Nouvelles de l'environnement

Engagements pour le changement climatique insuffisants pour la sauvegarde des écosystèmes tropicaux

  • En décembre 2015, 178 nations se sont engagées à réduire suffisamment leurs emissions de carbone afin d’éviter que les températures mondiales ne s’élèvent au delà des 2 degrés Celsius, avec un objectif idéal de 1.5 degrés. Une étude publiée dans le magazine Nature a révélé que les engagements actuels sont insuffisants pour empêcher le monde d’exploser la limite des 2 degrés, alors même que des scientifiques se sont réunis en aout 2016 à Genève dans le but d’étudier les plans pour cet objectif.
  • Si les scientifiques savaient depuis longtemps que les hausses de températures extrêmes dans l’arctique laissaient présager la dévastation de l’écosystème dans cette région, ils pensaient que les hausses de température moins extrêmes dans les tropiques auraient probablement un impact moindre et de peu de gravité sur la biodiversité.
  • Cependant, de récentes découvertes ont révélé que d’importants écosystèmes tropicaux, allant des récifs coralliens et mangroves aux forêts d’altitude (ou nébuleuses), sont déjà sérieusement menacés par le changement climatique avec fort probablement des répercussions dangereuses sur la nature sauvage.
  • Tandis que les nations œuvrent en vue de respecter et réaliser les engagements de Paris, les scientifiques déclarent qu’il est vital que les pays tropicaux continuent de protéger de vastes étendues de terres sauvages reliées par des corridors afin de préserver un maximum de biodiversité, permettant le mouvement libre et sans entrave des espèces, au fur et à mesure des changements climatiques.
US Secretary of State John Kerry signs the Paris Agreement at the UN in New York while holding granddaughter Dobbs Higginson on his lap. Scientists warn that the agreement is insufficient to prevent disastrous climate change. Photo courtesy of US Department of State.
Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry signant l’Accord de Paris aux Nations Unies, à New York, sa petite-fille Dobbs Higginson sur les genoux. Les scientifiques signalent que l’accord ne suffit pas à empêcher les désastres provoqués par le changement climatique. Photo avec l’autorisation du Département d’Etat Américain.

L’Accord de Paris a marqué l’étape politique la plus décisive dans la lutte contre le changement climatique depuis que les scientifiques nous avaient révélé, à la fin des années 80, les signes de ce qui est probablement la plus grande crise existentielle de l’humanité.

En décembre 2015, 178 nations se sont engagées à participer afin d’éviter que les températures moyennes mondiales ne s’élèvent au delà de 2 degrés Celsius (3.6 degrés Fahrenheit) au dessus des niveaux préindustriels, s’ajoutant même le défi de maintenir les températures à un niveau idéal de 1.5 degrés Celsius (2.7 degrés Fahrenheit).

AA cet effet, chaque pays s’est engagé à réduire suffisamment ses émissions de carbone, ciblant toutes choses depuis les combustibles fossiles jusqu’à la déforestation et l’agriculture.

Cela semble une tâche herculéenne, mais vouée à engendrer des résultats positifs, selon les esprits optimistes.

Pourtant, moins de huit mois plus tard, une étude dans le journal Nature révèle que ces engagements sont loin d’être aussi ambitieux qu’ils devraient l’être afin de pouvoir maintenir les températures en dessous des deux degrés Celsius, et encore moins des 1.5 degrés. En aout 2016, des scientifiques britanniques ont rapporté que l’Ouragan El Nino sans précédent de cette année nous a déjà poussés dangereusement près de la limite des 1.5 degrés.

The Bramble cay melomy (Melomys rubicola) declared extinct in 2016 due to habitat loss due to rising sea levels, the first mammal known to go extinct due to human caused climate change. Photo by Ian Bell
Melomys de Bramble Cay (Melomys rubicola), déclaré éteint en 2016 du fait de la perte de son habitat, causée par la hausse du niveau de la mer. Premier mammifère dont l’extinction est établie comme étant due à un changement climatique d’origine humaine. Photo de Ian Bell, gracieusement autorisée par le Gouvernement du Queensland, en Australie, Département de l’Environnement et de la Protection du Patrimoine (EHP), sous licence de Creative Commons Attribution 3.0 Australie (CC BY)

Entretemps, les températures ne s’élèvent pas de manière égale à travers la planète, la zone de l’Arctique se réchauffant bien plus rapidement que celle des tropiques. Ce fait a initialement poussé les scientifiques à émettre l’hypothèse que les écosystèmes polaires souffriraient plus des durs impacts du changement climatique que les habitats tropicaux.

