Nouvelles de l'environnement

Nourrissez une pêcherie, affamez un oiseau marin

  • Une nouvelle étude a montré que la pêche industrielle a augmenté ses prises de poissons de 10 pour cent, tandis que les prises des oiseaux marins ont diminué de près de 20 pour cent entre 1970-1989 et 1990-2010.
  • L’étude a cartographié 40 années de données, en comparant la consommation des oiseaux marins aux prises de l’industrie de la pêche.
  • Les scientifiques considèrent que les oiseaux de mer, déjà menacés par la pollution, les déchets plastiques et les possibles enchevêtrements, pourraient également faire face au manque de nourriture en raison de la compétition avec l’industrie de la pêche pour la même ressource.

Selon une nouvelle étude, la compétition avec le secteur de la pêche pour les stocks de poissons qui servent à nourrir la population humaine pourrait entraîner un manque de nourriture pour les oiseaux marins.

L’étude, publiée le 6 décembre dans le journal Current Biology, révèle que la proportion de poissons consommés par les oiseaux de mer a diminué de près de 20 pour cent sur une période de 40 ans. La pêche industrielle en expansion a, quant à elle, augmenté sa prise de 10 pour cent sur la même période.

Ce qui rend ces données doublement inquiétantes, c’est que les communautés d’oiseaux de mer ont diminué, dit David Grémillet, l’auteur qui a dirigé cette étude. Une étude publiée en 2015 a montré que 69 pour cent ont vu leur nombre chuter depuis 1950.

Les pingouins africains, (Spheniscus demersus), comme celui de la photo, sont menacés d’extinction. Une étude a montré que le nombre des pingouins a chuté d’un quart depuis 1950. Image de David Grémillet/CNRS.

Dans une déclaration de l’Université de Colombie Britannique, Grémillet, un océanographe biologiste du CNRS, le centre national de la recherche scientifique français, compare l’impact de la pêche sur les oiseaux marins à celui « d’un boa resserrant son emprise sur sa proie. »

Lors de l’étude, les cartes des zones de pêche de 276 espèces d’oiseaux de mer et celles des pêcheries ont été superposées et comparées sur deux périodes : des années 1970 et 1980, et 1990 et 2000. L’équipe a calculé la quantité mangée par les oiseaux marins à travers le monde et celle que les humains auraient tiré des océans, durant ces deux périodes.

Les oiseaux marins ont eu une moyenne d’environ 77 millions de tonnes disponibles pour eux chaque année entre 1970 et 1989. Ce chiffre a chuté à 63 millions de tonnes entre 1990 et 2010. Par contre, les parts annuelles des pêcheries ont augmenté de 65 à 72 millions de tonnes pour la même période.

Cette carte montre la compétition oiseaux de mer – pêcheries à travers le monde. Image avec l’autorisation de l’Université de Colombie Britannique.

Les oiseaux qui se nourrissent de plancton, de calamars et de petits poissons comme les harengs ou les sardines ont le plus de mal à éviter la faim, déclare Deng Palomares, l’une des co-auteures, scientifique et chargée de mission à Sea Around Us, un projet basé à l’Université de Colombie Britannique.

L’organisation “The sea around us” a collecté des données sur des décennies concernant la répartition des oiseaux de mer et des pêcheries. Cette étude a été la première à regarder la superposition des zones à l’échelle globale.

Palomares explique que la possible privation de nourriture, à cause de la pêche, ne représente qu’un des défis auxquels doivent faire face les oiseaux marins. La pollution, les déchets plastiques et les enchevêtrements dans les filets de pêche sont également une menace qui pèse sur la diminution du nombre d’oiseaux marins, dit-elle.

Les scientifiques disent que la compétition entre les pêcheries accélère le déclin des populations de fous du Cap (Morus capensis) qui vivent près de l’upwelling de Benguela au large des côtes de l’Afrique australe. Image de David Grémillet/CNRS.

“If we don’t do anything, seabird populations are going to collapse,” Palomares said.

Grémillet explique que le nombre de pingouins a diminué de 25 pour cent, et que les populations de frégates et les sternes ont chuté de près de 50 pour cent pendant les dernières décennies.

« Vous avez un effort de pêche de plus en plus important, pour de moins en moins de proies potentielles, consommées par de moins en moins d’oiseaux », déclare Grémillet.

« Le nœud se resserre autour des oiseaux de mer », ajoute-t-il. « Je trouve cela terrifiant ».

Un foulmar du nord (Fulmarus glacialis) qui navigue au-dessus de la mer de Barents sous le soleil de minuit. Image de David Grémillet/CNRS.

En tant que scientifique, Grémillet s’inquiète de l’impact écologique qu’aura la perte des espèces. Mais il dit que nous devrions également considérer le vide culturel que cela pourrait produire.

« En perdant des oiseaux marins, nous perdons un héritage irremplaçable -des créatures qui ont inspiré chaque société maritime depuis la nuit des temps, en comblant le mystérieux fossé qui nous sépare de la mer », dit Grémillet dans une déclaration du CNRS.

Image de la bannière représentant des fous du Cap par David Grémillet/CNRS. 

Citations 

Grémillet, D., Ponchon, A., Paleczny, M., Palomares, M. L. D., Karpouzi, V., & Pauly, D. (2018). Persisting Worldwide Seabird-Fishery Competition Despite Seabird Community Decline. Current Biology.

Paleczny, M., Hammill, E., Karpouzi, V., & Pauly, D. (2015). Population trend of the world’s monitored seabirds, 1950-2010. PLOS One, 10(6), e0129342.

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