Entre 2011 et 2017, Madagascar a dépensé des millions de dollars et passé d’innombrables heures à tenter de trouver un moyen de se débarrasser d’immenses stocks de bois de rose (une ressource extrêmement précieuse) abattu clandestinement, majoritairement dans les forêts tropicales du pays, après le coup d’Etat de 2009.La première étape du processus consiste à faire l’inventaire exhaustif de ces stocks et à remplir certains objectifs fixés par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). La Banque mondiale a contribué à l’effort du gouvernement malgache en lui accordant au moins 3-4 millions de dollars sous forme d’obscurs prêts ad hoc.Pour la majorité de l’opinion publique, la situation encourage la corruption et les activités illicites à continuer, dans la mesure où on ignore toujours où se trouvent des milliers de bûches de bois de rose non déclarées et où d’autres dizaines de milliers d’entre elles s’entassent devant les bureaux du gouvernement.Cet article est le sixième d’un dossier réalisé par Mongabay et intitulé « La conservation à Madagascar ». ANTALAHA, Madagascar — Les bûches de bois de rose empilées devant le bureau de Chantal Rasoanirina envahissaient presque la moitié de la cour à hauteur d’homme. Sur chacune de ces bûches, trempées et marquées par les intempéries, a été apposé un code-barres désormais à demi effacé lorsqu’une équipe en provenance d’Antananarivo, la capitale, est venue inventorier le stock entre octobre et décembre 2015. Depuis le pas de sa porte, Mme Rasoanirina, qui occupe le poste de fonctionnaire de la foresterie à Antalaha, regarde le stock de bûches avec désapprobation. Certaines d’entre elles traînaient là depuis plus de cinq ans. D’autres, accumulées dans des avant-postes plus reculés, avaient été amenées là en bateau par les visiteurs venus de la capitale. Lorsque ces derniers sont repartis, en décembre 2015, ils n’ont jamais communiqué les chiffres exacts à Mme Rasoanirina, d’après qui les choses sont au point mort depuis 18 mois. « Nous faisons office de “lieu de stockage intermédiaire” pour l’Etat. Je ne sais pas où est acheminé le bois ensuite. », a-t-elle déclaré, maussade. D’après elle, surveiller ce stock s’est avéré une tâche ingrate et des plus stressantes, et elle préfèrerait n’en être nullement responsable. « Beaucoup de gens viennent nous poser des questions », a-t-elle dit. « Ce serait bien que ce bois de rose disparaisse, pour que les questions sur le sujet cessent. » Bon nombre de bûches stockées devant les bureaux provinciaux de la foresterie et de l’environnement d’Antalaha portent toujours la marque des multiples inventaires menés depuis 2010 : code-barres apposés fin 2015, mais aussi peinture bleue, jaune et rouge issue des dénombrements précédents. Photo prise par Rowan Moore Gerety pour Mongabay. Mais, le bois de rose stocké là, tout comme celui amoncelé dans les 72 autres réserves similaires de bûches saisies sur toute la côte est malgache, n’est pas près de bouger. En effet, entre 2011 et 2017, Madagascar a dépensé des millions de dollars et passé d’innombrables heures à tenter de trouver une bonne fois pour toute une réponse à la question qui assaille Mme Rasoanirina tous les matins, lorsqu’elle arrive au travail : comment faire pour se débarrasser de gigantesques stocks de bois de grande valeur abattu clandestinement ? L’objectif est de mettre un terme à l’explosion de l’abattage illégal qui a touché les parcs nationaux et les zones protégées du nord-est de Madagascar entre 2009 et 2010 à la suite d’un coup d’Etat, et dont on ressent aujourd’hui encore les effets néfastes. La grande majorité du bois de rose malgache est exporté vers la Chine, où les meubles qui en sont ornés peuvent se vendre plusieurs dizaines voire centaines de milliers de dollars. Depuis 2011, le gouvernement a mis en place des mesures pour protéger certaines espèces de bois de rose et d’ébène (qui appartiennent respectivement aux genres Dalbergia et Diospyros) dans le cadre de la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (aussi dite Convention de Washington). Celle-ci a intimé à Madagascar de prouver qu’un plan visant à se débarrasser de ce bois ne représenterait en aucun cas une menace envers la survie des espèces d’arbres menacées. D’un point de vue pratique, cela signifie que le gouvernement malgache doit remplir trois critères : tout d’abord, réaliser un inventaire exhaustif des stocks de bois de rose et d’ébène existants. Deuxièmement, avoir une bonne compréhension scientifique de la taxonomie et du cycle de vie des espèces menacées (pour préparer le terrain avant la mise en place d’un système d’exploitation durable). Enfin, mettre rigoureusement en application les lois sur l’abattage et les exportations. La Banque mondiale a contribué à l’effort du gouvernement malgache en lui accordant au moins 3-4 millions de dollars sous forme d’obscurs prêts ad hoc. En effet, l’argent a été octroyé dans le cadre de projets financés par la Banque mondiale, mais ne visait aucun objectif ou poste budgétaire précis, ce qui explique pourquoi il n’apparaît pas dans les documents se rapportant aux projets publics. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore il est difficile pour la Banque mondiale d’estimer le montant des dépenses. Au cours des prochaines décennies, les citoyens malgaches devront néanmoins rembourser ses largesses à la Banque mondiale, bien que les trois conditions fixées afin que le pays puisse se débarrasser du bois acquis illégalement soient encore loin d’être remplies : en septembre 2016, la Convention de Washington a menacé de mettre un embargo sur le commerce de plus de 100 espèces malgaches si aucun progrès n’était visible sur la question du bois de rose d’ici fin de cette même année. Pour la majorité de l’opinion publique, la situation encourage la corruption et les activités illicites à continuer, dans la mesure où on ignore toujours où se trouvent des milliers de bûches de bois de rose non déclarées et où d’autres dizaines de milliers d’entre elles s’entassent devant les bureaux du gouvernement. « Plus cette situation s’éternise, plus les bûches se volatiliseront », a déclaré Cynthia Ratsimbazafy, membre de TRAFFIC, une organisation de conservation de l’environnement basée au Royaume-Uni, et co-auteur d’un rapport exhaustif [pdf] publié en 2016, qui porte sur le commerce illégal de bois de rose et d’ébène à Madagascar. En effet, au lieu de contribuer à résoudre la crise de l’abattage une bonne fois pour toutes, ces stocks de bois semblent de plus en plus être le symptôme de la gouvernance faiblarde et de la corruption rampante qui ont exacerbé la crise depuis le départ.