- Le Parc national de Gashaka-Gumti recèle divers habitats naturels et il est rempli d’une faune et d’une flore très variées. Cependant, le braconnage, l’abattage illégal des arbres ainsi que l’élevage illégal, motivés par une extrême pauvreté, épuisent les écosystèmes du parc.
- Le Gashaka Biodiversity Project, est le point de départ de l’initiative qui vise à améliorer le bien-être des personnes habitant à l’intérieur et à proximité du parc, et ce, afin de réduire l’influence négative exercée sur la faune et la flore comme sur les ressources naturelles du parc.
- Certains experts affirment que c’est en s’occupant des problèmes qui touchent les êtres humains que l’on pourra s’assurer d’une conservation durable. Ils demandent maintenant que l’on se penche sur le moyen de faire coexister au mieux les parcs à travers l’Afrique et la population.
Quand l’une des plus grandes équipes du football international participe à un événement dans une petite ville paisible du Nigeria, tous les regards se tourne vers celle-ci. Le football est très populaire au Nigeria, à tel point qu’il apaise les tensions dans ce pays multiethnique et aux multiples religions. Si l’on ajoute à l’ensemble des messages pour la préservation de l’environnement, l’év ènement devrait être une réussite. C’est en tout cas le moteur principal du match de football qui s’est déroulé pour la première fois en février dernier avec le soutien du célèbre club anglais d’Everton à Serti, une petite ville du nord-est du Nigeria, ville où se trouve le siège du Parc national de Gashaka-Gumti.
La compétition amicale opposait l’équipe de la ville de Serti aux gardes-forestiers du parc, mais aussi les épouses des gardes-forestiers à celles des soldats de la caserne voisine. Mais l’enjeu de ces matchs n’était pas uniquement sportif. Le but était plutôt de promouvoir l’union peu commune du développement humanitaire avec la conservation de l’environnement afin d’encourager les habitants de la région à soutenir un parc national en proie à de grandes difficultés.
Plus tôt, le jour du match, gardes-forestiers, étudiants et jeunes villageois ont participé à une marche pour apporter leur soutien aux actions locales pour la conservation. Les rythmes hypnotisants du Naija (un nouveau style de musique nigériane très populaire) résonnaient dans les rues, les passants portaient des banderoles clamant leur soutien à la préservation de l’environnement et, des enceintes montées sur une voiture hurlaient les slogans de la campagne de sauvegarde de l’environnement ; tout ceci est venu interrompre l’habituelle quiétude de Serti. Entre deux matchs, les représentants du parc et les membres de l’université de l’État de Taraba à Jalingo, située au nord, à trois heures de là, ont fait un discours sur la façon d’empêcher la propagation de la malaria, sur l’hygiène publique, ainsi que sur le rôle des forêts dans l’assainissement de l’eau.
Cette journée fait partie de la campagne de séduction du public qui mène des actions pour améliorer le cadre de vie et les revenus des habitants du parc et ses alentours, et ce, à travers le Gashaka Biodiversity Project, un programme créé par le zoo de Chester de Londres. Les habitants de la région espéraient que l’ouverture du parc en 1991 donnerait de l’élan au tourisme, malheureusement, ce rêve ne s’est pas encore concrétisé, il montre plutôt des signes d’essoufflement. La pauvreté est tenace dans cette région et de nombreuses personnes n’ont d’autre choix que d’aller puiser dans les ressources naturelles du parc qui s’amenuisent.
« En regardant autour de moi, je me rends compte que beaucoup de communautés ne tirent pas énormément de bénéfices des activités du parc, bien qu’elles le soutiennent, » a déclaré à Mongabay Umar Buba, directeur du Gashaka Biodiversity Project.
« On a tendance à envisager ce parc sous un angle négatif, les habitants de la région pensent que le parc va les priver de leurs ressources naturelles. Parmi les habitants, on comptait en majorité des agriculteurs, des chasseurs et des herboristes, mais avec l’ouverture du parc, ils n’ont plus librement accès à toutes ces ressources, » a-t-il déclaré.
Buba et ses collègues nuancent que si les habitants de la région gagnaient mieux leur vie, ils ne se mettraient pas à braconner, pêcher ou abattre illégalement des arbres, activités qui menacent de plus en plus le parc.
Le diamant de l’ouest africain
Avec plus de 6 700 km2 de splendides paysages ondoyants et de rivières bordées d’une dense galerie forestière rompue par des montagnes à l’état brut, Gashaka-Gumti est l’un des plus grands parcs de l’ouest de l’Afrique. Dans le parc, les quatre zones distinctes de végétation (savane, forêt tropicale, prairie et forêt boréale) alliées à la combinaison peu commune d’un climat à la fois tropical et sub-tempéré ont permis la création de différents habitats pour accueillir différentes espèces.
