Nouvelles de l'environnement

Le futur Président de Madagascar va prendre ses fonctions, avec un bilan écologique douteux

  • Le 19 janvier 2019, Andry Rajoelina a dû prêter serment en tant que Président de Madagascar.
  • De nombreux écologistes et représentants de la société civile sont déçus de son élection.
  • Rajoelina a en fait déjà été Président de 2009 à début 2014, à la suite d’un coup d’État qui lui a permis d’arriver au pouvoir.
  • Son précédent gouvernement a été accusé de corruption, notamment en matière de gestion des ressources naturelles. Une rumeur a couru sur les hauts fonctionnaires, dont Rajoelina lui-même, comme étant impliqué dans le commerce illégal de bois de rose, commerce qui a fleuri lors de sa présidence.

Andry Rajoelina a dû prêter serment en tant que Président de Madagascar le 19 janvier dernier à la suite de sa victoire face à son adversaire de longue date, Marc Ravalomanana, lors du second tour des élections présidentielles malgaches de décembre 2018.

De nombreux écologistes et représentants de la société civile ont été déçus du résultat de cette élection, considérant que le précédent gouvernement de Rajoelina avait échoué. En effet, Rajoelina a été Président de 2009 à début 2014 après un coup d’État qui lui a permis d’arriver au pouvoir. Selon de nombreux rapports, son gouvernement a été fragilisé par la corruption, notamment en matière de gestion des ressources naturelles. Une rumeur a couru sur les hauts fonctionnaires, dont Rajoelina lui-même, comme étant impliqué dans le commerce illégal de bois de rose, lequel a fleuri lors de sa présidence, causant des dégâts dans les forêts malgaches dont la biodiversité est riche et sensible.

« Le manque de transparence dans la gestion des ressources publiques était un problème récurrent et l‘état de droit était plus faible que jamais » indique dans un email à Mongabay la Directrice exécutive de Transparency International – Initiative Madagascar (TI-IM), Ketakandriana Rafitoson, à propos du dernier mandat de Rajoelina en tant que Président. Le trafic de ressources naturelles (bois de rose, or, pierres précieuses, etc.) se développait à l’état sauvage » ajoute-t-elle en soulignant que les niveaux de corruption gouvernementale étaient à leur apogée de 2009 à 2013.

Andry Rajoelina, who will be sworn in as Madagascar’s president, with then-president of France, Nicolas Sarkozy, in 2011. Unlike his rival Marc Ravalomanana, Rajoelina is seen as having close ties with France, Madagascar’s former colonial power. Image by Jeannot Ramambazafy via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).
Andry Rajoelina – qui a prêté serment en tant que Président de Madagascar – avec le Président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, en 2011. À la différence de son adversaire, Marc Ravalomanana, Rajoelina est connu pour ses liens étroits avec la France, ancienne puissance coloniale de Madagascar. Photo prise par Jeannot Ramambazafy via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Une ascension tumultueuse

À la fin de la première décennie des années 2000, Rajoelina était un jeune maire branché d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, le second fief politique le plus important du pays. Il est rapidement devenu le visage de l’opposition, qui était à ce moment-là Marc Ravalomanana. Ravalomanana a été élu deux fois mais sa popularité chutait car, entre autres, il prévoyait de louer à une entreprise sud-coréenne spécialisée dans l’agroalimentaire près de la moitié des terres arables du pays pour une durée de 99 ans. Après des mois de manifestations, dont certaines ont entrainé des violences policières, le camp de Rajoelina a remporté le soutien d’une grande partie de l’armée. En mars 2009, l’armée a forcé Ravalomanana à démissionner et à s’exiler en Afrique du Sud.

En quelques jours, Rajoelina est devenu le leader du gouvernement dit « de transition ». Les parties politiques anti Ravalomanana ont convergé vers Rajoelina en raison de sa personnalité charismatique – il a autrefois été disc jokey et a par la suite dirigé avec succès une entreprise dans le secteur des médias – et car, à seulement 34 ans, il n’a pas le bagage des autres leaders potentiels.

