- Une recherche sur le site de partage de photos Instagram révèle une population sans cesse croissante de bébé chimpanzés et orangs-outans dans les riches pays arabes du Golfe.
- Les revendeurs mettent en vente les singes menacés sur le site, ce qui est apparemment en infraction avec la législation internationale.
- Au moment de mettre sous presse, Instagram et sa maison mère Facebook n’ont pas répondu aux demandes de commentaires sur la découverte de ce marché apparent d’espèces animales menacées. Les précédentes mesures de répression de la part des sites de vente en ligne EBay et Amazon semblent avoir réussi à mettre un terme au commerce illicite d’espèces sauvages sur ces sites.
Le 9 septembre je suis revenu à Mombasa, au Kenya après une mission d’enquête à Dubaï et en Egypte menée pour le compte de l’écologiste indépendant Karl Ammann. Il n’existe aucune région dans le monde où il est aisé pour un étranger de se documenter sur le commerce des espèces animales menacées d’extinction, mais le Moyen-Orient est un environnement où l’accès a l’information est particulièrement difficile. Les articles de Karl qui relatent ses missions antérieures là-bas sont tout aussi instructifs de par leurs récits d’obstruction par les bureaucrates et de querelles avec des éleveurs d’animaux menaçants et la police que par les faits qui y sont recueillis.
La mission était difficile, certes, mais on a néanmoins découvert quelques indices intéressants. L’un d’eux était l’existence possible d’un super-contrebandier d’espèces menacées de chimpanzés et orangs-outans, lequel serait complètement inconnu du public, mais pas nécessairement des forces de l’ordre. Nous connaissons à présent son véritable nom mais à mon retour en septembre nous n’avions que son surnom, la première partie duquel –Gorge –j’utiliserai ici, et la deuxième partie duquel est le nom d’un pays qui est l’habitat des chimpanzés.
Gorge nous serait encore demeuré inconnu si une amie écologiste égyptienne ne me l’avait pas mentionné lors de notre voyage fin août. Elle ne connaissait presque rien de cet homme, mais c’était un étranger qui attisait le ressentiment des vendeurs d’animaux exotiques bien établis. Bon nombre de ceux-ci conservaient leurs exploitations d’élevage dans un village près des pyramides de Giza. L’aîné d’une de ces familles a appelé notre amie à plusieurs reprises pour se plaindre de cet homme du nom de Gorge.
Des trafiquants douteux se plaignant d’un autre trafiquant douteux. Quand une telle chose se produit, on devine que cela peut mener à une grosse affaire. Et c’est essentiellement par ce biais que l’on aboutit à des percées.
Nous avons demandé à notre alliée écologiste de mener une enquête au sein de son réseau de contacts afin de faire la lumière sur ce personnage. Nos efforts se sont avérés vains : à l’heure où j’écris cet article, elle se déclare encore dans une impasse. Les gens de là-bas « avaient peur » de Gorge, nous a-t-elle dit dans un e-mail.
Les égyptiens avaient, des générations durant, transporté des animaux exotiques, dont des chimpanzés, depuis l’Afrique à destination de collectionneurs à travers le monde. Ces experts dans ce trafic en sont arrivés à considérer ce créneau commercial comme un droit acquis.
Mais quel genre d’homme peut donc faire peur à des gens pareils ?
Je devais finir par croiser à nouveau le nom de Gorge, mais dans un lieu tout à fait inattendu.
En ligne et hors de tout contrôle
A Mombasa, j’ai rangé mes caméras cachées et autres équipements d’investigation et commencé à recouper certains éléments en faisant des recherches sur Internet. A un moment donné, j’ai dérivé sur Instagram. Pour la plupart, ce site web n’est plus à démontrer. Quoique tout récemment lancé en 2010, il est devenu le plus grand site de partage de photos au monde. Pour la plupart des utilisateurs, c’est l’endroit où l’on peut rendre ses photos de famille, de voyage et d’activités sociales plus attrayantes que sur Facebook, lequel possède à présent Instagram. Des milliers de magasins utilisent également ce site pour la promotion de leurs marchandises.
