Andilamena

Andilamena est située à environ six heures de taxi-brousse d’Ambatondrazaka, quand les routes sont sèches. Quand je suis arrivé en ville, la domination passée de l’exploitation minière était immédiatement évidente : le premier bâtiment que j’ai pu voir était un magasin de pierres précieuses, cadenassé. La route principale était très animée, avec beaucoup de petites échoppes vendant de l’électronique bon marché et d’autres bricoles, des épiceries et de nombreux petits bar-restaurants (gargoty en malgache.)

Chaque matin, le carrefour central propose un marché de légumes et produits frais. La plupart des agriculteurs locaux viennent vendre leurs produits et installent leurs stands devant des magasins de pierres précieuses fermés. Un bâtiment sur deux est un magasin de pierres précieuses fermé. Seuls quelques petits étals en bois étaient encore actifs dans les ruelles, et ceux-ci étaient tenus par des malgaches. Les revendeurs étrangers ont tendance à quitter la ville pendant les récessions.

La ville accueille également les bureaux de plusieurs ministères, y compris le ministère de l’environnement, de l’écologie et des forêts. À l’arrière de l’un de ces bâtiments officiels, on trouve un petit bureau, occupé par Dalal, un homme gentil et affable à la cinquantaine avancée. (La plupart des personnes que j’ai rencontrées ont préféré ne me donner que leur prénom, j’ai donc omis les noms de famille tout au long de ce reportage).

Dalal était le président de l’association aux initiales malgaches compliquées H.MPA.VATO.A. Cette association s’adresse aux mineurs des mines informelles ou artisanales. Son but est d’éduquer ces mineurs et d’intervenir occasionnellement durant les conflits entre ceux-ci et leurs patrons vazaha (« étrangers blancs » en malgache, ces derniers ont un autre nom pour les Indiens, les Chinois et les Africains).

Dalal m’a expliqué clairement en quoi consistent les deux types d’exploitation minière. Les mines de pierres précieuses, comme les rubis ou les saphirs, sont habituellement illégales. Il n’y a pas de gestion à proprement parler. Chaque mineur agit seul, bien que certains soient sponsorisés par des personnes plus riches. Tout le monde essaie de vendre ses trouvailles aux revendeurs. Pour les grosses pierres très coûteuses, la plupart des revendeurs sont des étrangers, venant principalement du Sri Lanka, de Thaïlande ou de Russie. Pour les pierres de taille moins impressionnante, des revendeurs malgaches servent parfois d’intermédiaires.

Les habitants locaux appellent le deuxième type d’exploitation minière « formelle » ou « industrielle ». Ce sont des carrières ouvertes où l’on trouve des pierres semi-précieuses telles que le quartz ou la tourmaline. Elles sont gérées par un patron, souvent malgache, qui loue les terres exploitées et paie pour cela des impôts au gouvernement.

 

Dalal, président d’une association de mineurs dans les mines informelles d’Andilamena. Photo par Arnaud De Grave / Agence Le Pictorium.
Dalal, président d’une association de mineurs dans les mines informelles d’Andilamena. Photo par Arnaud De Grave / Agence Le Pictorium.

Dalal m’a raconté ses souvenirs des récents cycles miniers d’Andilamena. En 2002, c’était le rubis. En 2005, le saphir. Actuellement, le secteur minier autour de la ville était en récession.

Il a déploré l’illégalité et les effets secondaires des ruées minières tels que la prostitution, l’ivrognerie et le travail des enfants. Mais il a néanmoins déclaré que le niveau de vie de la ville avait augmenté. Il a précisé qu’il y avait plus de 10 000 vélos en ville en 2005, contre moins de 60 en 2002. De même, l’accès à l’électricité a été multiplié par 100. Il a également signalé que la ville est plus sûre pendant les périodes fructueuses. En effet, lorsque les mines ferment, les vols très violents de zébus reprennent.

Les mines de pierres précieuses

Les mines de pierres précieuses étaient assez éloignées d’Andilamena. Pour accéder au site informel le plus proche, mes deux intermédiaires et moi-même avons dû prendre des taxi-motos pendant une heure, puis marcher pendant plus de trois heures. Cette marche nous a amené à traverser quelques rivières à gué, et de vastes étendues de tavy, la technique traditionnelle de culture sur brûlis de Madagascar, utilisée afin de dégager rapidement une grande partie de la forêt pour l’agriculture. C’est un autre des désastres écologiques à Madagascar. Les trajets pour se rendre sur les sites miniers peuvent prendre de quelques heures à plusieurs jours selon les endroits.