Cependant, lors des dernières années, les chercheurs ont pu s’apercevoir que certains écosystèmes tropicaux sont actuellement décimés par le changement climatique à un rythme beaucoup plus rapide que prévu – on pense aux récifs coralliens – tandis que bien d’autres habitats risquent d’être endommagés avec le temps – à savoir les mangroves et les forêts nébuleuses tropicales – si les efforts humains et la volonté politique n’interviennent pas rapidement à l’échelle mondiale.

Vers un monde de plus en plus chaud

Le directeur de l’étude, Joeri Rojelj, a déclaré à Mongabay qu’il n’était pas surpris que ses découvertes démontrent que les engagements actuels des pays pour une réduction des émissions de carbone risquaient d’exploser l’objectif des deux degrés, se dirigeant plutôt vers un réchauffement planétaire de l’ordre de 2.6 à 3.1 degrés Celsius.

« Les promesses actuelles constituent la première étape d’un processus continu d’engagements, de révisions et d’évaluation des résultats obtenus, » a déclaré Rogelj, Chargé de Recherche du Programme d’Energie de l’Institut International pour l’Analyse des Systèmes Appliqués (International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA ). « Ce processus a été défini par l’Accord de Paris, et les nations sont, par la même, tenues de réviser et ajuster leurs engagements à la lumière des dernières découvertes scientifiques durant les années à venir. »

L’Accord de Paris a été structuré suivant le principe selon lequel les engagements nationaux doivent être révisés tous les cinq ans (à compter de 2020) afin de s’assurer que les objectifs de réduction d’émissions de carbone soient rehaussés au fur et à mesure des années.

Cependant, a signalé Rogelj, si ces engagements ne sont pas suffisamment renforcés et respectés, la réalisation de l’objectif des 2 degrés Celsius deviendra « de plus en plus de l’ordre de l’utopie » après 2030.

The only place you'll ever see a Golden toad (Bufo periglenes) is in photos. Scientists think climate change may have played a significant role in this Costa Rican animal's extinction. Photo by Charles H. Smith courtesy of USFWS
Le seul endroit où vous verrez jamais un crapaud doré (Bufo periglines) est en photo.
Les scientifiques pensent qu’il est probable que le changement climatique ait joué un rôle significatif dans l’extinction de cet animal des forêts nébuleuses du Costa Rica. Photo de Charles H. Smith, avec l’autorisation de USFWS

Alors qu’une hausse de la température de l’ordre de 1.5 à 2 degrés Celsius, au lieu de 2.6 à 3.1 degrés Celsius, peut sembler minime en termes de chiffres, plusieurs scientifiques ont identifié l’objectif de maintien de la hausse de la température mondiale à 2 degrés comme étant la limite au delà de laquelle le monde serait inexorablement confronté à un dangereux changement climatique.

Selon bon nombre de gens, les conséquences risqueraient de devenir catastrophiques si on laisse les températures s’approcher un tant soit peu des 3 degrés Celsius (5.4 degrés Fahrenheit).

Pourtant, pour certains écosystèmes, une hausse de température de 2°C constitue déjà une catastrophe en soit. Les écosystèmes tropicaux, tout comme les écosystèmes de l’Arctique, paraissent particulièrement vulnérables car les espèces dans ces régions ont évolué au sein d’une plage de température très spécifique et souvent étroite. Comme plusieurs espèces sont confrontées à des températures en hausse, elles risquent tout simplement de ne pas y survivre.

La hausse de température n’est pas le seul impact du réchauffement planétaire à considérer : climat extrême, acidification de l’océan et hausse du niveau de la mer sont tous des effets qui sont actuellement ressentis, et continueront de l’être à travers les tropiques.

L’Armageddon des récifs coralliens

« Nous faisons semblant de croire qu’une hausse mondiale de 2 degrés Celsius pourra sauvegarder les récifs coralliens et les peuples qui en dépendent, au vu des dommages que nous voyons déjà, » a déclaré Terry Hughes sans ambages lors d’une interview à Mongabay.

« Le blanchiment de la plupart des récifs coralliens a déjà triplé ou plus en moins de 20 ans, » a expliqué Hughes, Directeur du Australian Research Council (ARC – Conseil Australien pour la Recherche), Centre de l’Excellence pour les Etudes des Récifs Coralliens.

Il souligne la catastrophe que représente le réchauffement climatique mondial pour son propre pays, notamment pour la Grande Barriere de Corail. Les eaux extrêmement chaudes de cette année ont entrainé le dépérissement de près de la moitié des coraux de la section nord de la Grande Barrière. En certains endroits, il ne reste rien d’autre que des spectres de corail blanchis. Ces changements massifs sont survenus bien plus tôt que prévus par les modèles climatiques.

