Nouvelles de l'environnement

Un militant écologiste détenu sans procès à Madagascar

  • Clovis Razafimalala se bat depuis 2009 pour tenter de mettre fin au trafic de bois de rose à Madagascar.
  • Il est emprisonné depuis le mois de septembre 2016 sous inculpation de rébellion non autorisée et pour avoir brûlé des documents et biens de l’état au cours d’une manifestation à laquelle il maintient ne jamais avoir participé.
  • Aucune date de procès n’a été annoncée, quoique celle-ci devait normalement être fixée avant le 26 mai.
  • Selon les activistes, son cas suscite une certaine inquiétude vis à vis du respect des droits civiques des activistes écologistes malgaches.

Clovis Razafimalala est le chef de file de Lampogno, une organisation qui tente de mettre fin au trafic illégal du bois de rose au nord est de Madagascar. Inculpé de rébellion non autorisée et d’avoir brûlé des documents et biens de l’état lors d’une manifestation à laquelle il maintient ne jamais avoir participé, il est emprisonné sans jugement depuis le mois de septembre 2016.

Le bois de rose, appartenant à une série d’espèces du genre Dalbergia, est l’un des bois durs les plus recherchés au monde, essentiellement afin d’alimenter la demande émanant de la Chine pour la fabrication de mobilier de luxe. Plusieurs espèces endémiques à Madagascar sont classées dans la catégorie « menacées d’extinction » ou « vulnérable » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Celles-ci ont subi un abattage sévère et destructif, tout particulièrement au sein des parcs nationaux et des zones protégées du pays, une situation qui s’est embrasée suite au coup d’état de 2009.

La législation malgache interdit l’exportation du bois de rose, et son commerce est actuellement prohibé conformément à la Convention sur le Commerce International des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction (CITES).

Lors d’une déclaration par téléphone et par e-mail depuis la prison de la ville de Tamatave, sur la côte est, Razafimalala a dernièrement informé Mongabay que son combat contre les trafiquants de bois de rose se poursuit depuis plusieurs années. Lui ainsi que d’autres activistes ont œuvré à la sensibilisation du public, organisé des ateliers et des conférences de presse, et fait du lobbying auprès des responsables, et ce sous la menace constante de mort ou d’emprisonnement, a-t-il dit.

Clovis Razafimalala. Photo courtesy of Clovis Razafimalala.
Clovis Razafimalala. Photo autorisée par Clovis Razafimalala.

Selon Razafimalala, tout a commencé en avril 2009, peu après le coup d’état. C’est à ce moment là que lui et ses cinq amis ont commencé à animer un programme éducatif hebdomadaire destiné à sensibiliser le public sur une station de radio locale, Radio 2000, dans la ville portuaire de Maroantsetra, au nord est du pays, foyer de récolte et d’exportation illégales de bois de rose et d’ébène. « Avec le temps, dénoncer la destruction massive de l’environnement malgache et tout particulièrement à l’intérieur des deux parcs nationaux Makira et Masoala est devenu notre priorité, » a déclaré Razafimalala.

Cependant, ce fut sa découverte d’une autorisation de transfert d’environ 5,700 rondins de bois de rose délivrée par le Ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts à un puissant homme d’affaire local qui marqua le début des hostilités à l’encontre de Razafimalala.

En mai 2009, quelques semaines après avoir posé des questions sur les documents lors d’une réunion avec les autorités locales et régionales, Razafimalala a raconté que des assaillants inconnus avaient mis le feu à sa maison. Fort heureusement, l’incendie a pu être maitrisé avant qu’il puisse faire exploser un cocktail Molotov découvert sous sa maison bâtie sur pilotis, et seuls la porte d’entrée principale et un ordinateur furent brûlés. Radio 2000 a été la cible d’une attaque similaire deux jours plus tard, dit-il. Le propriétaire de la radio a suspendu le programme de Razafimalala et de ses amis, et l’a rétabli uniquement après qu’ils eurent accepté de moins parler du trafic de bois de rose.

Loin d’être découragé, le groupe a uni ses forces à une association locale de séniors et formé une nouvelle organisation dédiée à obtenir des autorités la répression du trafic de bois de rose. Cependant, ses membres ayant été menacés individuellement par les autorités, seuls quelques uns d’entre eux y participèrent a-t-il dit. Finalement, une association de guides d’écotourisme s’est jointe à eux. C’est ainsi que Razafimalala et deux de ces guides ont mené la lutte contre le trafic de bois de rose à Maroantsetra.