Quand je suis arrivé sur le site, il semblait complètement abandonné. Cependant, une petite communauté de 18 personnes continue de l’exploiter et d’y habiter. Ils représentent tout ce qui reste de plus de 10 000 personnes qui ont travaillé dans cette mine à son apogée, lors de l’une des ruées vers le rubis autour de 2002. La mine a finalement cessé d’exister en 2006. Tous ou presque sont partis, mais quelques personnes sont restées. En 2011, ceux-ci ont officialisé le campement et ce qui restait de la mine, en le baptisant Andasiakondro. Le nom signifie littéralement « Camping Banana ». La seule explication que j’ai pu obtenir des résidents s’est résumée à quelques rires sous cape.

Les résidents d’Andasiakondro pratiquent la méthode typique d’extraction minière informelle. Ils découpent des blocs de terre dans les collines avec des pieux en métal au bout pointu ou des pelles, les trient, puis les immergent dans un ruisseau voisin pour séparer les pierres de l’argile ou d’autres types de sol à l’aide d’un tamis. Les mineurs lavent et examinent les cailloux, dans l’espoir de découvrir une pierre intéressante.

Les endroits fouillés finissent par devenir des trous, puis des tunnels, parfois très profonds, atteignant même l’aquifère. Durant le lavage et le tri, la terre est mélangée à l’eau, transformant les cours d’eau en soupes boueuses. L’hygiène des habitants, ainsi que la biodiversité qui dépend de ces cours d’eau, en souffrent énormément. À Andasiakondro, les résidents ont séparé la rivière en deux branches en amont afin de conserver de l’eau propre qu’ils utilisent pour boire, faire leur toilette, et laver les vêtements et la vaisselle.

La destruction de l’environnement qui s’est produite pendant les périodes de boom était encore tout à fait visible. Les mineurs ont coupé du bois pour construire leurs huttes et des canaux pour amener l’eau sur les sites où ils creusent. Ils ont aussi défriché les forêts en pratiquant le tavy et y ont planté des cultures. De grandes surfaces de forêts autour d’Andasiakondro ont été perdues et ce qui en restait était clairement dégradé. L’eau du ruisseau traversant le site était boueuse, et les rives en contrebas étaient érodées à de nombreux endroits. Un peu plus loin en aval, on pouvait voir un site de fouilles totalement abandonné où certains tunnels s’étaient effondrés et étaient maintenant remplis d’eau, les rendant inutilisables. Quelqu’un avait essayé de stabiliser les bords du trou avec des pieux en bois, mais sans succès.

Toutes les personnes que j’ai interrogées au sujet des risques majeurs de l’exploitation minière m’ont dit qu’après l’effondrement des tunnels, les glissements de terrain et les chutes d’arbres, les conditions de vie et l’hygiène épouvantable résultant de la réunion de milliers de personnes sont les principales causes de maladie et parfois de mort. Il est difficile, voire impossible de trouver des chiffres réels, car cette activité est illégale et les travailleurs sont en grande partie des immigrants d’autres régions du pays. L’un des principaux problèmes liés à l’exploitation minière informelle est que les gens se déplacent vers la mine et y restent assez longtemps, souvent pendant plusieurs semaines, car celles-ci sont loin de tout. L’impact n’en est que plus important.

C’est la raison principale pour laquelle la plupart des personnes que j’ai interviewées ont choisi de ne pas aller à la nouvelle mine de Didy, malgré sa renommée et les histoires qui courent sur des découvertes de pierres de grande valeur. Un des mineurs du Camping Banana m’a montré des photos de gros saphirs sur son smartphone, envoyé par un de ses amis depuis Didy.

