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Mineurs indigènes : menaces et meurtres de chefs indigènes en Colombie

  • Fernando Salazar Calvo a été assassiné le 7 avril 2015, il était un membre actif d'une association de mineurs artisanaux de la réserve colombienne indigène Cañamomo Lomaprieta dont il était notamment le porte-parole.
  • Cette association, de même que d'autres dirigeants indigènes, lutte contre les exploitations minières destructives et la présence illégale de groupes armés dans la réserve.
  • Personne n'a été arrêté pour le meurtre de Salazar Calvo.

Les indigènes propriétaires de petites exploitations minières ainsi que les autorités traditionnelles de l’Ouest de la Colombie subissent des menaces depuis le meurtre d’un dirigeant autochtone au printemps dernier.

Le 7 avril 2015, alors que Fernando Salazar Calvo se trouvait devant sa maison, un individu non identifié a tiré des coups de feu qui l’ont mortellement blessé. Il était un membre actif de l’Association des mineurs artisanaux de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta (Association of Artisanal Miners of the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation, ASOMICARS) dont il était le porte-parole. Personne n’a été arrêté pour ce meurtre.

Située à environ 370 km à l’ouest de Bogota, la réserve inclut les villes de Ríosucio et Supía qui appartiennent au département de Caldas. D’une superficie d’environ 46 km² et accueillant 23 000 personnes réparties en 32 communautés, ce territoire collectif est administré par une autorité indigène connue sous le nom de cabildo. Il appartient au peuple indigène Embera Chamí qui possède plus de 20 resguardos (réserves) similaires. Embera Chamí est l’un des peuples indigènes du pays, qui en compte plus d’une centaine. L’agriculture est l’activité économique principale de la réserve, mais pour certains locaux, l’exploitation minière artisanale est une autre source de revenus depuis plus de 500 ans.

Fernando Salazar Calvo appears in this June 2014 photograph. He was murdered on April 7, 2015, apparently in connection with his work to maintain indigenous control of mining activities on the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation in northwestern Colombia . Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Photographie de Fernando Salazar Calvo prise en juin 2014. Il a été assassiné le 7 avril 2015, à cause de son implication, semble-t-il, dans la préservation du contrôle indigène des activités minières de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta qui se trouve au nord-ouest de la Colombie. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

Les dirigeants locaux d’Embera Chamí et d’ASOMICARS travaillent depuis de nombreuses années à réguler les petites exploitations minières de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta qui sont toutes exploitées par des autochtones. Leurs efforts sont pris en modèle par d’autres communautés autochtones et afro-colombiennes. La réserve, comme de nombreuses autres régions du pays riches en ressources, subit les menaces d’intervenants extérieurs, notamment de groupes armés illégaux ou d’exploitations minières qui s’intéressent aux importantes réserves d’or de la réserve. Les chefs de ASOMICARS et Embera Chamí, éprouvent des difficultés à conserver le contrôle des opérations qui ne relèvent pas de l’exploitation minière.

Le jour de son assassinat, Salazar Calvo avait enchaîné réunion et visites de communautés en compagnie de Fabio Moreno, le président d’ASOMICARS. Au cours des deux semaines précédant son meurtre, les deux hommes avaient reçu des menaces d’inconnus les sommant de se retirer du groupe de contrôle indigène des exploitations minières de la région. Quatre heures après s’être séparés, Salazar Calvo était abattu. Moreno déclare avoir appris la nouvelle du meurtre à son arrivée chez lui.

Lors d’un entretien téléphonique avec mongabay.com, Moreno constate que les temps sont difficiles. Il se cache depuis la nuit du meurtre de Salazar Calvo, quatre mois plus tôt. Il n’a vu sa famille que très brièvement et pour sa propre sécurité, il lui a été déconseillé de rentrer chez lui pour le moment. Il ajoute que tout le monde est effrayé.

 

Qui peut exploiter le sol des territoires indigènes ?

