Nouvelles de l'environnement

Une proposition de loi de Trump menace le gorille de Grauer, une espèce en danger critique d’extinction

  • Le plus grand des primates, le gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri) a quasiment disparu lors des deux dernières décennies. Il a perdu 77 pourcent de sa population, ramenée à quelques 3,800 individus. Cet animal, surnommé « le gorille oublié » du fait du manque avéré d’études à son sujet et de son absence de la plupart des zoos, est en danger critique d’extinction.
  • Le massacre de cette espèce a été précipité par la sanglante guerre civile qui a déchiré la République Démocratique du Congo, ainsi que par l’exploitation des minerais de coltan et d’étain, « minerais issus de zones de conflits », utilisés dans les téléphones mobiles, les ordinateurs portables et autres équipements électroniques. Les gorilles sont victimes d’un braconnage intensif de la part des milices armées, des mineurs, et moins fréquemment, des réfugiés : la viande de ces animaux est cons
  • Les gorilles risquent de subir un préjudice encore plus grand de la part des seigneurs de la guerre et des mineurs si le Président Trump signe un projet de décret présidentiel, selon une source de Reuters. Cela autoriserait les sociétés américaines à acheter librement des minerais sans obligation de rapport public, augmentant par la même l’exploitation minière dans le bassin du Congo — ainsi que les activités de braconnage.
  • Le projet de décret de Trump annulerait l’actuelle loi américaine sur les minerais issus de zones de conflits, adoptée en 2010 avec le soutien des deux partis et mise en application dans le cadre de la loi Dodd Frank Act de la SEC (Securities and Exchange Commission – autorité américaine de régulation boursière). Cela étant, les écologistes pensent encore pouvoir sauver le gorille de Grauer — mais uniquement avec la participation de la RDC et la mise en place de mesures à l’échelle planétaire.
Une récente étude a révélé que seuls près de 3,800 gorilles de Grauer subsistent, ce qui a immédiatement entraîné la reclassification, fin 2016, de la sous-espèce par l’UICN dans la catégorie « En Danger Critique d’Extinction ». Photo avec autorisation du centre GRACE (Gorilla Rehabilitation and Conservation Education Center – Centre de Réhabilitation et d’Education à la Conservation des Gorilles)

Durant des semaines, les primatologues ont suivi un groupe de gorilles de Grauer en parcourant un territoire escarpé, se frayant difficilement un chemin à travers la dense forêt tropicale, longeant d’étroits sentiers en arête bordés de précipices, et traversant un paysage montagneux quasi impénétrable dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC).

Stuart Nixon, Chryso Kaghoma et leur équipe sur site congolaise ont suivi les traces du Gorilla beringei graueri à l’aide d’un GPS. Ils ont assemblé des données sur les lieux où nichaient les animaux chaque nuit, leur régime alimentaire, et autres usages de comportement. Cependant, les chercheurs prenaient soin de se maintenir à bonne distance, cheminant à un jour d’écart derrière la famille de primates, afin de ne pas influencer le comportement du groupe ou l’habituer à la présence de l’homme.

Du moins, c’est ce que croyaient les scientifiques. Un jour où il était tranquillement assis dans la forêt, Nixon entendit un bruissement dans les buissons à quelques dix pieds de lui. En levant les yeux, son regard rencontra le faciès bleu noir d’un grand mâle à dos argenté. Leurs regards se croisèrent durant de très longues secondes avant que le gorille se retourne et rebrousse chemin avec le reste de sa famille, disparaissant au cœur des denses sous-bois.

Gorille orphelin au Centre de Réhabilitation et d’Education à la Conservation (GRACE – Gorilla Rehabilitation and Conservation Education), unique sanctuaire au monde dédié aux gorilles de Grauer orphelins. Photo avec autorisation de GRACE

C’était un rare spectacle d’apercevoir un de ces grands singes, jadis surnommé « le gorille oublié » du fait du manque d’études à son sujet et de son absence de la plupart des zoos.

En l’espace de deux décennies — une seule génération — le nombre de gorilles de Grauer a plongé de 77 pourcent. Seuls quelques 3,800 individus subsistent à l’état sauvage, selon une importante étude publiée en 2016.