La plupart des pierres (brutes ou taillées) sont exportées vers l’Asie du Sud, l’Inde et l’Afrique de l’Ouest. Les chiffres précis de production sont difficilement trouvables, mais certains peuvent tout de même donner une idée générale de l’échelle de cette industrie à Madagascar. En 2013, les mineurs artisanaux ont produit 2 800 kilogrammes (2,8 tonnes) de saphirs, 100 kilogrammes de rubis et 150 kilogrammes d’émeraudes, ainsi que d’autres pierres précieuses, selon le rapport le plus récent de l’US Geological Survey pour Madagascar [Pdf]. De plus, un document de travail de 2015 de la Banque Mondiale indique que les pays étrangers ont importé environ 250 millions de dollars d’or et de pierres précieuses et semi-précieuses du pays. Quelques 500 000 personnes travaillent dans des mines artisanales, selon ce document entre autres, sur une population de 24,4 millions d’habitants. Cependant, on peut difficilement faire confiance à de tels chiffres compte tenu de l’étendue de l’exploitation minière informelle et de son impact économique très important.

Les carrières de quartz

À environ une heure de marche d’Andilamena se trouve une carrière « industrielle » de quartz rose et gris que les habitants appellent Anosipataka, L’île Debout. Un groupe de femmes revenant d’Andilamena après avoir vendu leurs produits sur le marché m’a montré le chemin. La carrière est située dans une petite plaine entourée par des collines. De loin, cela ressemblait à un champ parsemé de roches blanchâtres. Cinq hommes y travaillaient quand je suis arrivé.

Comme l’avait expliqué Dalal, il est tout à fait légal de travailler ici. Le salaire moyen est de 1 million de francs malgaches par mois, environ 200 000 ariary ou 57 euros. (Les gens vivant à la campagne parlent souvent en francs malgaches, même si la monnaie a changé en 2003). Mais c’est un revenu stable, qui ne dépend pas de la chance de trouver une pierre comme dans les mines de pierres précieuses.

Le travail n’en est pas moins dangereux et les plaintes des travailleurs sont les mêmes : glissements de terrain, chutes de roche, etc. La différence est que les mineurs ne vivent pas sur le site mais dans la ville à proximité, de sorte que les maladies dues au manque d’hygiène, à la promiscuité, au manque de nourriture et autres difficultés des mines illégales sont absentes.

J’ai interviewé Razifa, un homme de 40 ans qui travaille à la carrière. Originaire de Tamatave, il a déménagé à Andilamena il y a 13 ans. Comme il n’était pas local, il lui a été impossible d’obtenir des terres pour l’agriculture, de sorte qu’il est devenu maçon et a commencé à travailler ici, à la carrière de quartz. Il m’a parlé du travail à la carrière : les mineurs détachent les blocs du sol et les cassent en pièces transportables, qu’ils empilent sur le côté de la route pour que d’autres ouvriers viennent en carrioles à zébu, les ramassent et les amènent en ville. Ils brisent les plus gros blocs avec des marteaux faits maison, et Razifa s’est souvent blessé les mains, car les morceaux de quartz ont des arêtes vives et coupantes. Dans certaines parties de la carrière, les glissements de terrain et les jaillissements d’eau étaient courants, comme dans la mine de pierres précieuses que j’avais visitée quelques jours auparavant.

L’aîné des quatre enfants de Razifa, un garçon d’environ 10 ans, était également au travail et je l’ai vu aider son père à dégager du sol un gros morceau de quartz. Il n’était pas en train de tirer profit d’un jour où il n’y avait pas d’école, mais était complètement déscolarisé. C’est l’un des risques qu’a mentionné Dalal.

A cet endroit, l’impact sur le paysage semblait être assez restreint. Razifa m’a dit qu’une fois que l’exploitation d’un site est arrêtée, celui-ci est parfois recyclé comme champ agricole. Parfois, il reste en l’état : un champ de cailloux et de trous. Un autre homme qui travaillait là-bas nommé Edmond, originaire d’Andilamena, s’est quant à lui plaint que les carrières détruisent vraiment le paysage. Mais, a-t-il dit, il faut bien gagner de l’argent!

Le point de vue des locaux d’Andilamena

J’ai parlé avec plusieurs habitants d’Andilamena, qui essayaient de survivre en attendant la prochaine ruée. Pour la plupart d’entre eux, les mines ont été positives, même si ils ont convenu que les risques étaient élevés et que l’impact sur l’environnement était trop grand. Ils ne pensaient pas vraiment avoir le choix. Voici quelques-unes de leurs histoires.

