Nouvelles de l'environnement

La protection de l’environnement en danger : Madagascar lutte pour l’état de droit

  • Dans les années qui ont suivi le coup d'état de 2009 à Madagascar, la région du parc national de Ranomafana a connu des problèmes de sécurité liés aux chercheurs d'or clandestins, aux voleurs de bétails armés et aux brigands qui rendent de plus en plus difficile la gestion de certaines zones du parc.
  • Ailleurs dans le pays, l'exploitation forestière et minière illégale, la corruption, l'impunité et d'autres violations de la loi menacent de saper les efforts de conservation, et les financements limités rendent difficile le travail des forces de l'ordre.
  • Le problème met en exergue une difficulté récurrente pour les protecteurs de l'environnement à travers Madagascar : comment progresser sur des objectifs environnementaux qui dépendent fondamentalement de l'application de la loi ?
  • Cet article est le deuxième de la série de Mongabay intitulée « Conservation à Madagascar ».

PARC NATIONAL DE RANOMAFANA, Madagascar. En fin d’après-midi, le 3 juin de l’année dernière, Pierette Razafiandravao se préparait chez elle pour une sortie prévue le lendemain lorsqu’elle entendit des coups de feu au loin. Sur le moment, elle ne s’en inquiéta pas plus que ça. Les voleurs de bétail en armes sont devenus une présence fâcheusement habituelle dans sa région du sud de Madagascar, et ce matin-là, elle avait eu vent d’un affrontement entre les soldats et un groupes de malfrats à quelques kilomètres au nord de chez elle.

Ce n’est que plus tard qu’elle appris qu’elle avait entendu les coups de feu qui avaient tué son mari.

Quand la police arriva sur les lieux, elle trouva sa moto soigneusement garée, appuyée sur sa béquille, ainsi que son téléphone portable et son portefeuille qui contenait encore de l’argent. Le vol n’était pas le but du crime, le meurtre était ciblé.

Elysé Arsène Ratsimbazafy était le maire d’Ambalakindresy, une petite ville sur le flan sud du parc national de Ranomafana.

Il s’était présenté avec l’objectif de se débarrasser des « dahalo », les bandits qui avaient dépossédé de leur bétail bon nombre de ses voisins, mais certaines personnes ont suggéré que sa mort pourrait être liée à sa participation aux efforts contre les chercheurs d’or dans le parc national. Pierette Razafiandravao pensent que les voleurs de bétail et les chercheurs d’or ne sont qu’un seul et même groupe. « Quand les dahalo sont dans la forêt, ici, tout est tranquille, » raconte-t-elle à Mongabay. « Quand ils n’y sont pas, les villages sont attaqués. »

La mort de M. Ratsimbazafy a eu un effet d’intimidation indéniable sur ses collègues. José Manarinsoa, maire de la ville de Ranomafana, du côté opposé du parc, n’a pas assisté à l’enterrement. « J’ai peur, c’est pourquoi je ne suis pas venu, » a-t-il déclaré. M. Manarinsoa a ouvertement critiqué l’extraction illégale de l’or par le passé, passant même à la télévision nationale pour dénoncer les incursions dans le parc. Mais il reconnaît que la mort brutale de son ami lui a fait reconsidérer son attitude ouvertement critique. « J’ai arrêté, a-t-il dit à Mongabay, parce que j’avais l’impression que si le gang m’entendait, il m’arriverait la même chose. »

Elysé Arsène Ratsimbazafy, maire d’Ambalakindresy, a été assassiné en juin alors qu’il s’efforçait de mettre fin au vol de bétail organisé dans la région. Photo courtoisie de Pierette Razafiandravao.

Dans les années qui ont suivi le coup d’état de 2009 à Madagascar, la région de Ranomafana a connu des problèmes de sécurité qui rendent de plus en plus difficile la gestion de certaines zones du parc. Les orpailleurs ont causé la baisse des patrouilles menées par les habitants et de la coopération locale avec les gardes forestiers du parc. Ils interfèrent avec la recherche écologique à long terme et rendent plus difficile l’organisation de programmes de développement sur la périphérie du parc, tout en détruisant des zones de marais protégées.

Les mines d’or clandestines sont à la fois un symptôme et une cause de l’augmentation de la criminalité dans la région, car les habitants des villages modestes frappés par les vols de bétail finissent par se convertir à l’orpaillage.