La contrebande de gorilles est une entreprise où les enjeux sont encore plus élevés que pour les chimpanzés ou les orangs-outans. Elle est bien plus onéreuse (en partie parce que beaucoup de bébés animaux meurent) et peu de gens tentent de s’engager sur cette voie. La preuve de cette pratique est rare sur Internet, mais j’ai néanmoins tenté ma chance en tapant le hashtag #gorille. Apres avoir fait défiler des kilomètres de prises de vue par des touristes en Ouganda et au Rwanda, je suis tombé sur la photo d’un bébé gorille portant une légende inhabituelle. L’annonce venait d’un magasin animalier et la légende disait « Arrivage prochain. »
Cela doit certainement être une plaisanterie, avais-je pensé. Les contrebandiers n’iraient quand même pas sur un site énorme tel que Instagram pour dire simplement « Salut tout le monde, nous vous proposons l’un des mammifères de forêt tropicale le plus rare et le plus emblématique au monde, tout ce que vous avez à faire c’est nous envoyer un message à l’aide de ce numéro WhatsApp ! »
J’ai cliqué sur le nom du compte, Amazon Pet, et j’ai parcouru les autres photos du magasin. Ce n’était pas une plaisanterie. Amazon Pet est une entreprise sérieuse qui propose une large gamme d’animaux exotiques à des gens aux Emirats Arabes Unis. Super-patriotes comme beaucoup de leurs concitoyens, les propriétaires taggent fièrement leurs prises de vue d’animaux avec le hashtag #mydubai. Plus de 43 000 personnes suivent les annonces d’Amazon Pet. Et oui, c’est bien sur WhatsApp, donc, si vous disposez de la somme nécessaire, le singe de vos rêves n’est qu’à quelques touches de clavier. (Comme nous l’avons appris, cette application constitue la plate-forme de communication préférée des revendeurs d’espèces sauvages sur Instagram. Ils doivent estimer que le respect de la vie privé sur WhatsApp et son atout d’être bon marché l’emportent sur l’inconvénient de saisir des messages.)
Des images encore plus perturbantes ont suivi. Ce même magasin, basé à Dubaï, a mis en ligne la photo fort préoccupante, reproduite ici, d’un jeune chimpanzé chargé sur un chariot à bagages dans ce qui paraît être un aéroport d’un pays du Golfe arabe.
Cette photo m’a tout simplement suffoqué. Etais-je réellement en train de contempler un chimpanzé sur le point d’être transporté illégalement et ostensiblement au-delà des frontières internationales, à l’image d’une valise complètement ouverte contenant de la cocaïne ou de l’ivoire d’éléphant dans un hall d’aéroport ?
Les sceptiques pourraient mettre en avant l’argument qu’il ne s’agit là que d’une photo. Nous admettons que la photo en ligne d’un chimpanzé ou d’un orang-outan de compagnie ne constitue pas en elle-même la preuve que l’animal ait été acquis de façon illégale. Cependant, des chercheurs chevronnés tels que Karl, lequel a étudié ce commerce illicite pendant des décennies, savent pertinemment que les moyens légitimes permettant d’acquérir ces animaux sont extrêmement limités.
La Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvage Menacées d’Extinction (CITES – voir l’encadré) est le cadre juridique qui vise à réglementer le négoce international des espèces sauvages. Dans le cadre de CITES, il serait légal d’acheter et d’importer un chimpanzé si celui-ci est au moins un animal de deuxième génération, élevé en captivité et s’il provient d’une exploitation d’élevage accréditée. Cependant, seuls les zoos et instituts de recherche de bonne renommée, dont aucun n’existe dans les pays arabes, sont autorisés à de pareilles acquisitions – les clients commerciaux n’obtiennent jamais cette autorisation.
De plus, nos contacts vétérinaires dans les pays du Golfe n’ont pu identifier aucune exploitation d’élevage accréditée là-bas, et nous savons qu’aucune de ces installations n’existe en Afrique. L’Egypte a au moins une exploitation d’élevage de chimpanzés, mais elle n’est pas accréditée par CITES, en partie parce qu’elle refuse de permettre son inspection par des écologistes étrangers légitimes. Les bébés animaux provenant de là-bas ne seraient de toute façon pas légaux car n’étant pas de deuxième génération. Les exploitations d’élevage dans les pays occidentaux sont globalement conformes au règlement d’exportation CITES, et même un éleveur sans scrupules en occident ne pourrait assurer la continuité du flux de jeunes animaux que nous allions découvrir.
