Nouvelles de l'environnement

Les baleines ne suffisent pas à nourrir les ours polaires dans un climat qui évolue rapidement

Polar bears feeding on the carcass of a Fin Whale. Svalbard, Norway

  • Les scientifiques pensent que les carcasses de baleines ont aidé les ours polaires à survivre à de précédentes hausses des températures ayant fait fondre la glace sur laquelle ils chassent généralement les phoques.
  • Étant donné que les changements climatiques actuels menacent l’Arctique de vivre des étés sans glace, cette stratégie pourrait aider certaines populations d’ours polaires à survivre.
  • Toutefois, selon une étude récente, les carcasses de baleines ne fourniront pas assez de nourriture à une grande partie des populations d’ours polaires, car il y a moins de baleines qu’à l’époque. De plus, les implantations humaines, l’industrie et la navigation pourraient empêcher les ours d’avoir accès aux carcasses qui s’échouent sur la rive.

Les baleines mortes sont une aubaine nutritionnelle pour les ours polaires et elles les ont certainement aidés à survivre aux périodes creuses durant les épisodes de chaleur dans le passé lorsqu’une grande partie de l’Arctique était sans glace. Cependant, dans le futur, une majorité des ours polaires n’auront pas autant de chance. C’est ce qu’a écrit une équipe de scientifiques dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment (Les frontières de l’écologie et de l’environnement) le 9 octobre.

« [Lorsque] nous regardons la situation actuelle quant aux sources de nourriture, d’un point de vue écologique, c’est un tout autre tableau » a déclaré Ian Stirling, un biologiste à l’Université de l’Alberta au Canada et co-auteur de l’article, dans un communiqué. « Le nombre de carcasses de baleines nécessaire pour tirer d’affaire les ours pourrait encore être suffisant dans certaines zones, mais leur nombre global sera nettement inférieur à ce qu’il était avant l’invasion de l’Arctique par l’homme. »

Un ours polaire femelle et son petit se nourrissant des restes d’une baleine morte échouée sur la rive presque un an auparavant. Image de Ian Stirling/Université de l’Alberta.

Les ours polaires (Ursus maritimus) dépendent de la glace, car celle-ci leur permet de traquer les phoques, leur proie principale. Mais comme le climat se réchauffe, la glace est en train de disparaître et des étés sans glace dans l’Arctique pourraient devenir une réalité d’ici 2040.

A présent, lorsque des températures plus chaudes creusent la glace de l’Arctique, certains ours jeûnent jusqu’à ce que la glace réapparaisse, à moins qu’ils ne trouvent une autre source de nourriture. Une carcasse de baleine échouée sur la rive, par exemple, est une excellente source de gras et de protéines. Les scientifiques estiment que cette stratégie peut avoir aidé les ours polaires à surmonter les pics de températures par le passé.

« Je pense que c’est l’une des explications les plus probables de la manière dont les ours polaires ont survécu aux chaudes périodes interglaciaires » a dit Stirling.

Une carcasse de baleine boréale (Balaena mysticetus), pesant peut-être 100 tonnes métriques (110 tonnes), peut fournir aux ours à peu près la même quantité de nourriture que 1 300 phoques annelés (Pusa hispida), selon les auteurs de l’étude. Une telle aubaine peut nourrir des douzaines d’ours, parfois pendant des années.

Des ours polaires se nourrissant de la carcasse d’un rorqual commun à l’archipel du Svalbard, en Norvège. Image de Daniel J. Cox/Arctic Documentary Project.

Mais est-ce que suffisamment de baleines s’échouent pour nourrir les ours polaires ? Stirling et ses collègues ont voulu le savoir. Ils ont estimé qu’une population de 1 000 ours polaires auraient besoin qu’environ 28 baleines meurent, flottent à la surface et échouent sur les rives chaque année afin de répondre à leurs besoins caloriques. Dans une zone comme la mer des Tchouktches, qui se trouve au nord du détroit de Béring, entre la Russie et l’Alaska, et qui a un nombre stable de baleines boréales et de baleines grises (Eschrichtius robustus), l’équipe a découvert que suffisamment de baleines meurent et échouent afin de subvenir aux besoins des ours polaires présents dans cette région.

« Le fait de pouvoir s’alimenter de carcasses de baleines est probablement important pour les ours dans certaines régions, et cela peut même les protéger de la perte de glace » a déclaré Kirstin Laidre, une biologiste de la vie marine à l’Université de Washington et l’auteur principal de l’étude, dans un communiqué.

« Toutefois, les carcasses de grandes baleines ne sont pas censées remplacer les phoques en tant que ressources nutritionnelles alors que nous nous dirigeons bel et bien vers un Arctique sans glace » a jouté Laidre. « Dans la plupart des régions, les changements environnementaux sont trop importants et les carcasses de baleines trop peu nombreuses. »

Des ours polaires s’alimentant de la carcasse d’une baleine boréale qui s’est échouée sur l’île Wrangel, en Russie. Image de Chris Collins/Heritage Expeditions.

La plupart des sous-populations d’ours ne vivent pas dans des zones où autant de carcasses de baleines échouent chaque année. Le nombre de baleines était bien plus élevé avant le début de la pêche à la baleine, il y a quelques siècles. Et là où elles échouent, les carcasses n’ont de valeur pour les ours polaires que s’ils les trouvent et si les implantations humaines, l’industrie ou la navigation n’empêchent pas les ours d’y avoir accès.

Ces facteurs aggravant signifient que la stratégie opportuniste qui a aidé les ours polaires à survivre aux périodes sans glace par le passé ne devrait plus fonctionner ces prochaines décennies.

« Si le taux de glace qui fond et le réchauffement continuent à ce rythme effréné, ce qui arrivera à l’habitat des ours polaires dépassera tout ce qui a été documenté ces derniers millions d’années » a déclaré Laidre. « Le rythme extrêmement rapide de ce changement fait qu’il est quasiment impossible d’utiliser l’histoire pour prédire le futur.  »

Des douzaines d’ours polaires se dirigeant vers la rive pour se nourrir d’une baleine boréale à l’île Wrangel, en Russie. Au total, plus de 180 ours ont été observés en train de se nourrir de cette unique carcasse de baleine en septembre 2017. Image de Olga Belonovich/Heritage Expeditions.

Image de bannière de Daniel J.Cox/Arctic Documentary Project : des ours polaires se nourrissant d’une carcasse de rorqual commun en Norvège. 

Citation 

Laidre, K. L., Stirling, I., Estes, J. A., Kochnev, A., & Roberts, J. (2018). Historical and potential future importance of large whales as food for polar bears. Frontiers in Ecology and the Environment.

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