Se contenter de peu

Chris Birkinshaw, botaniste en chef pour le programme Madagascar MBG, explique à Mongabay que l’idéal serait d’avoir plus grand, “mais parfois, il n’y a pas de choix: il faut se contenter de peu, et c’est certainement le cas dans certains de nos domaines”.

Certains des écosystèmes les plus fragmentés de Madagascar illustrent l’état critique biodiversité mondiale. Les forêts sempervirentes du littoral de Madagascar se sont développées sur de vieilles dunes et s’étendaient sur de larges bandes ininterrompues de 3 km ou plus de large le long de la côte est de l’île et longue de 1,6 km. Aujourd’hui, Birkinshaw constate que «la majeure partie de ce type de végétation a disparu: “il n’y en a plus de 2 000 hectares.». Les chercheurs estiment que les fragments restants de la forêt sempervirente du littoral littoral contiennent 13% des espèces végétales de l’île sur moins de 1% de ses terres.

Les zones de forêts caducifoliées de l’ouest et les forêts variées du plateau central ont également été réduites à de minuscules fractions de leurs anciennes aires de répartition. Cette dégradation s’est à son tour combinée avec l’histoire évolutive unique de Madagascar – plus de 50 millions d’années de sélection naturelle isolées du reste du monde, ce qui résulte à un nombre croissant d’espèces sur de minuscules répartitions connues. Ces aires sont parfois aussi petites qu’un kilomètre carré [pdf].

Les botanistes du MBG ont envisagé d’entreprendre des travaux de conservation parallèlement à leurs recherches à Madagascar il y a près de 20 ans. “Quand nous y avons réfléchi, toutes les ONG de Madagascar s’intéressaient aux grands couverts forestiers qui nécessitaient des fonds importants”, a expliqué le directeur de MBG, Christian Camara. Pourtant, des dizaines d’écosystèmes uniques au monde se trouvent en dehors du réseau d’aires protégées de Madagascar. “Nous avons réalisé qu’il y avait des espèces végétales très importantes dans ces petites parcelles de forêt, et personne ne s’en occupait”.

En 2000, MBG entreprit une révision des priorités pour la conservation des plantes autour de l’île. De cette révision en ressort une liste de 78 sites. Aujourd’hui, 39 ont été intégrés dans de nouvelles zones protégées ou existantes, y compris les 12 sites gérés par MBG. L’autre moitié se retrouve sans protection environnementale, un de ces sites a déjà été détruit. Certaines zones sont assez grandes – le plus grand site de MBG compte plus de 75 000 hectares -, mais chacune d’elles, en particulier la plus petite, comme Ankafobe, sert de sorte de musée d’histoire naturelle.

“Si vous voulez savoir à quoi ressemblait cette forêt, et bien ce que vous voyez est ce que vous avez”, explique Birkinshaw. “Si c’est petit, c’est petit, et sa viabilité dépendra de notre intervention.”

«Nous entrons donc probablement dans le domaine de la gestion intensive du jardinage, et si c’est ce qui est nécessaire, c’est ce que nous ferons. Si nous arrivons à obtenir des fonds pour cela», a-t-il ajouté.

Pour chaque grande aire protégée en ressort des défis à relever tels que : la logistique des voyages d’une région éloignée à une autre, les manœuvres politiques nécessaires pour aligner les intérêts des nombreux groupes impliqués, et les coûts de base de tout type de programme de recherche ou de développement dans la vaste partie rurale de Madagascar.

«Plus le site est grand, plus il y aura de communautés impliquées et plus difficile sera l’accès à l’ensemble de la zone», explique Julie Razafimanahaka, directrice du groupe de conservation malgache Madagasikara Voakajy. Julie gère sept zones protégées divisées en fragments forestiers. “Si vous n’avez pas les ressources nécessaires – telles que le personnel et l’argent nécessaire – pour couvrir la zone, il y a de fortes chances que des activités illégales de développent sur le site. Le temps que mettra la rédaction de ces rapports sur ces activités illégales, il sera déjà trop tard.

De plus, Razafimanahaka explique que: «dans les petits sites, vous devez traiter toutes les menaces sérieusement.» Tel était le cas pour le plus petit site de Voakajy ou des rapports indiquaient que des braconniers opéraient sur près des 90 hectares de forêt du village de Tarzanville. C’est ce village qui a donné son nom au caméléon Calumma tarzan, en danger critique d’extinction. “Toute menace est intensifiée”, insiste-t-elle.