Sachant qu’Amazon Pet est un compte largement suivi qui se prend plutôt au sérieux, nous avons choisi de ne pas mettre en doute cette image. Et les questions habituelles se sont bousculées dans notre tête. D’où provenait ce bébé chimpanzé ? De quel pays tropical d’Afrique avait-t-il été volé, probablement après avoir vu sa mère abattue par balles en tentant de protéger son petit ? Quels étaient les itinéraires et moyens logistiques précis actuellement utilisés pour transporter des espèces animales protégées comme celles-ci hors de l’Afrique ?
Ces questions sont demeurées sans réponse. Mais à nos yeux d’enquêteurs, la localisation d’Amazon Pet précisément à Dubaï nous a semblée logique. Bien avant l’arrivée d’Instagram et autres réseaux sociaux, on y avait constaté matière à de futurs problèmes. Les habitants du Moyen-Orient ont toujours adoré les animaux de compagnie, avec un goût prononcé pour l’exotisme. Les oiseaux tropicaux, les singes et les guépards ont depuis bien longtemps été présents chez les riches habitants arabes de souche royale. Les singes de compagnie se sont finalement retrouvés parmi le mélange d’animaux choisis. « Je suppose que presque chaque palais là-bas contient au moins un bébé chimpanzé ou orang-outan. C’est terrifiant ! » nous a dit un vétérinaire étranger ayant beaucoup travaillé au Golfe.
Ce qui est maintenant en train de changer – et menace encore plus la survie de certaines de ces espèces – est la montée en flèche du nombre de millionnaires dans les pays du Golfe. Beaucoup d’entre eux souhaitent émuler le style de vie de gens au dessus d’eux sur l’échelle sociale. Les premiers jouets qu’ils achèteront seront donc souvent un véhicule 4×4 haut de gamme et un animal de compagnie exotique ridiculement cher et peu pratique, tel qu’un lion, un chimpanzé ou un orang-outan avec lequel ils pourront parader dans leur véhicule. Instagram ne manque pas de photos de singes de compagnie au Moyen Orient, se distinguant soit de par la façon dont les animaux sont traités, soit en raison du nombre impressionnant que certaines personnes possèdent. Nous en avons rassemblé quelques exemples dans le montage joint à cet article. Veuillez noter les aliments malsains – et la nicotine – faisant partie de l’alimentation quotidienne de certains, ainsi que ce bébé chimpanzé laissé à lui-même parmi des servals qui risquent de le mettre en pièces.
Tandis que les photos sur iPhones montrant des propriétaires d’animaux en train de leur faire des câlins avec des légendes pleines d’émoticônes paraissent démontrer un véritable amour de la part des propriétaires, les choses horribles perpétrées afin que ce groupe privilégié puisse avoir un animal de compagnie originaire de la jungle ne peuvent être ignorées. Karl a estimé qu’il faut abattre au moins 10 chimpanzés avant d’obtenir un seul bébé chimpanzé adapté à la vente. Les chimpanzés adultes sont grands et forts et protègent leurs petits de façon agressive. (Il est raisonnable de se demander ce que les pays sources d’Afrique équatoriale font pour arrêter ce trafic, mais leurs efforts sont entravés par le manque de financement, la corruption et, dans certaines régions, les guerres. D’un autre côté, nous avons des inspecteurs des douanes bien payés avec des uniformes impeccables dans les pays arabes du Golfe qui ne sont pas confrontés à de tels défis structurels et semblent tout à fait bien équipés pour intercepter une cargaison d’animaux d’origine douteuse.)
Ces bébés animaux sont potentiellement destinés à un sombre avenir. Comme les pythons devenus trop grands pour la maison de leurs propriétaires et jetés dans les marécages des Everglades, les singes perdent leur charme mignon dès qu’ils dépassent l’âge de l’enfance. Instagram est plein de photos de bébés chimpanzés et orang-outans portant des couches et comblés de jouets et de friandises par leurs fiers propriétaires. Pourtant, les chimpanzés vivent environ 60 ans en captivité et les orangs-outangs environ 50. Que sont donc devenus les singes plus âgés ? Avec le « baby boom » des singes qu’on observe actuellement, on doute fort que la forte poussée probable des laissés-pour-compte puisse être abritée dans certains des zoos les plus grands et les mieux financés, et encore moins dans les installations de taille moyenne du Moyen Orient.
