- Le comité permanent de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) a tenu sa réunion annuelle du 27 novembre au 1er décembre à Genève.
- Le comité a rejeté la requête faite par Madagascar de vendre ses stocks provenant des saisies de bois de rose et d’ébène, ayant été coupé de manière illégale dans les forêts tropicales du pays.
- Les représentants de la CITES se sont mis d’accord sur le fait que même si une future vente était possible, Madagascar n’était pas encore prêt pour une entreprise aussi risquée, car cela pourrait permettre le blanchiment et la commercialisation à l’étranger de troncs nouvellement coupés.
- Un autre aboutissement notable de la réunion de la CITES concerne la baleine Sei (Balaenoptera borealis), les pangolins et le marsouin vaquita gravement menacé.
En août, le gouvernement de Madagascar a élaboré un plan de gestion pour vendre ses stocks de bois de rose et d’ébène (des centaines de troncs d’arbres). Le plan nécessitait l’accord de la CITES, qui a interdit le commerce de toutes espèces de bois rose (Dalbergia spp.) et d’ébène (Diospyros spp.) malgache depuis 2013.
Le 1er décembre, après 5 jours de réunion du comité permanent à Genève, la CITES rejeta le plan en raison du manque de progrès de la part du gouvernement à empêcher la crise du bois de rose et de son incapacité à vérifier un nombre suffisant de stocks. L’exploitation illégale du bois de rose et d’autres bois précieux fut à son maximum dans les forêts tropicales du Nord-Est de Madagascar, notamment dans les parcs nationaux, suite au coup d’État de 2009. La coupe de bois a depuis décliné mais l’avenir des stocks de bois est resté en suspens.
Le gouvernement de Madagascar ne contrôle qu’une petite partie des stocks. La majorité du bois de rose couvert par le plan de gestion est stocké dans les stocks « déclarés », aux mains de négociants en bois et n’a jamais été totalement compté ni vérifié. La plupart des observateurs considèrent que les barons du bois ont sur-déclaré le nombre de troncs dans leurs stocks pour continuer à en ajouter, et pour en faire des chambres de compensation pour faciliter de nouvelles coupes de bois illégales.
Des millions de troncs supplémentaires qui ne sont pas couverts par le plan de gestion du gouvernement restent dans des stocks cachés « non-déclarés » dans les environs du Nord-Est de Madagascar, pense les observateurs.
Des représentants de la CITES venant des États-Unis, de l’Union Européenne et de différentes organisations non gouvernementales firent entendre leur voix lors des discussions sur le bois de rose. Ces parties se sont mises d’accord sur le fait que même si une future vente était possible, Madagascar n’était pas encore prêt pour une entreprise aussi risquée. Si cela n’est pas fait avec attention, une telle vente pourrait laisser de nouveaux troncs d’arbres arriver sur le marché international. Le problème du bois de rose n’est pas arrivé jusqu’au vote, mais fut décidé par consensus.
Ces dernières années, les autorités malgaches et les consultants étrangers firent de nombreux efforts (bien que peu rigoureux) pour vérifier les stocks. Beaucoup de troncs ont aujourd’hui des marques de couleurs faites lors des différents contrôles. Ces marques se retrouvent souvent sur le bois de rose malgache saisi dans les ports internationaux, d’après une ONG de la conservation (un signe certain que les trafiquants ont accès à ces stocks).
« Nous savons à présent que les stocks sont fluides et qu’on a pris dedans » confia à Mongabay Colman O’Criodain, un responsable de la politique de WWF qui était présent à la réunion de la CITES. « Il y a eu des saisies importantes de bois qui provenait des stocks ».
Le bois de rose, qui a une teinte intérieure pourpre, est l’espèce parmi la faune et flore sauvage la plus trafiquée au monde. Presque tout finit en Chine, où il est utilisé pour la fabrication de meubles de luxe.
À Madagascar, les coûts de stockage sont faibles, mais le fait de conserver des stocks présente également un défi majeur. Les trafiquants volent dans les stocks et les utilisent pour blanchir le bois illégal, parfois en échangeant un vrai tronc de bois de rose par celui d’un pin ou d’un eucalyptus. Plus le bois reste à l’extérieur des bureaux du gouvernement ou dans des containers en métal, plus sa qualité diminue. Après un ou deux ans, le bois peut s’assécher et craquer, et sa valeur diminuer.
Lors de la réunion de la CITES, Johanita Ndahimananjara, la Ministre malgache de l’environnement, de l’écologie et de la forêt, plaida en faveur de la vente par Madagascar des stocks de bois de rose pour financer les efforts de la conservation de bois de rose. Son projet était que Madagascar achète aux propriétaires des stocks déclarés, le bois de rose et d’ébène à hauteur de 7 millions de dollars pour les vendre aux enchères. On ne sait pas combien Madagascar aurait gagné de telles ventes aux enchères ; le plan de gestion listait des valeurs potentielles allant de 5 millions à 136 millions de dollars.