Lions (Panthera leo), léopards (Panthera pardus), guépards (Acinonyx jubatus), chiens sauvages (Lycaon pictus), bisons (Syncerus caffer), plusieurs espèces d’antilopes (famille des bovidés), éléphants (Loxodonta africana), hippopotames (Hippopotamus amphibius), et crocodiles (famille des crocodilidés) sont autant d’espèces autochtones du parc. L’ONG britannique BirdLife International a classifié le parc « Zone importante pour la conservation des oiseaux », on y dénombre pas moins de 366 espèces d’oiseaux, dont une en danger.
Mais le parc est également l’un des meilleurs sanctuaires pour les primates sur le continent africain, la plupart des communautés musulmanes ne sont pas consommatrices de primates. De l’avis des chercheurs et des quelques visiteurs du parc, les primates les plus intéressants et les plus attachants sont les chimpanzés. Gashaka-Gumti est un véritable bastion de sous-espèces uniques comme le chimpanzé du Nigeria (Pan troglodytes vellerosus), que l’on trouve uniquement au Nigeria et au Cameroun d’après le zoo de Chester. Dans le parc, on trouve aussi d’autres primates comme le colobe guéréza (Colobus guereza), le hocheur (Cercopithecus nictitans), le patas (Erythrocebus patas) et la mone (Cercopithecus mona).
Une telle diversité biologique a suscité un grand intérêt des chercheurs et des communautés pour la conservation. D’importants défenseurs de l’environnement internationaux et nigérians, notamment Okeyoyin Okedeji Agboola, ancien conservateur du parc, et aujourd’hui représentant du service des parcs nationaux du Nigeria, choisissent ce parc pour leurs recherches.
Le Gashaka Biodiversity Project est en fait la renaissance récente de l’ancien Gashaka Primate Project, un travail de recherche en primatologie basé à Kwano, terre de forêt tropicale abandonnée située à l’intérieur du parc, au pied des 1 500 mètres du plateau de Mambila. Le Gashaka Primate Project représentait le fruit d’un travail collaboratif entre le parc et le University College de Londres qui faisait venir des dizaines d’étudiants du Nigeria et de l’étranger chaque année.
Rébellion locale contre le parc
Comme de nombreux parcs en Afrique sub-saharienne, Gashaka-Gumti doit faire face à diverses menaces. L’une des principales menaces vient du financement très faible pour gérer l’administration et l’infrastructure du parc. Une autre des ces menaces vient de la pression exercée par la population de la région de Serti, par les huit enclaves plus petites dans le parc, et par les communautés vivant en dehors des limites du parc.
La situation s’est aggravée avec l’arrivée de réfugiés fuyant l’insurrection dans le nord-est du Nigeria et d’éleveurs nomades venant de régions touchées par la sécheresse dans le Sahel du Nigeria, du Niger et du Tchad. Comme ils ont perdu leurs pâturages à cause de la désertification et de l’insurrection, ces nomades traditionnels ont pris la route du sud avec leur bétail, formant une marée humaine sans précédent. Les rencontres entre ces nomades, n’ayant pas de foyer et toujours armés, finissent souvent par faire des victimes dans le camp des gardes-forestiers. Rien que l’année dernière, deux gardes-forestiers ont été tués par les nomades.
De plus, il semble qu’une rébellion ait émergé au sein des communautés du Parc national de Gashaka-Gumti, celles-ci ont attendu pendant plus de vingt ans après la mise en place du parc que les retombées économiques de la conservation grâce au tourisme portent leurs fruits. Il y a eu très peu d’investissements dans les infrastructures touristiques, et de ce fait, il y a eu très peu de visiteurs, et, selon les communautés, les désagréments causés par le parc sont plus importants que n’importe quel bénéfice économique qu’il pourrait faire.
Par exemple, la protection du parc empêche les véhicules commerciaux d’y circuler librement, ce qui complique grandement les choses pour les habitants du parc. Il s’avère difficile d’évacuer les malades vers des dispensaires, et, de la même façon, il est difficile pour les agriculteurs autorisés à cultiver la terre dans le parc de transporter le surplus de récoltes vers les marchés de village pour les vendre.
Tout ceci vient s’ajouter à des conditions de vie difficiles dans le parc et ses alentours. Selon le zoo de Chester, le taux de pauvreté augmente considérablement, l’espérance de vie tourne autour de 40 ans et le taux de mortalité infantile est assez élevé. Aucun habitant des communautés enclavées n’a jamais fait d’études supérieures. Comme les politiciens locaux estiment que la faible population du parc est peu rentable en terme de votes, le développement de projets locaux parviennent rarement jusqu’à ces communautés.
