Nouvelles de l'environnement

Madagascar : la mine de Rio Tinto viole une zone humide sensible

  • Selon deux récentes études, une grande mine de sables minéralisés située dans le sud-est de Madagascar a empiété sur une « zone sensible », enfreignant ainsi la loi nationale et impliquant que des résidus enrichis en radionucléides puissent entrer dans un lac servant de source d’eau potable aux populations locales.
  • Rio Tinto, la multinationale basée à Londres qui détient la mine, a reconnu pour la première fois cette violation dans une note du 23 mars, soit plus de cinq ans après l’événement.
  • Rio Tinto tiendra son assemblée générale annuelle le 10 avril à Londres.
  • La directrice d’une ONG qui a commandé l’une des études est une actionnaire ; elle dit espérer pouvoir parler de ce qui s’est passé au lac.

Une grande mine de sables minéralisés située dans le sud-est de Madagascar a violé une « zone sensible », enfreignant ainsi la loi nationale et impliquant que des résidus enrichis en radionucléides puissent entrer dans un lac servant de source d’eau potable aux populations locales.

À ce jour, il n’existe aucune preuve que des éléments radioactifs ou résidus miniers se sont infiltrés dans le lac, mais deux récentes études ont confirmé l’empiètement des activités minières sur le lac. Rio Tinto, la multinationale basée à Londres propriétaire de la mine, a reconnu pour la première fois cet empiètement le 23 mars dans une note adressée à la fondation Andrew Lees Trust (ALT), un groupe de plaidoyer social et environnemental qui a commandé l’une des études.

Cette violation soulève des préoccupations sanitaires et sécuritaires dans l’une des régions les plus appauvries de Madagascar. Le lac, qui fait partie d’un système d’estuaires boisés à quelques kilomètres de la ville de Tôlanaro, ou Fort Dauphin, offre aux habitants des villages voisins un espace de pêche et de cueillette.

« Inonder cet estuaire d’eau radioactive serait une catastrophe tant sur le plan environnemental que pour les droits de l’homme » a déclaré à Mongabay Steven Emerman, géophysicien et consultant en hydrologie, auteur de l’étude de 2018 commandée par l’ALT.

Map shows the location of Rio Tinto’s QIT Madagascar Minerals mine. image courtesy of Google Earth.
La carte montre la localisation géographique de la mine QIT Madagascar Minerals de Rio Tinto Image de Google Earth.

Steven Emerman se dit inquiet qu’un cyclone fasse déborder les bassins miniers, entraînant le déversement de résidus dans le lac. Il craint aussi que ces résidus s’y infiltrent en raison de modifications du niveau de la nappe phréatique. Les sables minéralisés qui sont exploités renferment de hauts niveaux d’uranium et de thorium ; l’extraction d’ilménite, le principal produit de la mine, peut accroître la concentration d’éléments radioactifs. L’ilménite produit du dioxyde de titane, utilisé comme agent blanchissant dans des produits tels que la peinture et le dentifrice.

Une autre étude publiée aujourd’hui par l’ALT a mis au jour des niveaux admissibles de radionucléides dans les rivières et lacs de la région. Elle a par ailleurs découvert que la zone entourant la mine, notamment l’eau de la rivière, présentait des niveaux élevés d’uranium qui pourraient poser des risques aux habitants, bien que l’on ignore si ces niveaux sont d’origine naturelle ou causés par des activités minières. L’auteure de l’étude a également noté qu’elle avait dû se baser sur des données « restreintes » et « douteuses » fournies par Rio Tinto, et a exhorté la société à améliorer sa surveillance et sa gestion des matériaux radioactifs. En réaction à l’étude, Rio Tinto a maintenu que les hauts niveaux d’uranium étaient d’origine naturelle, en citant une étude à l’appui.

Steven Emerman et Rio Tinto ont des points de vue radicalement opposés sur la manière de protéger au mieux le lac des résidus miniers. Rio Tinto a mis en place une barrière, mais dans son étude, Steven Emerman fait remarquer que les critères de sécurité utilisés par l’entreprise pour la construction seraient mieux adaptés à « des égouts pluviaux sur un parking de centre commercial ». Il ajoute que la lecture des rapports de Rio Tinto l’a porté à croire que « le barrage n’a pas été construit pour satisfaire des critères de sécurité, mais simplement “formé” en érigeant des montagnes de sable avec un bulldozer. »

De plus, Steven Emerman s’est dit préoccupé du fait que le barrage était lui-même largement fabriqué à base de résidus — fait reconnu par Rio Tinto. Ceci pourrait contribuer davantage à l’infiltration de résidus dans le lac, lac que le barrage est censé protéger. « Construire un barrage à base de résidus, à quoi bon ? » s’est exclamé Steven Emerman dans son entretien avec Mongabay.