Saholy, âgée de 40 ans, est négociante en pierres précieuses depuis l’an 2000. Avant cela, elle était couturière. Elle a dit ne plus pouvoir revenir à la couture parce qu’elle est trop vieille maintenant et ne voit plus très bien. Elle n’est pas allée à la mine à Didy parce que l’investissement requis était trop élevé. En effet, il fallait un fonds de 3 millions de francs (environ 170 euros), plus de cinq fois ce qu’elle avait à sa disposition. Elle attendait donc le retour du marché local. “Ce sont des cycles”, a-t-elle affirmé.

Mme Esther, âgée de 50 ans, possède une gargoty depuis 2001. Son fils est venu à Andilamena avec toute la famille pour travailler dans la mine de rubis qui venait d’ouvrir. Il n’a jamais trouvé de grosse pierre, mais peu à peu, la famille a réussi à accumuler suffisamment d’argent pour investir. C’est alors que Mme Esther a ouvert son restaurant. Elle loue également quelques maisons mais se plaint des acheteurs de gemmes Sri Lankais qui, selon elle, ne paient pas le loyer et disparaissent au cours de la nuit en laissant des dettes derrière eux.

Un soir, Mme Esther m’a montré une photo reçue récemment de son fils, qui était allé à la mine à Didy et avait trouvé assez de pierres de valeur pour acheter un 4 × 4. La photo a été prise à l’«arrosage» du véhicule, ce qui peut être n’importe quoi allant d’une cérémonie religieuse à une manière d’honorer ses ancêtres, ou juste un petit rituel pour souhaiter bonne fortune à son propriétaire. Après 15 ans de travail, il avait finalement fait un gros coup ! Elle a affirmé que son commerce fonctionnait bien et elle avait même pu adopter un jeune orphelin et s’occupait de lui avec son mari.

Pierre, 34 ans, est devenu mineur juste après l’école. Il n’a jamais trouvé de grosse pierre et aide maintenant sa femme qui travaille pour l’entreprise d’énergie solaire HERi Madagascar. Cette entreprise gère les kiosques d’électricité solaire qui ont fleuri dans les nombreux villages que j’ai pu visiter autour du lac Alaotra et dans d’autres régions de Madagascar. Les habitants peuvent y louer des lampes pendant une nuit pour 150 ariary (0,04 euros), chargées par les panneaux solaires installés sur les toits des kiosques, ou recharger leur appareils électriques, téléphones, etc.

Pierre a indiqué qu’il continuait à travailler dans les mines de temps en temps, mais ne cherchait pas de gros gains, juste assez pour mieux nourrir sa famille. Il a refusé d’aller à Didy. « Tout les mineurs de Madagascar y sont déjà ! Et d’ailleurs, peu importe où vous allez à la mine, ce n’est qu’une histoire de chance, » a-t-il ajouté.

Rafalimanana, âgé de 66 ans, a travaillé dans de nombreuses mines tout au long de sa vie. Depuis 2016, il travaille comme vendeur de beignets à la banane. (Ils étaient délicieux, soit dit en passant.) Il a déclaré qu’il gagne avec son échoppe environ 1 million de francs (200 000 ariary ou 57 euros) par mois.

Pierrot, âgé de 32 ans, était fermier et éleveur de bétail. Il voulait devenir riche et a tenté sa chance dans l’exploitation minière quand il a entendu parler de l’une des ruées des mines de rubis. Il a gagné, un peu, mais m’a dit que des escroqueries l’avaient ruiné. Il est allé à la nouvelle mine de Didy, mais a déclaré que les conditions y étaient trop difficiles et dangereuses pour lui parce qu’il avait des enfants. Il est donc retourné à Andilamena où se trouve sa famille. Il n’avait pas de travail quand je lui ai parlé, mais il ne se sentait pas malheureux parce que dans cette région il y a plus d’opportunités, comme des terrains à acheter, qu’à Antananarivo, d’où il est originaire.

