De même, de nombreuses personnes locales s’inquiètent pour le futur de leurs activités agricoles. En 2014, des individus concernés, dont Solondraza, ont mis en place un groupe d’agriculteurs qui cherche à protéger les terres de TREM. Delphin Malazamanana, le président du groupement, a dit qu’il se sentait appelé à diriger cette opposition.
“Nous nous sommes sentis en danger par cette grande entreprise qui nous a dérangés et sous-estimés”, a déclaré M. Malazamanana à Mongabay. “Nous avons donc eu l’idée de nous protéger en créant ce groupe”.
Le groupe se réunit dans une cabane en plein air à Befitina, un village situé à l’extrémité ouest de la concession, à proximité de l’aire protégée. Lors d’une récente réunion, Rosé Mamory, le président du fokontany (village), a expliqué que TREM n’a jamais présenté de quelconque permis à son bureau. “C’est notre terre”, a-t-il dit, en désignant les forêts verdoyantes de bambou et de ravinala autour de lui. « Personne ne leur a donné la terre. C’est le gouvernement central qui a fait cela ».
Assis à même le sol sous un toit de chaume, les hommes se levaient tour à tour pour dénoncer la corruption aux niveaux national et local. Ils estiment que TREM gagne le soutien des ministres et des maires locaux en les soudoyant. (Lorsque Mongabay est arrivé à Antsirabe, l’une des six localités de la zone de concession, le maire a été visiblement mécontent et a demandé à plusieurs reprises si quelque chose de négatif serait écrit sur TREM. Cette enquête n’a cependant révélé aucune preuve directe de corruption.)
À Madagascar, respecter les ancêtres signifie respecter la terre. Le village d’origine est le Tanindrazana, la terre des ancêtres, où ceux-ci ont vécu, travaillé et ont été enterrés. Solondraza se demande ce qu’adviendra des ancêtres enterrés. “Même nos tombes ancestrales seront détruites”, a-t-il dit. “Ce n’est pas notre culture.”
Le nom même de Solondraza signifie littéralement «relève des ancêtres», et la plus grande question maintenant reste de savoir si, avec une société minière parachutée sur ses terres, les relèves de Solondraza auront un endroit décent où vivre.
Chronologie : l’enquête de Singapour sur ISR Capital
Pour Mongabay.com
Par Edward Carver
Traduit de l’anglais par Morand Chaudeur
La société Tantalum Rare Earth Malagasy (TREM), responsable de la prospection d’éléments de terres rares au nord-ouest de Madagascar, a régulièrement changé de propriétaire depuis la fin de l’année 2015. ISR Capital (ISR), une société cotée à la bourse de Singapour, est en phase d’obtenir une participation majoritaire. En 2016, peu avant l’annonce de son acquisition de TREM, le cours de l’action ISR s’est mis à monter de manière dramatique, et ce durant plusieurs mois. Lorsqu’il s’est ensuite effondré, la bourse de Singapour a suspendu tout échange de ces actions. Les autorités singapouriennes ont relié ISR au cerveau présumé dans une affaire de manipulation des cours de la bourse, et a ouvert une enquête contre la société.
8 décembre 2015 : La société allemande Tantalus Rare Earth (TRE AG), propriétaire de TREM depuis 2009, accepte de vendre TREM à une société privée immatriculée à Singapour, du nom actuel de REO Magnetic (REO), par un accord en deux parties. (La deuxième partie, consacrée à l’achat des 40% de parts restantes par REO, n’a toujours pas été finalisée au moment d’écrire ces lignes.) ISR Capital n’a pour l’instant aucun lien avec TREM.
9 mai 2016 : David Rigoll, un investisseur britannique du secteur minier, conclut un accord visant à acheter plus d’un quart des actions d’ISR Capital, et rejoint l’entreprise quelques jours plus tard en tant que directeur. M. Rigoll était jusqu’alors l’un des cadres dirigeants et actionnaire principal de TRE AG.