« C’est un cercle vicieux », selon la directrice du parc national de Ranomafana, Josiane Rakotonirina. «Sans programmes alternatifs de création de revenu, les menaces envers la communauté ne feront qu’augmenter, mais sans une meilleure sécurité, il est plus difficile de mettre ces activités en place. »

L’année dernière, les inquiétudes en matière de sécurité près d’Ambalakindresy ont contraint une compagnie pharmaceutique à annuler son programme de plantation d’ Artemisia annua, une plante utilisée dans le traitement de la malaria.

Le problème de sécurité à Ranomafana met en exergue une difficulté récurrente pour les protecteurs de l’environnement à travers Madagascar : comment progresser sur des objectifs environnementaux qui dépendent fondamentalement de l’application de la loi ? En 2016, quand USAID a publié une « demande d’informations » [pdf] pour son premier programme environnemental dans le pays depuis près de dix ans, on y trouvait une longue liste de ce que l’agence appelait des points essentiels : « conditions au-delà du cadre du programme devant être totalement maîtrisées » et qui sont cependant critiques pour le succès des projets financés par USAID. (La demande d’informations précède généralement la « demande de proposition », l’une des premières étapes du processus de financement de l’agence)

Trois de ces points concernaient l’état de droit :

L’annonce publique de ces points essentiels sert d’écran pour masquer la réalité complexe de la mise en place de programmes de conservation efficaces à Madagascar. Elle soulève également la question des différentes approches de financement des donateurs : si la corruption et les activités illégales sont de telles inquiétudes qu’ils menacent de faire échouer les programmes de conservation, est-il réaliste de croire qu’ils puissent réussir ?

Daniel Whyner, qui supervise les programmes environnementaux à Madagascar, précise que ces points essentiels viennent en partie des restrictions du Congrès sur la façon dont les « dollars pour la protection de la biodiversité » peuvent être dépensés. Ces points servent aussi de signal d’alerte pour les groupes cherchant des subventions. « Comment résoudre ces problèmes qui dépassent le cadre de notre financement ? » demande-t-il dans une interview. « Je pense que nous voulons que nos donateurs soient conscients de ce contexte lorsqu’ils rédigent leurs propositions. Nous leur disons donc d’être attentifs à ces questions, et de se tourner vers les bons partenaires, capables d’y répondre ».

Les difficultés d’application de la loi ont entravé les efforts de conservation dans tout le pays. Au niveau national, le coup d’état de 2009 a poussé les États-Unis et d’autres donateurs comme l’Allemagne, l’Union Européenne et la Banque Mondiale à réduire le financement pour soutenir la biodiversité à Madagascar, malgré les objections des ONG qui ont plaidé pour un maintien de cette aide. La baisse des financements, à son tour, a poussé les parcs nationaux de Madagascar à suspendre le paiements de royalties sur les entrées dans les parcs aux habitants des villages locaux, une décision que le maire de Ranomafana, M. Manarinsoa, considère comme un facteur aggravant de pauvreté et de ressentiment local contre le parc.

Le trafic de bois de rose dans les parcs à travers les forêts tropicales de l’est de Madagascar menace leur statut collectif au patrimoine mondial de l’UNESCO et met en danger les normes qui les protègent contre les incendies et le déboisement. Quand la situation a empiré dans le sud-est après 2009, le jardin botanique du Missouri a été dans l’obligation de se retirer d’une zone protégée pendant plusieurs années. Certains membres du WWF, l’ONG la plus importante installée à Madagascar, se sont trouvés incapables de visiter des zones protégées sous leur responsabilité pendant de longues périodes dans le sud-est du pays.

« Qu’est-ce qu’on peut faire là-bas, franchement, si notre personnel sur place ne peut pas se rendre dans la forêt, dans le village où nous sommes supposés travailler ? » s’interroge Nanie Ratsifandrihamanana, directrice nationale du WWF à Madagascar. «Nous avons dû dire aux donateurs : tout est suspendu, nous ne pouvons pas travailler là-bas. »

Pierette Razafiandravao, right, with her youngest daughter, at home in July. Razafiandravao was home in June when she heard the gunshots that killed her husband, her town’s mayor, on his way back from an event in the countryside. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Pierette Razafiandravao, à droite, avec sa plus jeune fille, chez elle en juillet. Pierette Razafiandravao était chez elle en juin quand elle a entendu les coups de feu qui ont tué son mari, le maire de sa ville, alors qu’il revenait d’un événement local à la campagne. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.
mbalakindresy, a small town on the western flank of Ranomafana National Park whose mayor was murdered in June. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Ambalakindresy, une petite ville sur le flan ouest du parc national de Ranomafana dont le maire a été tué en juin. Photo par Rowan Moore Gerety pour Mongabay

