Nouvelles de l'environnement

L’effet domino de l’expansion des plantations de palmiers à huile : l’industrie porcine est en essor, d’autres espèces en pâtissent

  • Matthew Luskin, chercheur à l’Université de Berkely aux États-Unis, a passé la majeure partie de ces deux dernières années à examiner les conséquences indirectes de l’essor de l'industrie de l’huile de palme sur l’environnement.
  • Les résultats de son travail soulèvent de nombreuses questions quant à la viabilité des terrains que les industriels de l’huile de palme se doivent de laisser inexploités au titre de leurs engagements de conservation.
  • En plus des résultats de l’étude, son travail a également permis d'obtenir de nombreuses photos et vidéos stupéfiantes.

Cette interview de Matthew Luskin est l’une de nos interviews de jeunes scientifiques.

Pas besoin d’être un grand clerc pour observer les conséquences directes de la transformation de forêts tropicales et de tourbières en plantations industrielles de palmiers à huile : remplacer un système diversifié constitué de plusieurs centaines d’espèces d’arbres par une monoculture anéantit les niches écologiques et entraîne un déclin de la biodiversité. Mais les conséquences indirectes, elles, sont plus difficiles à observer.

Matthew Luskin, chercheur à l’Université de Berkely aux États-Unis, a passé la majeure partie de ces deux dernières années à examiner les effets indirects de l’essor de l’industrie de l’huile de palme sur l’environnement, et notamment les changements observés chez deux des espèces qui tirent le plus profit de cette industrie : le sanglier et le singe. Bien que ses recherches ne soient pas encore terminées, il a déjà découvert que ces deux espèces généralistes endommagent encore plus l’écologie des forêts qui ont réussi à survivre aux ravages de l’industrie de l’huile de palme. Les résultats de son travail soulèvent de nombreuses questions quant à la viabilité des terrains que les industriels de l’huile de palme se doivent de laisser inexploités au titre de leurs engagements de conservation.

Pour arriver à ces conclusions, il a fallu bien plus que des rondes autour des plantations de palmiers à huile et des parcelles de forêts. Pour déterminer ce qui est naturel dans les endroits où il travaille, Matthew Luskin a randonné pendant des mois dans les forêts de Sumatra et installé de nombreux pièges photographiques permettant d’observer des espèces sauvages assez rares. En plus des résultats de l’étude, son travail a également permis d’obtenir de nombreuses photos et vidéos stupéfiantes.

Mongabay a rencontré Matthew Luskin à l’occasion d’une interview au mois de novembre 2015.

Researcher Matthew Luskin at the tail end of a three week expedition to collect camera traps from Gunung Leuser National Park. Photo courtesy of Matthew Luskin / NGS.
Le chercheur Matthew Luskin à la fin d’une expédition de trois semaines visant à récupérer des pièges photographiques dans le parc national de Gunung Leuser. Photo publiée avec la permission de Matthew Luskin / NGS

Entrevue avec Matthew Luskin

Quel est votre parcours et qu’est ce qui vous a poussé à mener une carrière scientifique ?

Depuis tout petit je voulais devenir un scientifique. À l’époque, je vivais dans la forêt tropicale avec ma famille. Nous avions déménagé dans une région rurale sur la côte pacifique du Costa Rica. Être immergé de la sorte dans la jungle humide et voir de près des singes et des paresseux fut pour moi une expérience courte, mais néanmoins formatrice, qui a affecté ma vie adulte et m’a inconsciemment poussé à découvrir d’autres forêts tropicales dès que j’avais assez d’argent de côté. Dix ans plus tard, j’avais consacré presque tout mon temps libre à voyager. Mais ça en avait valu la peine car cela m’a permis de développer une forte connexion avec les forêts tropicales ainsi qu’un intérêt profond pour leur sauvegarde. J’ai finalement opté pour une carrière scientifique pour pouvoir étudier mes jungles préférées et c’est une décision que je n’ai jamais regrettée.

Cameras set in this patch of forest in Kerinci Seblat National Park were lost when it was illegally cleared just weeks later. In this photo Matthew Luskin is taking coordinates for a report to the National Park. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Des appareils photo installés dans cette partie de la forêt dans le parc national de Kerinci Seblat ont été perdus après quelques semaines seulement suite à une déforestation illégale. Sur cette photo, Matthew Luskin notes les coordonnées géograhiques pour faire un rapport au parc national. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Sur quoi portent actuellement vos recherches ?