“Plus le site est grand, plus les problèmes sont gros”, nous dit Christian Camara de MBG. On pourrait donc en déduire “petits sites, petits problèmes”, mais dans un site aussi petit qu’Ankafobe, presque n’importe quel problème peut devenir existentiel.

Tenir le feu à distance

Les principales menaces pour Solofo sont les incendies. Qui blâmer ? Cela pourrait être les agriculteurs, la météo ou bien les bandits qui volent du bétail et qui couvrent leurs traces. Parfois, les camionneurs et les chauffeurs d’autobus s’arrêtent pour cuisiner le long de la route et ne prennent pas le soin d’éteindre les braises lorsqu’ils partent. D’une façon ou d’une autre, pendant la saison sèche, il y a toujours des feux.

Savoir ce à quoi ressemblaient les collines autour d’Ankafobe avant l’arrivée des premiers humains à Madagascar il y a environ 2 000 ans fait encore l’objet de controverses. Il est probable qu’à l’époque les paysages étaient constitués d’herbacés indigènes, comme de nombreux scientifiques le croient aujourd’hui. Cela suggérerait que les incendies étaient également très récurant.

Mais il y a un problème notable d’après Marina Blanco, primatologue à l’Université Duke. Elle a étudié les populations de lémurien Microcebus à Ankafobe et constate que toute la région est caractérisée par ce qu’elle appelle une “fragmentation extrême”.

Dans les habitats vulnérables et sensibles, les petites perturbations ont des effets dramatiques, car il n’y a pas de zones tampons et l’extinction locale est une menace omniprésente, écrit-elle dans un courriel.

Solofo et le groupe communautaire VOI Sohisika qu’il préside ont géré le site d’Ankafobe avec un budget restreint depuis 2005. Ils y conservent une pépinière pour les espèces de plantes indigènes et entretiennent les pares feux sur les crêtes des collines qui entourent chacun des trois petits blocs de forêt. Au fur et à mesure, ils ont rallié un nombre croissant de leurs voisins à leur cause alors que les villages de la région subissaient quelques désagréments. On parle notamment d’une accumulation de sédiments provenant de l’érosion dans les rizières, ou des sources d’eau asséchée à mesure que les berges des cours d’eau se défrichent. L’association, qui comptait au départ quelques dizaines de membres représentant 15% de la communauté environnante compte aujourd’hui plus de 300 membres, soit plus de 90% des adultes de la fokontany locale, la plus petite unité gouvernementale de Madagascar.

Fara Rajajajarohavana vit le long de la route au-delà d’Ankafobe avec son mari Maxim et leurs enfants. Ils ont quitté leur ville natale, Ambositra, en 2001 à la recherche de terres à cultiver. Maxim nous dit que la terre reste la même, mais la population devient envahissante. Pendant les premières années près d’Ankafobe, il voyait le feu s’étendre sur des fragments de forêt dans les collines environnantes. Cela les a poussés à rejoindre VOI Sohisika peu après la formation du groupe.

“Nous sommes devenus membres de l’association pour l’avenir de nos enfants”, explique Fara. “Si les forêts disparaissent, l’eau disparaîtra et nos enfants seront pauvres.”

Maxim and Fara Rajajarohavana, center, with their family at home near Ankafobe. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Maxim et Fara Rajajarohavana en famille dans leur maison près d’Ankafobe. Crédit photo : Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

L’année dernière, les membres de VOI Sohisika ont cultivé 45 000 plants dans la pépinière d’Ankafobe, la poursuite d’une décennie de travail pour étendre ses îlots de verdure fragmentés aux collines environnantes et les reconnecter les uns aux autres. Ils ont planté des vergers d’avocatiers et d’orangers afin d’aider à financer les efforts de restauration du groupe. Ils ont également planté des arbustes à croissance rapide (Tephrosia vogelii et Crotalaria retusa) pour créer de l’engrais vert pour les plantes indigènes. De plus, Solofo insiste sur le fait que le groupe a planté plus de 3.000 plants de sohisika qui ont progressivement élargi la gamme naturelle de l’espèce.