Les causes en sont la guerre civile et l’exploitation de « minerais issus de zones de conflits » tels que l’étain et le coltan, tous deux utilisés dans la fabrication des smartphones, ordinateurs portables et autres équipements électroniques de consommation. Les gorilles sont victimes d’un braconnage intensif de la part des milices armées, des mineurs, et dans une moindre mesure, des réfugiés. La viande de ces animaux est consommée jusqu’à presque entraîner l’extinction de l’espèce.

« La chasse illégale pour consommation de viande de brousse constitue la plus grande menace, » a déclaré Liz Williamson, chercheur à l’Université de Stirling en Ecosse et membre du Primate Specialist Group (Groupe de spécialistes des primates) de l’UICN.

Un projet de décret de Trump menace le grand singe

Les gorilles de Grauer et les communautés autochtones risquent tous deux de subir un préjudice encore plus grand de la part des barons de la guerre, des milices et des mineurs si le Président Donald Trump signe un projet de décret présidentiel, selon une source de Reuters au début du mois de février.

Gorille de Grauer femelle protégeant son petit. Photo de Damien Caillaud/Diane Fossey Gorilla Fund (Fondation Dian Fossey pour les Gorilles)

La nouvelle loi permettrait aux entreprises américaines d’acheter librement des minerais issus de zones de conflits —or, étain, tantale, coltan et tungstène — sans obligation de rapport public. Cela risquerait d’augmenter les activités minières dans le bassin du Congo, et d’attirer ainsi encore plus d’ouvriers chasseurs de primates pour se procurer la viande de brousse nécessaire à leur survie.

Le décret de Trump aurait pour effet l’annulation du Conflict Mineral Rule (règlementation sur les minerais de la guerre) pour une durée de deux ans. Cette loi avait été adoptée en 2010 avec le soutien bipartite du Congrès, dans le cadre de la loi Dodd Frank Act de la Securities and Exchange Commission (SEC – autorité américaine de régulation boursière).

A l’époque, cette loi avait été contestée par les milieux d’affaires, et obtenu le soutien des groupes environnementaux et de défense des droits de l’homme. La règlementation actuelle oblige les compagnies à soumettre à la SEC un rapport public en cas d’utilisation de minerais issus de zones de conflits telles que la RDC ou un pays limitrophe.

Lorsque cette loi avait été adoptée, celle qui était alors présidente de la SEC, Mary L. Schapiro, avait déclaré, « En adoptant ce décret, le Congrès exprimait son espoir de voir que l’obligation de soumettre un rapport à la SEC contribuerait à enrayer les violences dans l’est de la République Démocratique du Congo. » Le raisonnement invoqué par le décret de Trump afin de justifier sa proposition de suspension de la loi existante est qu’elle avait été responsable de « pertes d’emplois » par le passé. L’administration n’a pas donné suite aux demandes de commentaires à ce sujet émanant de Mongabay.

Cependant, les nations africaines ont immédiatement exprimé leur inquiétude : « Cela risque de finir par entraîner une prolifération généralisée de groupes terroristes, d’actes de blanchiment d’argent transfrontalier et de flux financiers illicites dans la région » ,d’après un rapport à Reuters de « la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (International Conference on the Great Lakes Region (ICGLR) ». L’ICGLR comprend 12 états membres africains.

Recensement des gorilles de Grauer

Dans le cadre de l’étude de 2016 — la plus importante jamais entreprise sur les gorilles de Grauer — le personnel du parc, la population autochtone et les scientifiques, sous la conduite des ONG Wildlife Conservation Society (WCS) – Société pour la conservation de la faune – et Fauna & Flora International, ont ratissé 7,450 kilomètres carrés (environ 3,000 milles carrés) de territoire afin de recenser les animaux de la région est du Congo, seul endroit où ils résident. Les chercheurs ont alors fait usage d’analyse statistique et de modélisation informatique afin d’estimer la taille de la population.

Leurs résultats ont suscité une vaste couverture médiatique à l’échelle internationale et une réaction de triage de la part de la communauté pour la conservation de la nature.

Graueri orphelin confisqué en 2014 par le gouvernement de la RDC dans la région de Maiko. Il est mort avant de pouvoir être envoyé au sanctuaire GRACE pour les gorilles. Photo de Stuart Nixon

En quelques mois, le statut du Grauer fut modifié par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), passant au dernier stade d’alerte avant extinction à l’état sauvage : En Danger Critique d’Extinction.

