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Levée du moratoire sur l’exploitation forestière – une ONG demande à ce que les financements destinés aux forêts de la République démocratique du Congo soient gelés

  • Plus de 50 organisations de défense de l’environnement et de droits humains ont appelé les donateurs à interrompre les financements liés à la conservation des forêts en République démocratique du Congo.
  • Cet appel répond à l’intention que laissent transparaître les dirigeants du pays de lever un moratoire – en vigueur depuis 16 ans – sur les nouvelles licences d’exploitation forestière, ainsi qu’à la volonté dissimulée de modifier le Code forestier de la RDC.
  • Les ONG estiment qu’ouvrir la RDC à l’exploitation forestière déstabilisera le pays, endommagera l’environnement et portera préjudice aux populations tributaires des forêts.

Plus de 50 organisations de protection de l’environnement et des droits humains ont appelé les donateurs internationaux à interrompre les financements dédiés au développement économique et à la protection des forêts dans la République démocratique du Congo. Cette décision découle de l’annonce des dirigeants du pays de leur intention de lever un moratoire en place depuis 16 ans sur les nouvelles licences d’exploitation forestière.

« Toute action visant à lever le moratoire pourrait laisser place à une ruée pour tirer facilement profit des ressources naturelles de la RDC, faisant des forêts la première victime, » a annoncé Jo Blackman, directeur de campagne de l’ONG Global Witness, dans une déclaration de Rainforest Foundation UK.

Les organismes de défense de l’environnement et des droits humains ayant signé une lettre adressée aux pays donateurs craignent que la suppression du moratoire sur l’exploitation forestière détruira les écosystèmes et les communautés de la RDC. Photo de John C. Cannon.

Global Witness, Rainforest Foundation UK et Greenpeace font partie des signataires d’une lettre envoyée cette semaine aux gouvernements et aux agences donateurs aux quatre coins du monde. Cette dernière explique que mettre fin au moratoire avant d’éradiquer la corruption qui règne dans le secteur forestier en RDC pourrait déstabiliser le pays.

« Toute expansion de l’industrie forestière aurait des conséquences irréversibles sur les forêts, ses communautés et sur le climat mondial », a annoncé Blackman.

La RDC possède la deuxième plus grande réserve de forêts tropicales au monde, derrière le Brésil. En 2010, elle pouvait se vanter d’avoir environ 1,6 million de kilomètres carrés de forêts, une zone de la taille de la Mongolie. Les organisations internationales et les pays incluant les Etats-Unis, la Norvège et l’Allemagne, ont versé des centaines de millions de dollars à la RDC afin d’essayer de protéger les forêts et de fournir de l’argent pour le développement économique des habitants d’un des pays les plus pauvres sur terre. La palette de programmes visant à atteindre ces buts fait partie d’un plan connu sous le nom de REDD+, la stratégie de « Réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts ».

La RDC possède plus de forêts tropicales que tout autre pays sur Terre, à l’exception du Brésil. Photo de John C. Cannon.

Cependant, ces derniers mois, des fonctionnaires ont fait part de leur souhait d’à nouveau autoriser l’exploitation des forêts de la RDC, nous explique Simon Counsell, directeur exécutif de Rainforest Foundation UK, dans une interview avec Mongabay.

Début février, Amy Ambatobe, le Ministre de l’environnement de la RDC, a réattribué trois concessions d’exploitation forestière annulées en 2016, autorisant ainsi deux entreprises chinoises à poursuivre leur projet de récolte de bois sur 6 500 kilomètres carrés de forêts et de tourbières. Counsell a également affirmé que des discussions à huis clos avaient eu lieu au sein du gouvernement de la RDC visant à changer les lois régulant la gestion des forêts du pays, connues sous le nom du Code forestier. Puis, le 27 février, José Ilanga, le directeur général des forêts au sein du Ministère de l’environnement, a annoncé que le gouvernement allait commencer le processus de levée du moratoire.

Cette décision a répandu une inquiétude parmi les groupes de défense de l’environnement et de droits.

« Si les forêts du pays s’ouvrent à une exploitation à plus large échelle, nous pouvons réellement nous demander si le plan REDD+ sera possible en RDC », confie Counsell.

Les défenseurs du moratoire estiment que le secteur de l’exploitation forestière en RDC est trop mis à mal par la corruption pour pouvoir être géré au profit des Congolais. Photo de John C. Cannon.

La lettre demande la suspension immédiate des financements en lien avec le plan REDD+ à la RDC. Elle précise que le financement devra être rétabli uniquement si les dirigeants de la RDC acceptent une procédure plus inclusive de révision du Code forestier. De plus, écrivent les auteurs de la lettre, le moratoire ne devrait pas être levé tant que la RDC n’aura pas amélioré la gestion de ses forêts et les lois qui régissent le secteur.

Les discussions concernant les changements possibles du Code forestier ont eu lieu « sans aucune consultation avec qui que ce soit », a précisé Counsell.

Les détails sur les potentiels changements du Code forestier sont limités et proviennent seulement des informations que quelques organisations ont pu retirer de documents ayant fait l’objet d’une fuite. Counsell a expliqué que les lois pourraient changer de façon à permettre au Premier ministre de délivrer des concessions sans consulter le parlement. La réécriture pourrait aussi accorder aux entreprises six ans pour définir un nouveau plan de gestion des forêts, au lieu des cinq années actuellement prévues.

Counsell a déclaré que ces changements « accroissent la possibilité d’exploitation forestière chaotique et pirate au lieu de favoriser une gestion réellement durable des forêts ». Selon lui, ce n’est pas une coïncidence si la RDC prévoit des élections en 2018, puisque brader des droits d’exploitation forestière est considéré comme un mécanisme de financement pour les partis politiques et les candidats.

Les ONG craignent que le financement du plan REDD+ n’apportera pas les bienfaits attendus en terme de conservation et de développement économique si les forêts de la RDC s’ouvrent à nouveau à l’exploitation. Photo de John C. Cannon.

La lettre avertit que lever le moratoire et modifier le Code forestier « aura des impacts environnementaux, sociaux, et climatiques catastrophiques ». Rainforest Foundation UK a rapporté en 2017 que si le gouvernement autorisait des concessions d’exploitation forestière sur 145 000 kilomètres carrés de forêt pouvant potentiellement être attribués, 11 million de tonnes métriques de dioxyde de carbone pourraient être relâchées dans l’atmosphère en seulement 30 ans.

Deux des trois concessions rétablies en février empiètent sur des tourbières riches en carbone. Une étude de 2017 du journal Nature a rapporté que la RDC possède la plus grande zone de tourbières des tropiques. De plus, cette zone contient 30 milliards de tonnes métriques de carbone – représentant autant de carbone que les émissions d’énergie fossile de toute l’humanité sur trois ans.

« Accorder des concessions d’exploitation industrielle à grande échelle signifie brader les zones les plus riches du monde d’un point de vue environnemental, pour les intérêts économiques à court terme d’une poignée d’individus », a déclaré Victorine Che Thoener, chef de projet chez Greenpeace. « Avant que le gouvernement ne démontre de manière crédible qu’il privilégie le bien-être des Congolais et des forêts, lever ce moratoire est injustifiable, aussi bien moralement qu’économiquement. »

Bannière: un bonobo en RDC par John C. Cannon.

Suivez John Cannon sur Twitter: @johnccannon

REFERENCES

Dargie, G. C., Lewis, S. L., Lawson, I. T., Mitchard, E. T., Page, S. E., Bocko, Y. E., & Ifo, S. A. (2017). Age, extent and carbon storage of the central Congo Basin peatland complex. Nature, 542(7639), 86.

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