Dans sa note, Rio Tinto explique avoir mis en œuvre un plan d’action visant à évaluer et potentiellement réaménager le barrage (ou berme — le choix du terme exact fait débat) avant la fin de l’année.

En 2018, Rio Tinto a commissionné Ozius Spatial, un cabinet-conseil australien, pour déterminer si les activités minières avaient empiété sur le lac et la zone tampon, tel que l’avait avancé ALT. Ozius, tout comme Steven Emerman, a découvert que les activités minières de la société avaient empiété non seulement sur tout le périmètre de protection d’une des rives du lac (une forêt littorale composée d’espèces uniques de conifères), mais aussi sur le lit de ce dernier.

Rio Tinto a refusé de publier l’étude d’Ozius et n’a pas reconnu publiquement la violation, en dehors de ses communications avec ALT. La société a bien fourni un exemplaire de l’étude d’Ozius à ALT pour que Steven Emerman puisse l’utiliser dans le cadre de son travail. Ni Rio Tinto ni Ozius n’ont répondu aux demandes de commentaires pour cet article.

Il n’est pas certain que l’empiètement de Rio Tinto sur le lac ait été intentionnel. Dans une récente note, Rio Tinto a qualifié la violation d’« événement non intentionnel qui a généré plusieurs enseignements importants. » Toutefois, l’entreprise a connaissance de la possibilité de violation depuis plusieurs années. En 2014, elle a sollicité, auprès de l’organisme réglementaire malgache ONE (National Environment Office) — la permission de réduire la taille de la zone tampon au bord du lac de 80 m (la norme selon la loi nationale) à 50 m. ONE a donné suite à cette demande. Pourtant, l’étude d’Ozius montre que, début 2014, Rio Tinto avait non seulement exploité le périmètre de protection, mais aussi empiété de 52 m sur le lac, nous apprend Steven Emerman, qui a repris ces conclusions dans sa propre étude (voir la légende de l’illustration pour plus d’informations).

ONE a inspecté la violation en août 2018, jugeant son impact « négligeable », et a choisi de ne pas prendre de mesures réglementaires, selon une récente note de Rio Tinto adressée à ALT.

Rio Tinto’s QIT Madagascar Minerals site in 2009 and 2016. Madagascar law requires an 80-meter (262-foot) buffer zone between mining activity and any sensitive area, including marshy areas, wetlands, lakes and lagoons. In 2014, Rio Tinto received a permit to reduce this to 50 meters in certain areas. However, two recent studies show that Rio Tinto’s mining activities encroached not only all the way through the buffer zone but onto the lake bed itself. In one, Utah-based geophysicist Steven Emerman, using data from NASA, found that Rio Tinto’s activities had encroached 117 meters (384 feet) into the lake. In the other, Ozius Spatial, an Australian consultancy, found that the company had encroached 52 meters (171 feet) into the lake. To do so, the consultancy used aerial lidar data provided by Rio Tinto, which the mining company has declined to release publicly or share with Emerman or the Andrew Lees Trust, which commissioned Emerman’s work. The key disagreement between the two studies is about where the lake bed begins, not about the extent of mining activities. Images courtesy of Steven Emerman.

