- Les résultats d’une nouvelle étude ont montré que la disparition de 80 % des gorilles des plaines orientales au cours des vingt dernières années a entraîné une réduction brutale de la diversité génétique de cette sous-espèce du gorille de l’Est.
- Cette chute brutale pourrait rendre plus difficile pour les quelques 4 000 gorilles des plaines orientales restants de s’adapter aux changements de leur environnement.
- Les scientifiques gardent espoir en s’appuyant sur le cas du gorille des montagnes, l’autre sous-espèce du gorille de l’Est, qui, d’après les résultats de plusieurs études, aurait réussi à s’adapter à son faible niveau de diversité génétique.
D’après une étude parue tout récemment, la chute libre qu’a connu ces dernières années le nombre de gorilles des plaines orientales dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) a emporté avec elle un cinquième de la diversité génétique de la sous-espèce, ce qui risque de la rendre vulnérable aux changements de son environnement.
Les derniers recensements montrent que le nombre de gorilles des plaines orientales (Gorilla beringei graueri), une sous-espèce en danger critique d’extinction cousine des gorilles des montagnes (Gorilla beringei beringei), a diminué de près de 80 % depuis les années 1990. Cette chute vertigineuse relève presque du jamais vu, ce qui explique pourquoi Katerina Guschanski, une chercheuse en écologie moléculaire de l’Université Uppsala (Suède), et ses collègues ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre lorsqu’ils ont entrepris de comprendre ce qui avait changé dans le génome de l’animal.
« Nous savions que ces populations avaient beaucoup évolué récemment », a déclaré Mme Guschanski dans une interview, précisant cependant que ces évolutions s’accompagnent souvent d’une forte baisse de variation au niveau du génome de l’animal en question. Elle a aussi ajouté qu’« observer un impact flagrant, aussi flagrant que celui que nous avons pu observer sur les gorilles des plaines orientales en aussi peu de temps, est en vérité assez surprenant. »
La déforestation et le braconnage ont réduit le nombre de gorilles des plaines orientales à moins de 4 000 individus. D’après l’article publiépar Guschanski et son équipe dans la revue <i<Current Biology le 27 décembre dernier, un tel déclin a engendré la perte de 20 % de la diversité génétique de la sous-espèce en quelques générations seulement.
« En l’absence de cette variation, qu’on appelle « hétérozygotie », on n’a pas d’autre choix que de faire avec ce qu’on a. », a expliqué Mme Guschanski. Face aux changements inéluctables de leur environnement, qui sont dus, par exemple, au changement climatique ou au conflit armé qui se perpétue dans l’Est de la RDC, les gorilles auront du mal à s’adapter sans un patrimoine génétique complet, a-t-elle ajouté.
Les chercheurs ont séquencé le génome de sept gorilles des plaines orientales et de quatre gorilles des montagnes ayant vécu jusqu’à un siècle en arrière en se servant d’ADN extrait de spécimens conservés dans des musées. Ils ont ensuite comparé les résultats avec les séquences ADN des gorilles actuels, déjà publiées.
Un siècle n’équivaut qu’à quatre ou cinq générations de gorilles. Et pourtant, en ce court laps de temps, le génome du gorille des plaines orientales s’est homogénéisé, ce qui indique que, de nos jours, les gorilles qui se reproduisent ensemble sont plus étroitement liés l’un à l’autre qu’auparavant.
Pour ne rien arranger, l’équipe de chercheurs a aussi découvert que les mutations génétiques délétères sont beaucoup plus fréquentes chez les gorilles de notre époque. Certaines de ces mutations pourraient notamment rendre la reproduction des gorilles plus difficile, a déclaré Guschanski. D’autres pourraient affaiblir leur système immunitaire, ce qui constituerait un handicap dans leur environnement en perpétuelle évolution, a-t-elle ajouté.
Tandis que les forêts de l’Est de la RDC (le seul endroit sur Terre où les gorilles des plaines orientales vivent en liberté) sont abattues pour servir de bois de chauffage ou de charbon ou céder la place à des terres agricoles, les gorilles et les autres animaux qui y vivent doivent lutter pour s’adapter aux transformations que subit leur habitat. De tels changements sont aussi la porte ouverte à de nouvelles maladies comme la malaria.
Si des mutations génétiques affaiblissent le système immunitaire d’individus qui font partie d’une population déjà en phase de déclin, on court droit à la catastrophe, a expliqué Aylwyn Scally, un généticien de l’Université de Cambridge, à Mongabay.
« On ne peut pas y couper. », a indiqué M. Scally, qui ne faisait cette fois-ci pas partie de l’équipe de chercheurs. « S’il ne reste que 200 individus, ou même un millier, il suffit d’une maladie grave ou d’un pic de braconnage pour que l’espèce s’éteigne. »
D’après M. Scally, l’étude récemment parue s’appuie sur le travail que lui et ses collègues ont publié en 2015 dans la revue Science.
En effet, les données génétiques suggèrent que le nombre de gorilles des montagnes a diminué au cours des 100 000 dernières années. En se fondant sur leurs observations du génome des gorilles actuels, Scally et ses collègues ont fait l’hypothèse que, bien que le déclin progressif de l’espèce au fil des millénaires l’ait conduite à une plus faible diversité génétique, il lui a aussi donné le temps d’éliminer bon nombre de mutations génétiques délétères.
Comme l’explique Scally, « au bout d’une très longue période, ce type de problèmes finit par être élagué ou éliminé de la population lorsqu’elle est réduite ».
Dès lors, il est possible que ces adaptations, combinées aux énormes efforts de conservation déployés au cours des décennies précédentes, aient aidé les gorilles des montagnes à rebondir. En effet, s’ils n’étaient que quelques 254 individus dans les années 1980, plus de 1 000 gorilles des montagnes vivent désormais en RDC, au Rwanda et en Ouganda, d’après de récents recensements. D’ailleurs, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a réévalué à la baisse la sévérité du niveau de menace de l’animal en 2018, le faisant passer d’espèce « en danger critique d’extinction » à espèce « en danger».
Désormais, le nombre de gorilles des plaines orientales s’amenuise lui aussi, mais, au lieu de se produire sur des milliers d’années, ce changement a eu lieu en 20 ans seulement.
« Le déclin de leur population est incroyable, aussi rapide que spectaculaire », a expliqué Mme Guschanski.
Cependant, elle garde espoir au regard de l’adaptation réussie du gorille des montagnes, considérant que les gorilles des plaines orientales seront eux aussi capables de s’adapter à une diversité génétique plus faible, si on leur en laisse le temps.
« Ils ne sont absolument pas condamnés », a-t-elle indiqué, « les gorilles des montagnes en sont la preuve vivante. »
Guschanski a cependant admis que pour tirer d’affaire les gorilles des plaines orientales, il faut s’attaquer aux menaces qui les guettent encore au quotidien, que ce soit le braconnage, la destruction de leur habitat ou la possible introduction de nouvelles maladies. Un défi de taille dans l’Est de la RDC, constamment ravagé par les conflits. Mais, si les chantres de la conservation et les communautés locales parviennent à travailler main dans la main, alors les gorilles ont une chance de survivre.
D’après Guschanski, « si nous parvenons à enrayer le déclin de la population de gorilles des plaines orientales, ou, encore mieux, à inverser la tendance et à faire remonter la population, nous serons sans aucun doute capables d’assurer leur survie à long terme ».
Photo des gorilles des plaines orientales en bandeau prise par Amy Porter/Dian Fossey Gorilla Fund International.
John Cannon est reporter pour Mongabay et vit au Moyen-Orient. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon
Références
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