Mais en 2011, le Libéria a entrepris la réforme de son industrie forestière par la signature d’un accord de partenariat volontaire (Voluntary Partnership Agreement, ou VPA) avec l’UE pour commencer à réguler le secteur de l’abattage. L’accord garantit la traçabilité jusqu’à la source de tout bois exporté vers l’UE.
Trois ans plus tard, le Libéra a soutenu la Déclaration de New York sur les Forêts et signé un accord avec la Norvège garantissant qu’il n’autoriserait pas la création de nouvelles concessions d’abattage et déclarerait 30% de ses forêts « zones protégées », en échange d’une aide financière de 150 millions de dollars. Le Libéria est aussi signataire de la Déclaration de New York sur les Forêts et de l’Initiative pour la Reconstruction des forêts africaines (African Restoration Initiative, ou AFR100). Cette dernière s’engage à reconstruire 100 millions d’hectares, soit 100 millions de km2 de forêts à travers le continent africain d’ici à 2030.
De nos jours, on ne peut exporter légalement que le bois d’abattage issu de trois concessions du pays, et aucune d’entre elles n’est liée à ce secteur de l’huile de palme à l’influence grandissante et controversée dans le pays ouest-africain.
‘Une opportunité dissimulée’
Louise Riley, militante pour Global Witness, affirme que le Libéria a fait du chemin depuis le temps où il était un paria en termes de gestion forestière.
« Le Libéria a [maintenant] un système juridique robuste pour gérer l’abattage… C’est ce qui nous inquiète dans ce déploiement d’efforts considérables de la part des sociétés qui exploitent l’huile de palme pour tenter de contourner la loi, sans parler de leurs propres engagements en termes de déforestation zéro », a confié Riley à Mongabay.
Le problème est que le Libéria a assaini son secteur de l’abattage et au même moment offert des concessions gigantesques à l’industrie de l’huile de palme. Un certain nombre de ces concessions, comme celle de GVL, se situaient dans des zones largement forestières. Pourtant, GVL elle aussi obéit à une politique de déforestation zéro et est membre de la Table ronde sur la production durable d’huile de palme (Roundtable on Sustainable Palm Oil, ou RSPO), ce qui signifie qu’une telle exploitation de sa concession de 2 600 km2 est normalement interdite. Mais est-ce bien le cas ?
L’entreprise, qui est une filiale du géant singapourien Golden-Agri-Resources, dont la valeur est de 1,5 milliards de dollars, nie avoir jamais tenté de contourner les lois d’abattage du Libéria lorsqu’elle a demandé la permission de vendre du bois de construction. Mais en octobre 2015, GVL a demandé au gouvernement la permission de vendre du bois de construction issu d’une de ses concessions en lieu et place de la population locale de Tarjuowon dans le comté de Sinoe. Tout profit de la vente serait reversé directement au district de Tarjuowon et ne bénéficierait pas à GVL, avait promis l’exploitant.
«GVL a fait une demande auprès [de la FDA] au nom d’une population locale pour permettre à cette population de récupérer du bois issu d’une zone qui était déjà affectée à l’exploitation de l’huile de palme », a déclaré GVL dans un communiqué. « GVL a agi ainsi pour que, dans la limite de la loi, la population puisse tirer un profit maximum de sa propre terre avant que son exploitation pour l’huile de palme ne commence ».
La société a soutenu que son communiqué ne contredisait pas sa politique de déforestation zéro, qui s’applique uniquement à des forêts à haute valeur de conservation. Elle a affirmé dans le même communiqué n’avoir rien dissimulé sur cette question à la FDA et à l’organisme de défense de l’environnement SDI.
Cependant selon James Otto, un militant écologiste pour SDI, la réponse de GVL était une réaction « impulsive » à la campagne de l’ONG environnementale. Otto soutient que les lois et régulations sur l’abattage de bois par les populations locales sont claires et que le cas des Tarjuowon ne rentrait pas dans ce cadre juridique. Il ajoute qu’un abattage de ce type ne devrait jamais être sollicité par une « tierce partie » telle que GVL.