Australia's Great Barrier Reef, the scene of disastrous coral bleaching this year. Photo by Rhett A. Butler
Grande Barrière de Corail en Australie, scène d’un désastreux blanchiment des coraux cette année. Photo de Rhett A. Butler

Les coraux tropicaux – minuscules animaux ayant construit des récifs au fur et à mesure des ans à partir des exosquelettes de leurs ancêtres – vivent dans une relation complexe et symbiotique, par l’échange de nutriments avec des algues monocellulaires du nom de zooxanthelle. Ce sont ces zooxanthelles qui prêtent aux coraux leurs splendides couleurs vives ainsi que l’essentiel de leur énergie.

Cependant, lorsque les températures de l’eau des récifs coralliens deviennent trop élevées, les coraux expulsent la zooxanthelle et le partenariat symbiotique vole en éclats, du moins pour un certain temps. Ce phénomène porte le nom de blanchiment des coraux et cela ne signifie pas la mort du corail, mais son dépérissement par manque de nutriments.

Les coraux peuvent se remettre de tels phénomènes de blanchiment, mais pas si cela se produit trop souvent ou si les eaux deviennent trop chaudes pour permettre le retour de la zooxanthelle. Dans ce dernier cas de figure, on atteint un point de non retour où le corail manque alors d’énergie vitale, mettant ainsi le récif tout entier en danger de périr ou d’être recouvert d’algues, créant un nouvel écosystème marin, appauvri en biodiversité.

Coral reef biodiversity is seriously threatened by climate change. Photo by Richard Ling licensed under the terms of the GNU Free Documentation License, Version 1.2 or any later version
La biodiversité des récifs coralliens est sérieusement menacée par le changement climatique. Photo de Richard Ling, sous licence de la GNU Free Documentation License (licence de documentation libre), Version 1.2 ou tout autre version ultérieure

« C’est le troisième phénomène de blanchiment global depuis le premier de 1998, déclenché par une hausse de la température moyenne globale d’un degré Celsius seulement, » fit remarquer Hughes d’un ton sombre.

Ce qui s’est passé sur la Grande Barrière de Corail suite à une hausse d’un degré Celsius est presque au delà de toute compréhension. Avec une hausse de deux degrés Celsius, le plus large récif de corail du monde ainsi que l’un des plus grands écosystèmes du globe risque d’être éradiqué, chose susceptible de se produire en l’espace de quelques décennies.

Alors qu’on a perdu près de 50 pourcent de la partie nord de la Grande Barrière de Corail cette année, la partie sud a également été endommagée. En tout, près de 90 pourcent de la totalité de l’écosystème a été frappé par le blanchiment actuel, un phénomène lié aux températures élevées d’El Nino, suralimentées par le changement climatique.

La Grande Barrière de Corail n’est pas la seule à avoir été affectée : ce qui s’est passé là bas n’est qu’une partie d’un vaste phénomène de blanchiment à l’échelle mondiale qui a débuté en 2014 (le plus long jamais enregistré) et qui frappe actuellement plusieurs récifs dans le monde, causant une dévastation similaire. Il est probable que l’on ne puisse évaluer la pleine ampleur de l’impact avant des mois, voire des années.

Ce phénomène de blanchiment massif, combiné à d’autres plus récents, soulève une importante question : les récifs coralliens pourront-ils survivre à d’autres changements climatiques ? Ou bien ont-ils déjà atteint leur seuil de survie ?

Jan Lough affirme que le “seul niveau acceptable” pour les récifs coralliens est l’objectif ambitieux de Paris de 1.5 degrés Celsius. Mais selon certains scientifiques, c’est une limite que nous avons déjà dépassée, ou que nous franchiront inévitablement dans peu de temps car il y a déjà trop de chaleur dans le système climatique pour éviter une telle hausse de température.

Si l’on ajoute a cela le fait que même si les émissions mondiales de carbone commencent à diminuer bientôt, il est extrêmement peu probable qu’elles soient réduites suffisamment rapidement pour permettre la conservation de l’ensemble des récifs coralliens de la planète.

Selon Lough, même si l’improbable objectif des 1.5 degrés Celsius était atteint, certains récifs de corail sont « susceptibles de changer en termes de composition, car si les espèces résistantes peuvent survivre, les espèces vulnérables seront perdues en cas de futurs blanchiments. » Cela transformera donc les récifs survivants en « écosystèmes beaucoup plus simples. »

La science nous informe que les écosystèmes plus simples tendent à être moins robustes et plus vulnérables face aux agents stressants. Parmi ces agents en augmentation constante : l’acidification des océans, causée par leur absorption de hauts niveaux de carbone atmosphérique. L’acidification à haut niveau pourrait éventuellement provoquer la dissolution des coraux et coquillages dans la mer.