La sécurité à Ranomafana

Ranomafana est l’un des parcs parmi les plus visités et les mieux financés du pays, avec plus de 20 000 visiteurs annuels et une station de recherche, le Centre ValBio, qui reçoit des équipes de scientifiques tout au long de l’année. (Rhett Butler, fondateur et président de Mongabay, est membre du conseil consultatif du Centre ValBio). Cet intérêt marqué, et le financement qui va avec, empêchent Ranomafana de succomber aux problèmes de sécurité et la rendent en même temps vulnérable aux risques d’activité illégale.

Comme l’a remarqué Mamy Rakotoarijaona, le directeur des opérations des parcs nationaux de Madagascat, en parlant du tourisme dans le pays de manière générale, « C’est un secteur très sensible. Il suffit d’un cas de typhoïde dans l’Océan Indien, d’un attentat à Paris, et nous sommes fichus ».

A view of the Ranomafana river from the road that passes through the national park. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Vue du fleuve Ranomafana depuis la route qui traverse le parc national. Photo par Rowan Moore Gerety pour Mongabay

En juillet, un convoi de taxis-brousse s’est fait prendre en embuscade par des hommes armés à Vohiparara, un village sur la route qui coupe en deux le parc national de Ranomafana. Les passagers des sept véhicules ont été tenus en joue et dépouillés de leurs biens, alors que des rochers poussés sur la route bloquaient leur passage.

L’attaque a poussé M. Manarinsoa, le maire de Ranomafana, à convoquer une réunion avec les responsables des hôtels qui accueillent les touristes le long de la route entre Ranomafana et Vohiparara pour répondre aux inquiétudes concernant la sécurité et discuter de possibles solutions. « Nous ne pouvons pas rester à attendre qu’ils [les bandits] arrivent à Ranomafana », a-t-il expliqué.

Raymond Razafindratsira supervise la zone ouest du parc, où les mines d’or et les vols à la périphérie du parc sont les plus nombreux, et il avait déjà recommandé à son personnel de ne plus se rendre dans les villages où vivent les agents des patrouilles. Pour recevoir leur rémunération, les agents devraient venir à Vohiparara. Après l’attaque de Vohiparara, a déclaré Raymond Razafindratsira, « Nous avons commencé à les payer ici à Ranomafana », à quelques rues du siège du parc, mais à une journée de marche pour de nombreux agents.

M. Razafindratsira a expliqué que les mines ont aussi affecté ses moyens d’obtenir des informations sur les activités illégales des habitants. « Certaines personnes ne veulent plus parler », dit-il. D’autres « parlent en silence » avec des messages et des appels.

Rather than risk a trip to the remote towns and villages where some of Ranomafana National Park’s community patrol agents live, a series of security incidents has prompted Raymond Razafindratsira, left, who oversees a section of the park, to pay out their stipends at an office a few blocks from park headquarters. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Pour éviter le risque d’un voyage jusqu’aux villes et villages éloignés où vivent les agents de patrouille du parc national de Ranomafana, et suite à une série d’incidents liés à la sécurité, Raymond Razafindratsira (à gauche), qui supervise une section du parc, distribue leurs salaires aux agents dans un bureau à quelques rues du siège du parc. Photo par Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Bien avant de devenir un parc national, Ranomafana a été le site d’une opération commerciale d’exploitation de mines d’or pendant l’époque coloniale. Selon la direction du parc, des mineurs de petite envergure ont opéré à Ranomafana par intermittence depuis 2003. Après le putsch, ils ont commencé à investir la forêt en plus grand nombre.