Grauer a rejoint trois autres sous-espèces de gorilles sur la liste de l’UICN : les gorilles des plaines occidentales (G. g. gorilla) et les gorilles de la rivière Cross (G. g. diehli), ainsi que cette autre bien plus célèbre sous-espèce de gorille de l’est, le gorille de montagne (G. b. beringei), qui attire des touristes du monde entier, venus les observer dans les Montagnes des Virunga.

Tous les gorilles sont à présent considérés en danger critique d’extinction.

« La plupart des gens n’ont jamais entendu parler des [gorilles de Grauer], et [pourtant] ils risquent d’être la première espèce de grands singes à s’éteindre, » a déclaré Sonya Kahlenberg, directrice du centre « Gorilla Rehabilitation and Conservation Education Center » (GRACE), unique sanctuaire au monde dédié aux gorilles de Grauer orphelins.

Un déclin d’une ampleur catastrophique

En 1994, lorsque la Wildlife Conservation Society avait recensé les gorilles de Grauers (dans ce qui était alors le Zaïre), les chercheurs avaient estimé une population de 17,000 individus.

Mais c’est alors qu’en avril 1994, la majorité ethnique des Hutu dans le Rwanda voisin avait lancé une campagne meurtrière contre la minorité Tutsi, un génocide qui força quelques deux millions de réfugiés à traverser la frontière vers le Zaire et l’Ouganda. Beaucoup trouvèrent refuge dans les forêts et les parcs nationaux, et les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda et autres milices y établirent le camp de leurs opérations. Beaucoup survécurent grâce à la viande de brousse, déclenchant ce qui devint depuis un « écocide » continu de gorilles.

Le gouvernement de la RDC a distribué des armes à la population autochtone pour leur permettre de riposter aux attaques. Beaucoup s’enfuirent. Les forêts furent ravagées — déboisées et exploitées illégalement, à la fois comme source de fuel et pour le commerce du bois. La chasse prit une ampleur affolante en raison de la funeste combinaison d’une population affamée disposant d’armes à feu à volonté. Les gardes forestiers et autres forces de maintien de l’ordre furent forcés d’abandonner les parcs nationaux et autres territoires protégés. Les forêts devinrent le théâtre de véritables massacres.

Forêt tropicale en République Démocratique du Congo —seul pays où résident les gorilles de Grauer, et nation dotée d’immenses gisements de minerais issus de zones de conflits. Photo avec autorisation de GRACE

L’imposant gorille de Grauer est devenu une cible privilégiée très prisée. Faciles à traquer, se déplaçant en groupes, ces animaux représentent une quantité considérable de viande : ce sont les plus grands primates au monde, le mâle pesant en moyenne près de 400 livres (environ 181 kilos). Les plus grands font six pieds et trois pouces de haut (environ 1m90) et pèsent 600 livres (environ 272 kilos).

Les minerais issus de zones de conflits contribuent à fomenter les troubles

Lorsque la guerre a prit fin en 2003, elle s’était soldée par la mort de quelques 5.4 millions de personnes. Mais les conflits règnent toujours à l’est de la RDC, domaine vital du Grauer, alimentés par la recherche des abondants minerais de la région.

Malgré un PIB trônant à la seconde place des plus bas au monde, le pays est considéré comme le plus riche en ressources naturelles, avec des gisements de minerais d’une valeur d’au moins 24 milliers de milliards de dollars, selon l’ONG World Without Genocide (Un Monde sans Genocide). Cela comprend des gisements d’or d’une valeur estimée à 28 milliards de dollars, ainsi que d’importants gisements de columbo-tantalite, ou coltan, convoités pour leur usage dans le domaine de l’électronique.

Des milliers de mineurs travaillent à l’extraction des « minerais issus de zones de conflits » – coltan, étain, or et autres minerais de valeur – dans la région est du Congo. Ils chassent également les gorilles de Grauer, jusqu’à provoquer leur quasi extinction. Ici, Magloire Vyalengerera, de l’organisme Fauna and Flora International, se tient aux côtés de mineurs artisans chercheurs d’or, dans la région du Lubutu. Photo de Stuart Nixon
Plus de 1,000 mines sont exploitées en RDC — la plupart illégalement. Ceci est l’entrée d’une mine artisanale de coltan à Oso, province de Maniema. Photo de Stuart Nixon

L’exploitation de ces richesses a attiré des hordes de mineurs informels, d’entités sans scrupules, de militaires et de fonctionnaires corrompus. L’insécurité s’est répandue. Mais la plus grande menace émanait des plus de 70 milices lourdement armées, a dit Damien Caillaud, directeur chercheur du programme de protection du gorille de Grauer pour le Dian Fossey Gorilla Fund en RDC et professeur à l’Université de Californie, à Davis.