Cependant, Rajoelina a rapidement accumulé un lourd bagage et a connu des difficultés en voulant forger sa crédibilité. L’Union africaine a condamné son ascension au pouvoir, qualifiée de coup d’État « non constitutionnel », et a suspendu l’adhésion de Madagascar. Rajoelina n’a eu le droit de prendre la parole lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. De nombreux pays donateurs ont levé des fonds, ce qui a eu un impact considérable sur l’économie du pays ; pendant le mandat de son prédécesseur, jusqu’à 70 % du budget étatique provenait de l’aide internationale. Pire encore, Rajoelina est arrivé en plein milieu de la crise économique mondiale.

Ses opposants déclarent que Rajoelina a aggravé la situation en ébranlant les institutions démocratiques malgaches. Avant d’arriver au pouvoir en mars 2009, il a dissout les 2 chambres parlementaires. Et, alors qu’il promettait de maintenir les élections présidentielles tous les ans ou tous les deux ans (les promesses variaient), son gouvernement de transition a fini par durer cinq ans. Cerise sur le gâteau, alors qu’il n’y avait pas de preuve tangible, ses opposants affirment qu’il se trouvait au centre d’une cyber criminalité répandue dans tous les parcs nationaux du pays jusqu’aux services douaniers chinois.

Piles of confiscated rosewood logs outside the provincial forestry and environment office in Antalaha, Madagascar, in 2017. The country is engaged in a long-running debate about how to dispose of confiscated illegally logged rosewood, and its stockpiles are notoriously porous. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Des piles de bûches de bois de rose confisquées en dehors du bureau provincial de la foresterie et de l’environnement d’Antalaha, Madagascar, en 2017. Le pays est engagé dans un long débat sur l’élimination du bois de rose enregistré et confisqué illégalement, et ses réserves sont incroyablement poreuses. Photo prise par Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Moins d’arbres mais une réputation ombragée

L’exploitation du bois de rose existe depuis longtemps à Madagascar mais elle a battu tous les records pendant et après la crise économique de 2009. L’instabilité politique a créé une situation d’impunité dans les forêts tropicales du nord-est du pays, lieu de nombreuses menaces pour l’espèce Dalbergia – de haute valeur – dont le bois rouge brillant est utilisé pour fabriquer des meubles traditionnels en Chine.

Bien que le reproche lui soit souvent fait, Rajoelina n’était pas responsable de la hausse soudaine de ce trafic. C’était en fait Ravalomanana qui avait commencé lorsque, en janvier 2009, il a transgressé la loi en vigueur et a accordé la permission à 13 hommes d’affaires de renom – les magnats du bois à Madagascar – d’exporter le bois de rose pendant 3 mois. Ravalomanana cherchait désespérément leur soutien tout en essayant de se maintenir au pouvoir, et il a vraisemblablement vu dans les marchandises exportées une source de revenus pour son gouvernement endetté.

After being forced into exile in early 2009, former president Marc Ravalomanana spent the last decade trying to return to power only to fall just short in last month’s presidential election. Here he appears in Copenhagen, Denmark, in 2017. Image by Mogens Engelund via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).
Après avoir été forcé à l’exil début 2009, l’ancien Président Marc Ravalomanana a passé la dernière décennie à essayer de revenir au pouvoir uniquement pour se classer de justesse lors du dernier mois de l’élection présidentielle. Sur la photo, le voici en 2017 à Copenhague, Danemark.
Photo prise par Mogens Engelund via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Si c’est bien Ravalomanana le responsable de la ruée vers les forêts, Rajoelina n’a rien fait pour y mettre fin, bien au contraire. En août 2009, il a émis un mandat étranger permettant aux magnats du bois d’exporter du bois de rose « afin de calmer la situation économique ». Il a plus tard contré cette mesure mais à ce moment-là, ce commerce avait le vent en poupe et son gouvernement a fait peu de choses pour stopper ou persécuter les personnes participant à ce commerce illégal. Ce qui a fait de lui l’objet de moquerie internationale. La chaîne télévisée National Geographic a diffusé un long métrage sur la crise du bois de rose. La chambre des représentants étatsunienne a voté une résolution appelant à arrêter l’abattage illégal ; et les Nations Unies ont ajouté les forêts tropicales de l’est de Madagascar à la liste du patrimoine mondial en péril.

