animal le plus apprécié des pumas étudiés dans le projet et le préféré des pumas les plus âgés.

Ces résultats suggèrent que les récentes mesures visant à augmenter le nombre d’espèces herbivores convoitées, comme les cerfs mulets, seraient peu judicieuses et contre-productives. Colorado Parks and Wildlife, l’organisme de l’État qui gère la chasse au gibier, a adopté une stratégie de « contrôle des prédateurs » qui implique la chasse et la capture de 15 pumas et de 25 ours noirs (Ursus americanus) dans le but de faire augmenter le nombre de cerfs mulets dans le nord-ouest de l’État. La viande de cerf et les bois des mâles font d’eux les proies favorites des chasseurs. Panthera a déclaré que la pression exercée par les groupes de chasseurs a aidé à ce que ce plan soit mis en œuvre.

Mais les recherches antérieurs menées dans l’Idaho ont démontré que le fait de faire sortir les pumas (et les coyotes) de l’équation n’a pas aidé les populations locales de cerfs mulets à se développer, bien que plus de femelles et de faons aient survécu. Une autre étude a révélé qu’une corrélation existe entre une chasse prolongée des pumas et le fait que la population de pumas soit majoritairement jeune, car les chasseurs cherchent et tuent les individus les plus gros et les plus âgés. Le résultat de cette découverte, mis en parallèle avec cette nouvelle étude, est que le fait de tuer plus de pumas pourrait en fait faire accroître la proportion de la population qui s’attaque aux cerfs mulets qui sont plus petits et plus faciles à faire tomber que les wapitis, a annoncé Elbroch.

Un groupe de cerfs mulets. Image de Mark Elbroch/Panthera.

« La conclusion selon laquelle des conséquences inattendues sont possibles est vraiment importante » a déclaré dans une interview Kyle Knopff, un biologiste de la faune sauvage pour Golder Associés à Calgary, dans l’Alberta.

Knopff, qui n’était pas impliqué dans l’étude, a noté qu’un échantillon composé de 13 animaux était trop petit et rendait difficile le fait de pouvoir tirer des conclusions plus spécifiques. De plus, il était d’accord avec le point de vue d’Elbroch selon lequel ces résultats justifient de nouveaux tests prenant en compte plus de pumas et sur une plus longue durée. Knopff a aussi souligné qu’une telle recherche entraînerait « énormément d’efforts ».

En 2010, Knopff, alors à l’Université de l’Alberta, a publié avec ses collègues une étude dans le Journal of Wildlife Management qui examinait la sélection de proies de plus de 50 pumas dans l’Alberta. Parmi leurs découvertes majeures se trouvait l’idée que les proies choisies par chaque puma étaient différentes, mais que les mâles, qui sont bien plus gros que les femelles, poursuivaient de plus gros gibiers, tels que les élans (Alces alces).

Knopff a ajouté que, toutefois, plus de recherches étaient nécessaires afin de dire avec certitude si la chasse aux pumas accroîtra ou non les populations d’ongulés, qui incluent les wapitis, les cerfs et les mouflons d’Amérique.

« Dans certains cas, cela peut être vrai » a-t-il dit. « Mais dans d’autres, ce n’est clairement pas le cas. »

Les organismes qui gèrent la chasse au gibier favorisent souvent le contrôle du nombre de prédateurs afin d’augmenter le nombre de cerfs et de wapitis dans le paysage, mais cette recherche suggère que cette stratégie pourrait ne pas fonctionner. Image de Mark Elbroch/Panthera.

« De mon point de vue, la vraie conclusion scientifique est que nous avons besoin d’être extrêmement prudents quant à savoir comment et dans quelles circonstances nous prélevons des prédateurs si nos intentions sont d’avoir certains résultats concernant les populations d’ongulés » a déclaré Knoppf.

« Le message à retenir ici est que le choix d’animaux à éliminer de la population importe » a affirmé John Laundré, un biologiste spécialisé dans l’étude des couguars à l’Université de l’ouest de l’Oregon (Western Oregon University) dans une interview.

