Les plaintes s’accumulent

Cependant, les habitants et les militants affirment que le projet a entraîné de nombreux problèmes à pas moins de 10 000 villageois à Chisumbanje et ses environs. Ils expliquent que si l’entreprise a acheté légalement 5 112 hectares de terrains à l’ARDA, elle s’est également accaparé plus de 4 000 hectares supplémentaires de terres agricoles appartenant aux villageois sans verser la compensation convenue. Ils redoutent de perdre davantage de terres au vu de la prévision d’agrandissement des champs de canne à sucre pour atteindre 45 000 hectares d’ici 2020. « Je pouvais autrefois produire jusqu’à 900 ballots de coton par saison mais maintenant il ne reste plus rien de mes terres », témoigne Minyizeya.

Le futur s’annonce sombre pour un autre villageois de Chisumbanje, Muchatiroto Mashava, un polygame qui a perdu environ 250 hectares de terres à cause de Green Fuel. La polygamie est courante à Chisumbanje, où les enfants et les femmes sont considérés comme de la main d’œuvre pour les champs de coton, où le travail est intensif.

Mashava, qui a 18 femmes et plus de 80 enfants, n’a aucune autre source de revenu que sa terre.

« J’employais auparavant jusqu’à 100 personnes de la région, mais nos terres ont été prises par l’entreprise d’éthanol, indique Mashaya à Mongabay. On ne m’a fourni comme compensation que trois parcelles mesurant un demi-hectare. Mes enfants sont désormais dispersés ici et là à la recherche de travail ».

Agricultural equipment at the Green Fuel ethanol plant. Photo by Kenneth Matimaire.
Équipement agricole à l’usine d’éthanol de Green Fuel. Photo de Kenneth Matimaire.

Claris Madhuku, directrice d’un groupe de pression local appelé Platform for Youth Development (PYD, Plateforme pour le développement de la jeunesse) qui œuvre depuis 2009 pour les villageois affectés, a déclaré à Mongabay que les villageois continueront à s’opposer au projet tant que leurs terres ne leur auront pas été rendues ou qu’ils n’auront pas reçu de juste compensation.

Madhuku a également affirmé que le projet ne respectait pas la législation du pays qui exige un contrôle au niveau local des entreprises étrangères, pas plus que diverses lois environnementales.

L’une des principales plaintes porte sur l’impact du projet sur la qualité de l’eau de la région. « Le projet a entraîné une pollution de l’eau, car l’entreprise rejette ses déchets toxiques dans le réseau hydraulique, ce qui a causé des maladies », explique Madhuku.

A chief complaint is the project’s impact on local water quality. “The project has caused water pollution as the company is discharging toxic waste in the water system. This has resulted in diseases,” Madhuku said.

L’eau polluée aurait entraîné la mort du bétail et de la faune aquatique et aurait conduit à des cécités partielles et des douleurs au niveau des pieds des personnes ayant été en contact avec l’eau polluée.

Il ajoute que les détails de l’exploitation du projet restent inconnus. Le projet a été fortement politisé, le parti au pouvoir soutenant le projet tandis que les partis de l’opposition sont perçus comme y étant opposés.

Madhuku, ainsi que des personnes telles que l’un des députés de la circonscription, Prosper Mutseyami, soutiennent que Green Fuel a infligé de mauvais traitements à sa main d’œuvre.

« Il y a eu des arrestations non justifiées d’individus ayant dévoilé les impacts négatifs du projet, tels que les salaires insuffisants et l’exploitation des travailleurs qui attendent depuis six mois d’être payé » au mois de mai 2016, a déclaré Madhuku, « Lorsqu’ils demandent leur salaire, l’armée et la police anti-émeute arrivent pour les rouer de coups. La communauté vit dans la peur ».

Selon New Zimbabwe>, la dernière série de plaintes des travailleurs a surgit ce mois-ci lorsqu’un groupe de conducteurs de camions ayant été licenciés ont affirmé que l’entreprise les avait renvoyés discrètement après leur tentative de négociation pour obtenir les salaires retenus et de meilleures conditions de travail. Les travailleurs prétendent également avoir fait l’objet de discriminations raciales manifestes par la direction de l’entreprise, composée principalement de Blancs.

