- Depuis 1994, la guerre civile est responsable de la mort de cinq millions de personnes et a décimé la population sauvage de la République Démocratique du Congo. Aujourd'hui, des milices lourdement armées et des mineurs illégaux sont à la recherche de « minéraux de conflits » dont ils ont besoin pour fabriquer des équipements électroniques modernes et vendus aux États-Unis et dans le reste du monde.
- Les chasseurs ont pris le gorille des plaines orientales pour cible afin de nourrir les mineurs et les membres des milices : ces vingt dernières années, la population de ces grands singes a diminué de 77 %. Une étude menée en 2016 a déterminé qu'il ne reste que 3 800 gorilles des plaines orientales, les plus grands primates au monde, survivant dans les régions les plus sauvages de l'est de la République Démocratique du Congo.
- La bonne nouvelle : un groupe de scientifiques courageux, et sous la protection de rangers armés, a découvert 50 gorilles des plaines orientales qui n'avaient pas été recensés, dans le Parc National de Maiko, situé en République Démocratique du Congo. Il pourrait même y en avoir davantage au sein des quelques 10 000 km² du parc.
- La mauvaise nouvelle : le mois dernier, la Chambre des Représentants aux États-Unis a voté un accord pour cesser le financement de la « Loi sur les minéraux de conflits » qui imposait aux entreprises américaines de signaler les lieux où elles se procuraient ces minéraux comme le coltan, utilisé dans la fabrication de téléphones portables et d'ordinateurs. Le Sénat n'a pas encore agi à propos de cette nouvelle loi.
On estimait à quinze, le nombre de gorilles des plaines orientales (Gorilla beringei graueri) vivant dans le Parc National de Maiko, en Afrique. Mais Damien Caillaud, un biologiste, a décidé de remettre ce nombre en question. Il était certain que cette jungle quasiment infranchissable pouvait abriter quelques-uns de ces grands singes en Danger de Disparition, dissimulés dans des gorges profondes, à l’ombre de sommets escarpés.
Rien de tout cela n’était avéré. Le Parc National de Maiko, qui s’étend sur environ 10 000 km² à l’est de la République Démocratique du Congo, reste un territoire inexploré depuis la guerre civile congolaise qui a éclaté en 1994. Bien que le conflit ait officiellement pris fin en 2003, la présence de milices armées fait toujours de cette région, et de ce pays, l’un des endroits les plus dangereux pour observer et protéger la population sauvage.
Les équipes chargées de cette étude ont fait une découverte étonnante : ils ont découvert près de 3 800 singes survivant dans les régions les plus éloignées. Ces vingt dernières années, 77 % des gorilles des plaines orientales avaient disparu.
La plupart d’entre eux a été chassée pour être mangée. Certains réfugiés de la guerre civile congolaise en sont responsables. Mais la majorité a été braconnée par des milices et des mineurs illégaux qui ont envahi les forêts afin de trouver ces « minéraux de conflits » comme le coltan et le minerai d’étain, utilisés dans la fabrication de téléphones et d’ordinateurs portables, ainsi que d’autres appareils électroniques.
Le gorille des plaines orientales est au bord de l’extinction. Chacun de ces singes compte si on veut assurer la survie de l’espèce, il est donc primordial pour les chercheurs de localiser toutes les populations viables de cette espèce afin d’assurer leur protection par des rangers.
Alors, malgré les risques, Caillaud, professeur à l’Université de Californie qui a dirigé les recherches du programme pour le gorille des plaines orientales avec le Dian Fossey Gorilla Fund de la République Démocratique du Congo, a organisé une expédition de deux semaines afin d’étudier une centaine de kilomètres carrés dans la partie la plus au sud du parc. Il a collaboré avec les seules personnes capables d’effectuer cette étude : Urbain Ngobobo, directeur de la Fondation au Congo et Boji Dieudonné, directeur du parc.