Plusieurs milices contrôlent les mines de « minerais issus de zones de conflits », devenues l’équivalent de fiefs, hors de tout contrôle du gouvernement, usant parfois de main d’œuvre esclave, et utilisant leurs profits pour l’achat d’armes et le soutien de la lutte armée.

Les mineurs opèrent à présent en plein cœur des parcs nationaux de la RDC ainsi que dans les forêts non protégées — lieux où certains groupes de gorilles étaient parvenus à survivre à la guerre civile, et derniers sites abritant des gorilles de Grauer.

L’ONG International Peace Information Service dont le siège est en Belgique, a répertorié plus de 1,000 mines dans la région, dont la quasi-totalité est illégale

Les mineurs hors la loi représentent la plus grande menace pour la survie du gorille de Grauer.

Conformément au droit national et international, il est illégal de tuer, capturer ou faire commerce de gorilles, qu’ils soient vivants ou qu’il s’agisse de parties ou produits dérivés de ceux-ci. Mais les groupes armés et les mineurs chassent ces grands singes à un rythme affolant, tout en abandonnant des déchets sur le territoire, réduisant de luxuriantes forêts tropicales à des paysages lunaires, boueux et pollués.

L’étroite proximité des hommes constitue également une menace pathogène pour les grands singes : les gorilles sont si étroitement proches de l’homo sapiens qu’ils sont sensibles aux infections respiratoires et autres maladies d’origine humaine. Un simple rhume peut tuer un gorille.

La chasse illégale pour la viande de brousse constitue la plus grande menace pour la survie à long terme du gorille de Grauer. Ce vendeur de viande de brousse est en route pour un marché au sud de Kisangani, transportant une guenon endémique à tête de hibou (Cercopithecus hamlyni), une espèce en danger d’extinction. Photo de Stuart Nixon

Gorilles piégés

L’organisme américain, Gorilla Doctors s’occupe quand il le peut des gorilles pris dans des pièges. Une petite lueur d’espoir dans la tourmente de ce carnage : de plus en plus d’étudiants vétérinaires congolais suivent des formations spécialisées portant sur la médecine des grands singes, une discipline qui nécessite des compétences particulières, presque aussi complexes que la médecine des humains.

L’abattage d’un gorille peut causer de vastes dommages collatéraux, entraînant indirectement la mort de quatre ou cinq autres individus, a déclaré Caillaud, en expliquant pourquoi

90 pourcent des gorilles de Grauer vivent dans des groupes menés par un seul mâle dominant, le dos argenté. Les chasseurs le prennent généralement pour cible, à la fois car étant le plus grand il pourra fournir le plus de viande, et aussi parce qu’il risque d’attaquer pour protéger sa famille. S’il est abattu, le groupe se disloquera. Aucun bébé ne naitra jusqu’à ce que les femelles se trouvent un nouveau groupe.

Pour celles qui ont déjà un bébé, celui-ci a peu de chances de survivre : un dos argenté tue souvent la progéniture d’un autre mâle, à l’exemple du lion.

A la rescousse des orphelins

Jusqu’en 2010, il n’existait pas d’endroit dédié au soin des jeunes gorilles de Grauer orphelins saisis par les autorités chargés de la protection de la faune. C’est alors que fut créé le sanctuaire GRACE en RDC, avec pour objectif d’élever les gorilles orphelins et leur apprendre les aptitudes nécessaires à leur survie en forêt dans une nouvelle famille. Les quatre premiers gorilles furent transportés par avion vers GRACE à bord d’un hélicoptère des forces de maintien de la paix des Nations Unies en RDC.

