Nouvelles de l'environnement

Un autre défenseur de l’environnement malgache emprisonné

  • Raleva, un fermier de 61 ans, est placé en détention provisoire depuis le 27 septembre par les autorités malgaches après avoir demandé à voir le permis qui autorise une société minière à opérer à proximité de son village.
  • Ce sera au moins la sixième fois que les autorités ciblent les opposants au trafic d’animaux sauvages ou à la saisie de terres.
  • Les militants écologistes affirment que leur travail est entravé par deux obstacles : d’un côté les tentatives de corruption et des menaces de la part des trafiquants et de l’autre, les emprisonnements et amendes de la part du gouvernement.

ANTANANARIVO, à Madagascar – À Madagascar, élever la voix contre les actes frauduleux des entreprises ou contre la corruption du gouvernement peut s’avérer dangereux. Raleva, un fermier de 61 ans, a donc dû rassembler son courage avant de protester et de poser des questions lors d’une réunion dans son village dans le sud-est de Madagascar, le 27 septembre. Une société chino-malgache, qui a par le passé été exclue de la région, a déclaré qu’elle allait reprendre ses activités d’exploitation aurifère. Les représentants de la société ont amené avec eux le chef de district, puissant élu local.

Le conflit a débuté en août 2016 lors du lancement de l’activité d’exploitation de la zone par la société minière Gianna Mac Lai Sima, nommée d’après sa gérante, une Malgache d’origine asiatique qui habite dans la ville de Mananjary. Le ministère auprès de la Présidence en charge des Mines et du Pétrole de Madagascar a fait fermer à l’exploitation en raison de l’absence de permis. La société a depuis soumis une demande à l’Office National pour l’Environnement mais aucun permis n’a été délivré, selon Hery Rajaomanana, responsable de l’Unité d’Impact Environnemental. Et pourtant, lors de la réunion de première importance qui a eu lieu il y a trois semaines, la société a déclaré aux habitants de Vohilava, le village où vit Raleva, que les permis avaient été accordés. Raleva a été arrêté lorsqu’il a demandé à voir les documents et se trouve en détention depuis.

« Il n’aurait pas dû passer la moindre nuit en détention », a affirmé Tamara Léger, conseillère pour Madagascar du Bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique australe à Mongabay.

Mais telle est la vie d’un militant à Madagascar. Ces dernières années, les opposants au trafic d’animaux sauvage ou à la saisie de terres ont souvent été la cible du gouvernement. « Le système pénal est utilisé pour réduire au silence et harceler les militants au lieu de protéger leur liberté d’expression et de réunion », écrit Muleya Mwananyanda, directrice adjointe du programme Afrique australe à Amnesty International, dans un email envoyé à Mongabay.

Raleva just before he was taken away by authorities on September 27 after publicly questioning a gold mining project near his village, Vohilava. His full name is Rajoany, but everyone calls him Raleva.
Rajoany, surnommé Raleva, juste avant son arrestation par les autorités le 27 septembre, après qu’il a publiquement questionné le projet d’exploitation aurifère près de son village, Vohilava. Photo de source anonyme.

Une tactique d’intimidation

Plusieurs Malgaches se sont récemment heurté à des problèmes lorsqu’ils ont tenté de protéger leur communauté et leur environnement. Clovis Razafimalala, qui est certainement le militant le plus connu du pays, en fait partie. Il dirige un groupe de défense de l’environnement basé près du parc national de Masoala dans le nord-est de Madagascar, qui est le point zéro du commerce illégal de bois de rose. Il a fait pression contre le gouvernement pour que des poursuites soient engagées contre des barons du bois de rose et pour rouvrir un bureau de douane local afin de rendre plus difficile le transport de bois de rose et d’animaux sauvages hors du pays. Presque tout le bois de rose malgache (Dalbergia spp.), qui fait l’objet d’une interdiction totale d’exportation en vertu de la CITES, est envoyé en Chine, où il est prisé par l’industrie de l’ameublement pour sa couleur rouge profond. Il a déclaré à Mongabay que les trafiquants ont tenté pendant des années de le réduire au silence, que ce soit avec des pots-de-vin ou des menaces de mort.

En septembre 2016, suite à une manifestation à laquelle il n’a pas participé, Razafimala a été arrêté et envoyé en prison à Toamasina, à 386 kilomètres de son village. Il a passé 10 mois en attente de son procès. En raison de rumeurs affirmant qu’il pourrait se retrouver victime d’un empoisonnement, sa femme s’est déplacé pendant un temps pour lui préparer elle-même ses repas.

En juillet 2017, un juge l’a condamné pour destruction de biens publics et pour incendie criminel. Il a reçu une amende de 1 500 euros et une peine de cinq ans d’emprisonnement mais a été immédiatement remis en liberté conditionnelle, comme de nombreux militants avant lui. Le remettre en liberté avec une condamnation et une peine d’emprisonnement non purgée qui peut être appliquée à tout moment est été une tentative de lui faire garder le silence, a expliqué Razafimala lors d’un échange avec Mongabay.