Laundré a précisé que l’étude d’Elbroch soutient ce que les chercheurs disent sur les relations prédateur-proie depuis des décennies.

« Ce n’est pas le prédateur qui détermine le nombre de proies » a dit Laudré. « Ce sont la météo, la quantité de nourriture disponible, la température qu’il fait, et tout ce genre de choses. »

En effet, en ce qui concerne la diminution du nombre de cerfs mulets, beaucoup de scientifiques rejettent la faute sur les sécheresses prolongées qui ont eu lieu à travers l’ouest des États-Unis, et non pas sur les pumas ou d’autres prédateurs.

Un puma mangeant un faon. Image de Mark Elbroch⁄Panthera.

Pourtant, maîtriser les populations de prédateurs reste la stratégie préférée en matière de gestion de la faune sauvage des organismes dans l’Ouest. Elbroch estime qu’il est important de noter que la chasse légale dans sa forme courante à travers l’ouest des États-Unis et du Canada n’est pas prête d’exterminer les pumas. Les gestionnaires de la faune sauvage « ont fait un super boulot en maintenant les pumas dans le paysage ».

Mais, a-t-il ajouté, « je crois vraiment que la chasse est ce qui menace le plus la stabilité et le rôle écologique des pumas ».

Dans une récente étude, Elbroch et son équipe ont fait état que les pumas sont des « ingénieurs de l’écosystème », car les carcasses qu’ils laissent derrière eux fournissent de la nourriture et un habitat pour un large éventail d’autres créatures. Les chercheurs ont retrouvé 215 espèces de coléoptères dans les proies tuées par les pumas.

Bien que les stratégies de gestion usuelles assurent la persistance des couguars dans l’Ouest, ces approches ne tiennent pas compte « des effets involontaires » de la chasse, a dit Elbroch. A son avis, cela exige de « s’éloigner de l’évaluation chiffrée » des pumas.

« Les chiffres ne sont pas ce qui construit les populations. Les individus construisent les populations » a déclaré Elbroch. « Les pumas sont des individus. Nous devons le reconnaître. »

Image de bannière d’un puma, prise par Mark Elbroch/Panthera. 

Citations

Barry, J. M., Elbroch, L. M., Aiello-Lammens, M. E., Sarno, R. J., Seelye, L., Kusler, A., … & Grigione, M. M. (2018). Pumas as ecosystem engineers: ungulate carcasses support beetle assemblages in the Greater Yellowstone Ecosystem. Oecologia, 1-10. doi:10.1007/s00442-018-4315-z

Elbroch, L. M., & Quigley, H. (2019). Age‐specific foraging strategies among pumas, and its implications for aiding ungulate populations through carnivore control. Conservation Science and Practice1(4), e23. doi:10.1111/csp2.23

Hurley, M. A., Unsworth, J. W., Zager, P., Hebblewhite, M., Garton, E. O., Montgomery, D. M., … & Maycock, C. L. (2011). Demographic response of mule deer to experimental reduction of coyotes and mountain lions in southeastern Idaho: Réponse Démographique du Cerf Mulet à la Réduction Expérimentale des Populations de Coyotes et de Pumas dans le Sud de l’Idaho. Wildlife Monographs178(1), 1-33. doi:10.1002/wmon.4

Knopff, K. H., Knopff, A. A., Kortello, A., & Boyce, M. S. (2010). Cougar kill rate and prey composition in a multiprey system. The Journal of Wildlife Management74(7), 1435-1447. doi:10.2193/2009-314

Teichman, K. J., Cristescu, B., & Darimont, C. T. (2016). Hunting as a management tool? Cougar-human conflict is positively related to trophy hunting. BMC Ecology16(1), 44. doi:10.1186/s12898-016-0098-4

Article original: https://news.mongabay.com/2019/04/hunting-pumas-to-save-deer-could-backfire-new-research-suggests/

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