Un villageois nommé Wedzerai Gwenzi aurait fait part à des délégués lors d’une réunion à Harare, au printemps dernier, que la pauvreté était désormais si profondément ancrée à Chisumbanje, conséquence du projet de Green Fuel, que des femmes pauvres avaient été contraintes à échanger des faveurs sexuelles avec notamment des chefs traditionnels peu scrupuleux en contrepartie de lopins de terre.

Le gouvernement prend note

Les villageois et les militants ne sont pas les seuls à se préoccuper de l’usine ; elle a fait scandale dans tout le pays.

Les plaintes des habitants de Chisumbanje ont été rassemblées dans un rapport du cabinet de septembre 2012 par le vice-premier ministre de l’époque, Arthur Mutambara. Un communiqué de presse de ce dernier, qui accompagnait le rapport, a fait l’éloge du projet en le désignant comme étant « un projet national d’une grande valeur stratégique », tout en relevant de nombreux « problèmes du point de vue social et communautaire » qui résultent du projet.

Il a en outre appelé Green Fuel à fournir des compensations aux foyers pour les déplacements effectués et les champs et bétails perdus, à installer un système de purification de l’eau contaminée et à employer davantage de travailleurs locaux, de pair avec d’autres recommandations à « mettre en œuvre sans délai. »

Zimbabwe’s former Deputy Prime Minister Arthur Mutambara addresses villagers affected by the Green Fuel plant. Photo courtesy of Platform for Youth Development.
Arthur Mutambara, ancien vice-premier ministre du Zimbabwe, s’adresse aux villageois affectés par l’usine de Green Fuel. Photo de Platform for Youth Development.

Deux ans plus tard, en juillet 2014, un comité composé de députés, le Comité parlementaire de la jeunesse, de l’indigénisation et de l’émancipation économique (Parliamentary Portfolio Committee on Youth, Indigenisation and Economic Empowerment), a entrepris une enquête complémentaire qui a rapporté que la plupart des problèmes restaient non résolus, notamment en ce qui concerne les compensations pour les terres prises aux villageois.

Le comité a observé dans son rapport que les accusations des villageois portant sur les déversements de déchets toxiques de Green Fuel dans les sources d’eau étaient soutenues par l’Autorité de gestion de l’environnement du gouvernement (Environmental Management Agency, EMA).

Le rapport indique que « L’EMA a fourni au comité des preuves, confirmées par un expert indépendant, que Green Fuel déverse illégalement des millions de litres par jour d’effluent acide et nocif, depuis son usine dans la nature ».

Il ressort également du document que Macdom Investments et Rating Investments possède 90 % des parts de Green Fuel, tandis que les 10 % restants appartiennent à l’ARDA, alors que la loi requiert que les investisseurs locaux, dans le cas présent l’ARDA, détiennent 51 % des parts.

Des camps en opposition

Prosper Mutseyami, député local, a indiqué à Mongabay que nombre de villageois avaient eu au départ de grands espoirs de voir Green Fuel aider au développement de la région, dont il y a tant besoin.

« Les gens ont perdu espoir. Nous n’attendons plus aucun bénéfice de ce projet », a déclaré Mutseyami.

Il a également affirmé qu’il y avait une forte hausse des accidents de la route dans la zone causée par des camions transportant de la canne à sucre depuis les plantations jusqu’à l’usine.

Sa déclaration est appuyée par le rapport du comité parlementaire, qui constate des plaintes de la communauté relatives à 15 accidents mortels impliquant des enfants causés par des conducteurs de Green Fuel. Le rapport indique que « Les membres de la communauté déclare que l’entreprise n’a même pas eu la décence d’apporter un soutien pour les coûts liés aux enterrements et a préféré renvoyer les parents des victimes vers ses avocats ».

Ropafadzo Gwanetsa, porte-parole de Green Fuel, n’a pas répondu aux nombreuses demandes de commentaire de Mongabay sur les diverses plaintes et allégations, et cela même après avoir demandé et reçu les questions soumises par écrit.
Néanmoins, selon certaines sources, la ministre d’État pour la province de Manicaland, Mandi Chimene, a affirmé lors d’une visite de la région en automne dernier que certains villageois avaient emporté et vandalisé les installations de l’usine et même attaqué des employés de Green Fuel.