Mon programme de recherches vise à comprendre dans quelle mesure la déforestation, l’industrie de l’huile de palme et la chasse changent l’écosystème sauvage des forêts tropicales en Asie du Sud-Est. J’étudie les problèmes de conservation contemporains et j’organise des interventions à but écologique. Mes premiers sites d’étude sur l’île de Sumatra en Indonésie sont également ceux qui affichent le taux de déforestation le plus élevé au monde. Alors que la plupart des gens pensent que travailler ici est intimidant, cela me procure une sensation d’urgence, d’excitation et de dynamisme. Récemment, je me suis principalement penché sur l’importance des tigres de Sumatra dans la dynamique proies-prédateurs et l’équilibre du réseau alimentaire. J’utilise ces résultats pour comprendre comment les cascades trophiques endommagent la biodiversité et pour planifier des interventions de conservation.

A male Great Argus Pheasant, Argusianus argus, performing a mating dance in front of a female (plumage not spread) in Bukit Barisan Selatan National Park, Sumatra. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Un argus géant mâle, Argusianus argus,en pleine parade nuptiale devant une femelle (plumage non déployé) dans le parc national de Bukit Barisan Selatan à Sumatra. Photo de Matthew Luskin / NGS.
This male Sunda clouded leopard (Neofelis diardi) is shown scent-marking on a camera trap in Gunung Leuser National Park. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Cette panthère nébuleuse de Bornéo mâle (Neofelis diardi) apparaît marquant son territoire sur cette photo prise par un piège photographique dans le parc national de Gunnung Leuser. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Passez-vous beaucoup de temps sur le terrain ? Et quel serait pour vous une journée type sur le terrain ?

J’ai passé plus de deux ans dans les forêts tropicales de Malaisie et d’Indonésie. Dans le cadre de mon dernier projet, je me suis rendu dans les trois plus grands parcs nationaux de Sumatra pour treize mois d’expédition dont le but était de poser des pièges photographiques. Ma méthode initiale dans l’étude d’animaux très furtifs de la forêt tropicale consiste à utiliser des centaines de pièges photographiques contrôlés à distance et dispersés sur un très vaste territoire (entre 500 et 1 000 km²). Pour mettre en place ces dispositifs, il a fallu une douzaine d’expéditions d’une durée de 2 à 3 semaines dans les régions les plus reculées de Sumatra, et cela m’a permis de voir de très près toutes les espèces emblématiques qui me tiennent à cœur : des tigres, des panthères nébuleuses, des orang-outans, des siamangs, mais aussi mes ennemis de la jungle, les macaques, qui sont tellement curieux qu’ils finissent inévitablement par voler ou casser nos équipements.

Une journée type commence par un réveil à l’aube à même le sol, pris en sandwich entre deux assistants de terrain fort malodorants (tout comme moi-même d’ailleurs) et au son des chants d’oiseaux. Notre petit-déjeuner consiste invariablement en un plat de riz accompagné de poisson sec et de piments (car il existe très peu d’aliments qui tiennent plus de 20 jours dans la jungle humide), le tout agrémenté d’une tasse de savoureux café produit dans le village local : non-filtré et presque crémeux, ce breuvage nous met du baume au cœur et nous redonne de l’énergie pour surmonter nos vives douleurs. À 8 heures, nous rangeons nos tentes dans nos trois immenses sacs à dos et commençons la randonnée.