À eux trois, ils ont ciblé une région particulièrement sauvage située à trois jours de marche de la route ou du village le plus proche, et encore plus isolée par la rivière d’Oso. C’est une région où les grands singes pourraient évoluer, hors de la ligne de mire, si toutefois, il devait bien y en avoir.
Ngobobo a dirigé une expédition de quinze personnes comprenant l’un des meilleurs pisteurs de gorilles de la Fondation, Escobar Binyinyi, ainsi que sept autres personnes en plus de rangers armés de l’Institut congolais pour la Conservation de la Nature, l’agence qui s’occupe des parcs nationaux en République Démocratique du Congo.
Ils ne trouvèrent que peu de traces. Ils ont utilisé des machettes pour se frayer un chemin à travers une végétation très dense, se sont retrouvés face à des pentes tellement raides qu’ils devaient souvent progresser à quatre pattes. Mais ce type de terrain extrêmement brut leur donna l’espoir qu’il pourrait dissuader les chasseurs.
Ce qu’ils découvrirent dépassa de loin leurs attentes : l’équipe découvrit 30 gorilles des plaines orientales qu’aucun chercheur n’avait encore observés, sur une surface représentant à peine 1 % de la surface du parc, soit le double de ce qu’ils pensaient trouver sur tout le domaine. On peut donc espérer en trouver davantage, dissimulés dans d’autres zones difficilement accessibles.
« C’est évidemment une bonne nouvelle de découvrir une population viable dans la zone la plus au sud du parc, mais cela implique quelques défis, » a déclaré Caillaud. « Nous devons trouver des moyens pour protéger ces gorilles. » Et il faut les trouver rapidement.
Les gorilles en danger
La guerre civile a fait 5,4 millions de victimes et a laissé derrière elle au moins 70 groupes armés qui financent leurs opérations grâce à l’extraction illégale des ressources minérales abondantes dans cette région et dont la valeur est estimée à 24 billions de dollars. Parmi ces ressources, on compte surtout de l’or et des « minéraux de conflits » : l’étain, le tantale, le coltan et le tungstène.
Ne disposant d’aucun autre moyen de se nourrir, les mineurs et les membres de milices mangent du gibier. Et le gorille des plaines orientales est l’une de leurs cibles préférées : ce sont les plus grands primates du monde, le mâle pèse en moyenne 180 kg, ce qui représente beaucoup de viande.
D’après Tara Stoinski, présidente et scientifique en chef de la Fondation Fossey, l’exploitation minière illégale des « minéraux de conflits » est une crise qui ne cesse d’augmenter et elle estime que le gorille des plaines orientales et d’autres espèces sauvages sont sérieusement en danger d’extinction. « Cette activité cause également énormément de souffrances aux êtres humains au Congo, » ajoute-elle, rajoutant que les milices terrorisent les communautés locales, causant ainsi des problèmes à l’échelle humaine et écologique.
Pendant ce temps, une déclaration présidentielle ébauchée par Donald Trump en février dernier pourrait avoir pour conséquence de mettre encore plus en péril les hommes et les espèces sauvages de la région. L’ordre exécutif ayant fuité proposait de mettre un terme à l’obligation des entreprises américaines de dévoiler si leurs produits contiennent des « minéraux de conflits » issus de la République Démocratique du Congo ou des pays avoisinants.
Puis, en septembre, la Chambre des représentants, à majorité républicaine est passée à l’acte. Elle a voté pour supprimer la surveillance en arrêtant de financer la « Loi sur les minéraux de conflit », une loi créée en 2010 avec l’appui bipartisan du Congrès au sein de la Securities and Exchange Commission de la Loi Dodd Frank. Elle contraignait les entreprises à signaler l’origine des minéraux utilisés dans la fabrication de téléphones portables et d’ordinateurs.
