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Optez pour un plus petit bateau : les médias occultent la réduction de la taille des poissons « médiatiques »

  • Il ressort d’une récente étude qu’au fil du temps la taille de certaines espèces de poissons, qualifiés de « médiatiques », diminue.
  • Les auteurs de cette étude ont décortiqué la presse anglophone, en remontant jusqu’en 1869, à la recherche de termes tels que « énorme » et « géant » pour qualifier les débarquements de poissons remarquables. Ils ont comparé les longueurs enregistrées avec celles des plus grands spécimens recensés au sein de chaque espèce.
  • Ils ont découvert que, pour certains « gros poissons emblématiques », tels que les requins-baleines et les raies manta, la taille, à partir de laquelle ils sont considérés comme grands, s’est peu à peu réduite.
  • Ce changement des états de référence pourrait poser un problème pour les efforts de conservation, car il donne l’impression que « la mer regorge encore de très grands poissons », a déclaré Isabelle Côté, professeure en écologie marine.

Les rédacteurs en chef des journaux raffolent des gros titres hyperboliques. Ainsi, lorsqu’un pêcheur local attrape ce qui lui semble être une prise record, cela fait souvent les gros titres. Mais une récente étude a révélé que la taille de certains de ces poissons remarquables a diminué au fil du temps, alors même que les journalistes continuent de recourir à des superlatifs tels que « le plus grand » et « le mammouth » pour les qualifier.

« Il est inquiétant que les médias utilisent des adjectifs similaires pour décrire des poissons qui sont de plus en plus petits, car l’opinion des gens se base souvent sur ce qu’ils lisent dans les médias », a écrit dans un email Isabelle Côté, auteur principale de cette étude et professeure en écologie marine à l’Université Simon Fraser, au Canada.

Photo de Per-Ola Norman (domaine public) d’un poisson-lune (Mola Mola), une espèce classée par les chercheurs dans la catégorie des poissons « emblématiques », dans un aquarium au Danemark.

Les scientifiques disposent de nombreuses preuves montrant que des siècles de pêche dans les océans du monde entier ont épuisé les stocks. En outre, les poissons que l’on trouve sur les étals de marché sont souvent plus petits que par le passé. Mme Côté a indiqué que, lorsqu’elle a vu une photo d’un énorme poisson dans un ancien journal, elle a commencé à se demander si les médias avaient bien conscience de ces changements.

« Cette situation m’a amenée à me demander si les journalistes utilisent aujourd’hui les mêmes expressions pour décrire des poissons passablement plus petits », a-t-elle déclaré.

Cette question les a conduits, ses collègues et elle, à décortiquer la presse anglophone qui mentionne les débarquements de poissons remarquables, en remontant aussi loin qu’au milieu des années 1800. Les chercheurs ont utilisé des termes tels que « monstre », « gigantesque » et « énorme » pour filtrer leurs résultats. Ils se sont retrouvés avec plus de 260 articles qui incluaient une mesure réaliste de la taille des poissons et qui leur permettaient aussi de déterminer de quel type de poisson il était question.

Ensuite, les chercheurs ont comparé la longueur des poissons indiquée avec celle des plus grands poissons recensés au sein de chaque espèce.

L’étude a révélé que les journaux étaient moins susceptibles de qualifier les prises de la pêche sportive, comme cet espadon (Xiphias gladius), de « plus grandes », lorsqu’elles ne l‘étaient pas. Photo de Derke Snodgrass/NOAA/NMFS/SEFSC/SFD (domaine public).

Dans le journal PeerJ, , le 15 février dernier, les chercheurs ont expliqué en somme que « la longueur relative du plus grand poisson digne de faire les gros titres avait peu à peu diminuée ». Mme Côté a déclaré que ce résultat ne les avait pas beaucoup surpris, compte tenu du fait qu’ils s’attendaient à trouver un « changement des états de référence » de ce qui constituait un spécimen « médiatique ». Le phénomène de changement des états de référence signifie que nous acceptons que la réduction de la taille de quelque chose au fil du temps – des stocks de poissons, par exemple, ou des poissons eux-mêmes dans le cas présent – devienne la norme.

Toutefois, l’analyse a également révélé que cette tendance de réduction de la taille des poissons ne concernait que certaines espèces de poissons. La prise des gros poissons, tels que les requins-baleines (Rhincodon typus), les raies manta (Mantaobula spp) et les poissons-lunes (Mola spp) attire fréquemment les journalistes. Selon Mme Côté, les pêcheurs n’ont pas pour habitude de sortir en mer pour attraper ces « gros poissons emblématiques », qui tendent également à être plus grands que beaucoup d’autres espèces. Le simple fait qu’ils aient été pêchés s’avérait intéressant.

La longueur des poissons qualifiés de « géants » a cependant diminué entre 1869 et 2015. Les chercheurs ont découvert que les poissons emblématiques mentionnés dans les journaux au cours de l’étude étaient, en moyenne, deux fois plus petits que les plus gros spécimens enregistrés pour chaque espèce. L’analyse a également révélé que ces espèces étaient dans l’ensemble davantage menacées d’extinction.

L’équipe de chercheurs n’a pas relevé de changement des états de référence pour la pêche sportive. Les prises de requins et de balaous, incluant les marlins et les voiliers, réalisées en pleine mer ou en zone pélagique étaient généralement qualifiées de grandes lorsque leur longueur correspondait en effet à cette description.

Les chercheurs ont découvert que la taille des raies manta mentionnée dans les médias était soumise à un changement des états de référence. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

Selon Mme Côté, il est probablement plus facile pour les journalistes d’obtenir des informations plus précises sur ces poissons qui sont mieux recensés, par exemple en raison des concours. En fait, à cause de la pénurie de données disponibles relatives aux espèces emblématiques, il est difficile de démontrer le déclin de la taille de ces poissons, « non pas parce que les tendances ne sont pas au déclin, mais parce que les données n’ont pas été collectées », a-t-elle ajouté.

« Compte tenu du fait que nous possédons de nombreuses preuves établissant le déclin des autres espèces (telles que les requins pélagiques), il y a tout lieu de croire que la plupart des espèces emblématiques sont dans la même situation », a expliqué Mme Côté.

Le manque de chiffres définitifs, associé aux manchettes des journaux consacrées aux gros poissons, « peuvent donner l’impression (notamment aux personnes qui ne connaissent pas bien l’océan) que la mer regorge encore de très grands poissons », a-t-elle fait observer.

« Il est alors difficile de les convaincre qu’il y a un problème ».

Image en bannière d’un requin-baleine mâle à l’aquarium Georgia, aux États-Unis, de Zac Wolf via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.5 ). 

John Cannon est un rédacteur de Mongabay situé au Moyen-Orient. Suivez-le sur Twitter : @johnccannon

Citations

Francis, F. T., Howard, B. R., Berchtold, A. E., Branch, T. A., Chaves, L. C., Dunic, J. C., … & Côté, I. M. (2019). Shifting headlines? Size trends of newsworthy fishes. PeerJ, 7, e6395. doi: 10.7717/peerj.6395

Pauly, D. (1995). Anecdotes and the shifting baseline syndrome of fisheries. Trends in Ecology & Evolution, 10(10), 430. doi: 10.1016/S0169-5347(00)89171-5

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Article original: https://news.mongabay.com/2019/03/newsworthy-fish-of-some-species-are-smaller-than-they-used-to-be/

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