When wading through the lowland swamps of Kerinci Seblat National Park, pants and boots add unnecessary drag. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Pour se déplacer dans les marais du parc national de Kerinci Seblat, les pantalons et les bottes freinent la progression. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Étant le chef d’une expédition, ma mission principale est de guider mon équipe dans une forêt inexplorée jusqu’à des zones aléatoirement prédéfinies, où nous devons installer des pièges photographiques. Pour ce faire, nous devons observer tout autour de nous et déceler des indices tels que la taille de la rivière ou notre direction, mais aussi escalader pour atteindre des points d’observation qui surplombent la canopée pour pouvoir éviter des falaises et autres obstacles. À chaque pas, nous devons nous frayer un chemin au travers de lianes et autres plantes grimpantes ou épineuses. Nous sommes constamment sur nos gardes pour éviter de tomber sur des serpents bien camouflés, des fourmilières ou des nids de guêpes. Tout cela prend énormément de temps et est extrêmement épuisant : en quatre heures de marche, nous parcourons parfois tout juste 2 km. Puis les pluies quotidiennes de milieu de matinée nous rendent la tâche encore un peu plus difficile. À la pause de midi, le plat de riz et de poisson sec nous semble bien plus appétissant et nous nous installons sur de larges pierres au milieu d’une rivière, l’un des rares endroits où nous sommes à l’abri des attaques incessantes de sangsues. Après une courte baignade, nous recommençons à frayer notre chemin et finissons toujours la journée au bord d’une rivière ou d’un cours d’eau pour pouvoir se laver, boire et préparer quelque chose à manger. En guise de tente, nous accrochons une large bâche entre les arbres et en étendons une autre sur le sol pour dormir dessus. Nous allumons un petit feu (souvent à l’aide d’un peu d’essence) pour préparer le riz et le poisson sec qui constitue notre dîner. Pour finir, les deux ou trois autres hommes et moi-même nous asseyons près du feu et nous nous reposons. Il est parfois difficile de communiquer car ces hommes parlent chacun le dialecte de leur groupe ethnique local. Nous finissons donc par parler indonésien, la deuxième ou troisième langue de chacun d’entre nous. Les dix premiers jours, nous apprenons à mieux nous connaître et les dix derniers jours, nous nous racontons nos histoires. Sur un fond de cacophonie de cigales, nous comparons nos cultures respectives et partageons des histoires sur la forêt.

The three-person field team constructs a new simple shelter each night at a new location. To travel light, they only bring two tarps and make the frame from local plants. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Les trois personnes qui constituent l’équipe de terrain construisent un abri simple chaque soir à un endroit différent. Pour voyager léger, ils n’emportent que deux bâches et construisent le cadre de leur abri à partir de végétaux présents autour d’eux. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Mon moment préféré de la journée est quand nous récupérons et regardons les photos qui ont été prises par des pièges photographiques installés auparavant. Quand j’insère la carte mémoire dans l’appareil, le son « ding » signale que les photos peuvent être visionnées et les autres arrêtent ce qu’ils sont en train de faire pour venir s’entasser autour de l’appareil. « Regarder les photos prises par un piège photographique c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ». En faisant défiler les photos, il y en a toujours une centaine (ou un millier) d’un seul animal qui fait une sieste, ou d’un groupe de singes déterminés à arracher un appareil photo de son emplacement ou à en mâchonner les lanières. Cela nous fait bien rire quand les singes sont pris en photo en plein accouplement (les hommes s’esclaffent alors « Membuat porno ! ») et nous gigotons quand ce sont des porcs-épics (« pelan-pelan hati-hati » [doucement, attention] rigolent-ils). Puis, comme si nous étions traversés par un puissant vent froid, nous sommes poussés en arrière et chacun d’entre nous s’exclame « oooohhh » : la simple vue d’un grand tigre mâle surprend tout le monde. Nous regardons à quelle heure la photo a été prise : le tigre était ici il y a tout juste trois jours… ça se sera pas facile de fermer l’œil ce soir.

Luskin uses a massive tree fall as a short cut over a steep ravine in Gunung Leuser National Park. Photo courtesy of Matthew Luskin / NGS.
Matthew Luskin utilise la chute d’un arbre massif pour créer un raccourci par dessus un ravin abrupt dans le parc national de Gunung Leuser. Photo publiée avec la permission de Matthew Luskin / NGS.

Comment des espèces sauvages peuvent-elles tirer profit des plantations de palmiers à huile ? Des espèces sortent-elles « gagnantes » de cette industrie ?

J’ai en réalité commencé ma thèse en me posant la même question. J’ai donc réalisé une analyse en profondeur de l’habitat de différentes plantations qui recouvrent maintenant les plaines de l’Asie du Sud-Est et examiné les empreintes pour déterminer à quels animaux sauvages elles appartenaient. Les résultats ont révélé que, bien que les plantations finissent par se trouver très près des canopées, elles continuent à être utilisées par un petit nombre d’espèces sauvages, notamment les sangliers sauvages et les singes.

Ma prochaine étape a consisté à déterminer si l’utilisation des terres cultivées (le pillage de cultures) par les sangliers et les singes a augmenté ou diminué leur nombre dans les forêts avoisinantes où ils vivent, et ce à l’aide d’un grand nombre de pièges photographiques installés dans les forêts plus ou moins proches des plantations de palmiers à huile. J’ai également surveillé la reproduction des laies en comptant le nombre de nids fabriqués par les mères à partir de jeunes arbres et plantes. Les résultats indiquent très clairement que le nombre de sangliers et de singes dans cette région est 10 à 20 fois plus élevé près des plantations qu’en plein milieu des forêts. Il est clair que ces deux espèces sont nos « gagnants », puis j’ai pensé que ces sangliers pourraient représenter beaucoup de bacon pour les tigres !