En 2014, près de la moitié de leur travail a été anéantie à cause de quelques jours venteux typiques de la fin octobre. Un feu de brousse s’est étendu jusqu’au-delà la rivière Manankazo et près d’Ankafobe, deux-cents membres de l’association se sont mobilisés et attendaient sur la colline pour éteindre les flammes avec des branches vertes et des seaux d’eau. Il était impossible de tenir l’incendie éloigné suffisamment longtemps: à la fin de la semaine, le feu a brûlé les semis qu’ils avaient plantés entre 2008 et 2013, ainsi que neuf hectares de forêt.

C’était démoralisant. “Au début, nous voulions abandonner ” dit Maxim Rajajarohavana. “Mais nous avons regagné espoir en replantant la forêt, en voyant le travail des autres membres de la VOI et les progrès réalisés après 2014 “, a-t-il dit.

En juillet, Solofo a traversé le sous-bois à la périphérie de la forêt et a pointé du doigt les troncs de quelques-uns des plus grands arbres du fragment forestier. “Vous voyez les grands arbres morts?”, dit-il en parcourant des yeux les dégâts. “C’est à cause des incendies”. Au-delà des arbres, la ou les falaises sont rouges, on peut se rendre compte des sept glissements de terrain qui ont fait tomber des cascades d’argile et de roche dans le ravin en contrebas dans le sillage du feu.

Depuis lors, les membres de VOI Sohisika ont redoublé d’efforts, en prépositionnant des barils d’eau et en plantant des haies qui, Solofo espère, serviront de pare-feu vert. Au début de chaque saison sèche, ils entretiennent 22 km de pare-feu à la main. Ils utilisent des houes pour racler deux tranchées étroites libres de toute végétation, ensuite ils brûlent la bande d’herbe de 30 pieds de large entre les deux tranchées. Concernant le financement de l’association, MBG verse près de 5 000 ariarys, soit environ 1,60 $, pour une journée de travail, tandis que chaque membre verse 10% de ce qu’il gagne à VOI Sohisika. Solofo nous explique que l’entretien des pares feux consomme environ un tiers de son budget annuel de 3 500 $. Le reste va à des patrouilleurs rémunérés qui travaillent en binôme pendant la saison sèche, ainsi qu’à deux pépiniéristes à temps plein, Solofo lui-même, et à deux assistants de recherche qui travaillent avec MBG sur la collecte de données écologiques.

Rassembler le puzzle

Les risques qui animent ce travail et menacent de le rendre obsolète sont les incendies qui pourraient réduire la taille des fragments forestiers au-dessous d’un certain seuil de viabilité écologique.

Même les fragments relativement gros souffrent de ce qu’on appelle communément la “paupérisation”, un processus qui résulte à ce que des fragments d’habitat isolés perdent la majeure partie de leur biodiversité au fil du temps, à cause des incendies, de la prédation, d’une diversité génétique plus faible, etc. Différents types de plantes et d’animaux répondent différemment à ces pressions. S. Pimm, expert en biologie de l’extinction, affirme que les espèces animales qui restent dans des fragments aussi petits qu’Ankafobe vivent sur du temps emprunté.

S. Pimm est co-auteur de plusieurs études, les plus longues de la planète d’ailleurs, sur la fragmentation forestière en l’Amazonie Brésilienne où le biologiste Thomas Lovejoy a observé des parcelles forestières de 1, 10 et 100 hectares depuis 1980. D’après ses observations, les espèces d’oiseaux sont finalement les mieux connues. Un fragment d’un hectare perd la plupart de ses espèces d’oiseaux en deux ou trois ans, 10 hectares en moins d’une décennie, 100 hectares en 10 à 20 ou 30 ans. Nous aurions besoin d’un fragment de près de 10 000 hectares avant d’avoir ne serait-ce qu’une chance de conserver ces espèces à long terme.

“C’est la raison pour laquelle dans l’article que nous avons publié récemment, nous soutenons que la reconnexion des fragments est l’une des solutions de conservation la plus rentable que nous ayons, parce qu’elle ralentit considérablement le rythme de l’extinction animale” ajoute Pimm.

Cet article s’appuie sur les travaux que Pimm a réalisés avec le groupe américain Saving Species dans les forêts côtières au nord de Rio de Janeiro, au Brésil. Sur le terrain, ils ont planté des couloirs forestiers qui recouvrent les fragments restants, abritant plusieurs espèces telles que le Tamarin lion doré (Leontopithecus rosalia) qui est menacé d’extinction. Un effort similaire est en cours dans le sud-est de Madagascar, où le Madagascar Biodiversity Partnership, siégeant à Antananarivo, tente de créer un couloir forestier de sept kilomètres pour reconnecter des fragments de forêt tropicale à l’est du Parc national de Ranomafana.