« Ils n’arrêtent pas de parler de conservation, conservation et encore conservation. Combien d’entre nous ont pu profiter du SURE-P ? » C’est une question posée par Sali Umar Bello, un chauffeur de moto-taxi de presque trente ans soucieux de se faire entendre. Il s’est exprimé pour Mongabay lors d’une promenade dans l’enclave reculée de Gashaka cet automne. Dans ce commentaire, Umar fait référence au programme de subventions, de réinvestissements et d’autonomie (Subsidy Reinvestment and Empowerment Programme) créé par le gouvernement nigérian ; il s’agit d’un vaste programme de développement des infrastructures et de diminution de la pauvreté qui fournit des équipements aux nouvelles entreprises ou encore, qui finance les jeunes actifs qui montent des entreprises.
« Regardez autour de vous. Nous n’avons pas de collège ou de lycée, tout ce que nous avons c’est une école primaire, et pour accéder aux classes supérieures, il faut aller à Serti, » et d’après Bello, seuls quelques étudiants qui ont la chance d’avoir de la famille sur place peuvent se permettre d’aller à Serti.
Face à de maigres perspectives d’avenir, les jeunes des communautés enclavées du parc sont de plus en plus impliqués dans des crimes contre les ressources naturelles du parc comme le braconnage ou l’abattage illégal des arbres, ils sont également souvent soupçonnés dans le nombre croissant d’affaires de feux de forêts. L’année dernière par exemple, trois campements de gardes-forestiers enfoncés dans le parc ont été incendiés dans ce qui semble être des incendies volontaires.
D’autres activités de subsistance détériorent le parc. Lorsque l’herbe est sèche, les nomades qui font paître leur bétail dans le parc y mettent parfois le feu pour favoriser la culture de nouvelles pousses pour leurs animaux.
Certains grands carnivores sont de plus en plus rares dans le parc et le service des parcs nationaux du Nigeria estime que le lion y est éteint. D’après un rapport du service des parcs nationaux du Nigeria, lors d’une étude menée en 2009, une équipe de recherches a observé des pistes et excréments d’un seul et unique léopard mais aucune trace de la présence de lions. Les chercheurs ont pu observer seulement 26 grands ongulés et 1600 têtes de bétail au cours de leurs recherches.
« L’empoisonnement d’un lion par un berger en 2008… est une preuve flagrante que les lions sont tués en représailles pour protéger le bétail, » a conclu le rapport, précisant que la possibilité que les lions repeuplent Gashaka-Gumti par l’intermédiaire d’un parc national voisin situé au Cameroun est « fortement improbable si le parc ne parvient pas à être protégé de l’invasion des bétails. »
Le Projet Gashaka pour la biodiversité
Buba, trapu et plein de douceur, est biologiste et l’un des vétérans du Gashaka Primate Project. Grâce au soutien et à l’aide financière de ce projet, Buba a pu poursuivre ses études jusqu’à l’obtention de son doctorat en 2014. Avec le temps, il s’est rendu compte que la protection du parc Gashaka-Gumti, qui est un parc immense au relief accidenté et situé à proximité d’une zone montagneuse, frontière internationale avec le Cameroun, est quasiment impossible sans le soutien de la population locale. Les études seules ne permettront pas de répondre à l’immense défi de conservation du parc.
En 2014, le zoo de Chester a pris les rênes du Gashaka Primate Project, relayant l’université de Londres, lorsque le programme a été modifié pour étudier tout l’écosystème de Gashaka au lieu de se concentrer uniquement sur les primates. Le zoo est en collaboration avec le parc depuis longtemps ; depuis 1994, il travaille pour le Gashaka Primate Project afin d’aider à bâtir un centre de formation professionnel ainsi que des campements permanents pour les gardes-forestiers dans les zones reculées du parc, il aide aussi à former les habitants de la région à la fabrication du savon, des onguents et autres produits de toilette.
Buba a décidé de rester pour gérer le Gashaka Biodiversity Project, afin de faire avancer le programme en créant une collaboration avec les habitants de la région pour mieux répondre à leurs besoins ; c’est une part importante de la mission de conservation du projet.