Pour estimer s’il serait possible que les sangliers et les singes attirent les tigres près des plantations, voire qu’ils encouragent la prolifération des tigres, j’ai à nouveau utilisé un vaste réseau de pièges photographiques à des distances variées des plantations. Pourtant, en raison d’une forte activité de braconnage en lisière des plantations (où ils sont plus faciles à repérer) les tigres de Sumatra ne se sont pas particulièrement rapprochés des plantations bien que les proies y soient plus nombreuses.

A group of elusive nomadic bearded pigs (Sus barbatus oi) in Kerinci Seblat National Park. Little is known about where these animals go , but their range has has drastically shrunk in Sumatra due to habitat loss. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Un groupe de sangliers à barbe (Sus barbatus oi) nomades et furtifs au parc national de Kerinci Seblat. Nous en savons très peu sur la destination de ces animaux mais leur nombre a diminué de façon drastique à Sumatra à cause de la destruction de leur habitat naturel. Photo de Matthew Luskin / NGS.

La chasse représente-t-elle un problème pour les animaux qui vivent près des plantations ?

Sans aucun doute. La chasse de subsistance et le braconnage d’espèces sauvages pour la médecine sont pratiqués dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est. D’après mes résultats précédents, j’ai pensé que les populations qui vivent près des plantations de palmiers à huile chasseraient les sangliers et les singes au vu de leur abondance. Mais cette idée s’est avérée assez étroite d’esprit car je me suis basé sur le fait qu’en Californie, là où j’ai grandi, les chasseurs considèrent la viande de sanglier comme un mets de valeur. À l’inverse, les habitants de Sumatra et de la Malaisie péninsulaire sont en majorité musulmans et suivent un régime halal qui exclut la consommation de viande porcine. L’idée paradoxale d’une abondance de gibier sauvage et de l’absence de personnes pour les chasser m’a intrigué.

Afin de mieux comprendre les relations entre les habitants et les animaux sur les sites de mes recherches, j’ai mis en place une étude basée sur un système d’interviews pour mieux comprendre les modèles de chasse locaux et la consommation de gibier sauvage. Les résultats étaient surprenants : en réalité, les fermiers musulmans chassent bel et bien les singes et les sangliers, mais dans l’unique but de les empêcher de ravager les cultures. Pendant ce temps, les Chinois des zones urbaines qui, eux, consomment de la viande porcine, ont commencé à chasser. Ils ont même développé de nouvelles techniques de rassemblement de troupeaux et de capture au filet d’un grand nombre de sangliers au sein des plantations. Cette technique de chasse a l’avantage de ne tuer que très peu d’autres espèces non désirées et de permettre de contrôler la surabondance de sangliers nuisibles : ainsi (et c’est rare), tout le monde y gagne du point de vue de la conservation.

Expedition leaders Wido Rizqi Albert, Matthew Luskin, and Edi Siarenta Sembiring, and their field teams in the village of Tangkahan. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Les meneurs de l’expédition Wido Rizqi Albert, Matthew Luskin, et Edi Siarenta Sembiring en compagnie de leurs équipiers de terrain dans le village de Tangkahan. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Comment les plantations de palmiers à huile peuvent-ils impacter les communautés animales sauvages des forêts environnantes ?

Les sangliers et les singes comptent parmi les espèces les plus destructrices de la planète : ils endommagent la végétation dans les forêts, mangent tous types d’animaux de petite taille comme des lézards, des grenouilles, et même les œufs et la progéniture d’espèces qui se reproduisent au sol. En plus de cela, ils dominent d’autres espèces telles que le muntjac ou le grand chevrotin malais, à la fois agressivement et indirectement en consommant leur nourriture (les écologues appellent « compétition par exploitation » cette forme de diminution de la quantité de ressources disponibles). Les sangliers et les singes étant omnivores et pouvant manger tout ce qu’ils trouvent, ils diminuent les chances de survie des autres espèces.

Des réserves forestières doivent être mises en place par les industriels de l’huile de palme au titre des politiques de la Table ronde pour une huile de palme durable, aussi connue sous le sigle RSPO. Qu’est ce que cela signifie ?