Quelques preuves suggèrent que Rajoelina pourrait avoir été personnellement impliqué dans le commerce de bois de rose. Lorsqu’il a terminé son mandat en 2014, une large pile de bûches de bois de rose a été retrouvée au palais présidentiel. Les dirigeants de la société de bois de rose à Guangzhou, Chine, ont indiqué qu’ils connaissaient Rajoelina depuis sa visite de Guangzhou alors qu’il était maire, selon un rapport de 2010 par Environmental Investigation Agency and Global Witness, des groupes d’avocats basés à Washington D.C. et Londres qui effectuent du travail de reporter non couvert. Rajoelina a écarté ce rapport comme étant une campagne de dénigrement et a nié à plusieurs reprises son implication dans le commerce de bois de rose. Son équipe de communication n’a pas répondu aux questions pour cet article, notamment sur son rôle dans le commerce de bois de rose.

Rajoelina a également fait l’objet de critiques à propos de la société qu’il possède. L’exemple le plus notable est son conseiller de longue date Maminiaina « Mamy » Ravatomanga, patron du conglomérat Groupe Sodiat cet classé comme l’un des « dix millionnaires de Madagascar que vous devriez connaître » par la revue Forbes en 2017. Ravatomanga est souvent apparu en public avec Rajoelina pendant le premier mandat de ce dernier. Comme Rajoelina, il est souvent lié au commerce illégal de bois de rose. Il est actuellement également mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment d’argent en France. La Tribunal de Grande Instance de Paris a récemment demandé la saisie de 3 propriétés qu’il a acheté près de Paris en 2011. Ravatomanga est également recherché par le bureau anti blanchiment d’argent de Madagascar au point qu’il s’est vu interdire de quitter le pays. Malgré tous les problèmes de Ravatomanga, Rajoelina est resté loyal face à son commanditaire. Dans une récente interview avec la RFI, Rajoelina a refusé de prendre de la distance avec cette figure notoire.

Le record environnemental de Rajoelina a amené un scientifique très connu à dénoncer Rajoelina avant le dernier mois des élections présidentielles. La victoire d’A. Rajoelina serait synonyme de « désastre environnemental » et serait un « coup dur pour la survie de la nature », a écrit dans l’éditorial d’Al Jazeera William Laurance, écologiste spécialiste de la forêt tropicale à l’Université James Cook en Australie et membre du comité consultatif de Mongabay.

Rainforest at Tampolo on the Masoala Peninsula. The peninsula has been heavily logged for rosewood in the wake of the 2009 coup d’etat that brought Andry Rajaolina to power in Madagascar for the first time. He was elected to the presidency in December and will take office Jan 19. Image by Rhett A. Butler.
La forêt tropicale de Tampolo sur la Péninsule de Masoala. La péninsule a été lourdement exploitée au début de l’année 2009 pour son bois de rose, suite au coup d’État qui a hissé Andry Rajaolina au pouvoir pour la première fois à Madagascar. Photo prise par Rhett A. Butler.

Une victoire contestée, un futur incertain

Lors du premier tour des élections présidentielles à Madagascar, le 7 novembre 2018, 36 candidats étaient en lice dont Rajoelina et Ravalomanana, les 2 anciens Présidents les plus populaires et subventionnés, qui à eux deux ont recueilli 75 % des suffrages, dépassant largement les voix remportées par le Président sortant, Hery Rajaonarimampianina, et leur permettant de se présenter au second tour du 19 décembre 2018. Aucune campagne présidentielle n’a été d’accord pour rendre publique ses finances – en dépit de la demande de Transparency international – nous ne savons donc pas combien d’argent a été dépensé ni comment les campagnes ont été financées.