Basil Nyabadza, président du conseil de l’ARDA, a maintenu que les conflits à Chimsunbanje devaient être gérés à l’amiable.

« S’il y a des problèmes, alors entamons une discussion », a-t-il déclaré aux villageois lorsqu’il a appelé au calme l’année dernière, selon le site web d’information New Zimbabwe.

Suspicions de corruption

La polémique a également touché Muller Conrad (alias Billy) Rautenbach, le riche homme d’affaires zimbabwéen qui finance Green Fuel via deux de ses entreprises, Macdom Investments et Rating Investments.

En 2008, Rautenbach a été sanctionné par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor américain pour avoir supposément fourni un soutien financier et logistique au régime répressif du président Mugabe. Cependant, en 2014, les États-Unis ont levé leurs restrictions contre le magnat.

En 2013, Rautenbach a fait jouer ses relations politiques pour contraindre le ministre de l’Énergie et du Développement énergétique à rendre obligatoire un mélange de carburants. Désormais, la totalité de l’essence vendue dans le pays est mélangée avec de l’éthanol à hauteur de 15 %, dont le seul producteur dans le pays est Green Fuel.

Puis cet avril, alors que les fermiers affectés par le projet Green Fuel continuaient à sombrer dans la pauvreté, Rautenbach a été cité dans l’affaire des Panama Papers (se retrouvant ainsi parmi les 280 Zimbabwéens impliqués dans la polémique) pour possession de comptes à l’étranger liés à d’autres entreprises et qui pourraient potentiellement avoir été utilisés pour fraude fiscale.

Cette révélation a ravivé une vague de condamnations, incitant le parti de l’opposition, le Parti démocratique du peuple (PDP), à appeler le gouvernement à ouvrir une enquête sur Rautenbach et les autres personnes impliquées dans l’affaire.

Le PDP est mené par Tendai Biti qui, selon New Zimbabwe New Zimbabwe, a soulevé des questions sur les accords conclus par Green Fuel lorsqu’il était ministre des Finances entre 2009 et 2013.

Dans un entretien avec Mongabay, le porte-parole du PDP, Jacob Mafume, a souligné qu’une enquête sur les activités financières de Rautenbach serait ouverte à la suite des révélations des Panama Papers. « En tant que petit pays, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des sommes à hauteur de celles mentionnées dans ces documents », déclare Mafume.

Selon le Sunday Mail, la Banque de réserve du Zimbabwe a lancé une enquête en mai sur les entreprises dissimulant illégalement de l’argent à l’étranger, y compris celles nommées dans les Panama Papers.

Un cri de revendication pour les terres perdues

Et pourtant, quatre mois après les révélations des Panama Papers, il reste encore à voir si les autorités zimbabwéennes procéderont à des enquêtes approfondies sur les transactions financières de Rautenbach. Deux années se sont écoulées depuis la recommandation du comité parlementaire à Green Fuel de fournir une compensation adéquate aux villageois pour leurs terres. Malgré cela, rien n’a été fait et le gouvernement reste de marbre face à la détresse des villageois.

Plutôt qu’une compensation financière, certains villageois souhaitent que leur terre leur soit rendue. Nombreux sont ceux qui ont un attachement fort à leur terre, souvent transmise de génération en génération.

Robinson Nyakurwa, 74 ans, peine à cacher sa colère devant la perte de ses terrains : 20 hectares que Green Fuel s’est approprié.

« Je veux qu’on me rende mes terres, pas de leur argent », a déclaré Nyakurwa, visiblement amer, à Mongabay dans un centre commercial local.

Il reste optimiste de voir sa revendication satisfaite. Pour l’instant, néanmoins, il n’est pas sûr que sa famille survive les 12 prochains mois. Nyakurwa et sa famille sont près de basculer dans la famine, conséquence de l’actuelle sècheresse dévastatrice.

Article published by Maria Salazar
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