12 mai 2016 : La bourse de Singapour, après avoir observé une augmentation inhabituelle de l’échange d’actions ISR Capital, signe potentiel de délit d’initiés ou de manipulation des cours, demande à la société si certaines informations, concernant par exemple une acquisition potentielle, devraient être rendues publiques. ISR Capital répond par la négative.
19 mai 2016 : Le cours de l’action ISR Capital a désormais augmenté de plus de 700% pendant la période de dix jours suivant l’adhésion de M. Rigoll.
20 mai 2016 : ISR Capital annonce l’achat à REO Magnetic d’une part encore indéterminée de TREM. Après des négociations supplémentaires, l’accord comprend l’achat de 60% des parts de TREM pour un prix de 30 millions de dollars, environ sept fois plus que le prix payé par REO à TRE AG pour la même part quelques mois auparavant. La bourse de Singapour remet ensuite en question la méthode employée par ISR pour justifier un achat à ce prix. (Au moment d’écrire ces lignes, cet accord ainsi que l’accord en deux parties entre TRE AG et REO n’ont pas encore été réalisés. S’ils devaient l’être, ISR possèderait 60% de TREM et REO possèderait les 40% restants.)
16 juillet 2016 : ISR Capital publie une déclaration écrite indiquant que TREM a effectué une demande de permis pour un projet pilote de production. L’Office national pour l’environnement de Madagascar (ONE) a autorisé TREM à mener une étude d’impact environnemental, qui doit être soumise à l’ONE pour approbation afin que celui-ci délivre un permis. Selon l’ONE, aucune étude ne lui a été remise au moment d’écrire ces lignes, plus d’un an après.
14 août 2016 : ISR Capital admet que Timothy Morrison, cadre dirigeant du cabinet de conseil employé pour faciliter l’acquisition de TREM, était également employé en tant que directeur de REO Magnetic, la société responsable de la vente de TREM. ISR avait omis de révéler cette information jusqu’à ce que les instances de contrôle posent des questions spécifiques sur M. Morrison. Il s’agit d’un potentiel conflit d’intérêt qui pourrait avoir permis à M. Morrison de se tenir des deux côtés de la table au cours des négociations entre ISR et REO. ISR explique qu’au moment de leurs recherches concernant REO, M. Morrison n’y était pas encore employé en tant que directeur.
Dans le même communiqué, la bourse de Singapour avait interrogé ISR Capital sur un potentiel conflit d’intérêt concernant la double implication de David Rigoll avec TRE AG et ISR Capital. ISR écrit en réponse que les investissements de M. Rigoll dans les deux sociétés ne se chevauchent pas.
Septembre 2016 : TRE AG transfère la gestion de TREM à REO Magnetic, désormais actionnaire majoritaire de TREM, selon Markus Kivimäki, PDG de TRE AG.
29 septembre 2016 : Le cours de son action montant en flèche, ISR Capital annonce un prêt de 4,5 millions de dollars à TREM. ISR devient investisseur dans le projet d’Ampasindava alors même que l’accord concernant son acquisition de 60% des parts de TREM à REO Magnetic n’a pas encore été finalisé.
Novembre 2016 : Le cours de l’action ISR Capital a désormais augmenté de plus de 4000% depuis le mois d’avril.
8 novembre 2016 : En réponse à la requête d’un organisme de régulation, ISR Capital explique avoir prêté de l’argent à TREM afin que cette dernière puisse obtenir des permis environnementaux essentiels à la réussite du projet. Selon ISR, TREM a besoin de 7,1 millions de dollars afin d’obtenir ces permis.
ISR déclare : « Il n’y a pas de risque significatif que les permis ne soient pas délivrés, puisque [TREM] a traité chacun des 147 éléments mis en valeur par l’Office national de l’environnement dans le cadre de travaux soumis plus tôt dans l’année. [TREM] estime obtenir les permis au cours du premier trimestre de 2017. »
Après lecture de cette déclaration, le directeur responsable des évaluations environnementales de l’ONE a indiqué à Mongabay qu’il n’en avait « pas connaissance. » Au moment d’écrire ces lignes, TREM n’a pas obtenu de permis de production pilote. La société ne possède d’ailleurs même plus de permis d’exploration valide. ISR ne semble pas avoir révélé l’absence de permis aux investisseurs ni aux autorités de contrôle.