Les resguardos indigènes de Colombie s’apparentent aux réserves qu’on trouve aux États-Unis. Créés durant la période coloniale, les resguardos reléguaient les peuples indigènes sur une fraction seulement de leurs territoires ancestraux. La majorité du territoire devenait disponible pour la colonisation et l’extraction des ressources. Dans de nombreux cas, cependant, les resguardos sont devenues des bastions de l’autorité et de l’auto-gouvernance traditionnelles autochtones.

A view of mountains sacred to the Embera Chamí indigenous group on the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation. The mountains likely contain rich gold deposits and have been flown over by corporate prospectors without the consent of indigenous authorities, according to Viviane Weitzner, policy advisor with the NGO Forest Peoples Programme. Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Les montagnes sacrées du groupe autochtone Embera Chamí de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta. Il est fort probable que ces montagnes recèlent d’importants gisements d’or. D’après Viviane Wegner, conseillère politique auprès de l’ONG Forest Peoples Program, ces dernières ont été survolées par des entreprises prospectrices sans l’autorisation préalable des autorités autochtones. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

La constitution colombienne de 1991 reconnait la légitimité des cabildos (organisations politiques communautaires) ainsi que les droits des autorités autochtones à exercer leur juridiction dans leur territoire selon leurs us et coutumes. La constitution précise également la responsabilité des autorités autochtones dans la conception et l’application des politiques économiques, de développement social et des programmes de protection des ressources naturelles de leurs territoires. Les autorités de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta ont fait des progrès notables à cet égard, en dotant l’exploitation minière artisanale d’un cadre règlementaire.

En pratique, toutefois, les chefs d’Embera Chamí comme Moreno et ses homologues se sentent menacés du fait de leur intervention dans la régulation des mines de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta, selon eux et les organisations environnementales et de défense des droits de l’homme, et peu de mesures sont prises pour éviter de nouveaux massacres.

« Ils m’ont donné un gilet pare-balles et un téléphone, ce sont leurs mesures de précaution », explique Moreno. Le gouvernement les lui a fournis après le meurtre de Salazar Calvo mais il n’a reçu aucune nouvelle de l’avancement des enquêtes sur le meurtre, les menaces ou encore les plaintes pour intrusion de groupes armés dans les territoires de la réserve.

Malgré la peur ambiante, ASOMICARS et Embera Chamí continuent de surveiller les activités minières locales qui relèvent de leur juridiction. « Les gardes (autochtones) continuent à assurer une protection. Lorsque nous nous déplaçons pour effectuer une visite de contrôle, nous envoyons toujours des gardes. Là où nous en envoyions deux ou trois, aujourd’hui ils seront 10 », dit Moreno.

Members of the Indigenous Guard accompany reservation officials on an inspection of a small-scale gold mine on reservation territory. Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Des membres de la garde autochtone accompagnent les délégués de la réserve lors de l’inspection d’une exploitation aurifère du territoire. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

Les Embera Chamí extrayaient déjà de l’or de façon artisanale avant l’arrivée des Européens sur le continent et bien avant la création de l’État colombien. Les exploitations minières de petite taille de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta sont maintenant régulées par les autorités indigènes. Ces dernières ont également mis en place des protocoles et réglementations nécessitant la consultation ainsi que l’approbation de la population locale pour toute activité menée par des tiers sur le territoire collectif.

Entrance to an indigenous gold mine on the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation. Indigenous people have been conducting small-scale gold mining in the area for more than 500 years. Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Entrée d’une mine d’or indigène dans la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta. Les autochtones pratiquent l’extraction d’or à petite échelle dans la région depuis plus de 500 ans. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

L’exploitation minière artisanale à petite échelle est soumise à de nombreuses restrictions et réglementations en ce qui concerne l’habilitation des exploitants, les pratiques, les lieux ainsi que les quantités à extraire. Des plans de gestion environnementale et de fermeture de mines sont nécessaires, et des normes relatives au travail et à l’environnement protègent les personnes, les terres et les sources d’eau.