Maroantsetra, Madagascar. Map courtesy of Google Maps.
Maroantsetra sur la baie d’Antongil, à Madagascar. Carte autorisée par Google Maps.

Une bataille décisive fut enclenchée vers la fin de l’année, lorsque le gouvernement malgache a ordonné la fermeture des services douaniers de Maroantsetra, apparemment à la requête de trafiquants de bois de rose, et le bâtiment de la douane a été occupé par la Gendarmerie Nationale, a dit Razafimalala. Entre temps, la Baie d’Antongil autour de Maroantsetra était devenue un important point d’embarcation de bois de rose. « Il régnait une totale anarchie, » a dit Razafimalala. Lui et ses collègues ont alors entamé leur lobbying auprès du gouvernement afin d’obtenir la réouverture des services douaniers.

Un autre front s’est ouvert en 2014 lorsque, en raison du mauvais état de la piste d’atterrissage locale, Air Madagascar a annulé tous ses vols à destination de Maroantsetra et que l’autorité de l’aviation civile du gouvernement malgache a menacé de fermer l’aéroport, dit-il.

« Cette décision était manipulée par les trafiquants de bois de rose, » a déclaré Razafimalala, « les touristes en visite à Masoala les dérangeaient beaucoup car ils prenaient des photos et observaient leurs activités. » Lui et ses collègues se sont joints pour réclamer la réhabilitation de l’aéroport, en faisant du lobbying auprès du gouvernement dans la capitale Antananarivo, cette fois-ci avec succès.

Peu après, Razafimalala a contribué à la création d’une organisation de la société civile du nom de Lampogno MaMaBaie (en référence aux parcs nationaux Masoala et Makira et à la Baie d’Antongil). Le groupe lutte contre le trafic illicite des ressources naturelles dans la Baie d’Antongil, avec pour principal objectif la réouverture des services douaniers.

« J’ai reçu plusieurs menaces de mort et d’emprisonnement. Parfois on m’a même offert des pots de vin en échange de la dissolution de notre organisation, une proposition que j’ai toujours refusée, » a ajouté Razafimalala.

Rosewood trafficking boats in Maroantsetra, Madagascar, in 2012. Photo by Rhett A. Butler for Mongabay.
Bateaux de trafic de bois de rose à Maroantsetra, à Madagascar, en 2012. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

Entre aout et septembre 2016, Razafimalala a dit s’être déplacé à Antananarivo pour affaire concernant Lampogno, profitant de cette visite pour faire du lobbying auprès des responsables du gouvernement à propos de la question douanière, afin d’obtenir une promesse de réouverture des services douaniers de Maroantsetra avant la fin de l’année.

Selon Razafimalala, le jour suivant son retour à Maroantsetra, des manifestations avaient éclaté le 14 septembre. Un litige juridique opposant deux hommes d’affaires locaux s’était soldé par la victoire de l’un d’entre eux, apparemment impliqué dans le trafic de bois de rose et lequel avait été publiquement critiqué par Razafimalala. Pour beaucoup de personnes à Maroantsetra, cette décision était une preuve de corruption en faveur du riche et puissant homme d’affaires, et les manifestations avaient viré à la violence. Razafimalala a maintenu ne rien savoir à propos de cette manifestation et n’y avoir pas participé.

L’après-midi ayant suivi, lui et cinq de ses compagnons avaient été arrêtés et détenus en garde à vue par des officiers de la Gendarmerie Nationale. A 4 heures du matin de la journée du 16 septembre, Razafimalala a rapporté que lui et ses compagnons avaient été transférés par avion privé à la ville de Tamatave, à environ 250 miles de là, où ils ont été détenus dans la Section des Enquêtes Criminelles. Ils n’avaient pas été autorisés à contacter leurs familles, ni à emporter leurs vêtements ou leur argent, dit-il.

Le transfert de prisonniers par avion privé est extrêmement inhabituel à Madagascar, selon Corrine Huynh Rahoeliarisoa de la Coalition Nationale de Plaidoyer Environnemental (CNPE).

« Comment le gouvernement, si l’on estime qu’il s’agit bien du gouvernement, pourrait-il avoir les moyens financiers de louer un avion privé pour le transfert de sept ou huit personnes de Maroantsetra ? Cela est impossible,» a déclaré Rahoeliarisoa à Mongabay. Elle a ajouté être convaincue que le supposé trafiquant de bois de rose avait payé pour le vol, quoiqu’elle admette n’en avoir aucune preuve.