Coral is threatened by both warmer ocean temperatures and ocean acidification. Photo by Nhobgood Nick Hobgood licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license
Corail menacé à la fois par le réchauffement des températures des océans et l’acidification de ceux-ci.
Photo de Nick Hobgood, sous licence de Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
(Licence partage dans les mêmes conditions)

Les récifs coralliens des tropiques sont sans conteste l’écosystème marin le plus important. Ils représentent de loin l’habitat marin le plus riche en biodiversité : quoiqu’ils couvrent seulement un pour cent de la surface de l’océan, on estime qu’ils peuvent abriter le pourcentage stupéfiant de 25 % des espèces marines du globe à certains points de leur cycle de vie.

Ceci représente également une mauvaise nouvelle pour les êtres humains : les récifs de corail sont d’une importance vitale pour le secteur de la pêche d’un bon nombre de pays et fournissent nourriture et emplois à des centaines de millions de gens.

« Il est tragique que nous perdions des coraux dans les endroits les plus vierges et les plus isolés, où il n’existe nulle autre pression d’origine humaine, » a déclaré Hughes. « Nous devrons tout simplement réduire nos émissions de carbone si nous souhaitons que nous enfants puissent un jour voir des récifs coralliens de leurs propres yeux. »

« Choquante » image d’une mangrove en état de dépérissement

Il existe quelques bonnes nouvelles du côté du changement climatique pour les récifs coralliens des tropiques. L’année dernière, des scientifiques on rapporté la découverte d’un refuge permettant aux coraux de former leurs récifs – ceux-ci se protègent des températures élevées et des niveaux extrêmes d’acidification en poussant à l’ombre des racines des arbres de mangroves. Mais il y aussi la mauvaise nouvelle que voici : d’autres scientifiques ont découvert que les forêts de mangroves sont sérieusement affectées par le réchauffement planétaire et la hausse du niveau de la mer.

Madagascar mangroves. Such coastal forests could be threatened by high temperatures and sea level rise. Photo by Rhett A. Butler
Mangroves à Madagascar. De telles forêts côtières risquent d’être menacées par les températures élevées et la hausse du niveau de la mer. Photo de Rhett A. Butler

Norman Duke, expert des mangroves auprès de l’Université James Cook, a subi un terrible choc en juin dernier lorsqu’il survola en hélicoptère le nord du Golfe de Carpentarie en Australie pour constater le dépérissement massif de forêts de mangroves dans une région habituellement saine et isolée.

« Je n’avais jamais vu pareil spectacle nulle part ailleurs auparavant, » rapporta-t-il à l’Australian Broadcasting Corporation (ABC – Société de RadioDiffusion Australienne). « Je travaille dans beaucoup d’endroits à travers le monde, et j’ai souvent l’occasion d’observer des mangroves endommagées dans le cadre de mon travail. Celles-ci sont les images les plus choquantes de dépérissement qu’il m’ait jamais été donné de voir. »

Duke a estimé que la surface de ce dépérissement massif de mangrove s’étendait sur près de 7,000 à 10,000 hectares. Après avoir observé d’anciennes images par satellite, il a pu confirmer que ces mangroves ont péri l’année dernière seulement.

Il est convaincu que les températures brûlantes, associées à la perte d’une saison de pluies en sont la cause.

Les mangroves n’ont simplement pu résister au double revers d’une extrême sécheresse associée au changement climatique. Duke pense à présent que l’écosystème des mangroves du Golfe de Carpentarie risque de se transformer avec le temps en marais salants et lacs salés.

« Lorsque les précipitations de pluie sont plus élevées, ces zones humides sont dominées par les mangroves, et lorsque les précipitations sont minimes, alors on assiste à un envahissement de ces mêmes zones par les marais salants et les lacs salés,» explique-t-il.

Mangroves protect coasts and human populations from extreme weather, such as hurricanes which are intensifying due to climate change. Photo by Tiffany Roufs
Les mangroves permettent de protéger les zones côtières et les populations humaines des extrêmes rigueurs climatiques, tel que les ouragans dont l’intensification actuelle est causée par le changement climatique. Photo de Tiffany Roufs

Le dépérissement de cette année, souligna Duke, a été une « réaction extrême comparée aux changements progressifs observés auparavant dans les écotones zonals. » Les médias présentent généralement le changement climatique comme un phénomène se déroulant lentement, au fur et à mesure des décennies, avec un changement progressif des températures et du régime des précipitations. Mais la réalité observée dans les tropiques et ailleurs est parfois tout à fait différente, certaines années (comme 2015-16) apportant des hausses de température soudaines et abruptes, accompagnées de drastiques changements dans les niveaux de précipitations à travers le globe.

De la même façon que les récifs coralliens dans un environnement plus chaud pourraient soudainement être poussés au delà d’un point de non retour vers un nouveau type d’écosystème dominé par les algues, les forêts de mangroves pourraient perdre de leur biodiversité et se transformer en marais salants, lacs salés, ou tout autre type d’écosystème moins productif.