Méthode Andriamerimandamina, left, and Landry Ferdinanrd Ramerina work as patrollers for the community group VOI Sohisika, walking the hills near the Ankafobe forest to keep watch for brush fires during the dry season. Photo by Rowan Moore Gerety for Mongabay.
Méthode Andriamerimandamina, à gauche, et Landry Ferdinand Ramerina travaillent en tant que patrouilleurs pour le groupe communautaire VOI Sohisika. Ils marchent sur les collines près de la forêt d’Ankafobe pour surveiller les feux de brousse pendant la saison sèche. Crédit photo : Rowan Moore Gerety pour Mongabay.

Il y a bien longtemps, Ankafobe faisait partie d’une mosaïque de forêts contigües qui la reliait à la Réserve Spéciale d’Ambohitantely, à 11 km à l’ouest. Elle contenait une partie de la dernière forêt primaire sur le plateau central de Madagascar.

Solofo nous parle avec enthousiasme d’un “circuit touristique” où les visiteurs, malgaches et étrangers, pourraient descendre de la route et monter jusqu’à la cascade qui se trouve à l’autre bout de la réserve. Les fragments forestiers sont plus faciles d’accès que les plus grandes forêts éloignées. C’est un avantage après tout.

“N’oubliez pas que la plupart des Malgaches n’ont peut-être jamais vu un lémurien dans la nature” insiste Chris Birkinshaw de MBG. Ici, à moins de trois heures d’Antananarivo, ils le peuvent encore. ”Toute opportunité de renforcer les liens entre les Malgaches et leur patrimoine naturel vaut la peine d’être saisie” dit-il, “parce que si on ne le fait pas, alors l’avenir n’est pas très prometteur à Madagascar”.

Solofo nous raconte que les personnes les plus âgées vivant à Andranofeno, juste au nord d’Ankafobe, se souviennent encore d’une époque où les trois fragments de la réserve étaient tous liés. Si l’œuvre de VOI Sohisika se poursuit, il y a une chance que les plus jeunes aient la chance de le voir un jour à leur tour.

Rowan Moore Gerety est journaliste et producteur radio basé à Miami. Plus d’informations sur son travail à www.rowanmg.com.

Cet article est le troisième de la série de Mongabay “Conservation à Madagascar” publiée à l’automne 2017. Toute la série sera rassemblée ici.

A table from a 2007 paper by researchers with the NGO Conservation International, cited below as Harper, G.J., et al (2007), details the fragmentation of Madagascar’s forests between 1950 and 2000. Table courtesy of Environmental Conservation.
Fragmentation aux forêts de Madagascar’s entre 1950 et 2000. Tableau courtesy reproduite avec l’autorisation de Environmental Conservation.

Citations

Andreone, F. et al (2005). Species review of amphibian extinction risks in Madagascar: conclusions from the Global Amphibian Assessment. Conservation Biology 19(6): 1790-1802.

Consiglio, T. et al (2006). Deforestation and plant diversity of Madagascar’s littoral forests. Conservation Biology 20(6): 1799-1803.

Ganzhorn, J.U., Lowry, P.P., Schatz, G.E., & Sommer, S. (2001). The biodiversity of Madagascar: one of the world’s hottest hotspots on its way out. Oryx 35(4): 346-348.

Harper, G.J., Steininger, M.K., Tucker, C.J., Juhn, D., & Hawkins, F. (2007). Fifty years of deforestation and forest fragmentation in Madagascar. Environmental Conservation 34(4): 325-333.

Lucas, J. (2014). Demographic Survey of the Sohisika (Schizolaena tampoketsana) at Ankafobe, Madagascar. Independent Study Project (ISP) Collection. 1763. http://digitalcollections.sit.edu/isp_collection/1763

Pimm, S.L., & Brooks, T. (2013). Conservation: Forest fragments, facts, and fallacies. Current Biology 23(24): R1098-R1101.

Urech, Z.L., Felber, H.R., & Sorg, J.P. (2012). Who wants to conserve remaining forest fragments in the Manompana corridor?. Madagascar Conservation & Development 7(3): 135-143.

Article published by Maria Salazar
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