L’article 33 de la résolution réglementant l’extraction minière dans la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta datant du 17 juillet 2011 stipule que « les produits chimiques nocifs tels que le mercure ou le cyanure, qui affectent la santé des êtres humains ou la biodiversité du territoire, sont proscrits dans le procédé d’extraction de l’or ».

Dans une autre résolution adoptée l’année suivante, le 13 mars 2012, les autorités traditionnelles d’Embera Chamí ont classé le territoire comme inapproprié à l’exploitation minière de moyenne et large envergure. Durant la décennie précédant cette résolution, le gouvernement colombien a accordé des concessions minières se trouvant dans le territoire Embera Chamí de façon totalement unilatérale. Des entreprises minières multinationales, telles qu’AngloGold Ashanti qui est installée en Afrique du Sud, ont montré un intérêt et mené des activités d’exploration dans la région et même au sein de la réserve. Malgré cette résolution, les concessions minières empiètent toujours sur le territoire de la réserve. Le gouvernement colombien ne reconnaît pas la propriété ni l’autorité des indigènes sur les ressources du sous-sol.

Viviane Weitzner a expliqué à mongabay.com que « le simple fait d’accorder des concessions viole un certain nombre de droits humains resguardo puisque selon les lois nationales et internationales, ces concessions devaient être émises après consultation avec le peuple Embera Chamí et avec leur consentement. Or ce n’a pas été le cas, ni pour le resguardo, ni pour les autres régions de Colombie. » Conseillère en stratégie auprès de l’ONG Forest Peoples Program, une organisation basée au Royaume-Uni oeuvrant pour la défense des communautés forestières, Weitzner travaille actuellement avec les mineurs artisanaux d’Embera Chami et d’autres communautés indigènes et afro-colombiennes du pays.

A map of the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation shows that most of the indigenous territory has been solicited for mining concessions.  Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Cette carte de la réserve de Cañamomo Lomaprieta montre que la majorité du territoire indigène fait l’objet de demandes de concessions minières. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

« Il en résulte une escalade des conflits parce que les entreprises ou individus à qui ces concessions sont attribuées estiment qu’ils ont désormais le droit de prospecter le territoire », explique-t-elle.

L’Etat colombien et le peuple Embera Chamí ont des avis très différents quant à la propriété des ressources souterraines, selon Weitzner. « La situation est particulièrement tendue entre d’un côté l’État et sa politique par rapport aux ressources dans le resguardo, et de l’autre le resguardo lui-même qui estime que son peuple est dans son bon droit quant à ce qui advient des ressources de ses propres territoires. »

 

Saper l’autodétermination

L’État colombien et les entreprises d’exploitations minières ne sont pas les seuls intéressés par les riches ressources minérales de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta. « Des groupes paramilitaires et des bandas criminales [organisations criminelles] rôdent dans la région, allant et venant à leur guise dans le but de se faire remarquer et pourraient bien être derrière certaines des menaces que les dirigeants reçoivent actuellement », commente Weitzner.

Selon une étude menée en 2014 par le bureau du médiateur de l’État colombien, les « organisations criminelles », bandes armées illégales parfois liées aux organisations paramilitaires et au trafic de drogue, opèrent dans 15 % des villes du pays et sont présentes dans 27 de ses 32 départements.

Toujours en 2014, dans le cadre de son plan de prévention des éventuelles violations des droits de l’homme, le bureau du médiateur a émis une alerte détaillée sur les risques encourus par les dirigeants des territoires Embera Chamí. L’activité paramilitaire dans les départements voisins « gagne les villes de Riosucio et Supía, de façon à créer une zone stratégique importante où développer des activités telles que extorsion, contrôle de mines illégales et conflits leur permettant de prendre le contrôle des routes qui passent par l’ouest de Caldas et servent au trafic de drogue », peut-on lire dans l’alerte.