Un puits sans fond
J’ai eu beaucoup de mal à boucler mes recherches sur Instagram. Les enquêtes sur le commerce illicite des animaux ont traditionnellement été un processus lent nécessitant un travail laborieux et épuisant sur le terrain et un travail relationnel fastidieux au sein d’un réseau de contacts. De temps à autre on fait des trouvailles « faciles » grâce aux recherches sur Internet.
Sur Instagram, on dénichait presque quotidiennement de nouveaux propriétaires, acheteurs et vendeurs de singes menacés d’extinction. Bien qu’Instagram soit fait pour montrer des photos, le site comporte assez d’éléments d’un réseau social pour permettre à des communautés d’utilisateurs de se former. Les détenteurs d’un compte peuvent suivre d’autres comptes et, en parcourant ces listes nous avons commencé à suivre la piste d’un cercle de passionnés de singes de compagnie. Ou plutôt d’un petit groupe de cercles différents pour être plus précis, puisque les différents membres de ces cercles ne représentent pas forcément un seul grand groupe unanime et solidaire. La réaction des égyptiens vis-à-vis de l’intrus Gorge en est la preuve.
Plusieurs des comptes auxquels nous avons eu accès sur Instagram à travers ces réseaux sont des comptes privés, ce qui représentait un obstacle supplémentaire. Sans l’accord des propriétaires de compte, nous ne pouvions pas les vérifier pour voir s’ils contenaient des photos de singes ou toute offre de vente. Et nos tentatives d’infiltration masquée ont été vaines jusqu’à présent. (Gorge, dont nous en dirons un peu plus dans les paragraphes ci-dessous, et l’un des propriétaires de ces comptes privés.) Nous supposons que les comptes privés constituent un autre réservoir en suspens d’animaux menacés d’extinction, dont des singes, mais sans nécessairement se limiter à ces espèces.
Puisqu’il n’existe essentiellement aucun moyen légal par lequel des citoyens ordinaires des pays du Golfe peuvent acquérir des grands singes, il semble logique d’en conclure que les singes de cette région aient été acquis de façon illicite. Mais de quelle manière ?
Un moyen détourné que Karl et d’autres avaient démontré dans le passé consiste à soudoyer des responsables de CITES afin qu’ils délivrent un faux permis d’exportation ou de réexportation indiquant de façon erronée que l’animal avait été élevé en captivité. Cependant même si ces permis existaient, ils devaient être enregistrés au bureau CITES de Genève, selon la règlementation stipulant que cette étape est nécessaire. Mais quand nous avons parcouru la base de données CITES, nous n’avons trouvé qu’une poignée d’exportations de singes vers les pays du Golfe lors des dix dernières années. Ceci ne pourrait expliquer les nombreux bébés chimpanzés exhibés sur Instagram par les habitants des pays arabes. Les données pour les orangs-outans sont encore plus nettes : pas un seul orang-outan n’est entré dans aucun pays du Golfe depuis 2005 à l’aide d’un permis CITES, qu’il soit légalement rempli ou falsifié. Et il semble y avoir beaucoup d’orangs-outans là-bas.
Il doit surement y avoir une autre filière utilisée. Nous sommes forcés d’accepter la possibilité que ces petits soient déplacés d’un lieu à un autre tout à fait en dehors du système CITES. A savoir par le biais de la contrebande. Peut-être en compagnie de beaucoup d’autres espèces menacées d’extinction figurant sur les Annexes I et II de CITES. Suivre la piste de cette filière représente à présent une priorité des plus urgentes pour nous.
Et il semble que nous ayons déjà réalisé un début prometteur.
Curieux vis à vis de Gorge
Le personnage de Gorge a continué à nous hanter. Dès août, nous connaissions son surnom, mais rien d’autre qui pouvait concrétiser cet homme mystérieux qui suscitait la peur parmi ses concurrents.
Puis nous avons trouvé une piste, et cela également grâce à Instagram. J’ai passé plus de 50 heures sur le site à regarder des photos et vidéos de singes et à passer au peigne fin les légendes et les commentaires. Je suis tombé sur une vidéo de deux chimpanzés (dont une capture d’écran est montrée ici) qui sortait du lot car l’utilisateur basé au Qatar qui l’a mise en ligne, encore un autre fournisseur d’animaux menacés d’extinction qui avait attiré notre attention, avait ouvertement déclaré que les chimpanzés étaient à vendre. En outre, le fournisseur mentionnait le prix, et pour faire bonne mesure, le nom de leur fournisseur.