Les orphelins ont besoin d’énormément de soins et souffrent bien souvent d’une variété de traumatismes psychologiques et physiques. En 2011, par exemple, un mâle de 17 mois avait été découvert dans un village où il avait été illégalement mis en vente. Il était trop jeune pour être sevré, mais on ne lui avait pas donné de lait et il n’avait absorbé que du manioc durant des mois — ce qui n’est pas une alimentation appropriée pour les gorilles. Lorsque « Lubutu » était arrivé à GRACE, il souffrait de grave malnutrition, il avait perdu une grande partie de ses poils, et il était faible et déshydraté. Mais il fait partie des chanceux car il a survécu et s’est épanoui.

Veterinaires du parc Animal Kingdom de Disney et du Zoo de Detroit aidant le personnel de GRACE à examiner un gorille orphelin. Photo autorisée par GRACE
Au Centre de Réhabilitation et d’Education à la Conservation des Gorilles, l’objectif est de réintroduire au moins quelques gorilles en milieu sauvage. Photo autorisée par GRACE

Aujourd’hui, GRACE s’occupe de 14 gorilles de Grauer, allant d’un bébé de deux ans à un adulte de 16. Les grands singes vivent dans un habitat forestier au sein d’un groupe familial de substitution, où les gorilles les plus âgés assument le rôle maternel, portant et protégeant les nouveaux venus. Le contact avec les humains est maintenu au strict minimum.

« Les gorilles sont des animaux sociables et on voit des orphelins se rétablir rapidement une fois remis en contact avec d’autres gorilles. Ils ont besoin les uns des autres autant qu’ils ont besoin de soins d’urgence, » a déclaré Kahlenberg.

Une des raisons pour laquelle GRACE connait autant de succès dans son opération de sauvetage des orphelins, explique-t-elle, est son partenariat avec quelques uns des meilleurs zoos du monde, dont les experts en gorilles forment et conseillent le personnel entièrement congolais du sanctuaire. Les zoos sont fréquemment consultés via Skype, et, depuis 2010, les experts ont effectué 63 visites séparées à GRACE.

Des écoliers travaillent bénévolement dans les champs de culture d’aliments pour gorilles dans le cadre du Centre de Réhabilitation et d’Education à la Conservation des Gorilles. Photo autorisée par GRACE
Un projet communautaire clé du Dian Fossey Gorilla Fund enseigne l’agriculture à petite échelle à des familles locales, en les aidant à cultiver des produits sources de protéines pouvant remplacer la viande de brousse. Photo de Urbain Ngobobo/Dian Fossey Gorilla Fund

La région a souffert quelques unes des pires atrocités durant la guerre, et la quasi-totalité du personnel de GRACE a perdu un membre de sa famille durant le conflit ou après celui-ci.

Cependant, la communauté autochtone veut aller de l’avant et s’est fortement engagée en faveur de la conservation de la nature. GRACE a récemment lancé une plantation d’aliments pour gorilles, a dit Kahlenberg, et chaque semaine près de 40 enfants y viennent après l’école pour aider au désherbage et s’occuper des récoltes. « J’ai beaucoup d’espoir vis-à-vis de la population locale ! » dit-elle.

Avec le déclin de la population de gorilles en milieu naturel, le taux de nouvelles arrivées au sanctuaire est en baisse. L’an dernier, il n’en a reçu qu’une seule. L’objectif est d’éventuellement réintroduire au moins quelques gorilles en milieu sauvage afin d’aider les populations isolées des forêts. GRACE a identifié un site possible de réinsertion. Mais il s’aventure en terrain inconnu : personne n’a encore jamais renvoyé de gorilles de Grauer d’un site de captivité vers un milieu sauvage.

Les gorilles sauvages peuvent accepter des changements dans leurs groupes de famille, révèle Kahlenberg, « mais nous ignorons jusqu’à quel point. Nous ne savons pas comment des [animaux élevés au sein d’un sanctuaire] vont réagir face à un dos argenté sauvage. Il reste encore tant de points d’interrogations ».

Lorsque « Lubutu » est arrivé à GRACE en 2011, il souffrait de grave malnutrition, il avait perdu une grande partie de ses poils, et il était faible et déshydraté. Photo de S. Demian
Lubutu, aujourd’hui. Photo de A. Bernard/GRACE

Protection et recherche : une affaire à haut risque

La protection de la faune en RDC est une affaire extrêmement dangereuse. L’accès à ces régions éloignées par les forces de l’ordre, comme les gardes des parcs nationaux ou les employés du ministère de l’environnement, est très difficile et fort risqué. Lors des vingt dernières années, plus de 200 gardes ont été assassinés dans l’exercice de leur fonction de protection de la faune. Les deux dernières victimes sont Oscar Mianziro et Munganga Nzonga Jacques, pris séparément en embuscade par des milices armées dans le Parc National de Kahuzi-Biega, en 2016.