La dégradation des lisières des forêts signifie que la mise en place de réserves de petite taille sera inefficace pour préserver des communautés animales sauvages saines. Dans les faits, les forêts dites « à haute valeur de conservation » (HVC) créées par les industriels de l’huile de palme, moi je les appelle des « élevages de singes et de sangliers ». Plutôt que de mettre en place des petites réserves, mes recherches montrent que la création de larges régions forestières protégées est la seule et unique façon de conserver les réseaux alimentaires ainsi qu’un écosystème parfaitement équilibré. Il existe maintenant des projets ambitieux pour porter les certifications de durabilité à une échelle du paysage, notamment à Sabah, l’un des États malaisiens de l’île de Bornéo, et ceux-ci seraient capables de protéger une plus grande surface forestière et ainsi de contribuer réellement à la conservation de la faune sauvage sur le long terme.

A mother with large juvenile Malayan or Asian tapir (Tapirus indicus) in Bukit Barisan Selatan National Park. This species is endangered due to habitat loss. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Une mère tapir de Malaisie (Tapirus indicus) et son petit dans le parc national de Bukit Barisan Selatan. Cette espèce est menacée en raison d’une destruction de son habitat naturel. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Ceci s’applique-t-il également aux zones riveraines ?

Les zones riveraines peuvent aider à garder des cours d’eau sains à la fois pour les espèces aquatiques et pour les personnes. Pour ces raisons-ci, je suis pour la conservation de forêts situées à proximité de rivières et il ressort un avantage supplémentaire des forêts riveraines si elles jouent en plus le rôle de couloir pour les déplacements des espèces sauvages. Pourtant, les zones riveraines sont souvent affectées par une surpopulation de sangliers et de singes qui dégradent la forêt et endommagent l’agriculture. Ainsi, les forêts riveraines seules ne pourront pas contribuer significativement à la conservation des espèces sauvages et devraient donc faire l’objet d’un projet complémentaire à celui de conservation des espèces sauvages.

The Sunda flying fox or Sunda fruit bat (Acerodon mackloti) is endemic to Indonesia and known to forage within plantations. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Le renard volant de Sunda ou petite roussette de Sunda (Acerodon mackloti) est endémique d’Indonésie et est connu pour chercher sa nourriture dans les plantations. Photo de Matthew Luskin / NGS.
Endangered spiny turtles (Heosemys spinosa) that are hunted for the Asian food market and the international pet trade, seen here in Bukit Barisan Selatan National Park. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Heosemys spinosa, une espèce de tortue menacée d’extinction chassée pour le marché alimentaire asiatique et pour le commerce international des animaux de compagnie, photographiée ici dans le parc national de Bukit Varisan Selatan. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Dans quelle mesure les changements socio-économiques qui découlent de l’industrie de l’huile de palme ont-ils affecté les espèces sauvages ?

Là où je travaille, une pauvreté généralisée ainsi qu’une urbanisation des paysages sont les conséquences directes du développement et du profit de cette industrie. Par exemple, le taux de scolarisation des enfants a augmenté et il est maintenant plus facile d’obtenir des soins de santé. Avec mes recherches, j’ai découvert que ces changements ont globalement réduit la demande en gibier sauvage, ce qui diminue la récolte d’animaux sauvages per capita. Toutefois, lorsque le gibier sauvage devient un bien de luxe, des salaires plus élevés peuvent en réalité conduire à une demande et à une récolte plus élevées. Un exemple à Sumatra est le commerce d’oiseaux que l’on trouve dans quasiment toutes les habitations pour leurs chants. La capture d’oiseaux à Sumatra dans cet unique but est si peu viable qu’aujourd’hui, certaines forêts sont quasiment dénuées de bruits d’oiseaux, pourtant un signe caractéristique de beaucoup de forêts tropicales.

Les résultats de vos recherches ont-ils été influencés par les nombreux incendies qui se déclenchent actuellement à Sumatra ?

Actuellement, une crise de brume est causée par les feux dans les plantations qui ravagent souvent de petites forêts, telles que celles à haute valeur de conservation. C’est une autre raison pour laquelle les efforts de conservation devraient plutôt se concentrer sur des forêts plus grandes et plus résistantes aux incendies.