« A vendre jeune chimpanzé d’environ 2 mois en collaboration avec Gorge [nom de famille] Koweït 120 négociable » dit la légende en arabe. (120 000 dinars koweïtiens équivalent à environ $36 000 dollars.)
Gorge est un prénom relativement rare dans le monde arabe, mais il n’a rien d’inhabituel, étant donné qu’il existe des communautés chrétiennes en Irak, en Syrie, au Liban et dans les pays voisins. Nous ne pouvons écarter la possibilité de l’existence de multiples Gorge travaillant séparément dans ce domaine depuis les pays du Golfe. Mais les animaux exotiques haut de gamme comme les grands singes occupent une assez petite niche commerciale. Ce ne sont pas de simples caisses de tomates importées et revendues.
Cette vidéo en ligne est venue renforcer quelque chose que j’avais soupçonné depuis que j’avais découvert un compte Facebook correspondant à son nom complet : Gorge est un koweïtien, ou du moins semble s’identifier comme tel. Sa page Facebook était assez inactive et offrait peu de détails à son sujet. Cependant, elle contenait quelques photos, telles que celle d’une brouette pleine de bébé orangs-outangs. Cela venait étayer notre théorie quant à son domaine d’activité.
Gorge paraissait avide de promouvoir son offre d’animaux vivants haut de gamme, qu’il considérait évidemment comme supérieure. A côté de la vidéo des bébés chimpanzés il avait posté un commentaire en arabe : « Digne de tout bien ».
Une autre découverte, bien étrange, s’est bientôt présentée. Je me suis plongé davantage dans les comptes Instagram, essayant d’élargir la recherche en suivant des followers et des followers de followers. Ce fut encore un heureux hasard mais le compte d’un vendeur d’animaux de compagnie koweïtien présentait une étrange image (montrée ici) qui était un montage de photos d’animaux exotiques, dont des espèces rares de chats et des orangs-outans. Super imposé en grands caractères était ce nom désormais familier.
Un hommage à un homme qui semblait être presque une divinité aux yeux de ses partenaires commerciaux. Les garçons mettent des affiches de leurs héros sportifs sur leurs murs. Maintenant nous voyons des revendeurs d’animaux de compagnie vénérer un homme capable d’obtenir presque n’importe quel animal interdit.
Nous avons trouvé d’autres « animaleries » sur Instagram qui postaient de pareils commentaires en hommage à Gorge. Jusqu’à présent elles se limitaient géographiquement au Koweït et au Qatar. Se pourrait-il que ce nouveau réseau soit la source des frustrations des négociants égyptiens ? Il est peu probable qu’ils se félicitent de la concurrence nouvelle d’un citoyen du Golfe arabe, tout particulièrement du fait de l’accès accru de celui-ci à la richesse.
L’étendue du rôle de Gorge dans l’acheminement des singes vers les pays du Golfe arabe, en particulier ses routes et méthodes d’approvisionnement, sont des éléments sur lesquels il faudra faire plus de lumière. Cependant, cette vidéo en ligne montrant les deux chimpanzés à vendre laisse peu de doutes quant au rôle actif qu’il joue dans cette histoire. Il se peut que plus de preuves restent encore à découvrir dans les comptes que nous n’avions pas encore eus l’occasion de consulter. Cependant, un élément joue en notre faveur, à savoir le penchant particulier de Gorge pour sa propre promotion, à la fois à travers ses commentaires Instagram et les photos admiratives que les gens affichent sur les réseaux sociaux sur cet « Elvis » du négoce d’animaux.
Autre surprise –et une question délicate
Depuis que j’aie commencé à enquêter sur son compte, Amazon Pet, ce fournisseur des plus illégaux des animaux illégaux, soit le bébé gorille, a annoncé qu’il fonderait son premier local de vente à Dubaï. On ne s’attend pas à ce qu’il y ait des bébés chimpanzés et orangs-outans portant des couches et jouant dans la vitrine principale, à la vue de tous. Mais il se peut que les transactions soient finalisées dans l’arrière boutique, après que les clients aient vu les photos et que les paiements initiaux aient été effectués. Nous allons évidemment faire contrôler ce magasin.
