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Les arbres partagent le carbone : une découverte qui pourrait sauver les arbres dans un monde qui se réchauffe

  • Une expérience de cinq ans, la première de ce genre, indique que les grands arbres en bonne santé partagent des ressources, notamment le carbone, avec des arbres d’autres espèces.
  • Les réseaux mycorhiziens — les filaments souterrains de champignons et de fines racines de plantes qui poussent ensemble — permettent l’échange de nutriments, d’eau et de carbone avec et entre les plantes. Toutefois, aucune de ces routes souterraines de transport n’a jamais indiqué qu’elles transféraient du carbone entre les différentes espèces d’arbres – jusqu’à récemment.
  • Les chercheurs pensent que ce partage de ressources joue un rôle important dans la survie des forêts à une période où elles subissent un stress croissant dû au changement climatique.

Une nouvelle découverte force les écologistes à changer leur perception sur les systèmes forestiers ; ce qui était considéré comme des foyers de compétition sont dorénavant des structures coopératives et interdépendantes. Une expérience de cinq ans, la première de ce genre, indique que les grands arbres en bonne santé partagent des ressources, notamment le carbone, avec des arbres d’autres espèces. Cet échange de carbone est opéré par des réseaux souterrains coopératifs de champignons mycorhiziens qui existent dans presque toutes les forêts du monde. Les chercheurs pensent que ce partage de ressources joue un rôle important dans la survie des forêts à une période où elles subissent un stress croissant dû au changement climatique.

« Cette découverte est une surprise ; le coauteur de mon livre n’y a d’abord pas cru, nous pensions que c’était une erreur dans le tri des racines », a déclaré le Dr Tamir Klein de l’Université de Basel sur ses résultats publiés dans Science.

View of the study site at the Swiss canopy crane research station in a mixed forest 12 km southwest of Basel, Switzerland. Photo courtesy of Christian Körner and Tamir Klein.
Vue du site d’étude à la station de recherche équipée d’une grue pour étudier la canopée dans une forêt mixte à 12 km au sud-ouest de Basel en Suisse. Photo de Christian Körner et Tamir Klein.

Les écologistes savent depuis longtemps que les arbres sont en compétition pour les nutriments et les ressources. Les plus grands et anciens arbres sont les champions, ils ont tiré les ressources nécessaires de leur environnement et de leurs voisins. Mais les résultats de l’expérience dans une forêt tempérée de Suisse indiquent que ces interactions entre les arbres pourraient être plus complexes que ce que l’on pensait. En effet, les arbres partagent des ressources avec leurs voisins par des autoroutes souterraines de fines racines et de champignons symbiotiques. Les scientifiques savaient déjà que les réseaux mycorhiziens — les filaments souterrains de champignons et de fines racines de plantes qui poussent ensemble — étaient mutuellement bénéfiques aux champignons ainsi qu’aux arbres. Ils échangent des nutriments, de l’eau et du carbone avec et entre les plantes. Les champignons permettent une prise accrue de nutriments et d’eau du sol tandis que les plantes vertes exportent des sucres créés par photosynthèse vers les champignons et autres microbes dans le sol. Les scientifiques considèrent les réseaux mycorhiziens comme faisant partie intégrante des écosystèmes de la forêt. Les arbres voisins de la même espèce peuvent aussi échanger du carbone à travers la fusion physique de leurs racines. Toutefois, aucune de ces routes souterraines de transport n’a jamais indiqué qu’elles transféraient du carbone entre les différentes espèces d’arbres – jusqu’à récemment.

Professional tree climbers ascending one of the five control unlabelled Picea abies trees for sampling of canopy twigs beyond the reach of the crane jib. Photo courtesy of Christian Körner and Tamir Klein.
Des grimpeurs escaladent l’un des cinq épicéas de contrôle pour prendre un échantillon des brindilles de canopée qui sont hors de portée de la flèche de la grue. Photo de Christian Körner et Tamir Klein.

Afin de suivre l’échange de carbone, les chercheurs ont utilisé une grue de construction et un réseau de tubes fins pour inonder des épicéas de 120 ans et de 12 mètres de haut de carbone 13, une forme de carbone plus lourd que celui qui se trouve dans l’air. L’utilisation du carbone 13 peut leur permettre de le distinguer du carbone régulier et suivre son transfert tandis qu’il est photosynthétisé dans les feuilles et transporté dans les brindilles, les troncs et les fines racines des arbres.

