- La couverture forestière de Madagascar a chuté de 40% passé la seconde moitié du XXe siècle et la fragmentation des forêts restantes ne cesse d’empirer.
- Les groupes de conservation travaillent d’arrache-pied pour restaurer un certain nombre de petits fragments. À Ankafobe, la communauté locale tente de reconnecter trois fragments forestiers et de les défendre contre les incendies.
- Les risques qui animent ce travail et menacent de le rendre obsolète sont les incendies, l’agriculture et d’autres enjeux qui réduiraient la taille de ces fragments au-dessous d’un certain seuil de viabilité écologique.
ANKAFOBE, Madagascar – personne n’a cru Jean-Jacques Rasolofonirina quand il a affirmé à ses collègues du Jardin botanique du Missouri que des lémuriens vivaient encore dans la forêt d’Ankafobe. “La forêt est beaucoup trop petite” lui a-t-on dit, de seulement 27.67 hectares pour être précis, car la forêt a été divisée en 3 fragments à peine plus grands que trois ou quatre blocs de la ville de New York.
Pourtant ces étroites vallées boisées sont encore occupées par trois espèces de lémuriens, mais aussi des hiboux, des grenouilles et des chauves-souris. Solofo, nommé ainsi par ses amis et ses collègues, passe en revue leurs noms latins tout en descendant l’étroit sentier qui rejoint la forêt depuis la route principale. Il s’arrête pour imiter l’appel d’un Tchitrec malgache (Terpsiphone mutata) perché sur une branche voisine, et pointe son doigt sur des semis plantés pour repeupler la petite clairière à côté du ruisseau.
Au bout de quelques minutes, il nous montre un arbre noueux et balayé par les vents à la lisière des bois, son écorce est lisse et grise, ses feuilles sont petites et cireuses. “Ça c’est le sohisika” montre Solofo, le Schizolaena tampoketsana fait partie des rares espèces de plantes végétales endémiques au département du nord-ouest d’Antananarivo, la capitale de Madagascar.

Les arbres Sohisika sont considérés à risque très élevé d’extinction, il n’y a en tout et pour tout que 200 à 300 arbres matures. Ankafobe n’en compte que 15, ils y sont protégés depuis 2005 et représentent la pièce maîtresse de la réserve communautaire de 150 hectares. La réserve est soutenue par le Jardin botanique du Missouri (MBG Missouri Botanical Garden) et est actuellement en voie d’obtenir la désignation officielle de zone protégée.
On trouve d’autres sohisikas éparpillés dans la savane entourant la réserve et dans une poignée de zones de verdure qui marquent les frontières des collines voisines – des zones sans protection environnementale et constamment sous la menace des feux de brousse de la saison sèche. Jusqu’en 2014, 50 autres arbres se trouvaient dans une vallée à quelques kilomètres d’Ankafobe sur un site géré par le groupe Madagasco Environnement, basé à Antananarivo. Récemment, les images satellites montrent que cette vallée est maintenant pratiquement sèche.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, le couvert forestier total du pays a chuté de 40% à cause du développement de l’exploitation forestière, de la production de charbon, de bois et de la déforestation des terres agricoles. La fragmentation des forêts restantes ne cesse d’empirer. Entre 1950 et 2000, la superficie couverte par les «forêts centrales» situées à au moins un kilomètre de la cote la plus proche se sont vue réduite de 80%, une tendance qui se reflète dans les forêts du monde entier.
Aujourd’hui la fragmentation est trop importante et met en danger les espèces en voie de disparition à Madagascar ainsi que leurs habitats naturels. Une course contre la montre est lancée parmi les défenseurs de l’environnement pour trouver la meilleure façon de protéger ce qui reste.

Pour Stuart Pimm, expert en biologie de la fragmentation et de l’extinction, enseignant à l’Université de Duke en Caroline du Nord, le drame pour Madagascar c’est que la forêt est en “morceaux”. Il rajoute que la fragmentation forestière est de mauvaise augure.
D’après les explications de S. Pimm, quand la taille d’une parcelle de forêt diminue, sa géométrie de base change également. Il y a soudainement plus de «bord» ou de “lisière” pour chaque hectare de forêt. Pour illustrer le propos, Pimm compare cela à un découpage d’enfant : c’est semblable à ce qui se passe quand un enfant coupe une seule feuille de papier en un flocon de neige. Ces multiples lisières permettent aux prédateurs d’atteindre plus facilement leurs proies sous la canopée, les arbres succombent plus facilement aux effets de la sècheresse et les feux de brousse se multiplient plus rapidement alors qu’auparavant les incendies ne prenaient pas.