Clovis Razafimalala. Photo courtesy of Clovis Razafimalala.
Clovis Razafimala. Crédit photo : Clovis Razafimala.

Armand Marozafy, membre du même groupe de défense de l’environnement de Masoala, a vécu une expérience similaire en 2015 après avoir mentionné l’identité de deux trafiquants présumés de bois de rose dans un email privé. Il a par la suite été condamné pour diffamation et a purgé une peine de cinq mois en prison.

« Le manque de dispositions légales fait qu’il est dans l’intérêt des trafiquants de réduire au silence les défenseurs de l’environnement à Madagascar », a déclaré Mark Roberts, conseiller juridique senior chez Environmental Investigation Agency, à Mongabay. Roberts affirme qu’aucun trafiquant de grande envergure n’a été poursuivi pour ses crimes ces dernières années. Au contraire, le système légal pèse sur sur les militants.

Si Razafimala et Marozafy sont déterminés à rester à Madagascar malgré le danger auquel ils font face, Augustin Sarovy, militant qui a travaillé pendant 17 ans à Masoala en tant que guide, a lui eu le sentiment qu’il n’avait d’autre choix que de partir. Il a quitté la région début 2012 après que des trafiquants ont vu qu’il avait coopéré avec la Environmental Investigation Agency lors d’une enquête très médiatisée sur le trafic de bois de rose. Il s’est caché dans des hôtels à Antananarivo, la capitale de Madagascar, pendant un mois avant de trouver refuge en Europe, où il vit actuellement. (Il a demandé à Mongabay de ne pas indiquer plus précisément son lieu de résidence pour des raisons de sécurité.)

Sarovy aimerait intégrer un groupe plus solide regroupant des militants de Madagascar et d’ailleurs qui œuvreraient à la protection des ressources du pays. Tant qu’un tel groupe ne sera pas créé, le « pillage » continuera, a-t-il assuré.

« Le commerce de bois de rose est corrompu à de si nombreux niveaux, en commençant par les chefs de village jusqu’aux plus hauts placés. Tout le monde est corrompu. Absolument tout le monde », a-t-il déclaré à Mongabay.

Augustin Sarovy in Europe. After receiving death threats, he fled Madagascar in 2012. Photo courtesy of Augustin Sarovy.
Augustin Sarovy en Europe. Après avoir reçu des menaces de mort, il a quitté Madagascar en 2012. Crédit photo : Augustin Sarovy.

Les projets d’exploitation minière, qui attirent les financements et qui bénéficient souvent d’un soutien du gouvernement, sont difficiles à bloquer. A l’été et au printemps 2016, les manifestations à Soamahamanina, un village dans les hauts-plateaux du centre du pays, sont devenus le centre de toutes les conversations à Madagascar. Le ministère des Mines avait accordé à Jiuxing Mines, une entreprise chinoise, les droits de quelque 6 000 hectares de terres pour une période de 40 ans et l’Office National pour l’Environnement a commencé à lui délivrer des permis pour exploiter la zone.

La zone inclut des forêts natives principalement constituées de tapias (Uapaca bojeri), seule variété d’arbre pouvant accueillir les vers utilisés pour la production de soie destinée aux écharpes et linceuls malgaches. Les habitants de Soamahamanina ont organisé de grandes manifestations toutes les semaines. Six manifestants ont été condamné et ont reçu des peines d’emprisonnement avec sursis et d’autres ont été forcé par la police à enlever les bannières des murs de leur maison, selon le dernier rapport annuel sur les droits de l’homme du département d’État des États-Unis.

Au début du mois, Rah-Ckiky, populaire musicien malgache ayant produit une chanson en soutien aux manifestants, a été poignardé à son domicile la nuit. Il souffre de sévères blessures à la tête et au torse, mais rien n’a été volé. Cet incident a donné naissance à des rumeurs selon lesquelles il a été attaqué pour son activisme, mais le motif réel reste inconnu. Selon le journal malgache L’Express de Madagascar, un représentant du gouvernement a déclaré que Rah-Ckiky a été pris pour cible en raison d’une dispute familiale.

Une autre affaire est liée aux exploitations minières : Raymond Mandiny, militant à Ambanja, un village au nord de Madagascar, a été poursuivi le mois dernier. Mandiny s’oppose à un projet étranger d’extraction de terres rares qui pourrait, comme c’est le cas de mines similaires en Chine, détruire l’environnement de la péninsule d’Ampasindava, près d’Ambanja. Suite à un désaccord manifeste sur le projet, les représentants locaux du ministère de l’Environnement de Madagascar ont poursuivi Mandiny en justice ; trois accusations sont portées contre lui, dont une pour diffamation. Pour éviter que l’affaire ne soit portée devant les tribunaux, Mandiny a trouvé un accord avec les représentants du ministère et, avec deux grandes personnalités politiques de Ambanja, a signé un document déclarant « Le litige prend fin et les deux parties pardonnent et ne saisiront pas la justice. Elles oublient tout désaccord et considèrent qu’il n’y a jamais eu lieu de litige ».