Il affirme que la société voulait en vérité « ouvrir une opportunité dissimulée » pour faire autoriser l’abattage dans une zone forestière où elle souhaite étendre ses opérations. Otto ajoute que cela lui permettrait de contourner ses propres règles en matière de terres riches en carbone et à grande valeur en termes de conservation par la dégradation intentionnelle de cette forêt, quoique sur ordre de la population locale.
Les soupçons de SDI ont été éveillés par des rumeurs selon lesquelles Forest Ventures, une société d’abattage proche de la société Malaisienne Samling, avait été vue dans le district bien qu’elle n’ait pas d’autorisation légale d’abattre à cet endroit.
« Il est devenu apparent… que l’application par GVL de sa politique de conservation des forêts au Libéria ne protégera pas les forêts, et que l’effet cumulatif de l’expansion de ses plantations sur les forêts pourrait être dévastateur », indiquait SDI dans une note de briefing en mai dernier. « Ce qui est alarmant, c’est qu’il existe une réelle possibilité que la société détruira des forêts tout en promouvant ses produits sous le label ‘huile de palme garantie sans déforestation’. »
Mais la société conteste ces allégations.
« Toutes les zones proposées par la population locale se trouvaient dans des régions qui ont été évaluées grâce aux méthodes du High Carbon Stock Toolkit [qui assure le standard déforestation zéro] et dont il a été déterminé qu’elles pouvaient être exploitées », a indiqué à Mongabay Leroy Kanmoh, coordinateur des communications de GVL.
« Après près d’un an de pourparlers avec la FDA et SDI », le gouvernement a finalement refusé leur demande, a-t-il ajouté.
Kanmoh raconte que GVL a informé la population des Tarjuowonc « qu’ils ne pourraient pas exploiter le bois d’abattage à leurs propres fins commerciales ».
Cependant, dans le même temps, la FDA a introduit une petite, mais réelle possibilité de brèche dans la loi, en annonçant à la société que celle-ci pouvait toujours apporter son soutien à la population locale « de toutes les manières légales, y compris par des activités d’extraction et de broyage de petite envergure.»
Une telle déclaration a provoqué l’inquiétude au SDI où l’on a le sentiment que le gouvernement aussi voulait gagner sur les deux tableaux, et envisageait peut-être même de développer une nouvelle réglementation qui autoriserait la vente de bois de transformation. Malgré nos demandes répétées, la FDA n’a fait aucun commentaire.
Cette controverse qui se poursuit et qui s’étale à la une des journaux libériens souligne combien la question de l’huile de palme est devenue tendue au Libéria, et pas seulement en ce qui concerne l’abattage. Des populations locales ont dénoncé des exemples d’usage de la force, des violences et des promesses non tenues. Les défenseurs de l’environnement redoutent la perte des dernières grandes forêts d’Afrique de l’Ouest et la disparition d’un certain nombre d’espèces menacées. L’industrie de l’huile de palme, quant à elle, rétorque que son commerce représente l’avenir économique de ce pays pauvre récemment décimé par Ebola après avoir connu une guerre civile qui s’est étalée sur plusieurs décennies.
Une courte histoire controversée de l’huile de palme au Libéria
L’essor de l’exploitation de l’huile de palme au Libéria a créé la division dans les populations locales et marqué le début de ce que Global Witness a appelé une potentielle « crise de l’arrachage de terres » dans un rapport cinglant l’an dernier. Comme dans beaucoup de pays en développement, les familles locales au Libéria ne possèdent généralement pas les terres où elles vivent et qu’elles cultivent depuis des générations, même si une loi sur la propriété terrienne, maintes fois annoncée, pourrait changer cet état de fait si elle venait à être votée. Mais la situation actuelle permet au gouvernement libérien de louer de vastes étendues de terres communes aux sociétés d’exploitation de l’huile de palme, par la signature de contrats parfois conçus pour durer jusqu’à 98 ans.
GVL est l’une des plus grandes sociétés d’exploitation d’huile de palme. Ses concessions peuvent mesurer jusqu’à 2 600 km2 (la superficie des terres de l’Etat du Rhode Island) et elle influence l’existence de 40 000 personnes qui ont utilisé ces terres pendant des générations, selon le rapport The New Snake Oil de Global Witness.