L’une des zones de Ranomafana où les effets destructeurs des mines d’or sont les plus apparents s’appelle Soarano, qui signifie« bonne eau », un vaste marais d’altitude connu pour ses pandanus , sorte de palmier où les orchidées Eulophiella roempleriana aux longues feuilles se déploient pendant la saison des pluies. Les promeneurs arrivant par l’ouest rencontrent une série de trous de plus en plus grands, qu’un guide appelle « tests de sol » des mineurs, et atteignent finalement un ruisseau dont les deux rives ont été déboisées. Le marais lui même est devenu une sorte de gruyère, avec des milliers de puits de mine profonds, séparés par des étendues d’herbes hautes, sur une bande d’environ 500 mètres sur une longueur de plus de trois kilomètres. Seul un épais enchevêtrement de lianes et de palmiers de chaque côté laisse deviner que le marais était couvert d’une végétation dense et de Pandanus de 10 mètres de haut il y a seulement quelques années. Les mineurs les ont abattus pour consolider les parois de des puits pour pouvoir extraire les seaux de minerai sablonneux jusqu’à la surface.

Miners have dug thousands of pits and cleared most trees along a two-mile stretch of Soarano, a vast wetland in Ranomafana known for Pandanus trees and colorful orchids. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Les mineurs ont creusé des milliers de puits et abattu la plupart des arbres sur une étendue de trois kilomètres à Soarano, un vaste marais dans Ranomafana connu pour ses pandanus et ses orchidées colorées. Photo Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Claude Jacquot Ralazampirenena supervise le travail de terrain pour un programme de suivi écologique à long terme à travers le Centre Valbio, un poste pour lequel il doit passer des périodes allant jusqu’à deux mois dans des zones reculées du parc. Il lui est arrivé de trouver en une seule journée 40 grenouilles d’une même espèce mortes le long d’un ruisseau dévasté par les chercheurs d’or. Parfois, dit-il, « c’est comme un marché, dans la forêt. Il y a des gens partout. Si vous restez silencieux, vous pouvez entendre des gens parler. »

En 2014, il est retourné sur une parcelle d’échantillonnage de végétation près d’un terrain où il avait essayé de parler à des mineurs l’année précédente. « Quand nous sommes arrivés, toutes les étiquettes des arbres avaient été enlevées. Toutes les cordes que nous avions utilisées pour séparer en sous-parcelles avaient disparu, de nombreux arbres étaient abattus », raconte-t-il. « Nous avons passé 20 jours de plus à tout remettre en ordre ». M. Ralazampirenena nous a expliqué que maintenant, il n’installe jamais son camp au même endroit deux années de suite.

Pendant sa visite à Soarano en juillet, ce journaliste a pu s’approcher assez près de mineurs pour distinguer quatre jeunes hommes au loin, en train de travailler avec des pelles dans la boue. Dès que le groupe a repéré l’intrus, ils ont ramassé leurs outils et filé à travers le marais.

Outre le risque d’augmentation de la chasse et des incendies apporté par la présence d’hommes vivant dans ces zones sensibles, les mines peuvent entraîner une érosion rapide qui a des conséquences sur tout le bassin hydrologique. En 2015, les habitants du village de Bevoahazo, en aval de Soarano, se sont adressé au maire de Ranomafana pour se plaindre de l’eau courante qui avait pris une teinte marron. Deux jours plus tard, raconte-t-il, les dahalo ont fait un raid sur Bevoahazo et y ont volé 100 bœufs, un geste considéré par tous comme des représailles contre ceux qui se sont adressé aux autorités.

Certains craignent que les mineurs de Madagascar en arrivent bientôt à utiliser le mercure pour séparer l’or du minerai, une technique qui cause des dommages considérables à l’environnement et des problèmes de santé dans d’autres parties du monde.

En 2011, une vague d’exploitation minière clandestine a presque détruit 50 hectares de marais dans une partie du parc proche d’Ambalakindresy, entraînant une opération conjointe des effectifs des Madagascar National Parks (MNP) et du service des forêts, alliés aux forces de l’ordre du gouvernement. Quinze personnes ont été arrêtées et cinquante mineurs chassés du parc. Des actions similaires ont été répétées sporadiquement en réaction aux ruées vers l’or.

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Aujourd’hui, certaines parties du parc sont devenues des « zones rouges » pour les MNP. « Nous ne pouvons pas aller dans certains endroits », nous a confié Blandine Razafiajafara, qui travaille comme agent de patrouille et qui a dû venir en ville chercher son salaire, ” et dans d’autres endroits, nous n’allons qu’avec la police ».