« On voit donc aussi bien des groupes armés hors-la-loi que des entreprises qui visent les ressources du resguardo comme un moyen de faire prospérer leurs activités, que ce soit en vue d’un profit pour les actionnaires dans le cas des entreprises qui font miroiter de belles perspectives à un repreneur ou pour les criminels armés qui comptent blanchir leur argent et faire fructifier leur activité », explique Weitzner.

Identifier ces divers intervenants qui s’intéressent aux ressources minières et agissent dans l’ombre est un véritable défi car ils sont souvent interconnectés. On peut citer des cas documentés d’exploitations minières qui fournissent un soutien logistique et financier à des groupes paramilitaires d’extrême droite en échange de la protection de leurs intérêts en Colombie.

A banner bearing Salazar Calvo's likeness hangs in Riosucio, a municipality that overlaps with the Cañamomo Lomaprieta Indigenous Reservation, on April 11, the date of a protest over Salazar Calvo's murder. Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Un poster de Salazar Calvo a été affiché dans la ville de Riosucio le 11 avril dernier, date d’une marche de protestation contre son assassinat. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.

D’après Weitzner, l’autodétermination du peuple de la réserve indigène de Cañamomo Lomaprieta est en jeu. Elle précise que le resguardo et le peuple Embera Chamí se retrouvent sous la pression de nombreuses menaces différentes. Selon elle, le fait qu’il s’agisse d’un peuple autogouverné qui met en œuvre sa propre politique et ses propres dispositions à l’égard des minéraux que recèlent ses territoires fait l’effet d’une menace pour un certain nombre d’autres intervenants. ».

La pression n’a pas cessé depuis l’assassinat de Salazar Calvo en avril 2015. « L’impunité règne en ce moment. Nous ignorons qui a tué Fernando Salazar et nous avons l’impression que les efforts en vue de garantir une enquête rigoureuse et éviter que cela ne se reproduise sont insuffisants », commente-t-elle encore.

Contacté à ce sujet, le bureau du médiateur n’a fourni aucune information au sujet des enquêtes sur l’assassinat de Salazar Calvo et les menaces que reçoivent d’autres dirigeants locaux. Dans un e-mail envoyé à mongabay.com, un fonctionnaire du bureau du médiateur de la région de Caldas a noté que, suivant la procédure, l’agence d’État prépare actuellement un rapport qui fait suite au plan d’alerte de 2014. Il ajoute que « les informations que possède à ce jour le bureau du médiateur sont confidentielles ».

À moins d’une évolution de la situation, Fabio Moreno ne peut retourner chez lui pour le moment car sa sécurité n’est pas garantie. Malgré le risque notable, dit-il, il continue d’assurer la présidence d’ASOMICARS afin de protéger les terres et les ressources du collectif Embera Chamí. Il précise qu’il ne peut savoir avec certitude qui a commandité l’assassinat de Salazar Calvo et qui a envoyé les menaces que lui et d’autres ont reçu, mais il sait quel en est le motif. Selon lui, il ne fait guère de doute que les violences sont perpétrées par des groupes paramilitaires, des organisations criminelles ou des entreprises d’exploitation minière qui sont attirés par les ressources minérales de la réserve.

« Ce que cherchent ces individus, c’est que les processus en place s’écroulent, que l’organisation perde tout contrôle sur les questions minières … si bien que les entreprises puissent venir s’implanter », a-t-il encore ajouté.

On April 11, protesters angry over Salazar Calvo's death, many of them indigenous miners, march through the streets of Riosucio. Photo credit: Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
Le 11 avril, des manifestants en colère suite à la mort de Salazar Calvo, des mineurs indigènes pour nombre d’entre eux, ont défilé dans les rues de Riosucio. Crédit photo : Viviane Weitzner / Forest Peoples Programme.
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