Le double coup dur d’une chaleur accrue et d’une sécheresse pourrait même s’avérer être un quadruple coup dur : les mangroves sont également menacées par la hausse des niveaux de la mer et des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que des super tempêtes causées par le réchauffement planétaire.

Les mangroves représentent déjà une des meilleures barrières contre l’intensification des climats extrêmes le long des côtes à travers le globe, mais le fait qu’elles soient battues par un excès de sévères tempêtes risque de causer de sérieux dégâts et d’affaiblir des mangroves luttant déjà contre des températures en hausse et des pluies de plus en plus rares. Les études ont démontré que le réchauffement des mers provoque des ouragans plus intenses, une réalité qui ira en s’aggravant avec la hausse des températures atmosphériques et océaniques à travers le globe.

Scientists have found that some mangrove roots can serve as a refugia for corals. Photo by Tiffany Roufs
Les scientifiques ont découvert que certaines racines de mangrove peuvent servir de refuge aux coraux, en les protégeant des températures élevées des océans. Photo de Tiffany Roufs

La hausse des niveaux de la mer va également se poursuivre, causée à la fois par l’expansion des océans en raison de leur réchauffement, et la fonte des glaciers terrestres. Ce faisant, les eaux marines vont inonder plusieurs forêts de mangrove, finissant probablement par les détruire.

Une lueur d’espoir pour les forêts de mangrove : la hausse des niveaux de la mer peut permettre à cet écosystème de se déplacer vers l’intérieur des terres, recouvrant les marais d’eau douce lorsque ceux-ci sont inondés par l’eau salée – mais cela dépendra de plusieurs facteurs. Le potentiel d’expansion des mangroves ne prend pas en considération la rapide dégradation et l’abattage des forêts de mangroves pour faire place aux activités d’aquaculture de poisson et crevettes, afin de nourrir une population humaine mondiale en rapide accroissement.

Forêt tropicale en feu

Il est difficile de prédire l’impact du changement climatique sur les forêts tropicales, mais les scientifiques s’attendent à des changements majeurs et des chocs potentiels.

L’une des manières dont le changement climatique risque de frapper les forêts tropicales est la modification des niveaux de précipitations des pluies, augmentant ainsi fort probablement la longévité et l’intensité des sécheresses, et par la même les risques de feux de forêts.

Les sécheresses massives et les énormes incendies de forêts qui jadis étaient rares, voire inexistants, dans les forêts tropicales sont en train de devenir de plus en plus fréquents dans des régions comme l’Amazonie et l’Indonésie. (Quoiqu’il soit important de souligner que ces gigantesques incendies sont souvent alimentés ou directement provoqués par une déforestation et des pratiques agroindustrielles négligentes. Ainsi, en Indonésie, il est coutumier de voir la population locale défricher la terre en la brulant.)

Peat forest fire damage in Riau, Indonesia. Tropical rainforests rarely burned in the past, but are seeing serious wildfires as climate change worsens. Photo by Rhett A. Butler
Forêt de tourbe endommagée par un incendie à Riau, en Indonésie. Les forêts tropicales brûlaient
rarement par le passé, mais, avec l’aggravation des changements climatiques, elles sont de plus en plus le site de graves incendies de forêts. Photo de Rhett A. Butler

Selon la NASA, la sécheresse prolongée de cette année à laissé une Amazonie encore plus aride que lors de n’importe quelle autre année depuis 2002. Doug Morton, scientifique spécialiste de la Terre au Goddard Space Flight Center (Centre Goddard des vols spatiaux) de la NASA, a déclaré dans un communiqué de presse que la sécheresse régionale a « préparé le terrain à des risques extrêmes d’incendies en 2016 à travers le territoire de l’Amazonie du sud.» Les risques d’incendie entre juillet et octobre dépassent les niveaux observés en 2005 et 2010 lorsque de vastes étendues de forêt tropicale amazonienne avaient brûlé.

L’intensification des sécheresses et des feux de forêts affecte certainement la faune et la flore sauvage des tropiques où les espèces ne se sont pas adaptées aux incendies comme dans les forêts tempérées. De tels phénomènes ont également un autre impact : elles aggravent les changements climatiques.

Les incendies de forêts de l’année dernière en Indonésie, ont, par exemple libéré plus de carbone que la totalité de l’économie américaine pendant la période qu’ont duré les incendies dans ce pays. En Amazonie, la sécheresse extrême de 2010 a empêché la croissance des arbres et accru leur mort, éliminant les vastes et essentiels réservoirs à carbone de l’Amazonie, empêchant temporairement l’emprisonnement du carbone à travers la région. Et bien sûr, la disparition des réservoirs à carbone des forêts tropicales pourrait signifier une augmentation des niveaux de carbone dans l’atmosphère, aggravant à son tour les impacts du réchauffement planétaire sur les forêts tropicales.