Razafimalala a dit avoir été détenu ainsi que les autres durant dix jours dans la Section des Enquêtes Criminelles avant d’être déféré au Tribunal de Première Instance à Tamatave pour répondre d’accusations de rébellion sans autorisation et de destruction de biens et documents de l’état. Lui et les autres ont ensuite été envoyés dans une prison locale pour huit mois de détention avant jugement.

Razafimalala dénonce le vice de procédure dans son cas. Les procès se tiennent normalement dans la même ville où l’accusé a été arrêté, mais il a dit qu’aucun avis officiel de la part du tribunal de Maroantsetra n’avait été émis pouvant justifier que le Tribunal de Première Instance de Tamatave prenne le contrôle de son affaire.

Razafimalala a dit être bien traité en prison. Mais une semaine après son incarcération, des menaces d’empoisonnement avaient commencé à circuler dans la prison, dit-il, ajoutant : « Ma femme a dû venir ici à Tamatave avec mes deux enfants pour s’occuper de mes repas (de manière à ce qu’ils ne passent par aucun intermédiaire). »

La détention avant jugement était supposée prendre fin le 26 mai, mais à ce jour aucune date de procès n’a été annoncée. Les quatre demandes de libération provisoire de Razafimalala ont été rejetées. Cependant, celles de deux autres de ses compagnons arrêtés le même jour avaient été accordées. Les derniers développements concernant Razafimalala et ses trois autres compagnons demeurant en détention sont la délivrance d’un ordre juridique garantissant leur libération 30 mois après leur arrestation si aucune date de procès n’est fixée.

Rosewood awaiting shipment in Maroantsetra, Madagascar in 2012. Photo by Rhett A. Butler/Mongabay.
Bois de rose en attente d’expédition à Maroantsetra, à Madagascar en 2012. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

Depuis l’arrestation de Razafimalala, Lampogno s’est affaiblie, selon un de ses membres ayant requis l’anonymat en raison des menaces constantes pour sa sécurité. La source a déclaré que les membres bien informés sur le commerce illégal de bois de rose refusaient à présent de parler par peur de représailles. Quant aux services douaniers de Maroantsetra, ils demeurent fermés, d’après Razafimalala.

Rahoeliarisoa de la CNPE a dit qu’à son avis « Clovis était piégé. »

Elle a déclaré que pour la CNPE, coalition de groupes environnementaux dont fait partie Lampogno, la libération de Razafimalala était une priorité absolue. La coalition a tenu deux conférences de presse en février dernier appelant à sa libération immédiate. Une pétition internationale organisée séparément par l’ONG allemande Sauvons la Forêt a réuni plus de 108,000 signatures.

A Madagascar, le trafic de bois de rose a continué d’empirer après le coup d’état de 2009, en dépit de l’engagement du gouvernement à mettre un terme au commerce illicite de ce bois en 2013. En septembre 2016, le Comité Permanent de CITES a exhorté le pays à mettre en application un « plan d’action bois » afin de protéger ses forêts, sous peine d’encourir d’éventuelles sanctions commerciales.

La détention de Razafimalala n’est pas un cas isolé. En 2015, un autre militant écologiste, le guide d’écotourisme Armand Marozafy, a passé cinq mois en prison sous inculpation pour diffamation et ce pour avoir nommé deux hommes d’affaires supposés être impliqués dans des activités de coupe de bois de rose dans un e-mail privé envoyé à un contact étranger, message qui fut ensuite posté sur Facebook.

L’Agence d’Investigation Environnementale (Environmental Investigation Agency (EIA)), organisation internationale dédiée au dévoilement de la criminalité environnementale, a exprimé son inquiétude concernant la situation des militants écologistes malgaches.

« Tant que la société civile n’est pas en mesure d’agir librement et indépendamment à Madagascar, les conditions de base, nécessaires pour ne serait-ce qu’entamer le processus d’application du plan d’action CITES, ne sont pas présentes » a déclaré à Mongabay Susanne Breitkopf, directrice des procédures de l’EIA. « Les magnats du commerce de bois d’origine illicite n’ont aucun souci à se faire, car les seules personnes qui se dressent pour protéger leurs forêts contre les éléments criminels se font incarcérer. »

Mise à jour du 9 mai 2017 : Amnesty International a lancé une campagne en faveur de Clovis Razafimalala.

Ring-tailed lemur (Lemur catta) in Madagascar. Photo by Rhett A. Butler/Mongabay.
Lémur Catta à Madagascar. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.
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