21 novembre 2016 : La bourse de Singapour remet en question les deux estimations d’ISR Capital concernant « l’actif de Madagascar » à Ampasindava. Deux consultants ont estimé la valeur de la concession à plus d’un milliard de dollars. La bourse de Singapour a toutefois rejeté ces deux estimations qui n’ont pas respecté ses normes établies : la première a été effectuée par un propriétaire individuel non qualifié, et la deuxième a réutilisé certaines données issues de la première sans avoir visité le site d’Ampasindava.
La première estimation, effectuée par Geologica Pty Ltd et rapidement préconisée par ISR après sa réalisation en juillet 2016, a sous-estimé l’opposition locale et le risque pour l’environnement. « Le risque potentiel pour la propriété foncière, notamment les titres fonciers autochtones, est considéré comme faible, de même que le risque souverain lié à la concession, » écrit l’évaluateur. Après avoir survolé l’impact potentiel sur l’environnement, il ajoute : « Geologica en conclut un faible risque environnemental lié à la concession. »
24 et 25 novembre 2016 : Jon Soh Chee Wen, cerveau présumé du crash des penny stocks de 2013, est arrêté et inculpé pour son rôle dans ce que les autorités singapouriennes appellent « la plus grande affaire de manipulation boursière de l’histoire de Singapour. » ISR Capital est un penny stock (investissement à haut risque et bon marché) lié au scandale de 2013, et le cours de son action s’effondre, perdant plus de la moitié de sa valeur en une journée. Trois jours plus tard, la bourse de Singapour gèle les transactions sur les actions ISR.
7 décembre 2016 : Afin d’enquêter sur une violation potentielle de la loi singapourienne sur les valeurs mobilières et les opérations à terme, les autorités requièrent d’ISR Capital des copies de tous les e-mails, comptes rendus de réunions et fusions récents.
20 décembre 2016 : Le parquet singapourien confirme l’existence de liens entre ISR Capital et Jon Soh Chee Wen. Il annonce également l’ouverture d’une enquête concernant ISR Capital. Les procureurs affirmeront par la suite, dans un document judiciaire, que Soh « était intimement impliqué, et exerçait une influence sur l’administration et les affaires générales d’ISR. » (Contactée par Mongabay, l’autorité financière de Singapour n’a pas souhaité commenter l’état ni la nature de l’enquête.)
6 mars 2017 : Après plus de trois mois de suspension, la bourse de Singapour réintroduit ISR Capital après avoir émis un avertissement de « trading avec prudence ». Son action s’effondre à nouveau, et David Rigoll vend une part considérable de ses actions. Il démissionne également de son poste de directeur exécutif, critiquant l’administration et devenant au moins le quatrième cadre dirigeant d’ISR à quitter ses fonctions en autant de mois.
Mars 2017 : TRE AG reprend le contrôle temporaire des opérations de TREM en raison de « difficultés avec l’acheteur », selon M. Kivimäki.
28 avril 2017 : ISR Capital confirme sa poursuite de l’acquisition de TREM.
1er août 2017 : ISR Capital et REO Magnetic s’accordent sur de nouvelles modalités. Au lieu de 30 millions de dollars, ISR devra verser 3,3 millions de dollars pour obtenir 60% des parts de TREM. ISR attend toujours une nouvelle estimation de la valeur de la concession d’Ampasindava.
6 août 2017 : ISR Capital reconnaît à la concession d’Ampasindava une valeur largement inférieure à celle suggérée par les deux estimations antérieures. Dans le même document, ISR explique que « peu d’activités d’exploration ont été menées par la société d’exploitation [TREM] au cours des derniers mois. » ISR omet à nouveau de préciser que TREM ne possède plus de permis d’exploration depuis le mois de janvier. Le personnel de TREM à Ambanja a indiqué à Mongabay qu’aucune exploration n’a eu lieu cette année.