An oil palm plantation in Indonesia burns. Photo by Rhett A. Butler
Plantation d’huile de palme en train de brûler en Indonésie. Photo de Rhett A. Butler

Pourtant, selon Lucy Rowland, chercheur post-doctoral à l’Université d’Exeter, les impacts futurs du réchauffement planétaire sur les forêts tropicales demeurent « très difficiles à prévoir. »

« On peut dire que la hausse des températures, tout particulièrement accompagnées de sécheresse, sont susceptible de limiter l’emprisonnement du carbone atmosphérique par la forêt tropicale et d’entrainer fort probablement la mortalité des arbres. » Mais ce qui rend les prévisions difficiles selon Rowland, c’est que le réchauffement des températures et les sécheresses dans les forêts tropicales sont également compensés en partie par une augmentation des niveaux de photosynthèse, alimentés par la hausse des niveaux de CO2.

Malheureusement, les espèces autres que végétales ne bénéficieront pas d’un tel avantage. Une récente étude dans le journal Scientific Reports a révélé que même avec un réchauffement d’uniquement 2 degrés Celsius, certaines populations animales (ainsi que plusieurs populations humaines) risquent de devoir se déplacer d’au moins 1,000 kilomètres en moins d’un siècle afin de demeurer dans leur régime climatique actuel.

Et bien entendu, tous les arbres, buissons ou plantes spécifiques auxquelles sont associés ces animaux, qui en dépendent pour leur alimentation et autres besoins, devront pareillement d’une manière ou d’une autre se déplacer avec eux.

S’ils ne se déplacent pas, écrit l’auteur de l’article, « ils feront tout simplement les frais des températures en hausse de leur environnement. »

Les espèces incapables de se déplacer ou de s’adapter s’éteindront.

Climate change is resulting in less cloud formation in some cloud forests, drying them out. Photo by Rhett A. Butler
Le changement climatique entraine une diminution de la formation de nuages dans certaines forêts nébuleuses, finissant par les assécher. Photo de Rhett A. Butler

La trop lente marche des forêts nébuleuses

Si les incertitudes scientifiques rendent les effets du changement climatique sur les écosystèmes des forêts tropicales difficiles à prévoir, les impacts sur les forêts nébuleuses tropicales sont plus directs. En fait, «les forêts nébuleuses figurent parmi les écosystèmes terrestres les plus vulnérables face au changement climatique,» selon une étude du magazine Nature.

Tout comme les forêts tropicales, les forêts nébuleuses s’épanouissent au sein d’une plage de température très particulière et ont besoin d’une importante quantité d’humidité. Mais on trouve également les forêts nébuleuses dans les hautes montagnes ; elles couronnent les sommets à des altitudes très spécifiques en vastes cercles verdoyants et luminescents, et nécessitent une couverture nuageuse pratiquement constante – d’où leur appellation du nom de forêts nébuleuses – pour survivre.

Les scientifiques prédisent qu’avec le réchauffement planétaire, les espèces végétales et animales des forêts nébuleuses seront forcées de migrer vers des sites en altitude afin de demeurer au sein de niveaux de température viables. En effet, les chercheurs ont déjà prouvé la tentative de plantes de forêts nébuleuses de grimper vers des sites plus élevés. Mais les scientifiques sont en train de découvrir que même si certaines plantes migrent vers les sommets des montagnes, elles ne le font pas assez rapidement pour suivre le rythme de la hausse rapide des températures.

Cloud forests can only march so far upslope before they run out of room to escape rising temperatures. Photo by Rhett A. Butler
Les forêts nébuleuses ne peuvent monter que jusqu’à un certain point en altitude, avant de manquer d’espace pour échapper aux températures grimpantes.
Photo de Rhett A. Butler

Et ces forêts migrantes pourraient se heurter à des obstacles. Une étude de 2013 présentée dans le journal PLOS ONE à révélé que les forêts nébuleuses du Pérou rencontraient des difficultés à pénétrer dans l’habitat occupé par les prairies de la Puna au dessus d’elles. Les chercheurs en ignorent la cause, mais cela risque de sonner le glas pour bien des espèces végétales et animales de la région à moins que l’homme n’intervienne pour leur porter secours. Plusieurs forêts nébuleuses vont également, en tentant de migrer vers le haut, se heurter à des territoires dominés par les populations humaines, tels que les pâturages ou les terres agricoles de montagne.

Par ailleurs, avec la hausse des températures, c’est la porte ouverte à un mouvement à grande échelle des espèces des basses terres vers l’altitude, résultant en conflits potentiels avec les espèces des hautes terres. Au Costa Rica, un chercheur à rapporté que 25 espèces de chauve-souris des basses terres sont déjà montées vers la célèbre forêt nébuleuse de Monteverde.

