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Les protections internationales ne stoppent pas la surexploitation des pangolins au Cameroun

  • Un rapport récent montre que l’inscription en 2016 des pangolins à l’annexe I de la CITES qui interdit leur commerce international, n’a pas d’effet au niveau local sur la protection de cet animal en Afrique centrale.
  • L’étude utilise des données recueillies lors d’une enquête au Cameroun.
  • Le pangolin est considéré comme le « mammifère le plus commercialisé illégalement » par l’UICN et une étude scientifique menée en 2017 a montré qu’entre 420 000 et 2,71 millions de pangolins étaient chassés dans les forêts d’Afrique centrale chaque année.

Un rapport publié en juillet a révélé que les pangolins vivant en Afrique centrale ne ressentaient pas les effets de la décision historique prise en 2016 visant à les protéger d’un commerce international insatiable.

La décision de protéger les huit espèces de pangolins au titre de l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) de 2016 qui interdit leur commerce international, était perçue comme une victoire pour cet animal qui ressemble à un fourmilier couvert d’écailles et considéré comme le « mammifère le plus vendu illégalement » selon le groupe spécialiste des pangolins à l’UICN. Les pangolins sont depuis longtemps une cible privilégiée des chasseurs de viande de brousse à travers l’Afrique, mais la demande croissante de l’Asie pour les écailles de l’animal utilisées dans la médecine chinoise, a accentué la pression sur les pangolins africains.

Un pangolin arboricole (Phataginus tricuspis) capturé par un fermier dans la République du Congo. Image de Lucie Escouflaire/Wildlife Conservation Society.

Toutefois, on ne sait pas si les déclarations de la Conférence de la CITES de 2016 ont eu un réel impact au niveau des pays qui abritent des pangolins. Pour cette raison, le chercheur Marius Talla et ses collègues à l’Action for Environmental Governance (Action pour une gouvernance environnementale), une ONG basée à Yaoundé au Cameroun, ont décidé d’enquêter sur les effets des mesures pour protéger les pangolins. Avec les données du Cameroun comme étude de cas, ils espéraient avoir une idée de la situation des pangolins dans les six pays d’Afrique centrale : le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo et la République du Congo.

À l’image de la chasse des espèces natives d’Asie (toutes les quatre en danger ou en danger critique d’extinction selon l’UICN ) qui a épuisé les populations de pangolins, la chasse en Afrique a augmenté d’au moins 145 pourcent depuis 1972, selon une étude publiée en 2017 dans le journal Conservation Letters. Les auteurs de cette étude ont montré que les chasseurs prennent entre 420 000 et 2,71 millions de pangolins dans les forêts d’Afrique centrale chaque année. L’UICN classe les quatre espèces de pangolins qui se trouvent en Afrique comme vulnérables.

Comme dans les autres pays d’Afrique centrale, les chasseurs de viande de brousse au Cameroun chassent les pangolins pour la viande, comme ils le font depuis longtemps, dit Talla dans un mail à Mongabay.

« La consommation de pangolins fait partie de la culture » dit-il « c’est un plat populaire (comme la plupart des viandes de brousse) en particulier dans les zones de forêt où les communautés n’ont pas les moyens financiers de substituer la viande de brousse par d’autres types de viande tel que le bœuf »

Vidéo avec l’autorisation d’Action de gouvernance environnemental.

« De ce fait, le pangolin est un animal très rentable parce que rien n’est perdu », dit-il. « Sa chair est consommée ou vendue et ses écailles se vendent à coup sûr ».

Dans cette région, le prix des pangolins en 2014 était presque six fois supérieur à celui de 1972, ont indiqué les auteurs de l’étude du Conservation Letters.

La règlementation de la CITES avait pour objectif de limiter la capture effrénée de pangolins. Et à la suite de cette annonce, les agences gouvernementales, locales et les ONG internationales au Cameroun ont lancé des campagnes de sensibilisation dans le but d’attirer l’attention sur l’importance de la protection des pangolins. Le gouvernement camerounais a également amorcé la codification de ces protections dans la loi à la demande du Ministère des forêts et de la vie sauvage en 2017.