Doda, âgé de 40 ans, possède une scierie. Il a travaillé dans de nombreuses mines, mais au moment de ma visite, il avait beaucoup de commandes et préférait se concentrer sur ses affaires. Il employait d’ailleurs trois à quatre personnes, y compris son frère. Pour lui, l’extraction minière signifiait négliger ses affaires et sa famille. Mais maintenant qu’il a une bonne situation, il pourrait sponsoriser d’autres personnes, leur donner de l’argent pour qu’ils puissent aller dans les mines prometteuses. Il m’a montré une photo souvenir de son passage dans une mine près de Moramanga, une ville à environ 270 kilomètres au sud d’Andilamena.

Ces histoires sont celles des personnes relativement prospères que j’ai rencontrées à Andilamena. D’autres ont été moins fortunées.

Voja par exemple, âgé de 23 ans, travaillait dans les rizières mais a commencé à travailler dans les mines autour d’Andilamena en 2015 parce qu’il y avait de moins en moins de travail dans les rizières et que ce n’était qu’une activité saisonnière. Il a dit qu’il n’avait rien gagné du tout à la mine, et qu’il était maintenant plus pauvre qu’auparavant. Il a alors commencé à laver des taxis-brousses. Son salaire lui permettait de survivre mais pas de quitter Andilamena. Il m’a dit qu’il se sentait réellement pris au piège ici.

A Behorefo, un petit village sur le chemin entre Andilamena et le Camping Banana, j’ai rencontré Mama Tsiri, 31 ans, propriétaire d’une gargoty. Elle se rappelait qu’au pic de l’activité minière, le village disposait de quatre restaurants et deux hôtels, et le taxi-brousse venait jusqu’au village. Maintenant, son commerce était le seul restaurant et la route était devenue si dégradée que seuls les taxi-motos pouvaient venir. Elle espérait vraiment que l’exploitation minière reprendrait bientôt.

Mama Tsiri avait aussi travaillé dans les mines juste après l’école, à l’âge de 18 ans. C’était un moyen rapide de faire une belle somme d’argent. Elle a raconté qu’elle était cependant tombée malade : « une grosse fatigue » (c’est ainsi que les Malgaches décrivent une maladie plus ou moins inconnue) l’avait empêché de continuer à travailler dans la mine, et elle avait dû être évacuée du site et ramenée à Behorefo. Elle s’y est alors installée, s’est mariée et a eu son premier enfant. Et elle y reste, en attendant que les pierres précieuses reviennent, d’une manière ou d’une autre.

Le point de vue des étrangers

Un autre aspect de ce reportage est celui des revendeurs de pierres précieuses étrangers. J’ai rencontré un groupe d’hommes du Sri Lanka à Andilamena, qui m’ont dit qu’ils pensaient que l’exploitation minière ne pouvait être que positive parce qu’elle apporte de l’argent et du développement, rendant les gens heureux et leur donnant les moyens de faire des choses. En outre, selon eux, les pierres sont là, alors pourquoi ne pas les utiliser pour aider à développer le pays ? « Maintenant, les revendeurs malgaches s’en sortent mieux que nous ! » m’a affirmé l’un d’entre eux.

Ils ne pensaient pas qu’il y avait un quelconque risque pour les mineurs ou pour l’environnement. Pour agrémenter la discussion et se donner raison, ils m’ont montré la vidéo de Didy précédemment évoquée sur leur téléphone portable, même si celle-ci visait à dénoncer de manière assez évidente les menaces pesant sur l’écosystème local. Pour ce groupe d’hommes, une mine ne meurt jamais vraiment ; au lieu de cela, elle apporte du développement aux villes locales où les affaires continuent, même après que les dernières pierres ont été sorties de terre et que les mineurs sont partis.

Peu avant de quitter Andilamena, j’ai entendu parler d’une nouvelle route construite par des Russes. J’ai pris un taxi-moto et je suis allé enquêter. En effet, j’ai trouvé des équipes effectuant la réparation, voire dans certains endroits la construction à proprement parler, d’un tronçon de 40 kilomètres de route entre Andilamena et une ancienne mine de rubis. Trois machines de construction étaient à l’œuvre et devaient terminer le travail avant le début des fortes pluies attendues vers la fin de l’année. La société chargée du travail prévoyait d’exploiter de nouveau l’ancienne mine. Les contremaîtres, dont en effet un Russe, m’ont dit que la société avait tous les permis pour ce projet.