Le changement climatique risque également d’éloigner les couvertures nuageuses et les pluies vitales des forêts nébuleuses tropicales. Sans les nuages, il est peu probable que les forêts nébuleuses, et la faune et la flore unique qu’elles font vivre, y résistent. La forêt nébuleuse de Monteverde est déjà en train de connaitre un pareil assèchement.

Si la hausse des températures se poursuit au rythme actuel, les forêts nébuleuses seront inévitablement forcées de se rabattre sur des flancs de montagnes de plus en plus élevés, jusqu’à atteindre les plus hauts sommets, et, une fois là, ils n’auront simplement nulle autre part où aller. Privées de voie d’échappatoire vers des températures plus clémentes et submergées par la chaleur, les espèces des forêts nébuleuses seraient alors anéanties.

Selon Norman Duke, il est important de se rappeler qu’aucun de ces changements et impacts climatiques ne sont strictement linéaires. « S’il existe peut-être une tendance à la hausse à plus long terme, le niveau de la mer ne monte simplement pas de manière régulière, il a également des hauts et des bas. Cela s’applique à la plupart des facteurs du [changement climatique], y compris la température. »

Cependant, la hausse des températures aura sans nul doute des impacts certains. « Plus la température sera élevée, et plus graves en seront les conséquences, » a fait remarquer Duke.

Risque d’extinction massive

Dans une étude l’an dernier, Mark Urban, de l’Université du Connecticut, a évalué les risques d’extinction des espèces du fait du changement climatique. Afin d’obtenir la meilleure estimation possible, Urban a analysé les découvertes résultant de 131 études.

Il a découvert qu’actuellement 2.8 pourcent des espèces sont menacées d’extinction en raison du changement climatique, et ce avec un réchauffement d’environ 0.9 degrés Celsius. Si ce réchauffement grimpe jusqu’aux 2 degrés de l’engagement de Paris, les taux d’extinction pourraient fort bien monter jusqu’à 5.2 pourcent de toutes les espèces de la planète.

Et si nous atteignons les 3.1 degrés Celsius dans le courant de ce siècle ? (comme l’a prédit l’étude de Joeri Rogelj, en additionnant le chiffre actuel des engagements de Paris et la hausse maximum de température qu’ils risquent d’entrainer).

Alors, nous risquerions de perdre 9 pourcent des espèces du globe à cause du réchauffement planétaire.

Cela représente près d’une espèce sur dix menacée d’extinction à cause du changement climatique, et bien entendu, cela ne tient pas compte de l’extinction causée par des menaces d’origine humaine, telles que la dégradation et la destruction de leur habitat naturel, la déforestation, la pollution, la surexploitation, le braconnage, les espèces invasives, ou la combinaison mortelle de n’importe lequel de deux ou plus de ces facteurs conjugués au changement climatique.

Greenpeace Climate March 2015 Madrid. World leaders are under increasing public pressure to take action on global warming. Photo by OsvaldoGago licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license
Marche pour le Climat de Greenpeace à Madrid, en 2015. Les dirigeants mondiaux subissent une pression publique grandissante pour les amener à prendre des mesures par rapport au réchauffement planétaire. Quoi qu’ils constituent un début, les actuels engagements de réduction des émissions de carbone pris par 178 pays dans le cadre de l’Accord de Paris ne sont pas suffisants pour empêcher les sérieux dommages causés aux écosystèmes tropicaux. Photo de Osvaldo Gago, sous licence de Creative Commons Attribution Share-Alike 3.0 ( Licence Partage des Conditions Initiales à l’Identique)

Il est également primordial de se rendre compte que les impacts du changement climatique, y compris les extinctions des espèces, ne vont tout simplement pas cesser en 2100. En l’absence de mesures adéquates, ils se poursuivront à un rythme soutenu jusqu’au siècle suivant.

« Avec chaque hausse de la température mondiale, les risques d’extinction ne se contentent pas d’augmenter, ils s’accélèrent, » expliqua Urban. « Par conséquent, le fait de dépasser ne serait-ce que de peu la limite fixée actuellement à 2 degrés Celsius accroit fortement les risques qui menacent la biodiversité de la Terre. »

C’est pour cela que « les nations doivent commencer sans tarder à mettre en application leurs engagements [de Paris] » a déclaré Rogelj.

Il ajouta qu’il espérait que des études telles que la sienne « aident les pays à revoir à la hausse leurs engagements, avant même 2020. » C’est l’année où les pays devront établir leur deuxième série d’engagements.

Elever les enjeux pour éviter le résultat final

Mais la réduction des émissions ne représente qu’une partie de la solution. Le réchauffement est déjà en cours et se poursuivra en raison du forçage déjà introduit dans le système climatique. Les écosystèmes en subissent déjà les conséquences, tout comme bien des populations humaines.