Nous allons aussi garder un œil sur cette annonce de gorille. Comme nous l’avons mentionné, il est extrêmement difficile de transporter de façon légale des bébés gorilles qui ont encore besoin de leur mère, encore moins de la manière employée par les contrebandiers, dans de petites caisses inadaptées. Cependant, ce que nous avons appris à propos des gens impliqués dans le commerce des animaux de compagnie exotiques au Golfe nous a enseignés à ne pas les sous-estimer. Si personne ne s’aventurerait à faire quelque chose d’aussi insensé, il est fort possible que le gang du Golfe le fasse.
Quand nous avons fait des recherches sur Amazon ou sur eBay sur des mots clé comme « chimpanzé » et « orang-outan », nous avons trouvé des vidéos et des jouets en peluche – aucune offre d’animaux vivants. Les sanctions passées appliquées par ces deux compagnies semblent avoir fait passer le message aux revendeurs d’animaux d’aller poursuivre leur commerce ailleurs. Evidemment, c’est ce que les revendeurs ont fait. En revanche, Instagram semble être un lieu sûr pour eux car on peut y mettre en ligne des offres de vente illégales d’animaux de compagnie et des photos d’abus perpétrés sur ceux-ci.
Nous avons envoyé divers messages aux dirigeants d’Instagram et de Facebook pour partager les résultats clés de nos recherches et obtenir leurs commentaires à ce sujet. Au moment de mettre sous presse, nous n’avions reçu aucune réponse.
CITES et les grands singes
La Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvage Menacées d’Extinction (CITES) a été rédigée dans les années 70 afin de régir le mouvement transfrontalier des espèces menacées d’extinction. Sa réglementation interdit toute exportation de grands singes, y compris les gorilles, les chimpanzés, les bonobos et les orangs-outans. Les singes élevés en captivité peuvent être exportés mais sont soumis à des règles strictes : les exploitations d’élevage doivent être approuvées et seuls les singes de deuxième génération ou plus –les petits enfants des singes capturés dans la nature –peuvent être autorisés à l’export. Cependant, si le stock initial de reproducteurs était acquis de façon illicite, sa progéniture serait interdite à l’exportation. (Les revendeurs ont l’habitude de rassurer les acheteurs en leur disant que leurs animaux capturés étaient élevés en captivité.) CITES est un système décentralisé qui laisse la question de l’application de la loi à ses pays membres. Chaque pays est censé avoir une autorité de gestion (Management Authority ou MA) laquelle délivre les permis d’exportation pour les animaux pouvant être exportés légalement. Mais comme mon partenaire de recherche Karl Ammann, écologiste indépendant, ainsi que d’autres l’ont démontré, les autorités de gestion corrompues dans les pays africains où habitent les singes sauvages ont permis à ces animaux de quitter le pays à l’aide de permis falsifiés, souvent après le paiement d’importants dessous-de-table. Les pays importateurs, qui sont généralement plus riches, ont aussi la responsabilité, dans le cadre de CITES, d’engager des poursuites à l’encontre de ces escroqueries. Karl a démontré qu’un certain relâchement de leur part représente un tout aussi grand problème. Bien que CITES n’aie pas son propre corps de police avec le pouvoir de saisie ou d’arrestation, son secrétariat à Genève a certainement des pouvoirs punitifs, qui, selon Karl et d’autres enquêteurs, sont sous-utilisés. En vertu de l’article 8 de sa charte, les pays membres doivent assurer la « confiscation et la restitution » des animaux dont la méthode d’acquisition a enfreint les règles à n’importe quelle étape. L’infraction aurait pu se produire avant même la naissance de l’animal si, comme noté ci-dessus, ses parents ont été acquis de façon irrégulière. La responsabilité de CITES est tout aussi engagée dans le cas d’exportation illégale sans aucun document de certification CITES d’animaux menacés d’extinction, que dans le cas d’exportations de ceux-ci à l’aide de permis légitimes. Car tout trafic sans permis peut être considéré comme une infraction aux règlementations CITES. L’article 8 oblige ses pays membres à « interdire tout commerce des espèces menacées d’extinction enfreignant » ces règles. |
Références bibliographiques
- Ammann, K., Pax Animalis (2011). The Cairo Connection Part II.
- Ammann, K., Sparwasser, K., Cockayne, N., Schoene, C., Pax Animalis (2013). The Conakry Connection.
- Ammann, K. (2015). The CITES Permitting System and the Illegal Trade in Wildlife.
Traduction révisée par Badia Mrani