En juillet dernier, dans son bureau, la directrice du parc Josiane Rakotonirina a étalé des cartes recouvertes d’un quadrillage coloré montrant le nombre de fois où chaque petit carré avait été patrouillé au cours des six premiers mois de l’année. Certains avaient été visités une fois par mois, d’autres pas du tout. D’autres encore avaient été patrouillés par une brigade mixte : une équipe composée d’agents des villages voisins, de membres des MNP et de leurs collègues des services de la forêt, d’officiers de la police nationale et locale, et de militaires. « Pour aller dans les zones des mines clandestines, une brigade mixte est la seule option », dit-elle.

Fin 2016, Josiane Rakotonirina a organisé une série de brigades mixtes pour neutraliser les plus importants des campements de mineurs découverts à ce jour. Ils ont estimé alors à environ 800 le nombre de mineurs dans le parc, utilisant des pelles et des sas en bois brut, vivant dans des cabanes improvisées. Nombre d’entre eux étaient armés, confirmant l’hypothèse que leur équipement rudimentaire masquait une organisation financée de l’extérieur. Comme nous l’a expliqué José Manarinsoa, le maire de Ranomafana, « les mineurs ont de la nourriture et des fournitures pour plusieurs mois, quelqu’un doit les financer. ».

Bien que les efforts aient porté leurs fruits en éliminant temporairement les mines, l’application de la loi est onéreuse. En 2016, les brigades mixtes ont nécessité plus de 1 000 jours-hommes sur le terrain, tout compris, avec les locations de véhicules et l’approvisionnement, et les MNP ont payé la facture. Dans un parc couvert de 450 kilomètres carrés de forêt tropicale dense, explique Mme Rakotonirina, les MNP ont pu conduire deux brigades mixtes par mois, grâce à une aide du Fonds pour la Biodiversité de Madagascar, une organisation nationale qui soutient le système des zones protégées de Madagascar. « Nous ne pouvons agir que dans la limite de nos possibilités », résume-t-elle. « Nous avons besoin de renforts. »

These are the vehicles available to the gendarmes, or police, working in Ranomafana National Park. “When someone attacks even five kilometers away, we have to hitchhike to get to the incident,” the local police commander said. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Véhicules de la police ou des gendarmes qui travaillent dans le parc national de Ranomafana. « S’il y a une attaque à cinq kilomètres d’ici, nous devons faire du stop pour y arriver », déplore le chef de la police locale. Photo par Rowan Moore Gerety pour Mongabay.
A male Calumma crypticum chameleon in Ranomafana National Park. Photo by Rhett A. Butler
Un caméléon mâle Calumma crypticum dans le parc national de Ranomafana. Photo : Rhett A. Butler

« Pas de lémurs, pas d’argent »

En raison de l’organisation du secteur de la conservation à Madagascar, la plupart du financement international passe par des organisations semi-publiques comme les MNP (qui sont affiliés au gouvernement tout en étant indépendants) plutôt que par des agences gouvernementales. Selon un expert forestier, il en résulte une situation où des groupes comme MNP « ont toutes les ressources mais aucune autorité pour faire appliquer la loi », tandis que le service des forêts et les forces de l’ordre ont « toute l’autorité mais aucune des ressources ».

Au départ, le but de cet arrangement était de protéger les organisations de protection de la nature des influences et de la corruption des politiques, mais il a contribué à un environnement où la police n’a pas les moyens pour mener des opérations efficaces sur les zones protégées. Après l’attaque sur les taxis-brousse à Vohiparara, le chef de la police locale a déclaré qu’il lui a fallu plus d’une heure pour emprunter une voiture avec assez d’essence pour parcourir les dix kilomètres qui le séparaient des lieux du crime. « Ce n’est pas comme si on était aux États-Unis ou en France », dit-il. « S’il y a une attaque à cinq kilomètres d’ici, nous devons faire du stop pour y arriver ».

Mamy Rakotorijaona, directeur des opérations pour MNP, explique que les interventions dans les zones protégées sont souvent considérées par les policiers comme dépassant le cadre de leurs responsabilités. « La police demande déjà beaucoup d’argent quand on lui demande de venir dans le parc », raconte-t-il. Le danger de rencontrer des mineurs clandestins met à rude épreuve la collaboration. « Si nous commençons à parler des Kalashnikovs, ils demanderont encore plus d’argent, même si, théoriquement, il s’agit de leur travail », ajoute M. Rakotorijaona. À Ranomafana, la police a fait pression pour obtenir une augmentation de l’indemnité journalière perçue pour participer aux brigades mixtes, de 20 000 à 36 000 ariary, soit environ de 7 à 12 dollars.