La campagne de Rajoelina a été bien menée et bien organisée. Son équipe a utilisé cinq hélicoptères pour traverser le pays, à distribuer des t-shirts et autres cadeaux. (La campagne de Ravalomanana a utilisé deux hélicoptères). D’après Richard Marcus – professeur des études internationales à l’Université d’État de Californie à Long Beach qui s’est penché sur les hommes politiques à Madagascar depuis 3 décennies et était dans le pays pendant la période électorale – les habitants d’Antananarivo ont été payés entre 7 500 et 15 000 Ariary (entre 1,89 et 3,79 euros) par jour pour porter les t-shirts « Rajoelina » ou participer à des meetings.

« J’ai été impressionné par le niveau d’organisation » raconte M. Marcus à Mongabay, « on n’a jamais vu un tel niveau d’organisation lors des précédentes élections » ajoute-t-il.

Les efforts ont payé à la sortie des urnes, où Rajoelina a recueilli 56 % des voix contre 44 % pour Ravalomanana. Ravalomanana a saisi la Cour Suprême de Madagascar, en citant des centaines d’affaires de fraudes électorales dans tout le pays. Mais le 8 janvier 2019, la Cour Suprême a déclaré que même si les revendications étaient justifiées, ce ne serait pas assez pour changer le résultat électoral, du fait que Rajoelina a plus de 500 000 voix d’écart avec Ravalomanana.

De nombreux écologistes et observateurs internationaux ont indiqué à Mongabay qu’ils espéraient que le nouveau mandat de Rajoelina soit différent du premier. Âgé aujourd’hui de 44 ans et démocratiquement élu, il a l’occasion de prendre un nouveau départ. Lors des discours de campagne, il a reconnu qu’il avait commis des erreurs et souhaité fortement les rectifier. « Sa campagne était pour moitié populiste et pour moitié un mea culpa » déclare M. Marcus.

Ankarana sportive lemur (Lepilemur ankaranensis), an endangered species whose habitat is threatened by rosewood logging. Image by Rhett A. Butler.
Le lémurien sportif Ankarana (Lepilemur ankaranensis), une espèce en danger dont l’habitat est menacé par l’abattage du bois de rose. Photo prise par Rhett A. Butler.

Mais ces observateurs restent inquiets. Lors de son premier mandat, Rajoelina a prouvé qu’il était favorable, pas seulement à l’extraction des ressources naturelles dans les forêts tropicales, mais également aux intérêts pétroliers et miniers, et il n’est pas certain que ces priorités aient changées. Sa plateforme en ligne indique qu’il voit la hausse des activités minières comme un moyen de rendre Madagascar moins dépendante de l’aide internationale. La plateforme ne reconnaît pas l’unique ensemble d’écosystèmes de Madagascar ni n’établit de plan pour protéger l’environnement et dans la liste des conseillers en ressources naturelles aucun n’a de connaissances en conservation. Ses discours de campagne montraient également que le secteur minier serait un pilier central de son programme économique, d’après Zo Randriamaro, coordinatrice du Centre de recherche et d’appui pour les alternatives de développement – océan Indien (Research and Support Center for Development Alternatives – Indian Ocean), basé à Antananarivo, un groupe de la société civile..

Randriamaro a fait part de ses inquiétudes à Mongabay sur le fait que Rajoelina ne respectera pas les droits fonciers des habitants, qui ont contesté plusieurs projets miniers dans tout le pays ces dernières années. « Nous sommes probablement face à plus de problèmes résultant de l’expansion programmée des industries d’extraction… et la dépossession des communautés liées à l’augmentation de la privatisation des terres et des objectifs » déclare-t-elle.

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