Mandiny hésite à parler à la presse maintenant que l’accord de réconciliation a été signé. En effet, de nombreux militants malgaches subissent une pression pour ne pas communiquer avec les journalistes. Cette semaine, les soutiens de Ravela à Mananjary ont reçu la consigne de garder le silence s’ils voulaient continuer à « négocier » sa sortie de prison.

« Parler aux journalistes est considérer par les autorités comme un acte de révolte et/ou de provocation de le part des militants », écrit dans un email à Mongabay Zo Randriamaro, responsable chez le Research and Support Center for Development Alternatives (RSCDA), une société civile basée à Antananarivo. « Dans tous les cas dans lesquels nous avons été impliqués, nos partenaires locaux ont reçu soit l’instruction de ne pas parler aux médias soit été accusés de l’avoir fait. Il s’agit clairement d’une forme d’intimidation et d’une tentative délibérée de réduire au silence les voix qui se révoltent. »

L’intimidation touche même les journalistes eux-mêmes. Fernand Cello, un journaliste malgache, a enquêté sur une exploitation illégale de saphir dans le parc national d’Isalo au sud de Madagascar. Plus tôt dans l’année, sept charges ont été portées contre lui dont diffamation, mise en péril de la sécurité nationale et incitation à la haine. Certaines de ces charges ont été abandonnées mais il a été condamné pour vol de chèques et contrefaçon, charges qu’il réfute catégoriquement. Le mois dernier, il a été condamné à deux ans de prison et a été immédiatement mis en liberté conditionnelle.

« Je dois être prudent quand je travaille parce que si ça continue, ils vont finir par me tuer », a déclaré Cello à Mongabay. « En général, à Madagascar, la liberté d’expression n’existe pas. Les droits de l’homme sont inexistants. »

As a radio journalist in southern Madagascar, Fernand Cello has worked to expose environmental crimes and corruption. Photo courtesy of Fernand Cello.
En tant que journaliste radio basé dans le sud de Madagascar, Fernand Cello a travaillé pour révéler les crimes environnementaux et la corruption. Crédit photo : Fernand Cello.

Dans les mains des puissants

Officiellement, Raleva est détenu en prison pour avoir usurpé le titre de chef de district. « Usurpation de fonction » était l’une des charges portées contre Raymond Mandiny à Ambanja. Les deux prétendus usurpateurs, dont la remise en question des avantages des puissants est considérée comme dépassant les limites établies, sont membres de groupes locaux affiliés au RSCDA.

Le véritable chef de district de Mananjary, Timothée Roger Andriamihitsakia, que les habitants locaux considèrent comme directement responsable de l’emprisonnement de Raleva, a décliné la proposition de Mongabay de discuter de l’affaire lorsqu’il a été contacté par téléphone. Le procureur de Mananjary était lui injoignable. Le bureau du Premier ministre n’a pas répondu à la demande de commentaire de cet article.

Map shows the location of Vohilava, Madagascar, Raleva's village. Map courtesy of Google Maps.
Une carte montrant l’emplacement du village de Raleva, Vohilava, à Madagascar. Carte fournie par Google Maps.

Des lois proclamant la liberté d’expression et de réunion figurent dans la constitution de Madagascar. En les enfreignant, le pays met en péril sa réputation internationale. En juillet, un comité pour les droits de l’homme de l’ONU a rappelé à Madagascar ses engagements, en tant que pays membre, de protéger les militants et les défenseurs des droits de l’homme. Mais cela ne semble pas être une priorité pour le gouvernement actuel. « Nous attendons des efforts de la part du gouvernement malgache », écrit Mwananyanda d’Amnesty International.

L’arrestation de Raleva a été une épreuve pour sa famille. Sa femme, ayant besoin d’argent, a mis en location les champs de riz de la famille et s’est rendue à Mananjary, où Raleva est actuellement emprisonné, pour s’assurer qu’il est nourri. Elle a déclaré à Mongabay qu’elle avait du mal à trouver le sommeil et qu’elle s’inquiétait pour la sécurité de ses nombreux enfants et petits-enfants. Elle espère que les autorités remettront bientôt son mari en liberté.

A gold dredge, owned by the Mac Lai Sima Gianna company, dumping tailings into the Itsaka River near the village of Vohilava in southeast Madagascar earlier this month. Much of the region depends on the river for fresh water. Photo courtesy of Anonymous.
Une drague, propriété de la Mac Lai Sima Gianna company, déversant des résidus dans la rivière d’Itsaka près du village de Vohilava dans le sud-est de Madagascar, début octobre. Une grande partie de la région s’approvisionne en eau potable à partir de cette rivière. Photo de source anonyme.

Image de la bannière : un gecko à queue feuillue (Uroplatus fimbriatus), originaire de l’est de Madagascar. Photo de Rhett A. Butler.

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