Mais il a fallu être convaincant. « Le zoo de Chester était assez réticent car ils ne savaient pas comment intégrer les habitants de la région. Ils se concentraient plutôt sur la faune et la flore du parc, » a déclaré Buba. « J’ai insisté sur le fait qu’on ne peut pas se concentrer uniquement sur la faune et la flore, ces espèces ne peuvent pas s’auto-détruire. Seuls les hommes sont à l’origine de leur disparition, et nous devons commencer par collaborer avec les habitants de la région ou faisant en sorte qu’ils s’investissent dans le projet. Si nous parvenons à endiguer cette menace latente, alors nous pourrons accomplir de grandes choses. »
Le zoo a fini par accepter. Le Gashaka Biodiversity Project a alors continué ses recherches en se concentrant sur la conservation. Mais le projet s’est également élargi pour s’intéresser aux besoins des habitants de la région en les formant sur la façon dont l’écologie du parc aide à soutenir le développement économique et la santé des hommes, en créant des emplois et en développant des cadres de vie durables.
C’est en travaillant en collaboration avec Scott Wilson, à la tête des programmes sur le terrain du zoo, que Buba a pu s’assurer du soutien de club de football d’Everton pour donner le coup d’envoi de la partie ‘amélioration du cadre de vie’ du projet. (Buba espère que le club continuera à soutenir le projet, mais celui-ci ne s’est pas encore engagé.)
Jusqu’à présent, les activités de développement du projet comprennent la distribution de moustiquaires ainsi que l’organisation d’une équipe de soins mobile qui se déplace dans les communautés locales afin d’examiner et de distribuer des médicaments gratuitement. Si le programme parvient à récolter des fonds supplémentaires, il envisage d’apporter son soutien aux étudiants ambitieux venant des communautés enclavées dans la poursuite de leurs études supérieures et à maintenir les ateliers de fabrication des produits de toilette et autres revenus durables.
D’après Buba, ces initiatives ont permis de rallier plusieurs personnes à la cause du parc, de plus, les habitants de la région ont été ravis d’apprendre les différentes façons dont les écosystèmes du parc peuvent être bénéfiques pour les hommes, en leur procurant notamment de l’eau potable.
« Maintenant, nous pouvons dormir en paix, sans craindre de se faire piquer par des moustiques, de les entendre constamment ou que mes enfants subissent fréquemment des crises de paludisme. Nous sommes d’ailleurs reconnaissants au parc pour tout cela, » a déclaré à Mongabay Amina Buba (sans aucun lien avec Umar), un habitant du village de Gashaka. Le programme lui a fourni à elle, à ses trois enfants, ainsi qu’à environ soixante personnes, des moustiquaires neuves.
Une nouvelle façon d’aborder la conservation
Les initiatives du Gashaka Biodiversity Project pour sensibiliser les habitants de Gashaka-Gumti coïncident avec l’appel des spécialistes en conservation à se remettre en question.
« Les gens pauvres qui vivent autour des forêts riches ont le sentiment que l’on se concentre davantage sur la conservation de la biodiversité que sur la diminution de la pauvreté humaine, et en particulier quand ils survivent en chassant et en récoltant les produits de la forêt. Nous devons faire une analyse coût-bénéfice, la mettre en pratique, afin de conjuguer protection des espèces et diminution de la pauvreté. Tout ceci reste à faire, » a déclaré à Mongabay Ako Amadi, ancien directeur de la Fondation nigériane pour la conservation (Nigerian Conservation Foundation.)
Sur tout le continent africain, de nombreux parcs doivent faire face aux problèmes soulignés pas Amadi. Quelques années après la création d’un nouveau parc, les populations coincés à l’intérieur finissent par être oubliées au profit de la protection de la biodiversité non-humaine. Ceci peut entraîner la révolte discrète des locaux, et en particulier des jeunes, qui se tournent vers les ressources protégées pour répondre à leurs besoins quotidiens mais aussi pour protester contre un système qui, selon eux, les empêche de se développer.
Amadi, Buba, et d’autres encore sont persuadés que les défenseurs de l’environnement doivent élargir leurs horizons des simples études, législations et applications s’ils veulent aboutir à quelque chose. Peu de temps après le match de football à Serti, Buba nous a offert une brève analyse du problème du point de vue des habitants de Gashaka-Gumti. « Ce ne sont pas les recherches qui vont mettre du pain sur la table des pêcheurs, des chasseurs et des agriculteurs, » a-t-il déclaré.
Tout comme d’autres défenseurs de l’environnement, il pense que prendre en charge les problèmes des hommes assurera la viabilité de la conservation et sera mutuellement bénéfique, et à présent, ils veulent élargir le débat sur la question de l’amélioration de la cohabitation entre les parcs sur le continent africain et leurs habitants.
Citations
- Saidu, Y. A Survey on the Status and Distribution of the Lion (Panthera Leo) In Nigeria. National Park Service, Abuja, Nigeria. December 2010. Available: http://global.wcs.org/Resources/Publications/CategoryID/926.aspx.