Plusieurs de ceux qui ont perdu la vie en combattant pour la protection des gorilles, éléphants et autres animaux, étaient pères de familles nombreuses, de huit, neuf et dix enfants, a déclaré Stuart Nixon (qui travaille aujourd’hui comme coordinateur du programme Africa Field pour le compte du Zoo de Chester, au Royaume Uni). Ces meurtres n’affectent pas uniquement les familles, mais également les communautés villageoises étroitement soudées au sein desquelles vivaient ces hommes. « C’est une constatation qui nous remplit d’humilité, » dit Nixon. « On ne voit pas souvent ce genre de dévouement en occident, et encore moins dans les pays en voie de développement. »

Les actes de violence et l’anarchie régnant en RDC ont rendu quasi impossible l’étude des gorilles de Grauer. Par conséquent, une grande part des « connaissances » des scientifiques a été extrapolée à partir d’un demi-siècle de recherches sur les gorilles de montagne vivant dans les Montagnes des Virunga avoisinantes en RDC, au Rwanda et en Ouganda.

Chasseur de viande de brousse armé d’un fusil de fabrication locale, comme on en voit dans la région du Lubutu en RDC. Photo de Stuart Nixon
Site d’exploitation minière artisanale de cassitérite au cœur de la forêt tropicale du Congo. Photo de Urbain Ngobobo/Dian Fossey Gorilla Fund

G. b. graueri doit son nom à Rudolf Grauer, zoologue autrichien qui travaillait en Afrique à la fin du 20ème siècle. Il fut le premier à reconnaitre ce grand singe en tant que sous-espèce distincte. Si ces animaux ressemblent à leurs cousins les gorilles de montagne, leurs membres sont plus longs, leur pelage plus ras, et ils vivent à de plus basses altitudes, entre 1,900 et 9,500 pieds au dessus du niveau de la mer.

Cette dernière caractéristique est importante, note Caillaud, car l’habitat façonne le comportement de façon significative. Cela signifie que les études sur le gorille de montagne ne sont pas 100 pourcent pertinentes : la superficie et l’utilisation de l’habitat, par exemple, peut différer entre les sous-espèces de gorilles des plaines et celles des régions montagneuses. Il en va de même pour le régime alimentaire — les chercheurs savent que le Grauer est beaucoup plus consommateur de fruits que ses cousins des hautes montagnes. Ces différences peuvent avoir un fort impact sur les structures et les habitudes sociales des grands singes.

En dépit des risques permanents de violence, les chercheurs tels que Andy Plumptre (biologiste auprès de WCS), Williamson, Nixon et bien d’autres ont continué à travailler dans les forêts tropicales de la RDC durant des années.

Image rare d’un groupe de gorilles de Grauer de basse altitude, prise par caméra piège photographique. Ce groupe est protégé par les équipes du Dian Fossey Gorilla Fund. Photo de Escobar Binyinyi/Dian Fossey Gorilla Fund

Nixon a contacté l’éminent biologiste de terrain George Schaller avant d’entreprendre une importante randonnée, et ce afin de s’informer sur ses recherches, un travail sur site datant de 1959 et toute première étude des gorilles de Grauer effectuée sur le terrain. A l’aide des cartes fournies par Schaller, Nixon a localisé environ 15 groupes vivant dans exactement les mêmes sites où ils se trouvaient il y a plus d’un demi-siècle de cela. « Ils étaient entourés de milliers de kilomètres carrés de forêts, et pourtant ils n’avaient pas élargi leur territoire » a dit Nixon. « Nous ignorons pourquoi. »

L’étude de 2005 de Nixon a révélé de troublants résultats : « Nous avons commencé à réaliser qu’il y avait de vastes régions où [le Grauer avait été présent] dans les années 60 — et qu’ils avaient disparu, » dit-il. De nouvelles populations de sous-espèces découvertes cette année là par son équipe avaient été chassées à la fin de 2010. “On avait le sentiment d’assister à un déclin d’une ampleur catastrophique. Mais il faut penser à ceux qui restent,” dit-il.