Mais l’enquête de l’équipe révèle que la viande de pangolins est toujours aussi disponible à travers le Cameroun.

Un pangolin à longue queue (Phataginus tetradactyla) capturé pour sa viande en République centrafricaine. Image de John C. Cannon/Mongabay.

« Les commerçants savent que le commerce de pangolins est interdit et le dissimule pour ne servir que des clients de confiance » dit Talla. Toutefois, il ajoute « nous trouvons facilement des pangolins dans les marchés et les restaurants à Yaoundé et Ebolowa ». Yaoundé est la capitale politique du pays et Ebolowa est un grand centre agricole dans la région sud du Cameroun.

Les raisons qui font que l’exploitation continue malgré les dispositifs de protection sont multiples. Talla pense que l’attachement culturel à consommer de la viande de pangolins n’est pas confiné aux seuls fermiers vivant près des forêts.

« Les magistrats, dont la plupart sont consommateurs de viande de brousse, ne comprennent pas facilement que quelqu’un doit aller en prison pour ça. », dit Talla. La loi de 2017 qui confère les protections les plus importantes du pays sur les pangolins, condamne à une amende de 3 à 10 millions de francs CFA (5 300 $ à 17 500 $) et jusqu’à 3 ans de prison ceux qui ont tué, capturé ou vendu des pangolins.

Talla considère également que le système judiciaire au Cameroun est enclin à de longs ralentissements et les juges ne connaissent souvent pas l’intégralité des lois de protection de la nature. Ce qui complique encore plus le processus des tribunaux, c’est le manque de connexion entre les forêts, les ministères de protection de la nature et les procureurs en charge d’amener les affaires au tribunal.

Un pangolin à longue queue. Image avec l’autorisation de Sangha Lodge Pangolin Conservation Project/WCS.

Un autre facteur est le manque de ressources financières disponibles pour les agences de protection de la nature. Par exemple, la « brigade anti-braconnage » de chacune des 20 régions du Cameroun a un budget de 500 000 francs CFA seulement (880 $).

Talla et ses collègues prévoient maintenant de se pencher sur ce qu’il faut faire pour faire appliquer les lois de protection des espèces en danger. Ils espèrent qu’une telle enquête les aidera à savoir si une application plus renforcée des lois profitera aux espèces sur le long terme.

Talla souligne aussi que le spectre de la corruption est présent à tous les niveaux du gouvernement, et que si les pangolins (et les autres espèces sauvages) bénéficieront de protections internationales de grandes envergures, il est nécessaire de s’attaquer à ce problème omniprésent.

Comme l’indique l’équipe dans le rapport, l’indice de perception de la corruption 2017 calculé par Transparency International, place le Cameroun au 153e rang sur 180 pays. (La Nouvelle-Zélande, considérée comme le pays le moins corrompu du monde, occupe le premier rang). À la fin des années 90, Transparency International classait le Cameroun comme le pays le plus corrompu de la planète, a déclaré Talla.

“La lutte pour la conservation des espèces de la faune et de la flore sauvages menacées d’extinction ne peut aboutir si elle n’est pas associée à un programme anti-corruption solide”, a-t-il déclaré. “La corruption au Cameroun est un défi pour les autorités et, malheureusement, cela n’épargne pas le secteur de la forêt et de la faune.”

Image de la bannière d’un pangolin à longue queue, avec l’autorisation de Sangha Lodge Pangolin Conservation Project/WCS.

John Cannon est un auteur pour Mongabay établi au Moyen-Orient. Retrouvez-le sur Twitter: @johnccannon

Citation

Ingram, D. J., Coad, L., Abernethy, K. A., Maisels, F., Stokes, E. J., Bobo, K. S., … & Holmern, T. (2018). Assessing Africa‐Wide Pangolin Exploitation by Scaling Local Data. Conservation Letters, 11(2), e12389.

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