Selon Caillaud, la transparence, comme appliquée par la Loi américaine sur les minéraux, est l’une des meilleures armes pour assurer la protection des gorilles en voie d’extinction et d’autres espèces sauvages de la Républicaine Démocratique du Congo. « Ce projet de loi ressemble à une déréglementation, mais en fait, c’est l’inverse : il est impossible pour les consommateurs de connaître l’origine des produits, et qui en a souffert. Ce projet de loi obscurcit les pratiques commerciales préjudiciables, » a-t-il déclaré.
La législation visant à supprimer le financement de la Loi sur les minéraux est désormais entre les mains du Sénat, et devrait être largement soutenue par le Parti Républicain tandis que les Démocrates s’y opposent.
La sensibilisation
La découverte de 30 gorilles dans le Parc de Maiko est bien sûr une source de réjouissance pour les protecteurs de l’environnement, mais concrètement, cela ne change pas grand chose pour le Gorilla beringei grauer et n’augmente pas ses chances de survie. Mais cette découverte nous montre à quel point les scientifiques ignorent où se trouvent les populations restantes.
Aujourd’hui, les chercheurs espèrent mettre en place une série d’expéditions afin d’identifier et de cartographier l’emplacement d’enclaves isolées, puis, de trouver un moyen de les protéger.
Cependant, il reste encore quelques obstacles : une étude d’une durée de deux semaines coûte 5 000 dollars d’après Caillaud et les sources de financement dans la région sont minces.
Il faut rapidement se mobiliser. « Les pertes sont rapides. Nous perdons environ 5 % des gorilles des plaines orientales chaque année, c’est trop pour assurer la survie de l’espèce, » a déclaré Stoinski. Le seul moyen d’arrêter ce carnage est « de mettre des gens sur place : des rangers entièrement équipés, bien payés et parés, qui savent où se trouvent les populations en danger. » Et bien sûr, il faudrait encore plus de financements, en particulier pour les équipes de rangers en poste dans les zones isolées du Parc National de Maiko.
Mais l’investissement vaut le coup : cette région est l’une des régions possédant la plus grande biodiversité, l’okapi (Okapia johnstoni) y réside encore, tout comme le chimpanzé (Pan troglodytes schweinfurthii), l’éléphant des forêts d’Afrique (Loxodonta cyclotis) et d’autres espèces rares. Mais le gorille reste un symbole sur ces terres, et en le protégeant, c’est tout un écosystème qui pourrait être sauvé. « Mais être ici pose beaucoup de problèmes, c’est pour ça que c’est si important d’y être, » a déclaré Stoinski
Surveiller et patrouiller dans ces régions protégées du pays demande une vigilance et un équipement quasi militaire. C’est pour cela que la plus récente expédition pour trouver des gorilles dans le parc national disposait d’un équipement scientifique et d’un système de sécurité. L’expédition devait se dérouler dans une région où très peu de milices devaient être postées. Sur place, l’équipe a dû rester très vigilante, à la fois pour essayer de repérer les gorilles, mais aussi des signes d’intrus : cartouches, fumée de feux de camps, camps de braconniers ou d’opérations d’exploitation minière illégale.
D’après Stoinski, ces recherches sont extrêmement risquées. « Ces hommes mettent leurs vies en danger afin d’assurer la protection d’espèces sauvages… Il y a déjà eu six gardiens du parc tués en République Démocratique du Congo ces derniers mois. »
Dans les zones de conflit, les ONGs quittent souvent les lieux quand les dangers se multiplient, et par conséquent, les espèces sauvages sont souvent décimées ; c’est l’une des raisons pour lesquelles son organisation reste sur place. « S’il n’y a personne sur place pour assurer la conservation de cette espèce, nous risquons de voir disparaître le gorille des plaines orientales, » a déclaré Stoinski.
Nous en profitons pour rappeler que plus de cinq millions de personnes ont été tuées dans les conflits en République Démocratique du Congo ces 20 dernières années. « Malgré tout cela, les personnes avec lesquelles nous travaillons veulent continuer à protéger leur forêt, leur biodiversité. C’est ce qui me donne de l’espoir et qui m’inspire, » conclut Stoinski