Ceux qui travaillent à la protection des gorilles de Grauer — responsables gouvernementaux, gardes forestiers, écologistes et membres de la communauté autochtone — se sont réunis en 2012 afin d’élaborer un Plan d’Action de Conservation (Conservation Action Plan). Ce plan a identifié des stratégies de coopération visant à développer des moyens de subsistance durables pour les communautés locales et a défini les rôles et collaborations des intervenants, composés d’un Ministère de l’Environnement sous financé et de l’autorité congolaise chargée de la faune (Congolese Wildlife Authority), conjointement responsables de la protection de la faune en RDC.

Gorille de Grauer mâle à dos argenté avec son petit de trois ans. Photo de Damien Caillaud/Dian Fossey Gorilla Fund

Le consortium a réalisé le besoin de quantifier la gravité du déclin des Grauer en effectuant une étude plus approfondie. Entre 2013 et 2015, de grosses équipes, souvent composes de 10 à 15 personnes, ont sillonné la forêt tropicale lors d’expéditions physiquement éprouvantes. Plusieurs groupes de gorilles survivants vivent dans des endroits quasi inaccessibles, certains jusqu’à 30 milles (près de 45 km) du village ou de la route praticable les plus proches. Tout l’équipement et les provisions devaient être transportés à dos d’homme, et la sécurité était un souci permanent.

Cette étude exhaustive a confirmé le déclin continu et drastique du gorille de Grauer et a immédiatement entrainé la reclassification de la sous-espèce par l’UICN dans la catégorie des espèces en Danger Critique d’Extinction.

Lueurs d’espoir

« Il est possible que cette terrible période touche lentement à sa fin, » a dit Liz Williamson en faisant preuve d’un optimisme surprenant. « Dans certains endroits, les gardes des parcs [nationaux] ont repris le contrôle. »

Elle mentionne le succès relatif atteint dans une zone clef pour la survie des gorilles : le territoire des hautes terres du Parc National Kahuzi-Biega, site du tout premier tourisme d’observation des gorilles dans les années 70. Avant la guerre civile, cette zone abritait près de 270 Grauer, une population réduite de moitié par les massacres.

Mukisi, gorille de Grauer en captivité au zoo de Chester au Royaume Uni, vers 1983. Lors des deux dernières décennies — en une seule génération — le nombre de gorilles de Grauer a plongé de 77 pourcent. Image des archives du zoo de Chester (Photographe inconnu).

Les zones du parc qui sont à présent relativement stables ont été sécurisées grâce aux efforts dévoués et conjoints du gouvernement Congolais, des autorités de gestion des parcs du pays (ICCN), de l’organisme Fauna & Flora International, de WCS et autres ONG, des gardes forestiers (œuvrant aux côtés des militaires) ainsi que des communautés autochtones. Kahuzi-Biega a obtenu un certain niveau de protection depuis 2003, dit Nixon. Aujourd’hui la population de G. b. graueri dans une partie du parc est remontée à près de 200 individus.

Il y a également de l’espoir pour les gorilles se trouvant dans des régions éloignées telles que la forêt Usala, dans l’est du Congo, au cœur de la région Maiko-Tayna, zone d’une superficie de 30,000 kilomètres carrés (11,600 milles carrés). L’équipe de Nixon a enquêté sur des rapports anecdotiques de Schaller et confirmé la présence du Grauer en 2007. Comme cette région est très éloignée des routes ou des habitations, il y a une chance que les grands singes puissent survivre ici à long terme.

« En dépit de toutes les contraintes, cela prouve qu’avec une attention focalisée et des ressources ciblées, ces succès sont possibles, » dit Nixon.

Le Dian Fossey Gorilla Fund (Fondation Diane Fossey pour les Gorilles) s’est occupé depuis 2012 d’un poste d’observation situé dans une zone isolée au cœur du territoire du Grauer, une forêt non protégée nichée entre les réserves. Les employés congolais du site patrouillent et assemblent des données sur les gorilles, en collaborant étroitement avec huit familles propriétaires de vastes terrains. Ensemble, ils gèrent la protection des gorilles et autres animaux sauvages. Les familles sont de pauvres villageois, et non de riches propriétaires terriens, mais elles ont choisi de contrôler et réduire les activités humaines sur leurs terres. Grâce à cela, la faune s’y développe et augmente progressivement. « En l’espace de quelques années seulement, les efforts de protection ont eu un impact certain, » rapporte Caillaud.