Par conséquent, William Laurance, écologiste spécialiste des forêts tropicales auprès de l’Université James Cook, affirme que les défenseurs de l’environnement devraient également avoir recours à une ancienne méthode déjà testée afin de combattre le changement climatique : les zones protégées.

« En termes de mesures d’atténuation des changements climatiques, les meilleures stratégies consistent en la conservation de vastes zones protégées interconnectées, topographiquement et climatiquement complexes, » dit-il. « Cela accordera aux espèces les meilleures chances de se déplacer ou de trouver refuge en période de conditions climatiques extrêmes. » Ces vastes zones clef pourraient être reliées par de larges couloirs permettant les migrations de masse des espèces animales et végétales afin de s’adapter au changement climatique.

Amazon rivers are being highly impacted by drought which has come as the result of escalating climate change. Photo by Rhett A. Butler
Les espèces terrestres ne sont pas les seules à être menacées par le changement climatique. Les espèces aquatiques sont également en danger. Les rivières de l’Amazonie, par exemple, sont affectées par l’intensification de la sécheresse résultant de l’aggravation du réchauffement planétaire. Photo de Rhett A. Butler

Pour les espèces et les écosystèmes en situation critique, l’homme devra décider d’intervenir ou pas. Devrions-nous récupérer et déplacer les espèces afin de les aider à demeurer au sein du climat qui leur convient ? Devrions-nous ramener en captivité les espèces particulièrement sensibles au climat afin de créer une sorte de population de secours – des réfugiés captifs – pour lutter contre leur extinction ? Se pourrait-il que certains écosystèmes ne puissent survivre que dans un environnement au climat contrôlé aménagé par l’homme, dans l’espoir qu’un jour le monde pourra retrouver sa nature sauvage ?

En même temps, dit Laurance, les écologistes ne peuvent ignorer d’autres menaces « telles que le braconnage, les incendies sauvages et la fragmentation de leur habitat » risquant de décimer des espèces luttant déjà pour survivre dans un monde en réchauffement perpétuel.

De plus, des équipes scientifiques de recherche et d’intervention rapide peuvent s’avérer nécessaires afin de réagir aux situations de crise de l’écosystème, provoquées par le changement climatique qui affecte déjà les espèces menacées et les hauts lieux de biodiversité.

Paris a été une première étape. Mais ce fut une étape tardive — le monde avait déjà subi un réchauffement de 0.9 degrés Celsius. A présent, les pays doivent lutter pour réaliser leurs promesses respectives de réduction des émissions afin de parvenir à atteindre l’objectif global. Puis, en 2020 — ou de préférence bien avant cela, — ils devront intensifier et redoubler leurs efforts en vue d’atteindre de nouveaux objectifs plus rigoureux. Cela a toujours été le plan, mais ce ne sera pas chose facile.

Cependant, les récifs coralliens et les forêts nébuleuses n’ont nullement le temps d’attendre. Et on ne négocie pas avec la nature. Pas plus que l’objectif des 2°C fixé à Paris n’offre de réelle assurance quant à la survie de plusieurs espèces et écosystèmes tropicaux.

« Je demeure optimiste quant au fait que nous puissions encore limiter le réchauffement, » a déclaré Urban. « Mais même si nous parvenons à atteindre les objectifs [de Paris], nous devrons encore relever le défi de maintenir intacts les systèmes naturels et humains durant une ère de chaleur qui s’annonce longue et prolongée, en raison de siècles d’émissions. »

 

Ouvrages de référence

Hsiang, Solomon M., and Adam H. Sobel. (2016) “Potentially Extreme Population Displacement and Concentration in the Tropics Under Non-Extreme Warming.” Scientific Reports 6: 25697.

David A. Lutz, Rebecca L. Powell, Miles R. Silman. (2013) Four Decades of Andean Timberline Migration and Implications for Biodiversity Loss with Climate Change. PLoS ONE 8(9): e74496 DOI: 10.1371/journal.pone.0074496

Norris, J. R., Allen, R. J., Evan, A. T., Zelinka, M. D., O’Dell, C. W., & Klein, S. A. Evidence for climate change in the satellite cloud record. Nature.

Rogelj, Joeri, Michel den Elzen, Niklas Höhne, Taryn Fransen, Hanna Fekete, Harald Winkler, Roberto Schaeffer, Fu Sha, Keywan Riahi, and Malte Meinshausen. (2016) “Paris Agreement climate proposals need a boost to keep warming well below 2 C.” Nature 534, no. 7609: 631-639.

Urban, Mark C. “Accelerating extinction risk from climate change.” (2015) Science 348, no. 6234: 571-573

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