A family of critically endangered elephants (Elephas maximus sumatrensis) in Gunung Leuser National Park are caught destroying a camera trap. Since cameras are mounted with chains, the elephants uprooted the entire tree and stomped it 1 foot into the mud. It's unclear exactly what the elephants hate about the cameras but it is a common issue wherever they are found.
Une famille d’éléphants en danger critique d’extinction (Elephas maximus sumatrensis) dans le parc national de Gunung Leuser, ici vue en train de détruire un piège photographique. Les pièges photographiques étant accrochés avec des chaînes, les éléphants ont déraciné l’arbre entier et l’ont enfoncé dans la boue à 30 cm de profondeur. On ne sait pas exactement pourquoi les éléphants détestent les caméras mais c’est un problème récurrent dans les zones où ils vivent. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Quels sont vos projets après ces recherches ?

Je termine mon doctorat cette année et je postule à des programmes post-doctoraux pour continuer mes recherches. J’aimerais travailler sur les impacts finaux de l’industrie de l’huile de palme sur les espèces d’arbres. Par exemple, il y a maintenant 10 fois plus de sangliers dans les forêts à proximité des plantations de palmiers à huile : comment cela va-t-il influencer les groupements d’arbres ? J’ai développé de nombreuses hypothèses sachant en déterminant quelles graines d’arbres les sangliers préfèrent manger, et donc quelles espèces seraient mieux dispersées. Je cherche également à savoir quelles sont les jeunes plantes que les sangliers utilisent pour fabriquer leurs « nids », car ces espèces peuvent aussi être impactées de façon disproportionnée. J’étudie ceci en me basant principalement sur l’observation de terrains clôturés en plein milieu de la forêt tropicale auxquels les animaux sauvages ne peuvent pas accéder. Et l’année prochaine, je prévois d’analyser les résultats en termes de reproduction des arbres.

The endangered Bornean white-bearded gibbon (Hylobates albibarbis) at a forest edge near a new palm oil plantation in Tanjung Puting National Park, Borneo. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Un gibbon à barbe blanche de Bornéo (Hylobates albibarbis), ayant le statut d’espèce menacée, ici à la lisière d’une forêt à proximité d’une nouvelle plantation de palmiers à huile, dans le parc national de Tanjung Puting à Bornéo. Photo de Matthew Luskin / NGS.
A family of Bornean orangutans (Pongo pygmaeus) in Tanjung Puting National Park, Borneo. The mother was rescued from a palm oil development and re-released as a juvenile here, but unable to survive in the wild because she lacked the careful upbringing required to find food throughout the year. Photo by Matthew Luskin / NGS.
Une famille d’orang-outans de Bornéo (Pongo pygmaeus) dans le parc national de Tanjung Puting à Bornéo. La mère a été sauvée d’une plantation en développement puis relâchée ici à un jeune âge, toutefois incapable de survivre dans la nature car elle n’a jamais appris à chercher sa nourriture seule et tout au long de l’année. Photo de Matthew Luskin / NGS.

Avez-vous des conseils à donner aux étudiants qui envisagent une carrière dans les sciences ?

Je leur conseillerais de faire une liste ou d’écrire un journal sur les différentes options de carrière qu’ils envisagent. Je me suis rendu compte qu’écrire pourquoi on voudrait suivre une carrière précise, ou bien ses désavantages, peut rendre la décision plus évidente. L’étape suivante est de demander à vos héros personnels, aux personnes qui vous inspirent, ce qui leur a plu et déplu dans leur travail et, s’ils pouvaient tout recommencer, ce qu’ils changeraient. Je fais encore ceci aujourd’hui, je parle avec des professeurs, des chercheurs, des dirigeants d’ONG, et avec toute autre personnes qui, selon moi, mène une carrière intéressante.

Ce que je préfère dans ma carrière, dans le fait d’être un scientifique, c’est que je suis libre de développer et de suivre des intérêts nouveaux et en évolution, grâce à cela je ne m’ennuie jamais ! Un aspect négatif est le salaire très (très) bas et la rude compétition pour obtenir un poste convenable. Un autre problème est qu’il faut changer de ville (ou de pays) trois ou quatre fois pour ces postes rares, et cela peut créer des tensions dans un couple et rendre plus difficile de fonder une famille. Mais il ne faut pas oublier un aspect primordial, celui de l’épanouissement personnel que l’on tire d’un travail qui porte sur un sujet passionnant, qui a un réel intérêt pour la société ou qui permet de faire avancer la science dans une certaine mesure.

Vidéos filmées par Matt Lukin avec des pièges photographiques dans le parc national de Bukit Barisan Selatan à Sumatra

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