Grenouille tachetée (Heterixalus alboguttatus) dans le parc national de Ranomafana. Photo : Rhett A. Butler.

D’autres parcs ont subi des incursions similaires, parfois bien plus dramatiques que celles de Ranomafana. Dans le Corridor Ankeniheny Zahamena, plus au nord, des dizaines de milliers de mineurs ont déferlé sur une zone protégée en automne dernier après la découverte d’un important gisement de saphir. En 2009, des incursions par des bandes armées de trafiquants de bois de rose ont contraint le personnel du parc national de Marojejy à abandonner leurs postes et à fermer le parc aux visiteurs pendant deux mois.

Mme Rakotonirina a insisté sur l’importance de convaincre les fonctionnaires de haut rang et les politiciens de la valeur de la protection de l’environnement et du besoin d’un strict maintien de l’ordre, une tâche compliquée par le fait que les crimes environnementaux sont souvent l’œuvre de la classe politique du pays. Plusieurs des plus importants négociants de bois de rose de Madagascar, par exemple, sont aussi des membres du parlement.

Récemment, le bureau national de lutte contre la corruption à Madagascar, BIANCO, a rapporté aux autorités plusieurs cas de trafic de bois de rose, dont certains ont envoyé des trafiquants en prison, bien que temporairement. « Nous constatons qu’au bout de quelques années ils trouvent toujours un moyen de sortir, avec une permission officielle », rapporte Tsiry Razafimandimby, porte-parole de BIANCO. « Les trafiquants prennent leurs ordres d’officiels de haut rang. En quelque sorte, il sont leurs employés, et les politiciens ont un rôle de protecteurs ».

C’est là un domaine où les étrangers pourraient et devraient jouer un plus grand rôle, selon Daniel Whyner de USAID. « Nous ne sommes pas les seuls acteurs au niveau national : nous pouvons faire usage des influences à travers le Département d’État, à travers nos relations avec le gouvernement pour la sécurité, à travers le Département de la Défense, nous pouvons faire pression sur ce problème ».

Le primatologue malgache Jonah Ratsimbazafy estime que les donateurs devraient aller plus loin et supprimer toutes les subventions au gouvernement si certaines conditions ne sont pas remplies. En ce qui concerne l’afflux de mineurs à Zahamena, M. Ratsimbazafy affirmait : « Ce problème devrait être résolu à la fin de l’année : pas de lémurs, pas d’argent ». « Je pense qu’à un moment, c’est ce qu’il faut faire. Quand il y a une amélioration, vous pouvez être plus indulgent, mais parfois il faut être strict, inflexible. C’est la carotte et le bâton ».

Bon nombre des donateurs qui financent l’effort de conservation étaient présents à la table des discussions pour des initiatives de grande ampleur telles que le récent plan à 900 million de dollars pour réformer la sécurité, qui comprend tous les aspects depuis la lutte contre la corruption des agents de la circulation jusqu’à celle contre le trafic d’armes à feu. En 2014, le premier ministre de l’époque Roger Kolo a reçu le soutien du programme alimentaire mondial de l’ONU et de la FAO (Food and Agriculture Organization) pour une campagne visant à convaincre les dahalo de déposer les armes et de réintégrer la société avec des initiatives comme des aides alimentaires régionales et des aides agricoles.

Mais seule une fraction infime du financement pour la conservation à Madagascar est explicitement destinée aux questions de corruption et de sécurité. Plus récemment, en 2016, l’Alliance Voahary Gasy, une coalition de groupes de la société civile, a reçu un financement du Fish and Wildlife Service américain pour mettre en place une stratégie pour contrecarrer le trafic des tortues à soc (Astrochelys yniphora) et des tortues étoilées (Astrochelys radiata). D’autres efforts sont dirigés vers la protection du bois de rose. La Banque Mondiale et USAID, par exemple, ont financé des rapports techniques sur la gouvernance et des programmes locaux pour un meilleur suivi de l’exploitation forestière illégale.