Le responsable russe pensait que, de toute manière, l’amélioration des routes ne pouvait que profiter aux populations locales. Il a aussi dit qu’il était effrayé par tous les feux de brousse qu’il avait vus durant la semaine où il avait été là. J’ai supposé que c’était des tavy. C’est l’une des conséquences imprévues de l’exploitation minière, surtout si des routes sont construites. En effet, cela favorise la déforestation et la perte de biodiversité en permettant à davantage de personnes de se rendre dans des endroits qui étaient auparavant très éloignés.

Les ONG se concentrent souvent sur la destruction de la nature autour des mines et les menaces sur la vie humaine dans celles-ci. Mais ce que j’ai vu, c’est un impact plus large et durable sur la vie de beaucoup de gens. La destruction durable de l’environnement provient des nouveaux accès ou au moins d’un accès amélioré aux zones éloignées, de la concentration de population humaine et des changements dans l’économie locale, sans parler de la déforestation directe et de la pollution de la terre et de l’eau.

Cependant, l’exploitation minière est un problème tout en nuances de gris, pas une situation manichéenne noire ou blanche. La façon dont les mineurs (ou les anciens mineurs) et la population dans son ensemble perçoivent l’exploitation minière varie en fonction de la proximité avec les sites miniers et de la façon dont les mines affectent leurs propres moyens de subsistance. Je l’ai constaté moi-même et il a également été clairement démontré par une étude publiée dans la revue Madagascar Conservation and Development l’année dernière. Un agriculteur pourrait déplorer la dégradation des sols et la pollution résultant d’une mine, alors qu’un propriétaire de gargoty pourrait apprécier l’augmentation du chiffre d’affaire qui en résulte.

L’exploitation minière comme mode de vie à Madagascar est une histoire de choix ou, plus souvent, de l’absence de choix, une histoire d’opportunités ou de l’absence de celles-ci. Mais il faut regarder plus loin et voir au-delà de la course à l’exploitation minière en elle-même. Il y a peu de signes qui font penser que les activités minières deviendront mieux intégrées dans les économies malgaches locales dans le futur proche, ou que les incursions dans les zones protégées pourront être évitées lorsqu’une nouvelle ruée apparaîtra. Et, bien que l’inquiétude concernant l’environnement que j’ai entendue dans mes conversations avec les locaux était, je pense, sincère, trouver un moyen de gagner sa vie et de nourrir sa famille étaient clairement les enjeux les plus pressants. Il n’y a pas de petit bricolage qui puisse corriger les problèmes créés par l’exploitation minière à Madagascar, seul un allègement global de la pauvreté peut entraîner des changements d’importance.

Arnaud De Grave est un reporter-photographe basé en France. Il est représenté par l’agence Le Pictorium et se spécialise dans de longs projets multidisciplinaires avec un fort aspect social. Il est reconnaissant au projet AlaReLa et aux intermédiaires locaux qui ont rendu possible ce reportage. On peut retrouver ses travaux sur les sites ecopalimpsest.com et www.lepictoriumagency.com/arnaud-de-grave.
Références
Yager, T.R. (2016). 2013 Minerals Yearbook: Madagascar. Washington, D.C: United States Geological Survey.

Faure, M., Rakotomalala, O., Pelon, R. (2015). Economic contributions from industrial mining in Madagascar: research summary. Washington, D.C.: World Bank Group.

Stoudmann, N., Garcia, C., Randriamalala, I.H., Rakotomalala, V.A.G., Ramamonjisoa, B. (2016). Two sides to every coin: farmers’ perceptions of mining in the Maningory watershed, Madagascar. Madagascar Conservation & Development 11(2):91–95.

 

Quelques mineurs travaillent toujours sur le site d’Andasiakondro, où une ruée au rubis a eu lieu en 2002, attirant plus de 10 000 personnes. Photo Arnaud De Grave / Agence Le Pictorium.
Quelques mineurs travaillent toujours sur le site d’Andasiakondro, où une ruée au rubis a eu lieu en 2002, attirant plus de 10 000 personnes. Photo Arnaud De Grave / Agence Le Pictorium.

 

Traduction révisée par Morand Chaudeur.

Article published by Maria Salazar
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