Environ 25 pourcent de l’habitat du gorille de Grauer, tel qu’initialement cartographié par George Schaller, avait été rasé à la fin de l’année 2008. Mais aujourd’hui, quoique certaines populations soient isolées, il reste encore beaucoup de forêt tropicale. Cependant, les écologistes font remarquer que cela risque de ne pas durer éternellement en raison de la forte poussée démographique.

A cet effet, les efforts se poursuivent afin de protéger les zones forestières clef, l’année 2016 ayant été porteuse d’un succès impressionnant dans ce domaine. Une nouvelle zone protégée à usage multiple a été créée pour le bien de la faune et de la population humaine — la Réserve Naturelle d’Itombwe, qui s’étend des plaines aux montagnes et est l’une des plus riches d’Afrique en terme de biodiversité.

Employés de GRACE, vétérinaires spécialistes des gorilles, ainsi que consultants du Animal Kingdom de Disney, en opération de transfert d’un gorille orphelin anesthésié vers le centre GRACE. Photo autorisée par GRACE
Les feuilles et les tiges des plantes constituent la principale source de nourriture des gorilles de Grauer. La chasse par les hommes pour la viande de brousse représente la plus grave menace qui pèse sur eux. Photo de Damien Caillaud/Dian Fossey Gorilla Fund
Gorille orphelin au Centre de Réhabilitation et d’Education à la Conservation des Gorilles. Lorsque les chasseurs tuent une maman gorille, ils s’emparent souvent aussi de son petit, dans l’espoir de le vendre à des trafiquants clandestins d’animaux sauvages. Peu d’animaux survivent à ce trafic. Photo autorisée par GRACE

Les choix des consommateurs peuvent contribuer à la sauvegarde des gorilles

Peu de gens réalisent, en achetant des produits électroniques, que la chaine d’approvisionnement pour ce genre d’articles s’enfonce en plein cœur des forêts tropicales. Les composants de ces produits peuvent provenir de mines exploitées par des milices sans merci et contenir du “coltan de sang”.

L’engouement insatiable à l’échelle internationale pour les playstations, les ordinateurs portables et les téléphones mobiles— s’il n’est pas adéquatement contrôlé — contribue à l’insécurité, menace la sûreté de la population locale et décime les gorilles et autres animaux. Si le décret présidentiel de l’administration Trump vient à autoriser les sociétés américaines à acheter librement les minerais issus de zones de conflits sans obligation de rapport public, les gorilles — ainsi que bien des communautés — seront confrontés à un danger encore plus grand avec le développement des exploitations minières.

« Je souhaite que cela fasse réfléchir les gens sur la chaine d’approvisionnement de ces équipements, » a dit Williamson, dans un commentaire sur le coût réel des minerais issus de zones de conflits. Tout dépend du choix du consommateur : si les gens se soucient des communautés africaines et des grands singes, « ils doivent faire pression sur les fabricants et découvrir si leurs matériaux proviennent de sources crédibles et légitimes, ce qui est chose difficile en RDC. » Même lorsque les exploitations minières sont légales, les chaines d’approvisionnement peuvent dépendre des milices qui jouent le rôle d’intermédiaires, prévient-elle.

Les écologistes font remarquer que les consommateurs peuvent apporter une aide précieuse en renouvelant moins fréquemment leurs équipements électroniques.

Les enjeux sont élevés : Il existe peu de gorilles de Grauer en captivité, conclut Kahlenberg. Et si ce grand singe vient à s’éteindre à l’état sauvage, il sera véritablement perdu à jamais.

Chimanuka, un gorille de Grauer à dos argenté, Parc National Kahuzi Biega, secteur des hautes terres. Photo de Stuart Nixon
Beaucoup de gens ne réalisent pas en allumant leurs équipements que la chaine d’approvisionnement des produits électroniques de consommation peut s’étendre jusqu’au Congo où des violences sont constamment perpétrées contre les populations humaines et sauvages par des milices à la recherche de minerais issus de zones de conflits. Photo autorisée par GRACE
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