A girl peeks out of a window in the settlement of Ankialo, where all eight homes have been robbed at least once in the last two years. Thieves have knocked out enough bricks to enter through holes in the wall, and used axes to chop through the front door. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Une jeune fille regarde par la fenêtre dans le village d’Ankialo, où les huit maisons ont été pillées au moins une fois au cours des deux dernières années. Les voleurs ont enlevé suffisamment de briques pour passer par des trous dans les murs, et ils ont abattu les portes à coups de hache. Photo de Rowan Moore Gerety pour Mongabay.
Maria Adeline Hantamalala, center, said losing their livestock to thieves pushed her husband and several other men in the settlement of Ankialo to leave home to work several hours away for part of the year. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Maria Adeline Hantamalala, au centre, a déclaré que le vol de leur bétail avait poussé son mari et plusieurs autres hommes d’un village près du parc national de Ranomafana à quitter leurs maisons pour travailler à plusieurs heures de marche pendant une partie de l’année. Photo Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Vivre dans une zone de non-droit

Maria Adeline Hantamalala, 32 ans, mère de quatre enfants, vit dans un petit village nommé Ankialo dans les environs d’Ambalakindresy. Au cours des deux dernières années, raconte-t-elle, les maisons de ses huit voisins ont toutes été cambriolées au moins une fois. « Il y a deux ans, ici, les dahalo ne prenaient que les zébus », déclare-t-elle. Mais maintenant, il n’y a plus de zébus, alors ils prennent les oies, les canards, les marmites et les casseroles et tout ce qu’il y a dans la maison ». Ils ont même pris des cochons donnés à des familles dans le cadre d’un programme d’élevage dirigé par le Centre ValBio, ajoute-t-elle.

La situation a empiré au point où son mari et d’autres hommes d’Ankialo sont partis jusqu’à la ville d’Ambalavao, à plusieurs heures de là, pour chercher du travail comme charpentiers. D’autres habitants de villages des alentours se sont tournés vers les mines d’or. « Nous connaissons les conséquences du déboisement et des mines d’or. Mais beaucoup de gens sont très pauvres, ils ont besoin de nourriture, et ils partent chercher l’or », dit-elle. « Nous avons peur du parc car nous connaissons les règles, s’ils vous attrapent, ils vous envoient à la police ».

Les agents du parc doivent trouver le juste milieu entre pousser vers une application plus stricte de la loi (en bloquant les points d’accès à la forêt) et consacrer plus de ressources à l’agriculture ou aux programmes d’artisanat qui rendront les mines moins attractives en tant que source de revenus pour les personnes vivant près du parc. S’ils parviennent à empêcher le développement des mines dans les proportions atteintes à Zahamena, ce sera en partie grâce à la coopération de fonctionnaires comme Manarinsoa et Ratsimbazafy, le défunt maire d’Ambalakindresy.

« Mon mari n’a jamais assisté à une seule réunion au village sans aborder le thème de la conservation », a confié la veuve du maire à Mongabay. Elle attend toujours que la police fasse une première arrestation ou lui fournisse des précisions sur le meurtre de son mari.

« Nous sommes à Madagascar, nous ne connaîtrons donc jamais toute l’histoire », affirme Pat Wright, fondateur du Centre ValBio, qui a eu un rôle déterminant dans la création du parc national. Il semble y avoir consensus sur le fait que le meurtre était davantage lié à l’effort de M. Ratsimbazafy pour expulser les dahalo d’Ambalkindresy qu’à son opposition aux mineurs.

Il est cependant indéniable que les protecteurs de la nature ont perdu un partisan notable. Parmi les « points essentiels » qui sous-tendent la mise en œuvre des efforts de conservation : « la crainte des représailles n’entravera pas outre mesure la participation des communautés locales dans leurs démarches d’engagement et dans les procédures judiciaires » implique que les hommes et les femmes tels que lui devront être protégés.

Image de bannière : Caméléon Calumma crypticum, espèce vivant dans le parc national de Ranomafana. Photo : Rhett A. Butler.

Rowan Moore Gerety est un journaliste et producteur radio de Miami. Lisez d’autres articles de cet auteur sur www.rowanmg.com.

Cet article est le second d’une série de Mongabay, « Conservation à Madagascar », publiée à partir de l’automne 2017. La série complète se trouve ici.

Elysé Arsène Ratsimbazafy, the local mayor, was murdered in June and buried in a family tomb near his home in of Ambalakindresy. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Elysé Arsène Ratsimbazafy, maire du village, a été assassiné en juin et enterré dans un caveau de famille près de sa maison d’Ambalakindresy. Photo Rowan Moore Gerety pour Mongabay.
Orchids in Ranomafana National Park. Photo by Rhett A. Butler.
Orchidées dans le parc national de Ranomafana. Photo : Rhett A. Butler.

 

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