Presque tout le monde dans la salle s’est opposé au plan de Madagascar. Parmi les problèmes, cles groupes écologistes n’ont pas soutenu le fait de payer 7 millions aux négociants de bois.
« Cela saperait le travail qu’ils essaient de mener » pour gérer la crise, dit à Mongabay Susanne Breitkopf, une responsable de la politique forestière de l’agence d’investigations environnementales présente à la réunion.
Breitkopf et O’Criodain ont tous deux déclaré à Mongabay que la seule partie qui soutenait le plan de gestion de Madagascar était la Banque Mondiale. Mais Benjamin Garnaud, un spécialiste de la gestion des ressources naturelles pour la Banque Mondiale basé à Madagascar et présent à la réunion de la CITES, dit à Mongabay qu’il était d’accord avec les ONG sur cette question centrale : Madagascar n’est absolument pas prête à vendre ses stocks, dit-il.
La Banque Mondiale travaille avec Madagascar pour mettre en place un mécanisme de vente des stocks : les troncs d’arbres doivent être inspectés, notés, marqués avec une technologie pour lutter contre la contrefaçon, transportés et finalement vendus ou éliminés d’une autre façon. Pour mettre en place ce mécanisme, la Banque Mondiale a déjà prêté 3 à 4 millions de dollars à Madagascar. Garnaud suggère que si les troncs d’arbres ne finissaient pas vendus, ils pourraient être utilisés pour faire des meubles pour les écoles malgaches. Madagascar pourrait également brûler les troncs d’arbres, comme l’ont fait certains pays d’Afrique avec les défenses en ivoire des éléphants.
En 2016, la CITES a déclaré que Madagascar devait contrôler au moins un tiers de ses stocks pour que l’interdiction du commerce du bois de rose et de l’ébène soit levée. Mais il est difficile de déterminer le nombre de troncs dans les stocks. Garnaud estime qu’il y a environ 30,000 troncs dans les stocks saisis par le gouvernement, mais qu’environ 300,000 étaient dans les stocks privés déclarés. Il y a eu cinq inventaires depuis 2011, chacun produisant des résultats différents. Le principal problème avec la clause du tiers, selon Garnaud, est que si Madagascar vend un tiers de ses troncs avant le comptage complet, ça permettra aux barons du bois d’ajouter du bois de rose nouvellement coupé, ou du bois caché, dans le groupe « déclaré ».
En décembre, la CITES, a sorti une nouvelle recommandation pour Madagascar : trouver et récupérer le bois de rose provenant des stocks cachés. Pour la première fois, le comité permanent a explicitement demandé que les coupables du commerce du bois de rose soient jugés, chose que le gouvernement n’a pas fait ces dernières années.
La prochaine réunion du comité permanent de la CITES sera en Russie en octobre 2018. Ce sera une nouvelle opportunité pour Madagascar de déposer une requête auprès de l’organisme pour vendre ses stocks.
Les autres discussions de la réunion CITES
La réunion du comité permanent de décembre fut la plus grande jamais enregistrée, avec plus de 500 participants. Un grand nombre de questions du monde entier a été discuté, notamment trois qui ont reçu une attention particulière.
Le Japon s’est retrouvé sous le feu des projecteurs pour avoir ciblé les baleines Sei (Balaenoptera borealis) dans le Pacific Nord. Les baleines sont listées sur l’annexe 1 de la CITES, ce qui signifie qu’elles sont menacées d’extinction et ne peuvent être commercialisées que « dans des circonstances exceptionnelles ». Le Japon affirmant que son programme de pêche à la baleine est mené à des fins de recherches, le comité permanent décida de mener une enquête avant de poursuivre une action. Les groupes écologistes ne furent pas satisfaits ; ils affirment que le programme japonais a tué 134 baleines menacées en 2017.
En 2016, la CITES interdit le commerce de pangolins, le mammifère le plus trafiqué au monde. Cependant, la Chine a demandé, lors de la réunion de Genève, une exemption pour son stock d’écailles de pangolins. La demande a été rejetée par un vote, de manière presque unanime (Ce fut la seule question soumise à un vote de toute la semaine ; la plupart des décisions de la CITES furent prises par consensus).
L’action finale de la réunion fut l’accord entre les États-Unis, le Mexique et la Chine pour protéger le vaquita (Phocoena sinus), un petit marsouin vivant dans le Golfe de Californie. Le vaquita est gravement menacé d’extinction, avec seulement 30 individus restants, en raison de la pêche illégale de totoaba, un poisson menacé d’extinction dont les vessies natatoires sont souvent trafiquées depuis les États-Unis pour la Chine. Une mission de haut niveau de la CITES à Mexico a eu lieu en février.
Image de la banderole : un vari roux (Varecia rubra), une espèce qui vit dans le Nord-Est de Madagascar, où l’exploitation du bois de rose a été importante. Photo de Rhett A. Butler.