Rio Tinto’s QIT Madagascar Minerals site in 2009 and 2016. Madagascar law requires an 80-meter (262-foot) buffer zone between mining activity and any sensitive area, including marshy areas, wetlands, lakes and lagoons. In 2014, Rio Tinto received a permit to reduce this to 50 meters in certain areas. However, two recent studies show that Rio Tinto’s mining activities encroached not only all the way through the buffer zone but onto the lake bed itself. In one, Utah-based geophysicist Steven Emerman, using data from NASA, found that Rio Tinto’s activities had encroached 117 meters (384 feet) into the lake. In the other, Ozius Spatial, an Australian consultancy, found that the company had encroached 52 meters (171 feet) into the lake. To do so, the consultancy used aerial lidar data provided by Rio Tinto, which the mining company has declined to release publicly or share with Emerman or the Andrew Lees Trust, which commissioned Emerman’s work. The key disagreement between the two studies is about where the lake bed begins, not about the extent of mining activities. Images courtesy of Steven Emerman.
Le site QIT Madagascar Minerals de Rio Tinto en 2009 (en haut) et en 2016 (au-dessus). La loi de Madagascar exige un périmètre de protection de 80 m entre l’activité minière et toute zone sensible, y compris les zones marécageuses et humides, les lacs et les lagunes. En 2014, Rio Tinto a reçu un permis lui permettant de réduire ce périmètre à 50 m dans certaines zones. Toutefois, deux récentes études montrent que les activités de Rio Tinto ont empiété non seulement sur tout le périmètre de protection, mais aussi sur le lit du lac lui-même. Dans l’une d’elles, le géophysicien Steven Emerman, basé dans l’Utah, a découvert, grâce à des données de la NASA, que les activités de Rio Tinto avaient empiété de 117 mètres sur le lac. Dans l’autre, Ozius Spatial, un cabinet-conseil australien, a mis au jour le fait que l’entreprise avait empiété de 52 mètres sur le lac. Aux fins de cette étude, le cabinet-conseil avait utilisé des données lidar fournies par Rio Tinto, données que la société minière avait refusé de publier ou de communiquer à Steven Emerman ou à la fondation Andrew Lees Trust, qui avait commandé le travail d’Emerman. Le principal point de désaccord entre les deux études concerne l’endroit où débute le fond du lac et non l’étendue des activités minières. Image de Steven Emerman.

Ce sont des considérations financières qui semblent avoir poussé Rio Tinto à exploiter la mine près du lac, où l’on trouve une ilménite de grande qualité. Dans une note de 2017 adressée à ALT, Rio Tinto a expliqué ses actions d’un point de vue purement financier. « L’impact du respect du périmètre de protection de 80 mètres serait 1) une perte de réserves de 9 % ; 2) une durée de vie non optimale du plan minier : le minerai de qualité supérieure et au plus bas coût du nord-est serait uniquement accessible en fin de vie de la mine. »

À Madagascar, Rio Tinto opère via QIT Madagascar Minerals (QMM), détenu à 80 pour cent par Rio Tinto et, du moins sur papier, à 20 pour cent par le gouvernement malgache. QMM est la deuxième exploitation minière du pays. Rio Tinto a investi plus de 1 milliard de dollars US dans le projet et exporte la majorité de l’ilménite à transformer vers le Canada. L’entreprise a expédié son premier lot d’ilménite en 2009, et ses opérations pourraient se poursuivre pendant 40 ans sur trois sites, y compris des zones en lisière de zones protégées. Des opérations sont uniquement en cours sur le site de Mandena, qui a violé le système d’estuaire (ce dernier est maintenant une zone humide d’eau douce, puisqu’avant de débuter l’exploration minière, Rio Tinto a construit un barrage le coupant de l’océan).

Rio Tinto’s QIT Madagascar Minerals mine in southeastern Madagascar. Image courtesy of Google Earth.
La mine QIT Madagascar Minerals de Rio Tinto dans le sud-est de Madagascar. Image de Google Earth.

Les critiques ont mis en doute l’indépendance de ONE et sa capacité d’agir en tant que régulateur neutre. Le site Internet de ONE fait apparaître Rio Tinto aux côtés de la Banque mondiale et de l’Union européenne comme bailleur de fonds. Et en raison de questions de financement gouvernemental, Rio Tinto doit régler les frais de transport aérien du personnel réglementaire en provenance de la capitale, ainsi que l’hébergement en hôtel et la surveillance de la société.

« Ceci crée un conflit d’intérêts évident dont personne n’est satisfait, y compris QMM » a affirmé à Mongabay Pete Lowry, botaniste du Missouri Botanical Garden basé à Paris. Ce dernier a à son actif des dizaines d’années d’expérience professionnelle dans le sud-est de Madagascar, et siège au comité de QMM sur la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles. « Mais en réalité, si une surveillance a lieu, c’est QMM qui paye. »

Le représentant de ONE contacté n’a pas répondu à la demande de commentaire portant sur cette histoire.

Rio Tinto tiendra son assemblée générale annuelle le 10 avril à Londres. Yvonne Orengo, directrice d’ALT, détient une action de l’entreprise. Elle dit espérer pouvoir parler de ce qui s’est passé au lac.

« Cela a pris deux ans à la fondation [ALT] et un énorme effort pour faire en sorte que Rio Tinto admette la violation », a-t-elle confié à Mongabay par e-mail. « Ceci souligne combien il est difficile pour les habitants de tenir QMM responsable de ses actes répréhensibles ou du non-respect de ses obligations. »

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Article original: https://news.mongabay.com/2019/04/madagascar-rio-tinto-mine-breaches-sensitive-wetland/

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