Les chercheurs ont découvert que les épicéas transféraient le carbone 13 non seulement dans leurs propres brindilles, troncs et racines pour stimuler leur croissance comme on le savait déjà, mais également à d’autres espèces d’arbres, y compris aux pins, bouleaux et mélèzes avoisinants au travers de réseaux mycorhiziens. Auparavant, les scientifiques n’avaient pas connaissance de l’implication des grands arbres dans le transfert de carbone, car il n’existait pas de méthode permettant d’exposer de grands arbres au carbone 13 jusqu’à récemment. « Les connaissances les plus avancées concernaient les jeunes plants qui pouvaient transférer du carbone entre eux », affirme Klein. La découverte des grands arbres pouvant transférer du carbone à d’autres grands arbres de différentes espèces est une telle surprise que les scientifiques ont eu des doutes sur leur travail.

Researchers used a construction crane to distribute 13C to the tops of spruce trees via tubes. Photo courtesy of University of Basel, research group C. Körner.
Les chercheurs ont utilisé une grue de construction pour distribuer le 13C à la cime des épicéas par des tubes. Photo de l’Université de Basel, groupe de recherche C. Körner.

Pour garantir que rien n’avait été manqué, les chercheurs sont retournés dans la forêt, ont soigneusement déterré les racines fines, et les ont suivies dans la terre jusqu’à l’arbre source afin de vérifier que le carbone 13 avait bien voyagé depuis l’épicéa marqué jusqu’aux différentes espèces d’arbres voisines.

D’après Klein, c’est très important. « Ceci change notre perception des arbres dans une forêt. Les arbres voisins peuvent en fait partager du carbone fixe et pas seulement rivaliser entre eux. » Les arbres d’une « guilde » — ceux connectés par des réseaux mycorhiziens transportant des ressources — semblent équilibrer le surplus de carbone entre eux. Cette expérience, menée dans une forêt tempérée, est la première preuve d’un échange de carbone entre les différentes espèces d’arbres, mais Klein ajoute : « en principe, ceci peut se produire dans n’importe quelle forêt où il y a des champignons mycorhiziens, donc dans la plupart des forêts sur terre. »

La mortalité des arbres liée au changement climatique est un problème mondial majeur de nos jours. Tandis que les causes directes de mortalité peuvent inclure toutes raisons de la sécheresse, à la maladie en passant par le gel de printemps et les incendies, tous ces impacts sont exacerbés par la hausse des températures mondiales causée par la combustion de combustibles fossiles. Divers arbres répondent différemment au stress. Toutefois, lorsque les arbres sont connectés par ces réseaux mycorhiziens, « ils pourraient obtenir juste assez de carbone supplémentaire [de leurs voisins] pour faire la différence entre la vie et la mort dans une situation de stress », conclut Klein.

Sampling of verified fine roots from overlapping root spheres. Roots were excavated down to 5 cm depth and traced to the trunk of origin. The red arrow denotes the sampling point of fine roots belonging to labelled Picea abies (front) and belonging to neighbouring, unlabelled Pinus sylvestris (rear). Photo courtesy of Christian Körner and Tamir Klein.
Échantillon de fines racines vérifiées de sphères de racines imbriquées. Les racines ont été extraites de 5 cm de profondeur et suivies jusqu’au tronc d’origine. La flèche rouge indique le point d’échantillon des racines fines appartenant aux Picea abies marqués (devant) et appartenant aux Pinus sylvestris voisins, non marqués (derrière). Photo de Christian Körner et Tamir Klein.

Même si l’on ne connaît pas encore la magnitude ou les particularités de cet échange de carbone, cela ajoute un nouveau niveau de complexité dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Les scientifiques pensent également que ceci pourrait devenir un facteur important permettant de mieux gérer la résilience et la survie des forêts dans une époque de changement climatique.

 

Citation:

Klein, T., Siegwolf, R. T., & Körner, C. (2016). Belowground carbon trade among tall trees in a temperate forest. Science, 352(6283), 342-344.

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